Les versets du Coran qui évoquent l'abrogation - 3 types de versets abrogés (II - 1/2)

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A lire au préalable :

- Le concept d'abrogation d'une norme (naskh ul-hukm).

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Trois versets qui parlent de l'abrogation :

Dans le Coran, Dieu parle de l'abrogation de l'applicabilité de certaines règles ou de la récitation de certains versets.

I) "وَإِذَا بَدَّلْنَا آيَةً مَّكَانَ آيَةٍ وَاللّهُ أَعْلَمُ بِمَا يُنَزِّلُ قَالُواْ إِنَّمَا أَنتَ مُفْتَرٍ بَلْ أَكْثَرُهُمْ لاَ يَعْلَمُونَ" : "Et lorsque Nous remplaçons un verset par un autre verset - et Dieu sait ce qu'Il fait descendre -, ils disent : "Tu n'est qu'un inventeur". Plutôt la plupart d'entre eux ne savent pas" (Coran 16/101).

II) "سَنُقْرِؤُكَ فَلَا تَنسَى إِلَّا مَا شَاء اللَّهُ" : "Nous te ferons réciter, de sorte tu n'oublies pas, sauf ce que Dieu voudra" (Coran 87/6-7). Ces mots "Sauf ce que Dieu voudra [que tu oublies]" font allusion au cas que nous expliciterons plus bas sous le n° 4 : l'abrogation de la règle ainsi que de la récitation d'un verset ("naskh ul-hukm wa-t-tilâwa").

III) "مَا نَنسَخْ مِنْ آيَةٍ أَوْ نَنْسَأْهَا نَأْتِ بِخَيْرٍ مِّنْهَا أَوْ مِثْلِهَا أَلَمْ تَعْلَمْ أَنَّ اللّهَ عَلَىَ كُلِّ شَيْءٍ قَدِيرٌ" : "Chaque fois que Nous abrogeons un verset ("nansakh") ou que Nous le retardons ("nansa'hâ"), Nous en apportons un meilleur ou un semblable…" ; c'est là une première variante de lecture de ce verset : celle de Ibn Kathîr et de Abû 'Amr (Coran 2/106). Selon une seconde variante de lecture de ce verset : celle des autres spécialistes : "مَا نَنسَخْ مِنْ آيَةٍ أَوْ نُنسِهَا نَأْتِ بِخَيْرٍ مِّنْهَا أَوْ مِثْلِهَا" : "Chaque fois que Nous abrogeons un verset ("nansakh") ou que Nous le faisons oublier ("nunsihâ"), Nous en apportons un meilleur ou un semblable…" (Coran 2/106).

Dans ce verset III, Dieu a cité 2 possibilités

--- Si on considère le second terme de ce verset III d'après la première de ces variantes, alors les 2 possibilités que ce verset évoque sont comme suit :

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"مَا نَنسَخْ مِنْ آيَةٍ" : "que Nous abrogeons un verset ("nansakh")" désigne l'abrogation de la règle d'un verset ("naskh ul-hukm") (commentaire de 'Atâ') : il s'agit :
--------- soit de l'abrogation de la règle d'un verset mais pas de sa récitation (cas cité plus bas sous le n° 3 : "naskh ul-hukm dûn at-tilâwa") ;
--------- soit de l'abrogation de la règle ainsi que de la récitation d'un verset (n° 4 : "naskh ul-hukm wa-t-tilâwa") ;

----- "أَوْ نَنْسَأْهَا" : "que Nous le retardons ("nansa'hâ")" (= "nu'akhkhir-hâ") désigne :
------- soit la non abrogation d'un verset déjà révélé (= "nat'ruk-hâ, lâ nubaddil-hâ" / "nu'akhkhir-hâ 'an in-naskh") (c'est là le commentaire de Ibn 'Abbâs) (il s'agit du cas cité ci-après comme "n° 1") ;
------- soit le fait que l'application de la règle d'un verset auparavant révélé a été renvoyée à la circonstance prévalant lors de sa révélation, et ce à cause de la révélation d'un nouveau verset correspondant à la nouvelle circonstance (= "nurji'u-l-'amala bi hukmihâ ilâ hîni dhâlika" ; c'est là le commentaire qui découle de ce que as-Suyûtî a écrit dans Al-Itqân, 2/703-704) (il s'agit de "nas' ul-hukm" : ci-après : "n° 2") ;
------- soit le fait que Dieu n'a pas encore révélé un verset abrogeant, mais qu'Il le fera (= "nu'akhkhir nuzûlahâ" ; c'est là le commentaire de 'Atâ'). Tout le verset signifie alors : "Que Nous ayons déjà abrogé le hukm d'un verset auparavant révélé, et ce par un autre verset que Nous avons fait descendre par la suite : "مَا نَنسَخْ مِنْ آيَةٍ" ; ou que Nous abrogerons, par un verset dont Nous avons retardé la descente à un moment ultérieur : "أَوْ نَنْسَأْهَا" : dans les deux cas, Nous apportons un hukm meilleur ou semblable au hukm étant ainsi abrogé").

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--- Et si on considère le second terme de ce verset III d'après la seconde variante suscitée, ces 2 possibilités sont comme suit :

----- "مَا نَنسَخْ مِنْ آيَةٍ" : "que Nous abrogeons un verset ("nansakh")" désigne l'abrogation de la règle d'un verset mais pas de sa récitation (cas cité plus bas sous le n° 3 : "naskh ul-hukm dûn at-tilâwa") ou encore l'abrogation de la récitation mais pas de la règle d'un verset (n° 5 : "naskh ut-tilâwa dûn al-hukm") ;

----- "أَوْ نُنسِهَا" : et "que Nous le faisons oublier ("nunsi")" désigne l'abrogation de la règle et de la récitation d'un verset (n° 4 : "naskh ul-hukm wa-t-tilâwa") (commentaire relaté par Ibn Taymiyya, dans un écrit présent dans MF 14/229 et suivantes).

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--- Pour ce qui est du premier des deux termes, si la majorité des spécialistes le récitent bien : "نَنسَخْ" ("nansakh"), pour sa part Ibn 'Âmir le récite ainsi : "نُنسِخْ" ("nunsikh"). Cela signifie alors : "Chaque fois que nous faisons abroger un verset", c'est-à-dire : "Chaque fois que Nous ordonnons à Gabriel de te faire savoir que tel verset est abrogé" : "ونسخ الآية: إزالتها بإبدال أخرى مكانها. وإنساخها: الأمر بنسخها، وهو أن يأمر جبريل عليه السلام بأن يجعلها منسوخة بالإعلام بنسخها" (Tafsîr uz-Zamakhsharî).

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Par rapport à la question de l'abrogation, il existe donc 5 types de versets :

Type 1) Le verset qui a été révélé au Prophète (sur lui soit la paix) et dont la récitation comme la règle n'ont jamais été abrogés : c'est le verset Muhkam (d'après l'un des sens que ce terme possède).

Type 2) Le verset qui a été révélé au Prophète et dont la règle n'a pas été abrogée mais a été, par la révélation d'un nouveau verset, restreinte à la circonstance qui y correspond ; il s'agit du verset Mansû'.

Type 3) Le verset qui a été révélé au Prophète et dont la récitation se fait toujours, mais dont la règle a, à un moment donné, été définitivement abrogée ; il s'agit du verset Mansûkh ul-hukm dûn at-tilâwa.

Type 4) Le verset qui avait été révélé au Prophète mais dont la règle comme la récitation ont ensuite été définitivement abrogées, et ce par la révélation d'un autre verset ; il s'agit du verset Mansûkh ul-hukm wa-t-tilâwa / Munsâ : c'est ce qui a été désigné comme étant : "fait oublier" ("nunsi") au Prophète et à ses Compagnons, même si l'un d'eux s'en souvenait parfois.

Type 5) Le verset qui avait été révélé au Prophète et dont la règle est toujours de vigueur mais dont la récitation a, à partir d'un moment donné, été définitivement abrogée ; c'est le verset Mansûkh ut-tilâwa dûn al-hukm.
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Les versets du type 1 ne sont par définition pas des versets abrogés.
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Les versets du type 2 ne sont eux non plus pas des versets abrogés : ils sont reportés à une circonstance semblable.
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Seuls les versets des 3 derniers types sont des versets abrogés
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Note :

Le Naskh ut-tilâwa (qui concerne les versets du type 4 et ceux du type 5) n'entraîne pas l'annihilation du fait que les phrases concernées fassent partie de la Parole de Dieu.

Le fait est que le Coran est une partie seulement de l'ensemble des Paroles de Dieu : il s'agit de celles dont Il a voulu qu'elles soient récitées (tilâwa) de façon cultuelle ("كلام الله المنزل علي نبيه محمد - صلى الله عليه وسلّم -، المتعبَّد بتلاوته" : voir l'article exposant la définition du Coran). Sinon Dieu a prononcé bien d'autres Paroles, parfois adressées à des anges, d'autres fois à des humains. Même parmi nous se trouve la connaissance de ces autres Paroles de Dieu que sont les Hadîths Qudsî.

Le Mansûkh ut-tilâwa ne cesse donc pas de faire partie de la Parole de Dieu ; par contre il cesse de faire partie de la Parole de Dieu qui est matlû (comme son nom l'indique : "mansûkh ut-tilâwa") : il cesse donc de faire partie du Coran, c'est-à-dire de la somme de ces paroles de Dieu dont Dieu a voulu qu'elles soient récitées de façon cultuelle (par exemple pendant la prière rituelle). On ne peut donc plus le réciter pendant la prière rituelle, ni le réciter en tant que Coran (pendant une séance de psalmodie, par exemple).

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Explications et exemples relatifs aux 5 types de versets venant d'être évoqués :

Cas 1) L'applicabilité permanente de la règle d'un verset :

La majorité des versets sont tels que Dieu n'a jamais communiqué une abrogation ni une modification de la portée de leur règle. Ces règles ne peuvent pas être déclarées abrogées.
Par contre il faut bien sûr prendre en considération le contexte quant à l'application concrète de certains parmi eux (cliquez ici et ici pour en savoir plus).

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Cas 2) Le renvoi de l'applicabilité d'une règle précédemment révélée, à une circonstance précise (nas' ul-hukm : "نَسْء الحكم") :

--- Quand ils étaient à la Mecque, de même que lors de la première période ayant suivi l'émigration du Prophète à Médine, les musulmans n'avaient pas le droit de se défendre militairement face à leurs persécuteurs : Dieu le rappellera plus tard en ces termes : "N'as-tu pas vu ceux à qui ils avaient été dit : "Retenez vos mains, accomplissez la prière et donnez l'aumône"" (Coran 4/77). "الرابع: أن المسلمين كانوا ممنوعين قبل الهجرة وفي أوائل الهجرة من الابتداء بالقتال وكان قتل الكفار حينئذ محرما وهو من قتل النفس بغير حق كما قال تعالى: {أَلَمْ تَرَ إِلَى الَّذِينَ قِيلَ لَهُمْ كُفُّوا أَيْدِيَكُمْ} إلى قوله: {فَلَمَّا كُتِبَ عَلَيْهِمُ الْقِتَال}. ولهذا أول ما أنزل من القرآن فيه نزل بالإباحة بقوله: {أُذِنَ لِلَّذِينَ يُقَاتَلُون} وهذا من العلم العام بين أهل المعرفة بسيرة رسول الله صلى الله عليه وسلم لا يخفى على أحد منهم أنه صلى الله عليه وسلم كان قبل الهجرة وبعيدها ممنوعا عن الابتداء بالقتل والقتال. ولهذا قال للأنصار الذين بايعوه ليلة العقبة لما استأذنوه في أن يميلوا على أهل منى: "إنه لم يؤذن لي في القتال"؛ وذلك حينئذ بمنزلة الأنبياء الذين لم يؤمروا بالقتال كنوح وهود وصالح وإبراهيم وعيسى بل كأكثر الأنبياء، غير أنبياء بني إسرائيل" (As-Sârim, pp. 102-103).
--- Quelque temps après leur émigration à Médine est révélée l'autorisation de la défense armée : "Autorisation est donnée à ceux qui ont été combattus (de se défendre), à cause du fait qu'ils ont été lésés…" (Coran 22/39).
--- Puis il est révélé l'obligation de combattre ceux qui combattent les musulmans (Coran 2/190).
--- Puis de combattre d'autres types de personnes (lire notre article traitant des différents types de figure, il s'agit du cas B.5).
--- Puis est révélé le verset intimant aux polythéistes de quitter l'Arabie (Coran 9/1-6) (lire notre article commentant ces versets) (d'après Zâd ul-ma'âd, Ibn ul-Qayyim, 3/70-71).

En fait il n'y a pas eu ici abrogation ("naskh") mais renvoi de l'applicabilité de la règle précédemment révélée à la circonstance prévalant lors de sa révélation ("nas'"). Jusqu'à avant la révélation de Coran 22/39, la règle demandant de ne pas se défendre était seule applicable, puisque jusqu'alors seule règle révélée sur le sujet. Mais après la révélation de Coran 22/39, la première règle auparavant révélée devient désormais restreinte au contexte dans lequel elle avait été révélée : quand les musulmans vivent en minorité dans une société non-musulmane – comme à la Mecque – ou quand les musulmans, même établis dans leur société, sont en état de faiblesse – comme au début de la vie à Médine. Aujourd'hui comme hier, des musulmans se trouvant de nouveau dans la même situation que les musulmans l'étaient à la Mecque ou au début à Médine mettront en pratique la règle rappelée dans le verset 4/77.

As-Suyûtî écrit ainsi : "الثالث: ما أمر به لسبب ثم يزول السبب كالأمر حين الضعف والقلة بالصبر والصفح ثم نسخ بإيجاب القتال. وهذا في الحقيقة ليس نسخا بل هو من قسم المنسإ كما قال تعالى: {أو ننسها} فالمنسأ هو الأمر بالقتال إلى أن يقوى المسلمون، وفي حال الضعف يكون الحكم وجوب الصبر على الأذى. وبهذا يضعف ما لهج به كثيرون من أن الآية في ذلك منسوخة بآية السيف. وليس كذلك بل هي من المنسإ بمعنى أن كل أمر ورد يجب امتثاله في وقت ما لعلة يقتضي ذلك الحكم ثم ينتقل بانتقال تلك العلة إلى حكم آخر وليس بنسخ إنما النسخ الإزالة للحكم حتى لا يجوز امتثاله" : "Cela ne relève pas de ce qui est abrogé mais de ce qui est reporté ["mansû'"]. L'ordre de combattre a été reporté jusqu'au moment où les musulmans en auraient la capacité. En état de faiblesse, la règle est l'obligation de faire preuve d'abnégation face à la persécution. Ainsi comprenons-nous que ne tient pas ce que beaucoup ont dit, à savoir que ce verset aurait été abrogé par le verset du combat. Ceci ne relève pas du registre de l'"abrogé" mais de celui du "reporté", dans le sens où chacune des règles ainsi dictées doit être pratiquée dans un contexte donné, par le moyen d'un principe motivant ('illa) qui entraîne cette règle ; le changement de ce principe entraîne que c'est l'autre règle qui sera applicable. Ceci n'est pas de l'abrogation, car cette dernière consiste en le fait de mettre fin à une règle précédente de sorte qu'il ne soit plus du tout possible de la pratiquer" (Al-Itqân, 2/703-704).
Ibn Taymiyya a écrit en substance la même chose (cf. As-Sârim, p. 359, p. 239).
La règle de ne répondre à la persécution (lire notre article) que par la patience est donc restreinte à un contexte donné, celui qui est semblable à celui dans lequel les musulmans se trouvaient quand ils étaient à la Mecque ou au début de leur installation à Médine. Quand les musulmans se trouvent dans un contexte semblable à celui pendant lequel, à Médine, le verset légitimant la résistance armée est révélé, alors ils ont l'autorisation et même le devoir de résister ; mais même alors la règle première reste la paix (lire notre article pour en savoir plus).

D'autres exemples sont visibles dans notre article : "Comprendre les différences de situations des musulmans" (il s'agit du cas B).

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Cas 3) L'abrogation de la règle d'un verset, celui-ci étant cependant toujours récité en tant que partie du texte coranique (naskh ul-hukm dûn at-tilâwa : "نسخ الحكم دون التلاوة") :

Après l'installation des Emigrants (les musulmans émigrés de la Mecque) à Médine, le Prophète (sur lui la paix) établit des liens de fraternité entre eux et les Auxiliaires (les musulmans originaires de Médine) : à chaque Auxiliaire fut désigné comme frère un Emigrant. D'autres musulmans étaient restés à la Mecque et n'avaient pas émigré à Médine. Le Coran vint alors dire que les musulmans de Médine n'hériteraient qu'entre eux : en l'absence de proches parents s'étant établis eux aussi à Médine, ce serait entre frères Emigrants et Auxiliaires qu'auraient lieu les liens d'héritage : "Ceux qui ont apporté foi, ont émigré et ont lutté dans la chemin de Dieu [= les Emigrants] et ceux qui leur ont donné refuge et secours [= les Auxiliaires], ceux-là sont héritiers les uns des autres. Et ceux qui ont apporté foi mais n'ont pas émigré, vous n'aurez pas de liens d'héritage avec eux jusqu'à ce qu'ils émigrent…" (Coran 8/72).
Plus tard, après que la Mecque soit elle-même devenue musulmane (en l'an 8 de l'hégire), l'émigration à Médine n'étant plus nécessaire, cette règle fut abrogée par cet autre verset : "Les gens de proche parenté ont, d'après la prescription de Dieu, priorité les uns les autres par rapport aux Croyants [de Médine] et aux Emigrants [de la Mecque]. Sauf si vous (voulez) faire un bien vis-à-vis de vos alliés. Ceci était déjà écrit dans le Livre [= la Table gardée]" (Coran 33/6).

Ainsi, le verset 33/6 est venu abroger la règle apportée par un verset antérieur, le verset 8/72.

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Voici un autre exemple : Dans un premier temps, conformément à ce que dit le verset 2/180, il fallait que le musulman fasse un testament en faveur de ses parents : "كُتِبَ عَلَيْكُمْ إِذَا حَضَرَ أَحَدَكُمُ الْمَوْتُ إِن تَرَكَ خَيْرًا الْوَصِيَّةُ لِلْوَالِدَيْنِ وَالأقْرَبِينَ بِالْمَعْرُوفِ حَقًّا عَلَى الْمُتَّقِينَ" : "Il vous a été prescrit, lorsque la mort se présente à l'un de vous, s'il laisse un bien, de faire un testament en faveur des parents et des proches, selon la bienséance. Devoir pour les pieux" (Coran 2/180). Ensuite, la révélation du verset 4/11 fixa la quote-part des deux parents aussi : "يُوصِيكُمُ اللّهُ فِي أَوْلاَدِكُمْ لِلذَّكَرِ مِثْلُ حَظِّ الأُنثَيَيْنِ فَإِن كُنَّ نِسَاء فَوْقَ اثْنَتَيْنِ فَلَهُنَّ ثُلُثَا مَا تَرَكَ وَإِن كَانَتْ وَاحِدَةً فَلَهَا النِّصْفُ وَلأَبَوَيْهِ لِكُلِّ وَاحِدٍ مِّنْهُمَا السُّدُسُ مِمَّا تَرَكَ إِن كَانَ لَهُ وَلَدٌ فَإِن لَّمْ يَكُن لَّهُ وَلَدٌ وَوَرِثَهُ أَبَوَاهُ فَلأُمِّهِ الثُّلُثُ فَإِن كَانَ لَهُ إِخْوَةٌ فَلأُمِّهِ السُّدُسُ مِن بَعْدِ وَصِيَّةٍ يُوصِي بِهَا أَوْ دَيْنٍ آبَآؤُكُمْ وَأَبناؤُكُمْ لاَ تَدْرُونَ أَيُّهُمْ أَقْرَبُ لَكُمْ نَفْعاً فَرِيضَةً مِّنَ اللّهِ إِنَّ اللّهَ كَانَ عَلِيما حَكِيمًا" (Coran 4/11). Cela abrogea la nécessité, et même la simple possibilité, de tester en faveur des parents. En effet, la Sunna vint mettre en exergue que, chaque quote-part ayant été fixée pour les ayants-droits dans ce verset coranique, aucun testament n'est plus possible pour un ayant-droit : "عن أبي أمامة الباهلي قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول في خطبته عام حجة الوداع: "إن الله تبارك وتعالى قد أعطى لكل ذي حق حقه، فلا وصية لوارث" (at-Tirmidhî, n° 2120 ; Abû Dâoûd, n° 3565 ; la narration comporte encore d'autres phrases, non relatées ici) ; "عن عمرو بن خارجة، أن النبي صلى الله عليه وسلم خطب على ناقته وأنا تحت جرانها وهي تقصع بجرتها وإن لعابها يسيل بين كتفي، فسمعته يقول: "إن الله أعطى كل ذي حق حقه، ولا وصية لوارث" (at-Tirmidhî, n° 2121 : il y a une suite non relatée ici).
Ibn Abbâs a donc dit : "عن ابن عباس رضي الله عنهما، قال: كان المال للولد، وكانت الوصية للوالدين، فنسخ الله من ذلك ما أحب، فجعل للذكر مثل حظ الأنثيين، وجعل للأبوين لكل واحد منهما السدس، وجعل للمرأة الثمن والربع، وللزوج الشطر والربع" : "Le legs revenait aux enfants, et (il fallait faire) un testament pour les parents. Dieu fit, de cela, naskh de ce qu'Il voulut..." (al-Bukhârî, n° 2596).

Un autre exemple : Ibn uz-Zubayr raconte : "J'ai demandé à Uthman ibn Affân : "Et ceux d'entre vous qui meurent et laissent des épouses, alors (ils devront avoir fait) un testament en faveur de leurs épouses qu'elles bénéficieront d'un entretien pendant une année et qu'on ne les fera pas sortir [de la maison de leur défunt mari]. Si elles sortent (d'elles-mêmes), alors il n'y a pas de mal dans ce qu'elles font à leur propre sujet comme bien. Et Dieu est Puissant, Sage" [Coran 2/240]. Ce verset a été abrogé par l'autre verset. Pourquoi le laisses-tu donc être écrit dans le texte coranique ?" Uthmân m'a répondu : "Mon neveu, je ne peux rien changer de la place qui lui a été désignée" (rapporté par al-Bukhârî, n° 4256). Les deux règles que le verset en question communique ont été abrogées : d'une part il n'y a plus de testament à faire car d'autres versets (4/11-14), révélés après celui-ci, ont défini les parts d'héritage qui reviennent à chacun et chacune ; d'autre part, le délai de viduité a été ramené à quatre mois et dix jours par un autre verset (2/234). Malgré tout, comme Uthman l'a expliqué, la récitation de ce verset n'a quant à elle pas été abrogée, et il ne pouvait enlever du texte coranique un verset auquel le Prophète (sur lui la paix) lui-même avait indiqué la place au milieu de la sourate.

Un autre exemple encore : "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا إِذَا نَاجَيْتُمُ الرَّسُولَ فَقَدِّمُوا بَيْنَ يَدَيْ نَجْوَاكُمْ صَدَقَةً ذَلِكَ خَيْرٌ لَّكُمْ وَأَطْهَرُ فَإِن لَّمْ تَجِدُوا فَإِنَّ اللَّهَ غَفُورٌ رَّحِيمٌ. أَأَشْفَقْتُمْ أَن تُقَدِّمُوا بَيْنَ يَدَيْ نَجْوَاكُمْ صَدَقَاتٍ فَإِذْ لَمْ تَفْعَلُوا وَتَابَ اللَّهُ عَلَيْكُمْ فَأَقِيمُوا الصَّلَاةَ وَآتُوا الزَّكَاةَ وَأَطِيعُوا اللَّهَ وَرَسُولَهُ وَاللَّهُ خَبِيرٌ بِمَا تَعْمَلُونَ" (Coran 58/12-13). Voir Tafsîr ul-Qurtubî pour la cause de l'énoncé de la première règle, suivie de son abrogation.

Voici un autre exemple : "إِن يَكُن مِّنكُمْ عِشْرُونَ صَابِرُونَ يَغْلِبُواْ مِئَتَيْنِ وَإِن يَكُن مِّنكُم مِّئَةٌ يَغْلِبُواْ أَلْفًا مِّنَ الَّذِينَ كَفَرُواْ بِأَنَّهُمْ قَوْمٌ لاَّ يَفْقَهُونَ. الآنَ خَفَّفَ اللّهُ عَنكُمْ وَعَلِمَ أَنَّ فِيكُمْ ضَعْفًا فَإِن يَكُن مِّنكُم مِّئَةٌ صَابِرَةٌ يَغْلِبُواْ مِئَتَيْنِ وَإِن يَكُن مِّنكُمْ أَلْفٌ يَغْلِبُواْ أَلْفَيْنِ بِإِذْنِ اللّهِ وَاللّهُ مَعَ الصَّابِرِينَ" (Coran 8/65-66). D'après une relation de Ibn Abbâs (relatée in Ahkâm ul-Qur'ân, Ibn ul-'Arabî), le second verset fut révélé bien après le premier (c'est aussi ce qui est dit dans Bayân ul-Qur'ân). Il y a eu ici maintien d'une partie de la première règle, et non pas abrogation de toute la règle (comme c'était le cas dans l'exemple précédent) ; cependant, cela constitue malgré tout du naskh véritable.

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Pourquoi Dieu a-t-Il voulu que certains versets dont la règle a été abrogée demeurent malgré tout à réciter, ce qui a entraîné l'existence de ce cas 3 ? Pourquoi Dieu n'a-t-Il pas voulu que tous les versets dont la règle a été abrogée soient abrogés de récitation également (et relèvent donc tous du cas d'abrogation 4) ?

L'une des explications à cela (le cas 3) est que Dieu entend rappeler ainsi qu'Il a voulu faciliter les choses :
--- il peut s'agir d'une facilitation par allègement de la règle (cf. Al-Itqân, 2/ 713) ;
--- comme il peut s'agir d'une facilitation par progressivité dans l'institution de l'obligation d'une action et de l'interdiction d'une autre.

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Cas 4) L'abrogation de la règle ainsi que de la récitation d'un verset (naskh ul-hukm wa-t-tilâwa : "نسخ الحكم والتلاوة") :

--- Aïcha relate que le verset "عشر رضعات يحرمن" fut abrogé – règle et récitation – sur indication du Prophète : "عن عائشة، أنها قالت: " كان فيما أنزل من القرآن: "عشر رضعات معلومات يحرمن"؛ ثم نسخن بخمس معلومات؛ فتوفي رسول الله صلى الله عليه وسلم وهن فيما يُقرأ من القرآن" (Muslim, n° 1452, Abû Dâoûd, n° 2062, an-Nassâï, n° 3307). La dernière phrase signifie que certains musulmans, n'ayant pas eu connaissance de l'abrogation de la récitation de ce verset, continuaient à le réciter : "وقولها "فتوفي رسول الله صلى الله عليه وسلم وهن فيما يقرأ" هو بضم الياء من يقرأ؛ ومعناه أن النسخ بخمس رضعات تأخر إنزاله جدا حتى إنه صلى الله عليه وسلم توفي وبعض الناس يقرأ {خمس رضعات} ويجعلها قرآنا متلوا لكونه لم يبلغه النسخ لقرب عهده؛ فلما بلغهم النسخ بعد ذلك رجعوا عن ذلك وأجمعوا على أن هذا لا يتلى" (Shar'h Muslim, 10/29).

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Cas 5) L'abrogation de la seule récitation d'un verset, la règle - ou le propos - que celui-ci communiquait demeurant toujours en vigueur (naskh ut-tilâwa dûn al-hukm : "نسخ التلاوة دون الحكم") :

Dans la relation que nous venons de citer sous le cas 4, nous avons vu que Aïcha relate que le verset "عشر رضعات يحرمن" fut abrogé – règle et récitation – par le verset suivant : "خمس معلومات يحرمن". Cependant, d'après ash-Shâfi'î, ce dernier verset "خمس معلومات يحرمن" fut ensuite abrogé pour ce qui est de sa récitation, par contre sa règle est restée en vigueur : "عن عائشة أنها قالت: كان فيما أنزل الله عز وجل من القرآن: {عشر رضعات يحرمن}، ثم نسخن بـ: {خمس معلومات يحرمن}؛ فتوفي النبي صلى الله عليه وسلم وهن مما يقرأ من القرآن" (Abû Dâoûd, n° 2062). Il faut donc toujours, d'après ce mujtahid, qu'il y ait eu au minimum 5 allaitements pour que l'interdiction de mariage pour cause d'allaitement soit applicable. Il y a donc ici, d'après lui, un cas de "نسخ التلاوة دون الحكم".

--- Anas cite de même ce verset : "قال أنس: " أنزل الله عز وجل في الذين قتلوا ببئر معونة قرآنا قرأناه حتى نسخ بعد، أن: "بلغوا قومنا أن قد لقينا ربنا فرضي عنا ورضينا عنه" (al-Bukhârî, n° 3862, Muslim, n° 677).

--- Abû Mûssa al-Ash'arî se rappelle avoir récité dans une sourate les versets suivants : "بعث أبو موسى الأشعري إلى قراء أهل البصرة، فدخل عليه ثلاثمائة رجل قد قرءوا القرآن، فقال: أنتم خيار أهل البصرة وقراؤهم، فاتلوه! ولا يطولن عليكم الأمد فتقسو قلوبكم، كما قست قلوب من كان قبلكم. وإنا كنا نقرأ سورة، كنا نشبهها في الطول والشدة ببراءة، فأنسيتها، غير أني قد حفظت منها: "لو كان لابن آدم واديان من مال، لابتغى واديا ثالثا، ولا يملأ جوف ابن آدم إلا التراب." وكنا نقرأ سورة، كنا نشبهها بإحدى المسبحات، فأنسيتها، غير أني حفظت منها: "يا أيها الذين آمنوا لم تقولون ما لا تفعلون، فتكتب شهادة في أعناقكم، فتسألون عنها يوم القيامة" (Muslim, n° 1050).

--- Ubayy ibn Kaab se rappelle que ces versets figuraient dans la sourate Al-Bayyina : "عن عاصم، قال: سمعت زر بن حبيش، يحدث عن أبي بن كعب، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال له: "إن الله أمرني أن أقرأ عليك القرآ"؛ فقرأ عليه {لم يكن الذين كفروا} وقرأ فيها: "إن ذات الدين عند الله الحنيفية المسلمة لا اليهودية ولا النصرانية ولا المجوسية، من يعمل خيرا فلن يكفره." وقرأ عليه: "لو أن لابن آدم واديا من مال لابتغى إليه ثانيا، ولو كان له ثانيا، لابتغى إليه ثالثا، ولا يملأ جوف ابن آدم إلا التراب، ويتوب الله على من تاب" (at-Tirmidhî, n° 3898).

--- Quelques autres exemples encore sont visibles dans un autre article.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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A lire impérativement, en complément de cet article :

"Mansûkh" ne veut pas toujours dire "abrogé".

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