Parmi les causes de la division de la Umma aujourd'hui, il y a le fait que certains s'improvisent mujtahids à partir de ce qu'ils étudient de façon autodidacte. N'ayant pas de profondeur dans la connaissance, ils traitent alors d'égarés les ulémas qui sont d'un avis différent sur un point pourtant ijtihâdî - Aperçu du livre مفهوم الافتراق de Dr al-Aql

Dans son livre Maf'hûm ul-iftirâq, consacré aux raisons de la division dans la Umma et aux solutions pour s'en sortir, Abd ul-Karîm al-'Aql écrit : "Distinguer la déviance de la divergence est une chose très importante. Les gens du 'ilm devraient se soucier de (souligner cette distinction). Car beaucoup de gens – et particulièrement certains du'ât et certains jeunes de la période du réveil dont la compréhension du Dîn n'est pas complète – n'arrivent pas à faire la distinction entre les cas de divergence et les cas de déviance ; certains d'entre eux appliquent alors aux cas de simple divergence les règles relatives aux cas de déviance. Ceci est une grande erreur, dont l'origine est l'ignorance par rapport aux principes de la déviance : quand se produit-elle, comment se produit-elle ? Qui peut rendre le jugement disant que telle personne ou tel groupe a dévié ?" (p. 11).

Citant certaines erreurs qui ont cours aujourd'hui, Al-'Aql cite, comme 4ème erreur : "Ignorer ce en quoi la divergence est autorisée et ce en quoi elle n'est pas autorisée" (pp. 20-21).

Nous avons nous même fait notre possible pour :
expliquer qu'il ne faut pas confondre propos de dhalâl et khata' ijtihâdî : cliquez ici ;
exposer que, même dans les questions ijtihâdî, il existe des questions où il est possible de distinguer de façon qat'î l'avis qui est sahîh et celui qui est khata', et d'autres questions où cela n'est possible qu'à un niveau zannî : cliquez ici.

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Al-'Aql cite 13 causes de la division s'étant produite et se produisant hélas dans la Umma :

Il y a bien sûr :
"L'innovation dans le Dîn" (8ème cause, p. 56) ;
"Le laxisme dans le fait de faire face aux innovations" (12ème cause, p. 57).
Ces innovations ont pour origine :
"L'ignorance" (2nde cause, p. 40) ;
"Les systèmes de pensée importés" (10ème cause, p. 57) ;
"Les prétentions de renouveau" qui ne sont en réalité que des falsifications (11ème cause, p. 57) ;
"Les plans de ceux qui ont de la haine pour l'islam" (1ère cause, p. 39).

Mais il y a aussi :
"La dureté et l'exagération dans le Dîn" (7ème cause, p. 54) ;
"Le manquement dans la compréhension du Fiqh ul-khilâf" (6ème cause, p. 51) ;
"Les sectarismes, quelle que soit leur forme et leur type : sectarismes d'écoles juridiques, d'ethnies, de peuples, de tribus, de partis, de slogans, etc. Le plus dangereux type de sectarisme est celui qui se produit dans le domaine de la Da'wa, car il induit les gens en erreur, vu que ces sectarismes dans la Da'wa sont justifiés au nom du Dîn" (9ème cause, p. 59).
Ces 3 causes ont elles-mêmes été causées par 2 causes plus profondes :
– "Le manquement dans la méthode pour acquérir le Dîn" (4ème cause, p. 41)
"Considérer le simple fait de se référer à (des ulémas) comme étant du suivisme aveugle" (5ème cause, p. 48).

Al-'Aql écrit : "Parmi les phénomènes dangereux se trouve le fait de s'improviser cheikh ; ou encore de devenir étudiant du dîn à partir des seuls supports : il s'agit du fait que celui qui cherche à obtenir le 'ilm se contente de prendre celui-ci des livres, se replie et se met de côté par rapport aux gens, se met de côté par rapport aux gens du 'ilm, se met de côté par rapport aux gens du bien, par rapport aux gens qui ordonnent le bien et interdisent le mal, par rapport aux ulémas, et dise : "Je prends le 'ilm des livres et des supports : je possède cassettes, livres, radio et autres moyens visuels et sonores", puis dise : "J'ai la capacité d'apprendre à partir de ces supports."
(Or) nul doute que ces supports sont un bienfait. Mais ils sont aussi une arme à double tranchant. Car se suffire de prendre les connaissances shar'î de ces supports est une voie de dérapage, et fait partie des causes de division"
(pp. 51-52).

Ailleurs il écrit des lignes voisines : "Parmi les expressions du manquement dans la façon d'apprendre, et qui constitue une cause de division, il y a le fait de se rendre indépendants des ulémas et des référents (aïmma) : il s'agit du fait que certains étudiants, certains du'ât, et certains jeunes parmi ceux qui ont acquis le 'ilm se contentent de prendre celui-ci des livres, des cassettes, des magazines et (autres) supports, et se rendent indépendants des ulémas, cessant de prendre le 'ilm des ulémas. Ceci est une voie dangereuse. C'est même une dangereuse graine de déviance. Si nous retournons aux causes de déviance au début de l'histoire de l'Islam, nous verrons que parmi les plus grandes importantes causes de déviances chez ceux qui se réclamaient de l'islam – je ne parle pas de ceux qui poursuivaient des objectifs personnels, des hypocrites ou des zindîq, je parle de ceux qui se réclamaient de l'islam, comme la déviance des Kharijites et des Rafidhites –, la plus grande cause de leur perte et de leur déviance fut le fait qu'ils se déclarèrent indépendants par rapport aux Compagnons, se coupèrent d'eux, firent peu de cas d'eux, délaissèrent le fait de prendre le Dîn d'eux, et prirent celui-ci d'eux-mêmes ou de certains parmi eux-mêmes. Ils dirent : "Nous avons pris connaissance du Coran ; nous avons pris connaissance de la Sunna ; nous n'avons donc pas besoin des hommes."
Or ceci [= les deux premières phrases] est une parole de vérité, (mais) dont une fausse conclusion a été retirée [= la troisième phrase]"
(pp. 47-48).

Un peu plus loin il écrit : "Le fait de se passer des ulémas [et d'établir soi-même sa compréhension du Dîn] est un très grand danger. Le 'ilm, sa bénédiction (baraka) et la façon correcte de l'acquérir se réalisent (lorsqu'il est reçu) des ulémas. Et il n'est pas possible qu'il n'y ait plus de ulémas à une époque donnée. Quant à l'affirmation de certaines gens selon laquelle il existe des manquements chez les ulémas est une affirmation causant de l'égarement. Oui, les ulémas sont des humains qui ne sont pas exempts de manquements. Mais malgré ces (manquements), ils sont globalement le modèle et l'argument" (p. 48).

Parlant de l'époque actuelle, il écrit qu'"il s'y trouve beaucoup de déviances, et ce malgré la quantité de 'ilm et la diffusion de celui-ci. Le fait est qu'il n'y a pas de bénédiction (baraka) dans ce ('ilm) pour ceux ou pour la plupart de ceux qui en sont porteurs : ce ('ilm) n'est pas utile (nâfi') pour ceux qui l'ont reçu. La raison en est que sa réception a été faite :
– soit à partir d'autre chose que ses sources originelles ;
– soit de la part d'autres que ceux qui en sont les porteurs.
C'est-à-dire :
– soit à partir d'autre chose que le Coran, les Hadîths, les Athâr et les écrits des référents (a'ïmma) de la guidance, que l'on suit dans le Dîn ;
– soit selon une autre voie (manhaj) que celle des gens du 'ilm et de la compréhension du Dîn.
La quantité des moyens de (diffusion du) 'ilm constitue certes un bienfait, mais fait du tort à beaucoup de gens quand ces gens se suffisent de ces (moyens) et ne prennent plus le 'ilm de ceux qui en sont les porteurs. Voilà le 'ilm qui n'est pas utile (lâ yanfa'), contre lequel le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, a demandé d'être protégé.

La bénédiction (baraka) n'est présente que dans le 'ilm qui est reçu des ulémas ; c'est là le fondement qui constitue la voie des croyants. Quant au fait de prendre le 'ilm des moyens sans (le prendre également) des hommes, cela n'est que peu utile. C'est ce qui a engendré des déviances, des avis déviants par rapport à la Sunna, et la diffusion des phénomènes de la division dans le Dîn" (p. 6).

Par contre : les ulémas ne sont pas organisés en clergé (cliquez ici). Et une fatwa donné par un 'âlim ou par un groupe de ulémas n'a pas valeur de qadhâ (décret) s'imposant à tous les ulémas (cliquez ici).

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Il est donc important de : fréquenter l'homme versé dans les sciences dînî, lui adresser des questions et apprendre de lui l'islam :

Depuis l'époque du Prophète (sur lui soit la paix) jusqu'aux époques suivantes, c'est par la fréquentation des ulémas – hommes versés dans les sciences dînî – que les musulmans ont appris leur dîn.

Le Prophète avait ainsi envoyé Mus'ab ibn 'Umayr à Yathrib pour y enseigner l'islam aux musulmans nouvellement convertis s'y trouvant. C'est ainsi que les Compagnons du Prophète ont acquis la connaissance islamique : auprès du Prophète, et entre eux, en se rendant auprès des ahl ul-'ilm : Abdullâh ibn Mas'ûd disait ainsi avoir appris plus de soixante-dix sourates de la bouche même du Prophète, et le reste de la bouche de certains autres Compagnons (cliquez ici). Et c'est également ainsi que les Tâbi'ûn ont appris la connaissance.

Le Prophète a dit : "إن العلماء ورثة الأنبياء، إن الأنبياء لم يورثوا دينارا ولا درهما إنما ورثوا العلم، فمن أخذ به أخذ بحظ وافر" : "Les ulémas sont héritiers des prophètes. Les prophètes n'ont pas fait hériter (leurs successeurs) de pièce d'or ni de pièce d'argent, ils n'ont fait hériter que de choses à savoir. Celui qui prend ce savoir, il prent une part importante" (at-Tirmidhî 2682, Abû Dâoûd 3641) : cela signifie : "celui qui acquiert le 'ilm prend une part importante de ce que les prophètes ont laissé" ; ou bien : "celui qui acquiert le 'ilm, qu'il cherche à en acquérir une part importante et ne suffise pas de peu" (Tuhfat ul-ahwadhî).

Le Prophète (sur lui la paix) a enjoint, en de nombreux hadîths, les gens de sa Oumma à rester attachés à la jamâ'ah (les hadîths sont connus, certains ont été cités ici). Selon l'interprétation de al-Bukhârî (qui est l'une des interprétations existantes), ce terme désigne "ahl ul-'ilm" (Sahîh ul-Bukhârî, kitâb ul-i'tissâm bi-l-kitâb wa-s-sunna, bâb 19).

N'est-ce pas là, au fond, la substance de ce que le Prophète a ainsi décrit : "إن الله لا ينتزع العلم من الناس انتزاعا ولكن يقبض العلماء فيرفع العلم معهم. ويبقى فى الناس رءوسا جهالا يفتونهم بغير علم فيضلون ويضلون" : "Dieu ne retirera pas la Connaissance en la retirant [soudainement] des serviteurs, mais Il reprendra les ulémas, et enlèvera ainsi la Connaissance avec eux. Il laissera parmi les hommes des chefs ignorants ; ils leur donneront des avis sans Connaissance ; ils seront alors égarés et égareront (les autres)" (al-Bukhârî, 100 etc., Muslim, 2673 et c'est sa version qui a été ici reproduite). (lire notre article)...

Al-Bukhârî a utilisé cette appellation "ahl ul-'ilm" en quelques endroits de son Sahîh, et notamment lorsqu'il a écrit : "... et du fait que les califes consultaient et questionnaient les ahl ul-'ilm" (bâb 13). Qui a lu un tant soit peu les recueils de hadîths et âthâr sait combien les premiers califes, bien que eux-mêmes ulémas, n'hésitaient pas à consulter, en cas de besoin, d'autres ulémas. Omar ibn ul-Khattâb avait même nommé "les qurrâ' [= les ulémas] comme gens de" son "Assemblée de Consultation, qu'ils soient d'âge mûr ou jeunes" (al-Bukhârî, 4366, 6856).

Par ailleurs, étant donné que exhorter au bien et déconseiller le mal doit être fait sur une base sûre, c'est aux ulémas que revient le devoir de le faire pour les choses qui ne relèvent pas des dharûriyyât ud-dîn (cliquez ici).
Ainsi, après s'être rendu en pèlerinage à la Mecque, Mu'âwiya, alors calife, se rendit à Médine ; ayant vu certains de ses habitants qui pensaient que jeûner le 10 muharram est déconseillé ou qui pensaient au contraire qu'il est obligatoire, il fit un discours dans lequel il dit : "Gens de Médine, où sont vos ulémas ? J'ai entendu le Messager de Dieu, que Dieu le bénisse et le salue, dire : "Ceci est le jour de 'âshûra. Dieu n'a pas rendu obligatoire le fait de le jeûner. Je le jeûne. Celui qui veut, qu'il jeûne ce jour, et celui qui veut, qu'il ne jeûne pas"" (al-Bukhârî 1899, Muslim 1129, avec Fat'h ul-bârî).
Pareillement, en l'an 51, après s'être rendu en pèlerinage à la Mecque, Mu'âwiya se rendit à Médine. Ayant alors découvert que des femmes se faisaient rajouter des cheveux (wasl), il fit un discours dans lequel il dit : "Gens de Médine, où sont vos ulémas ? J'ai entendu le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, interdire cela, et dire : (...)" (al-Bukhârî 3281, Muslim 2127, avec Fat'h ul-bârî).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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