Aux origines du conflit israélo-arabe - L'histoire, de 1917 à 1947

"Trente ans d'occupation britannique auront suffi, écrit Nadine Picaudou, pour que la Palestine, jusqu'alors paisible province de l'Empire ottoman, devienne le cœur d'un conflit aux répercussions internationales. Deux dates balisent cette période : 1917 , date de la déclaration Balfour, et 1947, date du plan de partage de la Palestine présenté par l'ONU comme solution au conflit qui s'ensuit entre les Juifs et les Arabes."

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Au cours de la Première guerre mondiale :

C'est au cours de la Première guerre mondiale que se dessine l'avenir de la Palestine. L'Empire ottoman, alors engagé aux côté des Empires centraux de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie, fait face au Royaume-Uni.

Dès 1915, les accords secrets Sykes-Picot (conclu entre les Britanniques et les Français) dessinent le projet de démembrement de l'Empire ottoman et donc les futures zones d'influence au Proche Orient, la Palestine devant rester sous administration internationale en raison de son enjeu symbolique.

Mais les choses ne se déroulent pas ainsi. Les Britanniques, soucieux de gagner la guerre contre les Empires centraux, multiplient des engagements contradictoires en faveurs des nationalités soumises aux Ottomans.
Ainsi, selon l'idée que leur donne Chaïm Weizmann, président de la Fédération sioniste britannique, les Britanniques promettent aux communautés juives des Etats-Unis et de la Russie, en échange d'une pression sur leurs Etats pour que ceux-ci poursuivent l'effort de guerre, de satisfaire à la revendication du mouvement sioniste qui brigue la constitution d'un Etat juif en Palestine. (Le mouvement sioniste avait été fondé en 1897 grâce à l'action de Theodor Herzl notamment. Celui-ci avait, en tant que journaliste, couvert le procès Dreyfus, et l'injustice qu'il avait constatée – et que Emile Zola avait également dénoncée – l'avait amené à penser que les juifs seraient toujours victimes de l'antisémitisme en Europe. Il avait alors imaginé comme solution qu'ils aient une patrie bien à eux et avait exprimé cette idée dans un ouvrage, Der Judenstaat. Conscient que son mouvement ne pourrait rien réaliser de concret sans l'appui d'une grande puissance, il avait mené plusieurs démarches en ce sens auprès de divers pays. Mais il mourut sans avoir réussi sur ce point. L'occasion d'obtenir maintenant, en ces années 10 du XXème siècle, l'appui de la Grande-Bretagne paraît donc inespérée au mouvement.) Dans le même temps, aux Arabes (le hashémite Hussein de la Mecque), les Britanniques promettent, en échange d'un appel général au soulèvement des Arabes contre les Ottomans, un grand Etat arabe unifié, s'étendant de la Méditerranée à la Perse.

En mars 1917, les Britanniques sont repoussés à Gaza. Durant l'été 1917, des forces arabes commandées par un fils de Hussein opèrent contre les Ottomans dans le sud de l'actuelle Jordanie. En décembre 1917, les Britanniques sont à Jérusalem. Entre-temps, en novembre 1917, les Britanniques se sont déclarés, par la voix de Lord Balfour, leur ministre des Affaires étrangères, "favorables à la création" en Palestine d'un "foyer national" pour les Juifs, "sous réserve que cela ne contrevienne en rien aux droits des populations autochtones". C'est la déclaration Balfour (novembre 1917), qui officiellement récompense les travaux de Chaïm Weizmann ayant permis de réaliser l'acétone synthétique.

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Dans l'entre-deux guerres :

Nadine Picaudou écrit en substance : "En novembre 1918, lorsque Londres proclame son soutien à l'émancipation des peuples libérés du joug ottoman, l'espoir est immense au Proche-Orient. A Jérusalem, on s'appuie sur cette proclamation pour dénoncer la déclaration Balfour. Puis, en 1919, le premier Congrès des Associations islamo-chrétiennes de Palestine, réuni à Jérusalem, élève une "véhémente protestation" contre la promesse britannique faite aux sionistes. Le texte n'en est pas encore publié mais les membres du Congrès croient savoir qu'aux termes de cet engagement, "leur pays deviendrait une patrie nationale" pour les Juifs. En 1920, une fête traditionnelle palestinienne tourne à l'émeute et dégénère en troubles communautaires. C'est le premier accrochage entre Arabes et Juifs. En 1921, la délégation islamo-chrétienne s'adresse ainsi à Winston Churchill, alors secrétaire d'Etat aux Colonies, de passage à Jérusalem : "Si les sionistes n'étaient venus en Palestine que comme des hôtes ou si les choses en étaient restées à ce qu'elles étaient avant la guerre, il n'y aurait pas de problème de Juifs et de non-Juifs. Mais c'est l'idée d'une Palestine transformée en un Foyer national juif que les Arabes rejettent et combattent." Les Palestiniens, poursuit Nadine Picaudou, appellent à un retour à la Palestine du passé : celle d'une coexistence communautaire entre musulmans, juifs et chrétiens" (Nadine Picaudou est historienne, maître de conférences à l'INALCO à Paris. Tous ses écrits cités dans cette page sont extraits du Géo n° 243, Mai 1999, pp. 111-116).

Il faut dire que la déclaration Balfour est pour le moins étrange. Arthur Koestler, écrivain de même nationalité que Lord Balfour, écrit ainsi : "La déclaration Balfour constitue un des documents politiques les plus improbables de tous les temps. C'est un document par lequel une première nation promettait solennellement à une seconde nation le pays d'une troisième nation. Aucun plaidoyer ne saurait en rien diminuer l'originalité du procédé. Il est vrai que les Arabes vivaient en Palestine sous la domination turque, mais ils y vivaient depuis des siècles et il ne fait pas de doute que ce pays était le leur, au sens généralement admis du mot" (cité dans Mourir pour Jérusalem, André Larteguy, p. 366).

L'immigration continue cependant : "En 1919, écrivent Jean et André Sellier, sur un total de 750 000 habitants en Palestine, on recense moins de 70 000 Juifs. En 1936, ils sont 400 000, en 1947 : 600 000 sur un total de près de 2 000 000." La population juive de Palestine passe donc, de moins de 10 % en 1919, à presque 30 % de la population totale en l'espace de moins de 30 ans, grâce à l'immigration.

La politique britannique est d'abord conforme aux termes du mandat, autrement dit favorable au programme sioniste : les Britanniques refusent de limiter l'immigration et les achats de terres. En 1936 cependant, suite à des émeutes et à une grève générale de la population arabe, les Britanniques reconsidèrent leur position. En 1937, la commission Peel conclut qu'il faut partager la Palestine. Il s'agit du premier plan de partage de la Palestine, et il propose qu'il en soit fait trois parties : un Etat arabe, un Etat juif, une zone internationale couvrant Jérusalem et ses alentours. Les Arabes rejettent ces conclusions. Les émeutes reprennent, et durent jusqu'en 1939.

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La Seconde guerre mondiale et ses conséquences :

L'extermination des Juifs par les nazis en Europe au cours de la Seconde guerre mondiale bouleverse les opinions publiques européenne et américaine. Mis face aux horreurs dont s'est rendu coupable une nation européenne et aux passivités dont ont fait preuve certaines autres nations européennes, l'Occident est pris d'un remords affligeant, écrit en substance Bruno Guigue. Il est dès lors prêt à toutes les concessions vis-à-vis du peuple juif pour obtenir un exutoire à sa mauvaise conscience. (Lire à ce sujet Aux origines du conflit israélo-arabe, l'invisible remords de l'Occident, Bruno Guigue, L'Harmattan, 1998, pp. 70-78 et pp. 95-97.)

Le mandat britannique sur la Palestine devant prendre fin le 15 mai 1948, le Royaume-Uni porte, en 1947, la question devant l'ONU. Celle-ci, en novembre 1947, adopte un nouveau plan de partage qui accorde aux Arabes Palestiniens (qui forment alors environ 70% de la population de toute la Palestine) 45 % environ, et aux futurs Israéliens (qui forment alors environ 30% de la population et possèdent environ 07% des terres) 55 % environ du territoire de la Palestine. Le Haut comité arabe de Palestine répond : "Tout essai (…) pour établir un Etat juif sur un territoire arabe est un acte d'oppression auquel il sera résisté par la force en état de légitime défense." Bruno Guigue commente : "Légitime défense, en effet, que celle d'un peuple qui refuse la dépossession unilatérale à laquelle on voudrait le contraindre. Ce partage qui n'en est pas un, pourquoi les Palestiniens auraient-ils dû s'y résoudre ? Ils n'avaient aucune raison de s'astreindre à un devoir de réparation pour des crimes affectant la conscience des autres" (Op. cit., p. 105).

L'historien Elias Sanbar, rédacteur en chef de la Revue d'études palestinennes, écrit quant à lui : "Les Palestiniens, dit-on aujourd'hui [en 1997] a posteriori, n'ont obtenu, après trois ans de négociations, que 2% de ce qui fut leur patrie, alors qu'en 1947 on leur en avait proposé 45% et qu'ils ont refusé. Regardez, leur dit-on, où vous a conduit votre intransigeance. Il faut dire trois choses à ce sujet : au moment de refuser les 45% de la Palestine qu'on leur propose, les Palestiniens ont une patrie entière. Ils sont 1 400 000 personnes face à une communauté juive de 600 000 personnes, composée à 95% d'immigrants venus d'Europe. Ils sont dans leur pays et ils ne comprennent pas pourquoi ils devraient en abandonner plus de la moitié. Second point : lors des débats à l'ONU, les Palestiniens ne se cantonnent pas dans leur refus du plan de partage. Ils réclament l'indépendance et proposent la citoyenneté pour l'ensemble des habitants de la Palestine, y compris les 600 000 juifs" (Le Monde, le partage de la Palestine, 30 novembre-1er décembre 1997, p. 14).

Toujours est-il que le 14 mai 1948, aussitôt après la proclamation de l'Etat d'Israël, le conflit éclate ouvertement entre israéliens et arabes. C'est la première de quatre guerres israélo-arabes. Elle ne se termine qu'en janvier 1949 par un armistice. A la faveur de cette guerre, l'Etat d'Israël s'est agrandi d'un tiers par rapport à ce que lui offrait le plan de partage de 1947, tandis que plus de 700 000 Palestiniens ont dû connaître l'exode.

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Conclusion :

Du procès de Dreyfus à la nuit de crystal, du port de la rouelle à celui de l'étoile jaune, des pogroms du Moyen-Age à l'expulsion du ghetto de Varsovie et à la rafle du Vel d'Hiv, des bûchers du Moyen-Age aux chambres à gaz de la Seconde guerre mondiale, les Juifs ont souffert en Europe. Réellement. Enormément. Qu'une solution et qu'une réparation à ces exactions aient été envisagées, cela est totalement compréhensible. Malheureusement, la réparation proposée a lésé un autre peuple, innocent, lui, de ce genre d'exactions, et devant dès lors vivre à son tour ce que les Juifs avaient vécus dans le passé en Europe : brimades et humiliations quotidiennes, terreur, exode...
Bruno Guigue écrit : "..."Le monde a trop à se faire pardonner à leur égard, lit-on dans Le Populaire au lendemain de la proclamation de l'Etat hébreu, pour disputer au Juifs le droit de se grouper et de vivre selon leurs traditions." Le monde, vraiment ? Ou bien plutôt l'Europe (…) ?" (Aux origines du conflit israélo-arabe, l'invisible remords de l'Occident, Bruno Guigue, p. 88).
Nadine Picaudou écrit quant à elle ce qui peut être considéré comme le mot de la fin : "Tandis que s'impose peu à peu dans l'opinion occidentale l'idée d'un Etat-refuge en Terre sainte pour les rescapés de l'Holocauste, le Proche-orient tout entier ne peut se départir du sentiment que l'Europe se décharge ainsi sur la Palestine de sa propre culpabilité, réparant l'infamie au prix de l'injustice" (Géo n° 243, mai 1999, p. 116).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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