Comment expliquer que dans le Coran il soit dit : "tel nombre, ou plus" : s'agirait-il d'approximations ?

Question :

J'ai lu l'objection suivante sur des sites critiquant l'islam, et cela a introduit un doute dans mon esprit : Pourquoi dans le Coran, parfois est-il dit : "tel nombre, ou plus" ?

Sourate L'étoile : "Ce n'est rien d'autre qu'une révélation révélée, que lui a enseignée (l'ange) à la force prodigieuse, doué de sagacité. Celui-ci s'établit, alors qu'ils se trouvait à l'horizon supérieur ; puis il se rapprocha et descendit encore plus bas, et fut à deux portées d'arc, ou plus près" (sourate n° 53, verset 9).

Sourate Les rangées : Parlant de Jonas dépêché aux habitants de Ninive, le texte du Coran dit : "Et Nous l'envoyâmes ensuite (comme prophète) vers cent mille hommes ou plus" (sourate n° 37, verset 147).

Ces sites posaient cette question : "Ne serait-ce pas là la parole d'un humain, qui ne connaît pas exactement le nombre et se contente d'en donner une approximation : "tel nombre, ou plus" ?"

Cela a installé un doute dans mon esprit...

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Réponse :

Il est impératif de traduire le texte coranique dans les autres langues. Cependant, la difficulté qui survient alors est que la langue arabe possède certaines formulations spécifiques, avec certains termes qui peuvent vouloir dire une chose comme une autre ; or la langue dans laquelle le texte a été traduit ne possède pas, par rapport à ces mêmes termes, la même flexibilité ; on se retrouve alors avec des malentendus tels que celui que vous avez évoqué.

Le point que vous évoquez a été traité depuis longtemps dans les Commentaires classiques de ulémas. Parmi les diverses explications y ayant été données, celle à laquelle va mon humble préférence est celle de al-Farrâ', le célèbre spécialiste de la langue arabe des premiers temps (143-206 a. h. / 761-822 a. g.).

Dans les deux versets que vous avez cités, ce qui a été rendu dans la traduction par la conjonction de coordination "ou" se lit dans le texte originel : "aw".

A) Dans la langue arabe, cette particule "aw" signifie habituellement "ou" : elle exprime le doute (ash-shakk), ou articule deux égales possibilités (ihtimâl).

B) Mais parfois, "aw" est utilisée avec le sens qui, à l'origine, est celui d'autres particules...

B.a) Ainsi, dans le verset 3/128, la particule "aw" a un autre sens que celui, habituel, de "ou" : dans ce verset, la particule "aw" est employée deux fois : la seconde fois elle a certes son sens habituel d'égales possibilités, mais la première fois elle a le sens de la particule "hattâ" ("jusqu'à ce que…") (Tafsîr ul-Qurtubî tome 4 p. 199). Ce verset se traduit donc ainsi : "L'affaire ne t'appartient en rien, jusqu'à ce ("aw") que Dieu (les guide à se) repentir ou ("aw") les châtie – car ils sont injustes" (Coran 3/128).

B.b) Quant aux deux versets que vous avez cités, la particule "aw" y a, explique al-Farrâ', le sens de la particule "bal" (Tafsîr ul-Qurtubî tome 15 p. 132). Cette particule "bal" a le sens de "non, plutôt" (sens que les spécialistes de la syntaxe arabe – an-nahwiyyûn – expriment par "al-idhrâb" : "se détourner de quelque chose, pour exprimer autre chose").

Voici un verset où on trouve l'emploi de cette particule "bal" elle-même, avec, clairement, ce sens de "idhrâb" : "Ils sont comme des animaux ; non ("bal"), ils sont plus égarés encore" (7/179, etc.). Ce n'est pas que Dieu aurait d'abord cru que les personnes dont Il parle sont comparables, dans leur non-compréhension, à des animaux, puis Se serait ravisé et aurait dit qu'en fait non, elles ont encore moins de compréhension que des animaux ; c'est tout simplement une figure de style répandue, destinée à captiver l'attention du lecteur.

Pareillement, dans les deux versets que vous avez cités, le "aw" n'a pas été utilisé pour exprimer deux égales possibilités, mais pour le idhrâb : "à portée de deux arcs… non, plus près encore" ; "vers cent mille... non, plus encore que cent mille hommes." Cela relève alors de la même figure de style rhétorique courante, destinée à captiver l'attention du lecteur. 

"Et Nous l'envoyâmes ensuite (comme prophète) vers cent mille hommes ou plus" (Coran 37/147). Bien que le prophète Jonas (sur lui soit la paix) avait fait l'erreur (khata' ijtihâdî) de partir de son propre chef de la ville où il avait été dépêché par Dieu – il s'agit soit de Ninive, soit d'une autre cité –, Dieu le dépêcha ensuite vers une ville – il s'agit soit toujours de Ninive, soit d'une autre cité – comportant un nombre considérable d'habitants : cent mille… non, plus encore que cent mille hommes.

"Puis il [= l'ange] se rapprocha et descendit encore plus bas, et fut à deux portées d'arc, ou plus près" (53/9). L'Ange ne resta pas loin du Prophète : il se rapprocha de lui jusqu'à en être à portée de deux arcs... non, plus près encore.

Voici d'ailleurs encore deux autres versets que ceux que vous avez cités, où on trouve de nouveau la particule "aw" y ayant encore le sens de la particule "bal"...

–  "Ensuite, vos cœurs se durcirent après cela, et ils sont comme des pierres, ou plus durs" (Coran 2/74) : il ne s'agit pas ici d'un doute de la part de Dieu, ni d'une approximation, ni du fait qu'Il se serait ravisé, mais d'une figure de style rhétorique, où on cite quelque chose puis on revient dessus et on cite ce qui est plus accentué encore. Ce verset veut dire : "vos cœurs sont devenus comme des pierres… non, plus dur encore que des pierres !"

"L'affaire de l'heure n'est que comme le clignement de l'oeil, ou est plus proche encore" (Coran 16/77). Ce verset veut montrer la rapidité avec laquelle la fin du monde se produira, et il veut dire : "Cela se produira en un clin d'œil… non, en un temps moindre encore".

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A lire après cet article :

La foi ne se contruit pas uniquement par des arguments rationnels, mais aussi par le fait de faire "goûter" son cœur à ses réalités

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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