Qui a décidé du classement des versets et sourates du Coran ?

Le texte coranique a cette particularité qu'il a été révélé sur une période de 23 années au Prophète Muhammad (sur lui soit la paix).
Or, le texte du Coran tel qu'il se présente à nous ne reprend pas l'ordre chronologique de ces révélations (ni en ce qui a trait au classement des sourates les unes par rapport aux autres, ni en ce qui relève du classement des versets à l'intérieur des sourates).
Le texte coranique n'est pas non plus classé selon un ordre thématique.

Qui a fixé l'ordre des versets à l'intérieur des sourates ? Et qui a fixé l'ordre des sourates les unes par rapport aux autres ? Le Prophète Muhammad (sur lui la paix) ? Zayd ibn Thâbit (que Dieu l'agrée) ? Uthman (que Dieu l'agrée) ?

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Le classement des versets les uns par rapport aux autres :

En même temps qu'au fur et à mesure de sa révélation, le Coran est conservé dans les mémoires des hommes et récité chaque jour dans les 5 prières obligatoires, ses versets sont mis par écrit sous la direction du Prophète. Après chaque révélation, en effet, le Prophète dicte à un de ses scribes aussi bien le texte de celle-ci que la sourate où il faut l'insérer.

La classification des versets les uns par rapport aux autres ne se fait donc pas selon l'ordre chronologique de leur révélation, mais suivant un ordre différent. Celui-ci suit les indications du Prophète lui-même (Al-Itqân, p. 189).
Il existe même des versets qui ont été révélés à des moments différents et qui ont été placés dans une même sourate, mais dont l'ordre dans la révélation est inverse à l'ordre dans la succession à l'intérieur de la sourate : ainsi, d'après de nombreux ulémas, le contenu du verset 2/240 a été abrogé par le contenu du verset 2/234 : cela implique que le verset qui porte le numéro 234 dans la sourate 2 a été révélé postérieurement au verset qui a pour sa part été placé au numéro 240 dans cette même sourate 2...

'Uthman, un des compagnons de ce dernier, devait raconter plus tard : "Il y avait des moments où plusieurs Sourates étaient en train d'être révélées au Messager de Dieu (que Dieu le bénisse et le salue). Lorsqu'un groupe de versets lui étaient révélés, il appelait des personnes sachant écrire et leur disait : "Placez ces versets dans telle sourate, celle où sont mentionnés tels et tels sujets". Et lorsqu’un verset lui était révélé, il leur disait : "Placez ce verset dans telle sourate, dans laquelle sont mentionnés tels et tels sujets"" : "عن يزيد الفارسي قال: حدثنا ابن عباس، قال: قلت لعثمان بن عفان: "ما حملكم أن عمدتم إلى الأنفال وهي من المثاني وإلى براءة وهي من المئين، فقرنتم بينهما، ولم تكتبوا بينهما سطر {بسم الله الرحمن الرحيم}، ووضعتموها في السبع الطول؟ ما حملكم على ذلك؟" فقال عثمان: "كان رسول الله صلى الله عليه وسلم مما يأتي عليه الزمان وهو ينزل عليه السور ذوات العدد؛ فكان إذا نزل عليه الشيء دعا بعض من كان يكتب فيقول: "ضعوا هؤلاء الآيات في السورة التي يذكر فيها كذا وكذا"؛ وإذا نزلت عليه الآية فيقول: "ضعوا هذه الآية في السورة التي يذكر فيها كذا وكذا". وكانت الأنفال من أوائل ما نزلت بالمدينة وكانت براءة من آخر القرآن وكانت قصتها شبيهة بقصتها فظننت أنها منها، فقبض رسول الله صلى الله عليه وسلم ولم يبين لنا أنها منها. فمن أجل ذلك قرنت بينهما ولم أكتب بينهما سطر {بسم الله الرحمن الرحيم}، فوضعتها في السبع الطول" (rapporté par at-Tirmidhî, n° 3086, Abû Dâoûd, n° 786, an-Nassâï, Ibn Mâja, authentifié par Ibn Hibbân : cf. Fat'h ul-bârî, 9/29).

Les versets nouvellement révélés ne sont pas forcément insérés à la fin des versets déjà révélés et constituant déjà une partie de telle sourate. Ils peuvent l'être quelque part au milieu d'un ensemble déjà constitué. La preuve en est que la phrase "الْيَوْمَ أَكْمَلْتُ لَكُمْ دِينَكُمْ وَأَتْمَمْتُ عَلَيْكُمْ نِعْمَتِي وَرَضِيتُ لَكُمُ الإِسْلاَمَ دِينًا" a été insérée vers le début de la sourate 5, au verset numéroté 3 (et même à l'intérieur des phrases précédemment révélées et constituant ce verset numéro 3 : "حُرِّمَتْ عَلَيْكُمُ الْمَيْتَةُ وَالْدَّمُ وَلَحْمُ الْخِنْزِيرِ وَمَا أُهِلَّ لِغَيْرِ اللّهِ بِهِ وَالْمُنْخَنِقَةُ وَالْمَوْقُوذَةُ وَالْمُتَرَدِّيَةُ وَالنَّطِيحَةُ وَمَا أَكَلَ السَّبُعُ إِلاَّ مَا ذَكَّيْتُمْ وَمَا ذُبِحَ عَلَى النُّصُبِ وَأَن تَسْتَقْسِمُواْ بِالأَزْلاَمِ ذَلِكُمْ فِسْقٌ الْيَوْمَ يَئِسَ الَّذِينَ كَفَرُواْ مِن دِينِكُمْ فَلاَ تَخْشَوْهُمْ وَاخْشَوْنِ الْيَوْمَ أَكْمَلْتُ لَكُمْ دِينَكُمْ وَأَتْمَمْتُ عَلَيْكُمْ نِعْمَتِي وَرَضِيتُ لَكُمُ الإِسْلاَمَ دِينًا فَمَنِ اضْطُرَّ فِي مَخْمَصَةٍ غَيْرَ مُتَجَانِفٍ لِّإِثْمٍ فَإِنَّ اللّهَ غَفُورٌ رَّحِيمٌ") bien qu'elle ait été révélé tardivement (au mois de dhu-l-hijja de l'an 10 de l'hégire, soit environ 3 mois avant le décès du Prophète, comme le dit une célèbre narration de Omar ibn ul-Khattâb : al-Bukhârî, 45, Muslim, 3017).

De même en est-il des versets parlant du Ribâ (numéroté 2/275 à 2/280) de même que le verset qui clôture cela ("وَاتَّقُواْ يَوْمًا تُرْجَعُونَ فِيهِ إِلَى اللّهِ" : numéroté 2/281), qui sont parmi les dernières parties du Coran à avoir été révélées au Prophète, et qui, pourtant, n'ont pas été insérées juste à la fin de sourate al-Baqara. "عن الشعبي، عن ابن عباس رضي الله عنهما، قال: "آخر آية نزلت على النبي صلى الله عليه وسلم آية الربا" (al-Bukhârî, 4270) ; "عن عكرمة، عن ابن عباس قال: "آخر شيء نزل من القرآن: {واتقوا يوما ترجعون فيه إلى الله" (an-Nassâ'ï dans Al-Kub'râ, 10991).

On trouve même parfois des versets de révélation post-hégirienne qui ont été intégrés à un ensemble de versets pré-hégiriens, lesquels formaient déjà un ensemble conséquent.
Par contre, l'inverse (des versets de révélation pré-hégirienne insérés dans un ensemble constitué majoritairement de passages post-hégiriens) est difficile à trouver (Al-Itqân, p. 43).

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A l'intérieur d'une sourate donnée, les mots et phrases qui en composent le texte, cela ne fait l'objet d'aucune divergence entre les érudits musulmans.
Il n'y a pas non plus de divergence quant à la place de chacune de ces phrases : personne ne dit que dans telle sourate, la place de telle phrase a été plutôt été non pas le début ("comme le dit Untel"), mais la fin de cette sourate.

Par contre, quelles sont les fins de versets, lesquelles fins découpent ces phrases ; et, partant, quelle est la place de l'extrémité de certains versets, cela fait l'objet de divergences d'opinions pour 74 des 114 sourates du Coran (Al-Itqân, pp. 210-217).
--- Ainsi, en ce qui concerne la sourate Al-Ikhlâs (112ème sourate du Coran), cette divergence existe : selon certains ulémas, son texte est découpé en 4 versets, tandis que selon d'autres en 5 versets : il s'agit des mêmes mots et des mêmes phrases, c'est seulement le découpage en versets qui fait l'objet de cette divergence.
--- Pour ce qui est de la sourate Al-'Asr (103ème sourate du Coran), les ulémas sont d'accord sur le fait que son texte est composé de 3 versets ; par contre, ils divergent quant au fait de savoir où se situe l'extrémité du 1er et du 2nd versets : selon certains, le premier verset prend fin sur les mots "wa-l-'asr", le second sur "khusr", et le troisième sur le dernier mot de la sourate ; selon d'autres, le premier verset prend fin sur les mots "khusr", le second sur "bi-l-haqq", le troisième sur le dernier mot de la sourate.

Il est clair que ce genre de divergences n'entraîne aucune différence par rapport au texte coranique lui-même.

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Le classement des sourates les unes par rapport aux autres :

Il y a divergence d'opinions entre les ulémas quant à la question de savoir si le classement de toutes les sourates les unes par rapport aux autres est tawqîfî (c'est-à-dire : a été fait par le Prophète, sur lui soit la paix) ou ijtihâdî (c'est-à-dire : a été décidé par les Compagnons lorsqu'ils ont préparé les copies du Coran à universaliser).

Il est certain que la place des sourates al-Anfâl et at-Tawba est ijtihâdî. Ibn Abbâs raconte ainsi : "J'ai dit à Uthmân :
- Qu'est-ce qui vous a poussés à prendre la sourate al-Anfâl – qui fait partie des mathânî – et la sourate Barâ'ah [= at-Tawbah] – qui fait partie des mi'în –, à les joindre l'une à l'autre, à ne pas écrire la ligne "Bismillâh ir-rahmân ir-rahîm", et à les placer toutes deux parmi les sourates as-sab' at-tuwal ? Qu'est-ce qui vous amenés à faire ainsi ?
- Il y avait des moments, me dit Uthmân, où plusieurs Sourates étaient en train d'être révélées au Messager de Dieu (que Dieu le bénisse et le salue). Lorsqu'un groupe de versets lui étaient révélés, il appelait des personnes sachant écrire et leur disait : "Placez ces versets dans telle sourate, celle où sont mentionnés tels et tels sujets". Et lorsqu’un verset lui était révélé, il leur disait : "Placez ce verset dans telle sourate, dans laquelle sont mentionnés tels et tels sujets". La sourate al-Anfâl fait partie des sourates à avoir été révélées dans les premières années de son installation à Médine, et la sourate Barâ'ah parmi les dernières à lui avoir été révélées. Le thème de ces deux sourates est voisin. Mais le Prophète est décédé sans nous avoir dit si Barâ'ah faisait partie de al-Anfâl [ou pas]. C'est pourquoi j'ai joint l'une à l'autre, n'ai pas écrit la ligne "Bismillâh ir-Rahmân ir-Rahîm" et les ai placées parmi as-sab' at-tuwal"
(rapporté par at-Tirmidhî, n° 3086, Abû Dâoûd, n° 786, an-Nassâï, Ibn Mâja, authentifié par Ibn Hibbân : cf. Fat'h ul-bârî, 9/29).
C'est-à-dire que, ne sachant pas s'il s'agissait de deux sourates distinctes ou bien d'une seule, la commission de Compagnons qui a préparé les copies du Coran ont eu recours à une solution intermédiaire, alliant les deux possibilités :
- ils ont gardé deux dénominations différentes, montrant qu'il peut effectivement s'agir de deux sourates distinctes,
- mais ils n'ont pas écrit la ligne "Bismillâh ir-rahmân ir-rahîm" entre les deux, montrant qu'il peut tout aussi bien s'agir d'une seule et même sourate.

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Et il existe sur le sujet les avis suivants :
– la place de toutes les sourates les unes par rapport aux autres, dans le texte coranique, est tawqîfî, sauf al-Anfâl et at-Tawba (al-Bayhaqî, avis retenu par as-Suyûtî) ;
– la place de la plupart des sourates est tawqîfî, et celle de quelques-unes est ijtihâdî (Abû Ja'far ibn uz-Zubayr) ;
– la place de beaucoup de sourates est tawqîfî, et celle des autres est ijtihâdî (Ibn 'Atiyya) ;
– toutes les sourates, leur place est ijtihâdî (l'un des deux avis relatés de Ibn ul-Bâqillânî).
(Cf. Al-Itqân, pp. 193-199.)

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En un mot :

L'ordre du classement de tous les versets les uns par rapport aux autres a été indiqué par le Prophète lui-même.

Par contre, l'ordre du classement de seulement une partie des sourates les unes par rapport aux autres a été indiqué par le Prophète ; pour les autres sourates, l'ordre de classement que nous connaissons aujourd'hui est dû à des Compagnons du Prophète.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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