Comment comprendre les "épée", "lance" et "arc" que les hadîths évoquent pour l'époque du retour de Jésus fils de Marie ?

Question :

Je suis l'objet depuis plusieurs mois d'interrogations au sujet de certains textes du Coran et de la Sunna. Parmi ces textes, il y a ceux qui évoquent les armes que les croyants utiliseront à l'époque du retour de Jésus fils de Marie : on lit des termes tels que "épée", "lance" et "arc".

J'ai pensé prendre tout ça au sens figuré, mais un frère m'a dit que le terme "sayf" signifie "épée" et pas autre chose, et qu'il serait grave de vouloir faire dire aux textes du Coran et de la Sunna ce qu'ils ne peuvent pas vouloir dire. Ce serait de la falsification de sens (tahrîf ma'nawî), a-t-il dit.

Or il me paraît peu probable que, à cette époque future, les hommes se mettent de nouveau à combattre avec des armes aussi anciennes.

C'est ce qui me cause un doute : d'un côté, impossibilité d'appréhender ces textes au sens figuré ; de l'autre côté, improbabilité de ce que ces textes signifient alors.

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Réponse :

Dans les hadîths traitant de ce sujet, on lit effectivement, comme termes désignant les armes qui auront cours à l'époque du retour de Jésus fils de Marie :
- "épée" (سيف),
- "javelot" (حربة),
- "arc" (قوس),
- "flèches" (نشّاب).

Il y a, sur ce point précis, aujourd'hui deux avis :
certains ulémas n'appréhendent pas ces termes au sens figuré : selon eux, le monde entier retournera aux anciennes armes ;
d'autres ulémas, ayant constaté que les armes ont évolué, ont opté, par mouvement dialectique, pour le fait d'appréhender ces termes au sens figuré. Ils ont donc dit que ces termes arabes employés dans ces hadîths et dont la traduction est "épée", "javelot", "arc" et "flèches" désignent en fait les équivalents, dans la réalité du futur, de ce que ces termes désignaient stricto sensu dans le passé.

Muftî Abû Lubâba a relaté ces deux avis (sans tous les détails que je viens de fournir) dans son ouvrage Dajjâl (1/130-131).

S'il est erroné d'appréhender au sens figuré tous les textes, ou n'importe quel texte, en revanche il est possible – contrairement à ce que le frère dont vous parlez vous a dit – de le faire pour certains textes précis, suivant en cela des principes précis.

Il est certes erroné d'appréhender au sens figuré la formule "يَدَيَّ" ou encore la formule "يَدَاه" que Dieu a employées à Son Sujet en Coran 38/75 et en 5/64 : cela n'est pas au sens figuré : cela ne signifie pas ce que le terme "قُدْرة" ou "نِعْمة" signifie.

Par contre il n'est pas vrai de dire que dans le Coran et la Sunna il n'y a aucun terme qu'on puisse appréhender au sens figuré. J'en fournis les preuves dans un autre article : Y a-t-il ou non des termes à appréhender au sens figuré (مَجاز) dans le Coran et la Sunna ?

Pour ce qui est maintenant de votre question...

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Un hadîth du Prophète (sur lui soit la paix) parlant du "Coran de David" (sur lui soit la paix), et l'interprétation que Ibn Taymiyya en a faite :

Le prophète Muhammad (sur lui soit la paix) a dit : "خُفِّفَ على داود القرآن" : "Le Qur'ân a été rendu aisé pour David" (rapporté par al-Bukhârî, n° 3235, n° 4436).

Il est évident que, dans cette phrase, le terme "al-Qur'ân" (القرآن) ne peut pas signifier "le Coran", puisque ce Livre n'ayant été révélé qu'au prophète Muhammad, et ce au début du VIIè siècle chrétien, le prophète-roi David, ayant vécu plusieurs siècles auparavant, ne pouvait bien évidemment pas le réciter.

Différentes interprétations ont donc été avancées par différents ulémas.

A) Ibn Hajar a donné préférence à celle selon quoi le terme "al-Qur'ân" (القرآن) ici employé signifie ici : "al-qirâ'ah" (القراءة), c'est-à-dire "l'action de récitation". [Comme dans le verset : "إنّ قرآن الفجر كان مشهودًا" (Coran 17/78) : il s'agit de la récitation faite à l'aube (voir notre article).]
C'est donc l'action de récitation qui a été rendue aisée pour le prophète David  (Fat'h ul-bârî 8/504 ; 6/554), et le hadîth est à traduire ainsi : "L'action de réciter [le livre de son époque, c'est-à-dire les Psaumes] a été rendue aisée pour David".

B) Ibn Taymiyya a quant à lui retenu une autre interprétation, qui va dans le sens de ce qui nous intéresse ici par rapport aux termes désignant les armes. Son interprétation dit d'une part que le terme "al-Qur'ân" (القرآن) désigne ici non pas l'action de récitation, mais bien le livre religieux, lequel est récité : "al-kalâm al-maqrû'" (الكلام المقروء). Et d'autre part que, le terme "al-Qur'ân" désigne ici le Livre religieux qui correspond, pour l'époque de David, à ce que le Coran représente pour l'époque de Muhammad ; autrement dit : "az-Zabûr", les Psaumes : "ولفظ التوراة والإنجيل والقرآن والزبور قد يراد به الكتب المعينة؛ ويراد به الجنس، فيعبر بلفظ القرآن عن الزبور وغيره، كما في الحديث الصحيح عن النبي صلى الله عليه وسلم: "خفف على داود القرآن فكان ما بين أن تسرج دابته إلى أن يركبها يقرأ القرآن": والمراد به: "قرآنه" وهو الزبور، ليس المراد به: "القرآن الذي لم ينزل إلا على محمد". وكذلك ما جاء في صفة أمة محمد: "أناجيلهم في صدورهم" فسمى الكتب التي يقرءونها - وهي القرآن: "أناجيل" (Al-Jawâb us-sahîh 3/224). Ibn Kathîr est du même avis (Al-Bidâya wa-n-Nihâya, 2/13).
Le prophète Muhammad a donc, dans ce hadîth, employé le terme "al-Qur'ân" pour signifier en fait : "az-Zabûr", "les Psaumes". Le hadîth est donc à traduire ainsi : "[L'action de réciter] le Coran de son époque [c'est-à-dire les Psaumes] a été rendue aisée pour David". Le résultat final est le même que celui qu'induit l'interprétation de Ibn Hajar, mais c'est la traduction qui change.

Si on retient l'interprétation de Ibn Taymiyya, il y a alors deux possibilités :

--- B.a) soit il y a ici un "مجاز مرسل", une métonymie, avec emploi d'un terme pour désigner en fait ce qui est son équivalent (مُعادِل) à une autre époque, dans un autre lieu ou chez un autre groupe.
On dit ainsi, respectivement : "Tel physicien est le Einstein du XXIè siècle chrétien" ; "Le letchi est la cerise de la Chine" ; "La Halakha est la Sharia des juifs". Pareillement, dans un hadîth, il est attribué au Prophète (sur lui soit la paix) qu'il a dit de Abû Jahl : "C'est le Pharaon de cette Umma" : "هذا فرعون هذه الأمة" (Ahmad, dha'îf, qâbil li-t-tahsîn). Dans un autre hadîth, il est dit : "Les Qadarites sont les Mazdéens de cette Umma" : "القدرية مجوس هذه الأمة" (Abû Dâoûd, 4691, hassan d'après al-Albânî).
Les Psaumes étant le pendant, pour l'époque de David, de ce qu'est le Coran pour l'époque du prophète Muhammad, le Prophète a dit "le Coran de l'époque de David" pour désigner : "les Psaumes" ;

--- B.b) soit il y a ici une "استعارة", une "métaphore directe", reposant sur une comparaison (تشبيه) sous-entendue, dont seul le comparant (مشبَّه به) a été mentionné, et pas le comparé (مشبَّه).
Le pétrole est comparable à de l'or dans le fait d'être précieux (c'est ce que toux deux ont en commun) ; on dit donc : "l'or noir" pour désigner le pétrole. On dit de même : "l'or bleu" pour désigner l'eau, et : "l'or rouge" pour désigner le safran. Dans les recueils de hadîths on trouve pareillement que certains Arabes polythéistes appelaient le sanctuaire de l'idole Dhu-l-Khalassa, au Yémen : "La Kaaba yéménite" : "عن جرير رضي الله عنه قال: قال لي النبي صلى الله عليه وسلم: "ألا تريحني من ذي الخلصة". وكان بيتا في خثعم، يسمى الكعبة اليمانية" (al-Bukhârî, 4098).
Le Coran étant comparable aux Psaumes dans le fait qu'ils sont tous deux les livres célestes reçus par le prophète de son époque, le Prophète a dit "le Coran de David" pour désigner : "les Psaumes".

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Ce que Ibn Taymiyya a dit au sujet de ce hadîth parlant du Coran de l'époque de David (sur lui soit la paix), la même chose peut être dite au sujet des hadîths parlant des armes de l'époque du retour de Jésus (sur lui soit la paix) :

Quand vous avez compris ce que nous venons de dire, vous comprendrez facilement que la même chose peut être dite à propos des hadîths qui évoquent les armes qui seront utilisées à l'époque de Jésus fils de Marie.

Il se peut tout à fait que les termes employés dans ces hadîths ("سيف", "épée"  ; "حربة", "javelot" ; "قوس", "arc" ; "نشّاب", "flèches") à propos de l'époque de Jésus ne désignent pas, pour cette époque future, les armes que ces termes désignent en leur sens propre, mais les armes qui correspondront (معادل), pour cette époque future, à ce que les armes que ces termes désignent stricto sensu représentaient pour l'époque du prophète Muhammad (sur lui soit la paix).

Il y a alors une métonymie ou une métaphore, comme nous venons de le voir en commentaire du hadîth avec le Coran de l'époque de David (sur lui soit la paix).
Et il existe alors une certaine communauté entre les deux réalités : il s'agira de l'arme équivalente (معادل), dans le futur, à ce que l'épée représentait (ou bien à ce à quoi elle servait) dans le passé ; idem pour l'arc ; etc.

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Un point, cependant :

Certes, à lire attentivement certains des hadîths traitant de ce thème, il est certain que les armes dont disposeront les croyants à l'époque de Jésus (et quelque peu avant) seront inférieures (en capacités et / ou en nombre) à celles dont disposeront leurs ennemis. Un hadîth du Prophète montre ainsi que, de tous les musulmans d'abord accourus pour se ranger sous la bannière du Mahdî et repousser l'invasion des terres musulmanes, un grand nombre parmi eux – un tiers – fuiront par la suite (hadîth rapporté par Muslim, n° 2897). Apparemment cela sera justement dû au fait que, à la vue de la puissance de l'ennemi, ces musulmans prendront peur ou perdront confiance (il y aura par ailleurs eu avant cela une apostasie terrible dans les rangs musulmans : Muslim, n° 2899). Car ce sera alors la force de la foi (lien du cœur avec Dieu et foi en la véracité de Muhammad en tant qu'authentique messager de Dieu, sur lui soit la paix) qui sera déterminante pour chaque personne.

Cependant, parmi les hadîths traitant de ce thème, l'un dit que chaque combattant de l'armée ennemie des musulmans à ce moment là sera doté d'une "سيف محلّى", "épée décorée" (rapporté par Ibn Mâja, n° 4077).

On le voit, les noms de ces armes anciennes ont été employés pour les combattants des deux parties. Ce n'est donc même pas que les hadîths traitant de ce sujet voudraient dire que seuls les musulmans disposeront alors d'armes anciennes, leur ennemi d'alors disposant, lui, des armes de cette époque.

La possibilité que nous avons exposée plus haut s'applique donc aux armes des deux parties (même si, comme nous l'avons dit, les musulmans disposeront d'armes qui seront inférieures en capacités et/ou en nombre).

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Certes
, il est par ailleurs possible que, dans le cas précis du combat final entre Jésus le vrai Messie et le faux Messie, ce sera bien par le moyen d'un authentique javelot / d'une authentique lance (حربة) que Jésus le terrassera (cela se passera à Lod, comme l'ont annoncé d'autres hadîths). Il est également possible que certaines autres personnes disposeront, même à cette époque future, de réelles "épées", "arcs", et autres armes traditionnelles.

Mais ce que nous voulons dire, c'est qu'il est erroné de penser que les hadîths parlant de la situation d'alors veulent nécessairement signifier (de sorte que "dire le contraire serait de la falsification de sens", tahrîf ma'nawî) que tout le monde retournera aux armes anciennes, et qu'il y aura alors seulement arcs, flèches, lances et épées, et autres armes ayant cours à l'époque du prophète Muhammad (sur lui soit la paix), et rien (ou presque rien) des armes inventées depuis.

Wallâhu A'lam
(Dieu sait mieux).

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