Les principes de la Sunna pour les relations entre jeunes et âgés

"Lui, il est encore trop jeune !""Lui, il est dépassé, car trop âgé maintenant !" Qui n'a jamais entendu dans la communauté musulmane ces réflexions peu engageantes, témoignages d'une sorte d'incompréhension entre plus jeunes et plus âgés. Parfois on se base sur les dires traditionnels (de l'Inde ou d'ailleurs), d'autres fois sur sa propre perception. Et on semble oublier que l'islam lui-même a énoncé à ce sujet des règles ta'abbudî sur lesquelles on doit se baser si on veut éviter les à priori, les malentendus et les incompréhensions.

Nous allons ci-après évoquer quelques-uns de ces principes. Nous n’aborderons pas les directives parlant des liens entre parents et enfants (ces liens étant particuliers), mais uniquement celles qui évoquent les relations, plus générales, entre jeunes et plus âgés.

L'islam a offert des droits fondamentaux à tous les humains, qu'ils soient hommes ou femmes, jeunes ou vieux. Et à chacun, qu'il soit plus jeune ou plus âgé, il a demandé de respecter les droits de l'autre, qu'il soit vieux ou jeune. Il s'agit du droit de croire et de pratiquer sa religion, du droit à l'intégrité physique, du droit d'acquérir des biens (dans le cadre de ce qui est licite), d'en faire usage (dans le cadre de ce qui est licite), du droit de ne pas être humilié par des paroles sans raison reconnue valable, du droit de se marier (dans le cadre de ce qui est licite), etc.

En sus de cela, l'islam demande au plus jeune d'honorer (ik'râm, qui est le mot employé à ce propos dans un hadîth) celui qui est plus âgé. Mais qu'est-ce que cela implique en clair ? de seulement respecter ses droits fondamentaux tels qu'énumérés en partie ci-dessus ? Assurément non, puisque ceux-ci doivent être respectés pour le plus âgé comme pour le plus jeune.

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A) Honorer le plus âgé, cela consiste en fait à :

– Honorer le plus âgé, cela consiste déjà à choisir des paroles respectueuses pour lui parler, à s'enquérir de son état, à lui rendre service en l'aidant à porter ses affaires, etc., bref à lui témoigner de beaucoup plus que ce qui relève des simples devoirs humains. Al-Bukhârî a, du fait que Anas ibn Mâlik relate qu'il servait à boire à ses oncles, déduit ceci : "باب خدمة الصغار الكبار" : "Du service que les plus jeunes rendent aux plus âgés" (Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb ul-ashriba, bâb n° 21).

– Cela consiste également à lui donner la priorité (taqdîm), et ce dans plusieurs domaines.

--- Priorité, d'abord, à recevoir le salut (salâm) : "Le plus jeune saluera en premier le plus âgé" a dit le Prophète, que la paix soit sur lui : "عن أبي هريرة عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: يسلم الصغير على الكبير، والمار على القاعد، والقليل على الكثير" (al-Bukhârî, 5877, Muslim ).

--- Priorité, aussi, dans le fait de diriger la salât. En effet, dans le cas où il n'y a pas d'imâm fixé (râtib), le Prophète a ainsi demandé de donner la priorité à celui qui réunit un certain nombre de compétences. Or, le critère de l'âge aussi entre en jeu : "فأقدمهم سِنًّا" : "… et si (les gens présents) sont semblables par rapport à l'Emigration, alors c'est le plus âgé d'entre eux qui dirigera la prière" (partie d'une parole du Prophète rapportée par Muslim, 673).

--- Priorité, également, dans le fait de prendre la parole. Ainsi, Abd ur-Rahmân ibn Sahl était venu, accompagné de deux autres Compagnons plus âgés que lui, exposer au Prophète (sur lui la paix) que son frère Abdullâh ibn Sahl avait été retrouvé assassiné à Khaybar. Il commença à parler, mais le Prophète lui dit : "Laisse le plus âgé (prendre la parole)" : "فتكلم عبد الرحمن في أمر أخيه، وهو أصغر منهم، فقال رسول الله صلى الله عليه وسلم: كبر الكبر، أو قال: ليبدأ الأكبر" (al-Bukhârî 5791, Muslim 1669, les termes ici cités sont ceux de Muslim). Al-Bukhârî a a titré sur une des versions de ce hadîth : "باب إكرام الكبير، ويبدأ الأكبر بالكلام والسؤال" : "Du fait d'honorer celui qui est (plus) âgé (que soi), et du fait que c'est le plus âgés qui commence à parler et à poser des questions" (Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb ul-adab, bâb n° 89).

--- Priorité, encore, à recevoir ce que quelqu'un offre (parfois, exclusivité à le recevoir, lorsque ce quelqu'un ne peut offrir ce qu'il veut offrir qu'à une seule des personnes présentes). En effet, le Prophète se vit un jour en rêve en train d'utiliser le siwâk ; puis il rencontra deux personnes ; et, toujours dans son rêve, il offrit son siwâk à la plus jeune d'entre elles. Il s'entendit alors dire de l'offrir à la plus âgée des deux. C'est ce qu'il fit alors : "عن ابن عمر أن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "أراني أتسوك بسواك، فجاءني رجلان، أحدهما أكبر من الآخر، فناولت السواك الأصغر منهما، فقيل لي: كبر، فدفعته إلى الأكبر منهما" (al-Bukhârî 243, Muslim 2271). Des ulémas ont dit en commentaire que, par analogie avec le cas de l'offre, le plus âgé bénéficie de la priorité à parler le premier, à être servi le premier lors d'un repas, et à passer le premier : "قال ابن بطال: "فيه تقديم ذي السن في السواك؛ ويلتحق به الطعام والشراب والمشي والكلام." وقال المهلب: "هذا ما لم يترتب القوم في الجلوس؛ فإذا ترتبوا، فالسنة حينئذ تقديم الأيمن." وهو صحيح" (Fat'h ul-bârî, 1/464).
Il y a aussi cet autre hadîth du Prophète (sur lui soit la paix) : lorsqu'il donnait à boire, il disait : "Commencez par le plus âgé" : "عن ابن عباس قال كان رسول الله صلى الله عليه وسلم إذا سقى قال: ابدءوا بالكبير" (Abû Ya'lâ : Fat'h ul-bârî 10/109).

Ce qui précède fait partie des enseignements de l'islam, et il nous faut les mettre en pratique. Il serait cependant incomplet de ne pas mentionner l'étendue que leur a conférée l'islam. En effet, les quatre priorités énumérées ci-dessus (et toutes celles que les ulémas ont pu en déduire par analogie) ne sont pas sans limites au point de devenir absolues.

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B) Les limites fixées par la Sunna pour les principes ci-dessus :

– Le fait que ce soit le plus jeune qui doive saluer en premier concerne par exemple le cas où les deux personnes — la plus jeune et la plus âgée — sont toutes deux en train de marcher, ou bien toutes deux sur une monture. Mais, eu égard au fait qu'une autre parole du Prophète dit : "Celui qui est sur une monture saluera en premier celui qui marche" : "عبد أبي هريرة، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: يسلم الراكب على الماشي، والماشي على القاعد، والقليل على الكثير" (al-Bukhârî 5878, Muslim 2160), dans le cas où le plus jeune marche et le plus âgé est sur une monture, à qui revient le devoir de saluer le premier ? Cette question se pose parce que, comme on le voit, deux principes sont ici en concurrence. La réponse de Ibn Rushd est que c'est alors le critère d'être sur une monture qui l'emporte sur celui d'être plus âgé ("ونقل ابن دقيق العيد عن ابن رشد أن محل الأمر في تسليم الصغير على الكبير إذا التقيا؛ فإن كان أحدهما راكبا والآخر ماشيا، بدأ الراكب؛ وإن كانا راكبين أو ماشيين، بدأ الصغير" : Fath ul Bârî 11/ ), et que c'est donc à celui qui est sur la monture de saluer en premier, fût-il plus âgé que celui qui marche. La même règle vaut pour celui qui est en voiture et qui croise un musulman plus jeune à pied.
Par ailleurs, dans ce cas comme dans le précédent, la priorité du salut n'est que recommandée (mustahabb). Aussi, en cas d'oubli ou de négligence du plus jeune, rien n'empêche le plus âgé de faire le salâm en premier. En agissant ainsi, il ne fera d'ailleurs que suivre l'exemple du Prophète, qui, comme le rapporte Anas, faisait en premier le salâm à plus jeune que lui : "عن أنس بن مالك رضي الله عنه أنه مر على صبيان فسلم عليهم، وقال: كان النبي صلى الله عليه وسلم يفعله" (al-Bukhârî, 5893, Muslim, 2168).

Pour ce qui est de diriger la prière, il faut savoir que la priorité revient tout d'abord à celui qui est fixé comme imâm, et que c'est seulement au cas où il n'y a pas d'imâm fixé que l'on regarde les compétences. D’autre part, d'autres critères entrent en compte avant celui de l'âge. Le hadîth complet se lit en effet comme suit : "عن أبي مسعود الأنصاري، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: يؤم القوم أقرؤهم لكتاب الله؛ فإن كانوا في القراءة سواء، فأعلمهم بالسنة؛ فإن كانوا في السنة سواء، فأقدمهم هجرة؛ فإن كانوا في الهجرة سواء، فأقدمهم سِنًّا. ولا يؤمن الرجل الرجل في سلطانه. ولا يقعد في بيته على تكرمته إلا بإذنه" : "Dirigera la prière celui qui connaît le mieux le Coran. Et si (les gens présents) sont d'égale compétence pour connaître le Coran, c'est celui d'entre eux qui connaît le mieux la Sunna. S'ils sont d'égale compétence pour connaître la Sunna, c'est celui d'entre eux qui est le plus ancien en Emigration. Et s'ils sont semblables par rapport à l'Emigration, alors c'est le plus âgé d'entre eux qui dirigera la prière" (Muslim, 673). On le voit, ce n'est pas le critère de l'âge qui est retenu en premier.

Quant à la priorité pour prendre la parole, elle revient effectivement au plus âgé. Mais, ici, priorité ne signifie pas exclusivité. Le plus jeûne a le devoir de laisser le plus âgé s'exprimer d'abord. Mais lorsque celui-ci a fini de s'exprimer, il a le droit de demander respectueusement la parole, et, alors, de s'exprimer tout aussi respectueusement. Un jour, le Prophète posa à ses Compagnons présents une question au sujet d'un arbre semblable au musulman : ils devaient trouver quel était cet arbre. Mais aucun d'eux ne trouva la bonne réponse, et le Prophète leur dit qu'il s'agissait du dattier. En fait le jeune Abdullâh ibn Omar avait trouvé la réponse, mais il n'avait pas osé s'exprimer. Il le dit plus tard à son père Omar : il avait trouvé la réponse mais n'avait pas voulu parler par égard pour les Compagnons plus âgés que lui, alors présents. Son père lui dit alors : "Que tu l'eus dit m'aurait été plus agréable que telle et telle chose !" (al-Bukhârî, 131, 4421, etc., Muslim 2811). Omar voulait dire qu'il aurait aimé que son fils Abdullâh soit mis en valeur par la réponse qu'il avait trouvée (FB 1/303).
C'est peut-être pour exprimer cette nuance (par rapport au principe de priorité revenant au plus âgé) que al-Bukhârî a placé (de nouveau) ce hadîth avec Abdullâh ibn Omar dans le point suscité : "باب إكرام الكبير، ويبدأ الأكبر بالكلام والسؤال" (Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb ul-adab, bâb n° 89). En effet, Ibn Hajar écrit : كأنه أشار بإيراده إلى أن تقديم الكبير حيث يقع التساوي؛ أما لو كان عند الصغير ما ليس عند الكبير، فلا يمنع من الكلام بحضرة الكبير" ; et donc : "المراد الأكبر في السن إذا وقع التساوي في الفضل؛ وإلا فيقدم الفاضل في الفقه والعلم إذا عارضه السن" (Fat'h ul-bârî 10/659).
Par ailleurs, Omar ibn ul-Khattâb avait, pendant son califat, nommé membres de sa Majlis ush-Shûrâ (Assemblée Consultative - équivalent musulman, avec ses spécificités, de ce qu'on appelle maintenant une assemblée parlementaire) "les qurrâ'" (ceux qui étaient versés dans la compréhension profonde du Coran), "qu'ils soient d'âge mûr ou qu'il soient jeunes" (al-Bukhârî, ). C'est-à-dire qu'il n'y avait inclus que les érudits, âgés et jeunes, les jeunes érudits y ayant été inclus mais non pas les âgés non-érudits. Abdullâh ibn Abbâs [qui était âgé d'environ 15/16 ans au début du califat de Omar et d'environ 25/26 ans à la fin de celui-ci] en faisait d'ailleurs partie (al-Bukhârî, ).

Enfin, la priorité à être servi en premier à cause de l'âge concerne le cas où il n'y a pas de chef dans l'assemblée, ou bien où il y en a et toutes les personnes sont placées en face du chef de l'assemblée (et pas les unes à sa droite et les autres à sa gauche), ou bien où il y en a un et les autres personnes sont toutes à sa gauche : dans tous ces cas, ce sera le chef (lorsqu'il y en a un), puis le plus âgé qui méritent d'être servis en premier. Par contre, dans le cas où il y a un chef et qu'il y a des personnes à sa droite et d'autres à sa gauche, c'est le chef qui sera servi le premier, et, après lui, c'est le critère d'être à droite qui l'emportera sur celui d'être plus âgé.
Ibn Hajar écrit ainsi : "ويجمع بأنه [أي تقديم الأكبر] محمول على الحالة التي يجلسون فيها متساوين إما بين يدي الكبير [أي الرئيس] أو عن يساره كلهم أو خلفه أو حيث لا يكون فيهم [رئيس فتخص هذه الصورة من عموم تقديم الأيمن [ففي هذه الصورة يقدم الأكبر، لا الأيمن]. أو يخص من عموم هذا الأمر بالبداءة بالكبير ما إذا جلس بعض عن يمين الرئيس وبعض عن يساره: ففي هذه الصورة يقدم الصغير على الكبير والمفضول على الفاضل [بسبب أنهما على اليمين]. ويظهر من هذا أن الأيمن ما امتاز بمجرد الجلوس في الجهة اليمنى، بل بخصوص كونها يمين الرئيس؛ فالفضل إنما فاض عليه من الأفضل" : Fat'h ul-bârî 10/109).

Le récit suivant prouve cela : "عن سهل بن سعد رضي الله عنه، قال: أتي النبي صلى الله عليه وسلم بقدح، فشرب منه. وعن يمينه غلام أصغر القوم، والأشياخ عن يساره. فقال: يا غلام أتأذن لي أن أعطيه الأشياخ؟ قال: ما كنت لأوثر بفضلي منك أحدا يا رسول الله، فأعطاه إياه" : Le Prophète (sur lui la paix) était une fois assis avec des Compagnons. Or à sa droite se trouvait un jeune homme, et à sa gauche des hommes plus âgés. Ayant bu dans un récipient, et étant donné le principe qu'il avait lui même énoncé de la priorité à droite, il demanda au jeune homme si celui-ci voulait bien délaisser la priorité qui lui revenait de fait et lui permettre de faire passer le récipient aux gens âgés qui se trouvaient à sa gauche ; il lui dit donc : "Permets-tu que je serve les plus âgés ?" Mais le jeune Compagnon lui dit gentiment : "Non, par Dieu, je ne voudrais pas donner priorité à quelqu'un pour la part qui me revient de toi." Le Prophète plaça alors le récipient dans sa main (al-Bukhârî 2224, Muslim 2030).

Par contre, quelle est la règle lorsque, face à un passage trop étroit, plusieurs personnes arrivent en même temps avançant dans la même direction et qu'il y a, parmi elles, tout à la fois une qui est plus âgée et une autre qui se trouve tout à droite : à qui reviendra alors la priorité :
- à la plus âgée d'entre elles ?
- ou bien à celle qui se trouve tout à droite parmi elles ?
Je ne sais pas (لا أدري).

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En tous cas, le récit que nous venons de voir fait apparaître très clairement le modèle du Prophète (sur lui la paix) : il a voulu être conciliant entre plus jeunes et plus âgés.

Il ne s'agit donc ni de faire une mainmise de type brejnevien (qui est un extrême), ni de tomber dans un esprit de revendication de type Mai 68 (qui est un autre extrême). Il s'agit d'être conciliant, comme le Prophète l'a été dans ce récit.
Comme, également, il l'a montré dans cette parole : "عن عبد الله بن عمرو يرويه قال: قال: "من لم يرحم صغيرنا، ويعرف حق كبيرنا، فليس منا" : "Ne fait pas partie des nôtres celui qui n'a pas de miséricorde pour celui d'entre nous qui est (plus) jeune (que lui) et ne reconnaît pas le droit de celui d'entre nous qui est (plus) âgé (que lui)" (Abû Dâoûd, 4943, et at-Tirmidhî, 1920). C'est cela, l'enseignement du Prophète : les devoirs entre jeunes et plus âgés sont mutuels, et non unilatéraux.

Si nous voulons éviter les incompréhensions, nous ferons bien de nous souvenir de cette parole de sagesse.

Nous ferions bien, également, de nous rappeler une autre parole de sagesse et de bon sens. C'est une parole rassurante, qui montre que notre Communauté ne pourra pas inshâ Allah connaître de fossé entre les uns et les autres, puisqu'elle n'est pas formée, d'un côté, de jeunes, et, de l'autre, de gens âgés ; elle est formée de gens qui, tous, sont tout à la fois jeunes et âgés.
Cette autre parole se dit comme suit :
"Chacun est le jeune et le vieux d'un autre."

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Notes :

Il existe également le hadîth "Anzilu-n-nâssa manâzilahoum" (rapporté par Abû Daoûd, et où il est également relaté comment Aïcha a agi différemment avec deux personnes) : lire notre article consacré au commentaire de ce hadîth.

Quant au hadîth "Khayru shabâbikum man tashabbaha bi kuhûlikum, wa sharru kuhûlikum man tashabbaha bi shabâbikum" est aussi un hadîth dont la chaîne de transmission est faible d'après al-Albânî (Dha'îf al-jâmi' as-saghîr).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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