Est-il interdit à la musulmane de se raccourcir la chevelure ?

Question :

As-salâmu 'alaykum.

Je suis une jeune musulmane qui aimerait savoir s'il est vrai que la femme musulmane ne peut pas se raccourcir les cheveux tant qu'il n'y a pas de cas de nécessité. On entend parfois dire tellement de choses autour de soi...

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Réponse :

Wa 'alaykum us-salâm wa rahmatullâh.

Cette question ne se pose pas par rapport au fait pour la musulmane de se raccourcir la chevelure pour sortir de l'état de sacralisation après le pèlerinage, puisque cela lui est alors explicitement demandé (nous allons y revenir).

Cette question ne concerne pas non plus les cas de nécessité (comme une décalcification osseuse rendant nécessaire, d'après avis médical, le port de cheveux courts), puisque la nécessité permet de faire ce qui est normalement interdit.

Cette question se pose pour ce qui relève d'autre que ces deux cas. Et nous dirons à ce sujet ce qui suit…

Cette question relève non pas des 'ibâdât mais des 'âdât, où la règle première est la permission (ibâha) tant qu'un texte ou bien un principe issu d'un texte ne vient pas apporter un caractère interdit ou déconseillé (pour plus de détails, cliquez icilire le point 4). Dans tout ce qui relève des 'âdât – et ce contrairement aux 'ibâdât –, en l'absence de texte et de principe, c'est donc la règle de la permission originelle (al-ibâha al-asliyya) qui s'applique.

Il y a un texte qui interdit à la musulmane de se raser la tête : le Prophète (sur lui la paix) "a interdit que la femme se rase la tête" (rapporté par at-Tirmidhî, n° 914, an-Nassâ'ï, n° 5049). Par contre les ulémas ont relevé qu'il n'y avait pas de texte lui interdisant explicitement de se raccourcir les cheveux.

Certains ulémas ont déduit de l'interdiction du rasage des cheveux l'interdiction de tout raccourcissement des cheveux, par analogie (qiyâs).

Cependant, on peut très humblement se demander si cette analogie ne constitue pas un qiyâs ma'a-l-fâriq.
Car le Prophète lui-même a fait la distinction (fâriq) entre rasage et raccourcissement, disant :
"Les femmes n'ont pas l'obligation de se raser la tête. Les femmes n'ont l'obligation que de se raccourcir (les cheveux)" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 1984, 1985).
Ce Hadîth parle de ce qu'il faut faire après l'accomplissement du pèlerinage ; et il affirme que, contrairement aux hommes (qui ont alors l'obligation soit de se raccourcir les cheveux soit de se les raser complètement), les femmes n'ont alors l'obligation que de se raccourcir les cheveux, le rasage étant interdit pour elles. Pour ce qui est du raccourcissement des cheveux dans la vie quotidienne, est-il permis ou pas, ce Hadîth n'en parle certes pas.  Cependant, il fait malgré tout une distinction entre le rasage et le raccourcissement des cheveux, interdisant le premier mais instituant le second, et il paraît donc difficile qu'on fasse une analogie entre les deux.

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Une autre question se pose cependant : l'acte de se raccourcir les cheveux pourrait-il être concerné sinon par un texte ou une analogie, du moins par un principe général ?

Nous allons le voir au travers d'avis divergents sur la question…

A) Du côté de Ibn Bâz :

A la question : "La femme peut-elle se couper les cheveux ?", Ibn Bâz a répondu : "Nous ne connaissons rien qui interdise à la femme de se couper les cheveux. Ce qui est interdit est de les raser. Vous ne devez pas raser vos cheveux, mais vous pouvez les couper et réduire leur longueur ou volume ; nous ne connaissons rien de mal à cela." Dans les lignes qui suivent, il souligne que, dans le cadre de ce qui n'est pas interdit, une épouse tiendra compte de ce qui plaît à son mari [comme un mari s'embellit pour son épouse, comme l'a dit Ibn Abbâs]. Il conclut : "Nous ne connaissons donc pas de raison de rejeter cela. Mais le rasage n'est pas autorisé, sauf pour raison médicale [cas de nécessité reconnue]" (Fatawa-l-mar'a-l-muslima, tome 2, p. 515).

Selon lui, c'est donc bien la règle de la permission originelle qui s'applique, et ce dans la mesure où ne s'applique aucun principe issu d'un texte (si ce n'est l'embellissement qui plaît au conjoint ; il va sans dire que cela doit se faire par le dialogue et non l'imposition sans discussion).

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B) Du côté de al-Albanî :

Al-Albânî écrit que raser sa tête ou arracher ses cheveux est interdit pour une femme, avant d'affirmer : "Ceci (le rasage de la tête) est différent du fait de couper ses cheveux, qui est autorisé. Muslim a rapporté (1/176) de Abû Salama ibn Abd ir-Rahmân qu'il a dit : "Le frère de lait de Aïcha et moi nous sommes rendus chez Aïcha : il la questionna au sujet de la façon dont le Prophète prenait le bain pour la pureté rituelle (…)." Il dit : "Les épouses du Prophète raccourcissaient leur chevelure jusqu'à ce qu'elle devienne comme la "waf'ra"*" [n° 320]" (Hijâb ul-mar'at il-muslima, p. 68, note de bas de page). (* waf'ra : ce terme est employé pour décrire la chevelure qui ne dépasse pas les oreilles.

Selon al-Albânî, la chevelure féminine peut donc être raccourcie au point que sa longueur ne dépasse même plus les oreilles. Et il n'y a apparemment, chez lui non plus, pas application de principe issu d'un texte, ce point relevant de la permission originelle.

Il est cependant à noter que selon ces deux ulémas, Ibn Bâz et al-Albânî, il est nécessaire que, se raccourcissant la chevelure, la femme musulmane ne le fasse pas d'une façon qui la conduise à imiter des non-musulmanes ou des personnes dont l'éthique n'est pas conforme aux enseignements de l'islam ( il ne faut donc pas qu'elle fasse de la tashabbuh : cliquez ici et ici).

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C) Du côté des hanafites :

L'école hanafite, par contre, est d'un avis restrictif à propos du raccourcissement des cheveux par la musulmane. Elle parle d'interdiction (karâhiyyat ut-tahrîm) (voir Bawâdir un-nawâdir, p. 373, qui cite Al-Ashbâh wa-n-nazâ'ïr).

Cet avis est dû au fait que d'une part, l'islam interdit la ressemblance entre les hommes et les femmes : le Prophète a rapporté l'éloignement par rapport à la miséricorde divine "de ceux des hommes qui imitent les femmes et de celles des femmes qui imitent les hommes" (rapporté par al-Bukhârî, n° 5546, at-Tirmidhî, n° 2784, Abû Dâoûd, n° 4097) (lire notre article consacré à cette imitation de l'homme par la femme et de la femme par l'homme). Or, et d'autre part, l'école hanafite est d'avis que la longueur de la chevelure participe systématiquement de l'expression du principe d'interdiction de ressemblance entre hommes et femmes (ma'lûl bi illati hurmat it-tashabbuh bayn ar-rijâl wan-nissâ') : al-Haskafî écrit ainsi : "وفيه: قطعت شعر رأسها أثمت ولعنت. زاد في البزازية: وإن بإذن الزوج لأنه لا طاعة لمخلوق في معصية الخالق، ولذا يحرم على الرجل قطع لحيته. والمعنى المؤثر: التشبه بالرجال اهـ" (Ad-Durr ul-mukhtâr). Avoir la même longueur de cheveux que l'autre sexe est donc synonyme d'imitation de l'autre sexe. Les hommes ont donc l'interdiction de laisser leur chevelure s'allonger au point qu'elle soit comme celle des femmes, et les femmes ont l'interdiction de raccourcir leur chevelure au point que celle-ci soit courte comme celle des hommes.

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Ensuite :

C.A) certains ulémas hanafites ont compris cet avis d'interdiction comme étant général (mutlaq) :

Selon eux, tout raccourcissement des cheveux par les femmes équivaut à une imitation des hommes. La femme musulmane ne doit donc absolument pas se raccourcir les cheveux tant qu'il n'y a pas une cause le rendant nécessaire. Cependant, ces ulémas ont également tenu compte du principe général bien connu, selon lequel la gêne est repoussée ("Al-haraj madfû'"), et ils ont donc établi qu'au-delà d'une certaine longueur, il est autorisé à la femme de couper sa chevelure dans la mesure où celle-ci devient alors, par sa longueur excessive, une source de difficultés pour elle dans sa vie quotidienne. Parmi ces ulémas :
C.A.A) certains ont été d'avis que c'est seulement quand les cheveux deviennent grands au point de causer concrètement des difficultés à celle qui les porte que celle-ci peut les raccourcir quelque peu ;
C.A.B) d'autres (comme Muftî Abdur-Rahîm Lâjpûrî du Gujarat) ont préféré déterminer la grandeur à partir de laquelle ils pensent que la chevelure devient systématiquement et généralement cause de gêne : c'est, selon eux, quand elle dépasse le bas des reins. Selon eux, la musulmane ne doit donc pas se couper les cheveux (s'il n'y a pas une autre cause le nécessitant) tant que ceux-ci ne dépassent pas le bas des reins. C'est donc leur longueur minimale tant qu'il n'y a pas une cause rendant nécessaire de les couper : et c'est seulement s'ils dépassent cette longueur qu'elle peut les couper.

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C.B) Apparemment il y a d'autres savants hanafites qui, eux, ont compris l'avis cité plus haut comme concernant non pas le raccourcissement des cheveux lui-même, mais leur raccourcissement fait de telle sorte qu'il constitue concrètement une ressemblance avec les hommes (ghayr mutlaq bal muqayyad bi wujûd it-tashabbuh wâqi'atan) :

J'ai cru comprendre que c'est le cas de Cheikh Khâlid Saïfullâh, qui écrit : "Le Prophète – sur lui la paix – a interdit qu'il y ait imitation des hommes par les femmes [et vice-versa]. Aussi il est interdit ["mak'rûh", apparemment tahrîman] que les cheveux des femmes soient coupés de sorte qu'ils deviennent comme ceux des hommes" ; suit l'avis de Ad-Durr ul-mukhtâr que nous avons vu plus haut (cf. Halâl wa harâm, p. 94). Voyez : apparemment c'est non pas le fait en soi de raccourcir les cheveux qui est interdit, mais le fait de les raccourcir en sorte qu'ils deviennent comme ceux des hommes ; le fait d'avoir une coupe "à la garçonne", comme on dit.

Si, pour les femmes, la longueur de la chevelure tombe sous le coup du principe d'interdiction d'imitation de l'autre sexe, il ne peut qu'en être de même pour les hommes, par qiyâs ul-'aks : les hommes doivent donc eux aussi se préserver d'avoir une chevelure dont la longueur ressemble à celle des femmes. Par ailleurs, il est un Hadîth où le Prophète – sur lui la paix – a dit : "Khuraym est un homme qui est bon, n'étaient deux choses : la longueur de sa chevelure et le fait que son pagne traîne" (Abû Dâoûd n° 4089).
Il faudrait seulement établir que ce Hadîth exprime bien qu'en soi, le fait de garder une chevelure longue est interdit pour l'homme musulman. (Je dis "il faudrait établir", car ce n'est pas l'avis de Alî al-Qârî (voir ce qu'il a écrit en commentaire de ce Hadîth in Mirqât ul-mafâtîh, 8/309).)

En tous cas...
D'une part les hommes peuvent avoir une chevelure plus courte que celle des femmes, puisque eux peuvent se raser la tête quand ils le veulent, du moment que cela n'est fait ni par ta'abbud (réservé au fait de sortir de l'état de sacralisation) ni par maslaha exagérée (comme le faisaient les Kharijites), alors qu'elles ne le peuvent pas.
D'autre part les femmes ne doivent pas raccourcir leur chevelure de sorte que cela devienne un élément d'imitation des hommes.
Cela entraîne que la chevelure féminine doit être plus longue que celle des hommes.

Il s'agit dès lors de chercher à établir s'il y a une grandeur maximale que la chevelure masculine ne doit pas dépasser, de sorte que, du moment que la chevelure féminine dépasse de façon notable cette grandeur, la femme musulmane pourrait se couper les cheveux sans qu'il y ait ressemblance avec les hommes.

Peut-on à ce sujet dire que la longueur des cheveux des hommes ne doit pas dépasser les épaules car c'est le maximum relaté à propos du Prophète (sur lui la paix) ?
S'il est établi que c'est le cas, alors, la longueur de la chevelure de la musulmane devant être plus longue que la chevelure masculine pour éviter la ressemblance, la musulmane devrait garder des cheveux qui arrivent au moins plus bas – et ce de façon notable – que ses épaules ; au-delà, elle pourrait les raccourcir, puisque cela n'en ferait plus des cheveux "coupés en sorte qu'ils deviennent comme ceux des hommes". Wallâhu A'lam.
Prière aux frères et sœurs compétents de faire de cette humble proposition une critique constructive et argumentée.

Une objection à cette proposition :

Reste qu'il est relaté, comme nous l'avons vu plus haut, que "les épouses du Prophète raccourcissaient leur chevelure jusqu'à ce qu'elle devienne comme la "waf'ra"" (Muslim, n° 320). Or "waf'ra" se dit à propos de la chevelure qui ne dépasse pas les oreilles. Al-Albânî, comme nous l'avons vu, y a vu la preuve que la chevelure féminine pouvait être raccourcie jusqu'aux oreilles. Il y aurait donc là la preuve que les femmes peuvent se raccourcir la chevelure jusqu'aux oreilles.

La réponse à cette objection :

La réponse à cela peut se faire comme suit...
D'une part, certes, comme l'a écrit al-Albânî, que "waf'ra" désigne en général "la chevelure qui ne dépasse pas les oreilles" (voir Shar'h Muslim 15/91, 4/4) ; cependant, ce n'est pas le seul avis existant : il est un linguiste, al-Asma'ï, qui est pour sa part d'avis que le terme "waf'ra" désigne "la chevelure qui est plus longue que "limma"" (également cité dans Shar'h Muslim 4/4).
Or, et d'autre part, certes, "limma" désigne en général "la chevelure qui effleure les épaules sans les atteindre" ; cependant, ce n'est pas non plus le seul avis existant : d'autres linguistes sont eux d'avis que "limma" désigne "la chevelure qui dépasse les oreilles, et ce, qu'elle effleure les épaules ou bien qu'elle les atteigne" (avis relaté dans Khassâ'ïl-é Nabawî, p. 25, note de bas de page). Pareillement, certes, "jumma" désigne en général "la chevelure qui atteint les épaules" ; cependant, il est un Hadîth où on lit que le Prophète avait une chevelure "jumma" atteignant le lobe de ses oreilles : Muslim n° 2337, an-Nassâ'ï, n° 5232 ; on voit que "jumma" peut donc également désigner autre chose que la chevelure atteignant les épaules.
Dès lors, il n'est pas formel (qat'î) que le terme "waf'ra", dans le récit suscité, ne désigne qu'une chevelure allant jusqu'aux oreilles : il peut aussi y désigner une chevelure qui atteint les épaules, puisqu'il se peut qu'il désigne ce qui est plus long que "limma" ; or, ce qui est dit dans ce récit à propos des épouses du Prophète est qu'elles se raccourcissaient la chevelure au point que celle-ci était comme la waf'ra : il s'agirait donc non pas de la longueur waf'ra mais d'une longueur comparable à la waf'ra : la waf'ra atteignant déjà les épaules d'après l'un des avis que nous avons vus, ce qui a été relaté des épouses du Prophète peut aussi bien signifier, comme l'a souligné Cheikh Thânwî, une longueur dépassant les épaules (Bawâdir un-nawâdir, p. 373). En tous cas, et par rapport à ce que al-Albânî a dit (à savoir que la musulmane peut se raccourcir les cheveux jusqu'aux oreilles parce qu'il est relaté des épouses du Prophète qu'elles le faisait en sorte que cela devenait comme une "waf'ra") : "Lorsqu'il y a ihtimâl, le istidlâl n'est pas qat'î" (Idhâ jâ'a-l-ihtimâl, lam ya'ud il-istidlâlu qat'iyyan). Wallâhu A'lam.

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D) Du côté de az-Zuhaylî :

Az-Zuhaylî, qui est shafi'ite, écrit quant à lui : "Quant au fait pour la femme de se couper les cheveux, cela est autorisé tant que cela dépasse au moins les oreilles ; l'objectif est qu'il n'y ait pas de ressemblance avec les hommes, comme cela a déjà été évoqué" (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, p. 2681).

Az-Zuhaylî a fait intervenir lui aussi le principe de non-ressemblance entre hommes et femmes. Par contre, selon lui, il suffit, pour éviter cette ressemblance, que la chevelure féminine dépasse au moins les oreilles.

Cependant, et avec tout le respect que nous devons à tout 'âlim, il apparaît que si on est d'accord avec le fait que la question du raccourcissement des cheveux par la femme est concernée par le principe de non-ressemblance avec les hommes, et que l'on sait par ailleurs que ces derniers ont la possibilité de garder une chevelure allant jusqu'aux épaules, alors une chevelure féminine dépassant seulement les oreilles ne semble pas être suffisante pour éviter la ressemblance avec la chevelure des hommes.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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