Les bonnes manières en cas de divergences d'interprétations

Les divergences d'opinions ne manquent pas aujourd'hui chez les musulmans. 

Comme cela est exposé dans notre page concernant les catégories des divergences d'opinions, si dans certains cas chacun doit adhérer à un avis et délaisser tout autre avis (il s'agit des catégories A, B.2 et B.1), dans d'autres (la catégorie C) la pluralité d'interprétations ne peut que demeurer au sein de l'orthodoxie sunnite elle-même.

Cependant, qu'il s'agisse de la catégorie B.1 ou de la C, ce qui fait trop souvent défaut aujourd'hui chez nous musulmans, c'est l'éthique du désaccord : "adab ul ikhtilâf". C'est arriver à se comporter avec bonne manières et bienséance lorsqu'on exprime son désaccord.

Or, c'est ce que nous enseigne le comportement de nos pieux prédécesseurs.

Ainsi, à propos de la question de savoir si l'état de pureté est annulé par le fait de manger un aliment cuit, et donc s'il faut ensuite renouveler ou pas ses ablutions (wudhû) avant de pouvoir accomplir la prière (salât), les avis étaient partagés entre les Compagnons du Prophète.

Certains, qui disaient que le fait de manger un aliment cuit annulait l'état de pureté, se basaient sur cette parole du Prophète : "Faites le wudhû à cause de ce qu'a touché le feu" (rapporté par Muslim).

D'autres, qui étaient d'avis que l'état de pureté n'était pas annulé par cela, sur le fait que le Prophète lui-même a mangé des aliments cuits et a accompli la prière (salât) sans renouveler ses ablutions (rapporté également par Muslim), ce qui prouve que le premier hadîth soit a été abrogé, soit ne fait que recommander de nouvelles ablutions (sans les rendre obligatoires et donc sans dire que l'absorption de l'aliment cuit les a annulées), soit que le terme "wudhû" qui y a été employé signifie "lavage des mains et de la bouche" et non "ablutions rituelles".

Et, au regard des arguments, c'est la seconde opinion qui paraît pertinente. Malgré tout, les discussions qui avaient lieu à ce sujet entre des Compagnons étaient empreintes de bonnes manières et de savoir-vivre.

Ainsi, une discussion eut lieu entre Abû Hurayra (qui était d’avis que la consommation d’un aliment cuit annule l’état de pureté), et Abdullâh ibn Abbâs (qui pensait que la consommation d’un aliment cuit n’annule pas l’état de pureté) :
"Le wudhû doit être renouvelé à cause de ce qu’a touché le feu, fût-ce des morceaux de aqit [sorte de lait caillé], dit Abû Hourayra.
- Abû Hourayra, lui dit Abdullâh ibn Abbâs, (dis-moi,) renouvelons-nous le wudhû à cause de l’huile (qui a été chauffée) ? Renouvelons-nous le wudhû à cause de l’eau chaude ?
- Mon neveu, déclara Abû Hurayra, lorsque tu entends une parole rapportée du Prophète, ne cite pas d’exemples sur le sujet" (rapporté par at-Tirmidhî).

Cette discussion est très intéressante, puisqu’elle met en évidence le fait que si chacun ne peut qu'être attaché de l'interprétation dont il est convaincu de la pertinence, on peut débattre franchement et en se disant les choses, mais avec bonnes manières. Voici deux Compagnons du Prophète qui ont deux opinions juridiques différentes parce qu’ils ont deux interprétations différentes des hadîths, mais qui tous deux argumentent calmement.

Ce qui précède ne veut pas dire que lorsque deux opinions existent à propos d'un même point juridique, toutes les deux soient justes. Les argumentations doivent continuer, dans un but d'enrichissement mutuel. Mais le respect de l'autre doit prévaloir lors des débats. Et c'est ce qui fait malheureusement défaut aujourd'hui. A nous de nous inspirer du noble comportement de nos pieux prédécesseurs.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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