Est-il autorisé d'avoir recours à la chirurgie esthétique ?

Deux questions :

1) Est-il permis, selon l'islam de se faire enlever les rides au menton par des injections de collagènes. Est ce un acte blâmable, si une femme le fait pour son mari ?

2) J'ai une hypertrophie mammaire, c'est-à-dire que j'ai une poitrine très volumineuse. C'est un boulet pour moi que je traîne depuis mon adolescence, et cela me cause tant un malaise physique (difficulté pour m'habiller...) que psychologique (mal-être, renfermement...). Je voudrais savoir si l'islam autorise que je procède à une opération chirurgicale, la réduction mammaire, qui consiste à retirer l'excès de ma poitrine. Ou dois-je considérer que telle est la volonté de Dieu de m'avoir faite ainsi et l'accepter ?

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Réponse :

L'islam permet et, au contraire, exhorte chaque époux à s'embellir pour l'autre. Cet embellissement ne doit cependant se faire que dans le cadre éthique voulu, comme le Prophète l'avait spécifié à une femme venue lui poser la question de savoir si elle pouvait rallonger les cheveux de sa fille dans le but d'embellir celle-ci pour son mari (rapporté par al-Bukhârî, n° 5591). Car l'islam offre un cadre éthique pour l'embellissement du corps : tout embellissement exagéré est ainsi interdit (cf. Hujjat ullâh il-bâligha 2/512, 517, 518, et aussi Al-Halâl wa-l-harâm, al-Qardhâwî, p. 80).

Qu'est-ce qui est modéré et qu'est-ce qui est exagéré, les sources musulmanes nous ont donné à ce sujet des éléments, afin que nous ne tombions pas dans le "tout relatif" (lire à ce sujet Pourquoi nous avons besoin d'une révélation). Et, de ces éléments, les juristes musulmans ont extrait des règles.

La question générale qui se pose ici par rapport aux deux questions posées est : Que peut-on apporter comme modifications dans ce corps, par rapport à son apparence et à son être tels qu'ils sont de façon naturelle (qu'il s'agisse de modifications temporaires, durables ou irréversibles) ?

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Voici quelques Hadîths concernant ce point :

Le Prophète Muhammad (sur lui la paix) a dit : "Que Dieu éloigne de Sa Miséricorde celles qui tatouent, celles qui se font tatouer, celles qui épilent, celles qui se font épiler, celles qui font écarter leurs dents par recherche de la beauté, qui changent ainsi la forme que Dieu a donnée" ("taghyîru khalqillâh") (rapporté par al-Bukhârî et Muslim) Le Prophète (sur lui la paix) a également dit qu'étaient éloignées de la miséricorde divine les femmes qui rallongent les cheveux des autres et celles qui se font rallonger les cheveux (rapporté par al-Bukhârî et Muslim).

Il a également dit : "N'arrachez pas vos [cheveux et poils] blancs…" (rapporté par Abû Dâoûd et at-Tirmidhî).

Le Prophète (sur lui la paix) a ordonné (avec le sens d'une recommandation) de se teindre les cheveux et la barbe blancs (rapporté par al-Bukhârî). Il a cependant dit à propos de la teinte à utiliser alors : "… Et préservez-vous de la couleur noire" (rapporté par Muslim).

Il a aussi dit : "Cinq choses font parties de ce que l'homme fait naturellement : la circoncision, le fait de se raser la pilosité [présente sur le pubis], de se tailler les moustaches, de se tailler les ongles et de s'épiler la pilosité présente sous les aisselles" (rapporté par al-Bukhârî et Muslim).

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Des ulémas ont, à partir de ces hadîths, fait apparaître les quatre catégories suivantes :

1) Il y a une "modification" de l'apparence première du corps qui est à éviter (certains des points suivants sont interdits, d'autres fortement déconseillés) :
- se faire écarter les dents (chez les Arabes à l'époque du Prophète, cela était un attribut de beauté),
- faire paraître ses cheveux plus longs en utilisant des mèches de cheveux,
- s'épiler les sourcils (ou le visage, d'après d'autres savants),
- se teindre les cheveux blancs en la même couleur qu'ils avaient au temps de leur jeunesse,
- s'arracher les cheveux blancs.

2) Il y a une "modification" de l'apparence première du corps qui est recommandée :
- se teindre les cheveux blancs en une couleur différente de celle qu'ils avaient au temps de leur jeunesse.

3) Il y a une "modification" de l'apparence première du corps qui est à faire (certains des éléments suivants sont obligatoires, d'autres fortement recommandés) :
- se faire circoncire (pour un homme),
- se débarrasser régulièrement de la pilosité qui se trouve sur le pubis,
- se couper les ongles,
- se débarrasser régulièrement de la pilosité qui se trouve sous les aisselles,
- et se tailler les moustaches (pour un homme) afin qu'elles ne dépassent pas le bord supérieur de la lèvre supérieure.
Il s'agit bien de cinq légères "modifications" de l'apparence qu'a l'être humain, et pourtant elles ont été décrites par le Prophète (sur lui la paix) comme faisant partie de ce que l'être humain fait naturellement ("al-fit'ra") (voir le hadîth cité plus haut).

4) Enfin, il y a une "modification " de l'apparence première du corps qui est simplement autorisée (d'après certains ulémas) :
- pour une femme s'épiler la pilosité qui apparaîtrait sur les joues et qui ressemblerait à de la barbe (d'après certains ulémas),
- pour une femme, et ce d'après certains savants, s'épiler le visage pour les parties autres que les sourcils (car en ce qui concerne les sourcils cela est interdit, comme nous venons de le voir).

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Par rapport aux modifications physiques autres que celles qui sont obligatoires ou recommandées, des ulémas ont émis les avis suivants :
A) Exactement comme on ne doit pas arracher ses cheveux blancs, on ne peut pas avoir recours à la chirurgie pour faire disparaître ce qui apparaît naturellement avec le temps, tels que les rides, les cernes, etc. On peut retarder l'apparition de ceci en utilisant régulièrement de l'huile ou une crème enrichissante (exactement comme le fait de se huiler le chevelure régulièrement retarde l'apparition de cheveux blancs). Mais une fois apparus, il faut faire avec. Cette règle s'applique par exemple pour les implants de silicone pour les seins : on ne doit pas se faire redessiner ceux-ci parce qu'ils ont subi les aléas du temps. Par contre, une gymnastique quotidienne appropriée en retarde le vieillissement.

B) De même, exactement comme on ne devait pas se faire écarter les dents pour que celles-ci soient plus conformes à la norme de beauté arabe d'il y a quatorze siècles, on ne doit pas non plus avoir recours à la chirurgie pour rendre une partie de son apparence physique plus conforme à la norme de beauté contemporaine. On ne peut, ainsi, se faire redessiner le nez parce qu'on préferrait une courbure de celui-ci différente de ce qu'elle est comme Dieu nous l'a donnée. Une femme ne peut, non, plus, avoir recours à des implants pour donner plus de volume à sa poitrine pour qu'elle corresponde plus aux canons de beauté actuels, et ce même si c'est pour son mari seulement.

C) Par contre, pour ce qui constitue réellement une anomalie ("'ayb shâddh") et cause réellement du tort à son porteur, on peut avoir recours à la chirurgie (dans le cadre de l'utilisation de ce qui est déjà, en soi, permis) pour le faire disparaître (il faut cependant qu'il s'agisse d'un tort réel, et non d'une gêne parce que cela ne correspond pas à ce qu'on souhaite). Des juristes des siècles précédents citaient ainsi le cas d'une dent anormalement grande apparue chez quelqu'un et qui le gêne réellement. Ils citaient encore le cas d'un sixième doigt qui gêne celui qui le possède.

D) De même, en cas d'accident, on peut avoir recours à la chirurgie pour réparer les dommages physiques conséquents qui sont apparus à cause de l'accident. Le Prophète avait autorisé 'Arfaja, dont le nez avait été sectionné lors d'une bataille d'avant l'islam, à porter une sorte de prothèse en argent ; celle-ci s'étant révélée nocive, il l'autorisa à porter une prothèse en or (rapporté par at-Tirmidhî, n° 1770, Abû Dâoûd, an-Nassâ'ï).

Voir Halâl wa harâm, Chaykh Khâlid Saïfullâh, pp. 214-217, et Al-Halâl wa-l-harâm, al-Qardhâwî, pp. 80-81. Voir aussi Fat'h ul-bârî, Ibn Hajar.

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Réponse concrète aux deux questions :

1) Le fait de se faire faire une injection pour faire disparaître les rides du visage entre dans le cadre du cas A et n'est donc pas permis.

2) S'il s'agit de se faire redessiner les seins parce que ceux-ci ne correspondent pas aux canons de beauté actuels, alors cela entre dans le cas B et n'est pas permis. Par contre, s'il s'agit vraiment d'une poitrine tellement volumineuse qu'elle constitue ce que l'on peut appeler une anomalie et qu'elle cause du tort, alors cela entre dans le cadre du cas C et on peut donc se faire enlever l'excédent. Il faut chercher à ce que ce soit une chirurgienne qui le fasse (pour respecter l'éthique islamique). En tout cas, on doit percevoir cette opération comme un soin par rapport à ce qui constitue un tort ("mu'âlaja"), et non pas comme une recherche exagérée de la beauté ("husn").

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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