Serait-il interdit de prier sous la direction de qui suit une autre école ?

Deux questions :

Est-il permis que je fasse la prière sous la direction d'un imam qui n'est pas de la même école que moi ? Certains frères m'ont dit que non, car il se pouvait qu'il ait fait quelque chose à cause de quoi ses ablutions sont annulées d'après l'interprétation de mon école mais pas d'après l'interprétation de la sienne, ce qui fait qu'il n'ait pas refait ses ablutions avant de diriger la prière.

Je vais passer le mois de ramadan à La Mecque. Je suis de l'école hanafite. Puis-je faire la salât ul-witr sous la direction de l'imam de là-bas ? Des frères m'ont dit que je ne devais pas la faire car l'imam de là-bas n'est pas hanafite et fait cette prière d'une façon différente de la nôtre.

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Réponse :

Suivre une école juridique (madh'hab) se fait avec l'objectif de suivre les règles présentes dans le Coran et les Hadîths. Cependant, écrit Shâh Waliyyullâh, il ne faut pas tomber dans le sectarisme pour l'école que l'on suit. Or, poursuit Shâh Waliyyullâh, une des formes du sectarisme par rapport à une école juridique (madh'hab) consiste justement à "considérer interdit qu'un hanafite fasse la salât sous la imâma d'un shafi'ite, ou vice-versa. Car celui qui dit cela contredit le consensus des premiers savants et contredit les Compagnons et les Tâ'bi'ûn" (Hujjat ullâh il-bâligha, tome 1 p. 446). Comme l'a écrit at-Tahâwî, "nous considérons (valable) la prière sous la direction de tout musulman (ahl ul-qibla)…" (Al-'aqîda at-tahâwiyya, point n° 69).

Ceci explique sans doute que Cheikh Abdul-Hayy Lucknowî ait écrit que lorsqu'un hanafite accomplit la prière sous la direction d'un imam qui n'est pas hanafite, sa prière est juridiquement valable pour peu que la prière que cet imam fait est valable d'après son école à lui, même si cet imam a fait quelque chose qui est considéré – d'après l'interprétation de l'école hanafite mais pas d'après l'interprétation de son école à lui – comme annulant ses ablutions ou sa prière. Cheikh Abd ul-Hayy Lucknowî cite Abû Bakr ar-Râzî (un autre savant hanafite), qui a dit que si le imam est d'une autre école que l'école hanafite, qu'il a saigné et n'a pas refait ses ablutions parce que, d'après l'école qu'il suit, le saignement n'annule pas les ablutions, puis a dirigé la prière et qu'un hanafite (dont l'école dit que le saignement annule les ablutions) a fait la prière sous la direction de cet imam, alors la prière faite par ce hanafite est juridiquement valable (voir Al-Hidâya, tome 1 p. 126, note de bas de page). C'est bien pourquoi Abû Yûssuf, l'élève de Abû Hanîfa, a fait la prière sous la direction de Hârûn ar-Rashîd alors que celui-ci venait de se faire faire une saignée et, conformément à ce que Mâlik lui avait donné comme fatwa, n'a pas refait ses ablutions avant de diriger la prière (voir Shar'h ul-'aqîda at-tahâwiyya, Ibn Abi-l-'izz al-hanafî, tome 2 p. 535).

Shâh Waliyyullâh écrit quant à lui : "Parmi les Compagnons, les Tâbi'ûn et ceux qui sont venus après eux, il y en avait qui récitaient la basmala [pendant la prière], d'autres qui ne la récitaient pas ; il y en avait qui récitaient la basmala à voix haute [pendant la prière], d'autres qui ne la récitaient pas à voix haute ; il y en avait qui faisaient le qunût dans la salât ul-fajr, d'autres qui ne le faisaient pas ; il y en avait qui considéraient les ablutions annulées par une saignée, un saignement du nez ou un vomissement, et d'autres qui ne considéraient pas les ablutions annulées pour une de ces raisons ; il y en avait qui considéraient les ablutions annulées par le fait d'avir touché ses parties intimes ou par le fait d'avoir touché sa femme avec désir, et d'autres qui ne considéraient pas les ablutions annulées pour une de ces raisons ; il y en avait qui considéraient les ablutions annulées par le fait de manger ce qui a été touché par le feu, et d'autres qui ne considéraient pas les ablutions annulées pour cette raison ; il y en avait qui considéraient les ablutions annulées par le fait de manger de la viande de chameau, et d'autres qui ne considéraient pas les ablutions annulées pour cette raison. Malgré cela, les uns priaient sous la direction des autres. Ainsi, Abû Hanîfa ou ses élèves, et ash-Shâfi'î et d'autres priaient sous la direction des imams de Médine etc., bien que ceux-ci ne récitaient la basmala ni à voix haute ni à voix basse. Ar-Rashîd dirigea un jour la prière après s'être fait une saignée, et Abû Yûssuf pria sous sa direction et ne refit pas sa prière. Ahmad ibn Hanbal était d'avis que les ablutions sont annulées à cause d'un saignement du nez ou d'une saignée ; on lui dit : "Si celui qui dirige la prière a saigné et n'a pas refait ses ablutions, prierais-tu sous sa direction ?" Il répondit : "N'aurais-je pas prié sous la direction de Mâlik ou de Sa'ïd ibn ul-Mussayyib ?"" (Hujjat ullâh il-bâligha, tome 1 pp. 455-456).

Concernant le fait de faire la salât ul-witr sous la direction de qui ne la fait pas comme soi :

Il y a d'une part le principe que nous avons vu ci-dessus, selon lequel on peut prier sous la direction d'un imam qui suit une autre école, et selon lequel lorsque la prière de cet imam est valable selon l'interprétation qu'il suit, la prière que l'on fait sous sa direction est valable même si on a une autre interprétation. Et il y a d'autre part le principe disant : "Le imam est fait pour qu'on le suive" (parole du Prophète - sur lui la paix - rapportée par al-Bukhârî, Muslim, etc.) ; il s'agit, d'après ash-Shâfi'î comme d'après Abû Hanîfa, de le suivre dans les gestes qu'il fait (Shar'h Muslim, commentaire de ce Hadîth).

Cheikh Abd ul-Hayy Lucknowî relate donc de Abû Bakr ar-Râzî à ce sujet que si le imam fait - selon l'interprétation qu'il suit - la salât ul-witr en faisant deux rak'as puis les salâms puis une rak'a, les hanafites - qui ont une autre interprétation quant à la façon de faire cette salât - peuvent faire la salât ul-witr sous sa direction (voir Al-Hidâya, tome 1 p. 126, bâbu salât il-witr, note dans la marge – hâshiya).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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