Le musulman peut-il porter des pantalons qui dépassent ses chevilles ?

Question :

Est-il permis, pour nous musulmans, de porter des pantalons qui dépassent les chevilles ? Un frère m'a dit que cela était interdit.

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Réponse :

La question que vous posez est classique : il s'agit de savoir non pas si un vêtement peut toucher les chevilles (puisque c'est le cas des chaussettes, dont le port est bien entendu tout ce qu'il y a de permis), mais si un vêtement qui est porté sur la partie du corps qui se trouve au-dessus des chevilles – comme les pantalons, les grandes tuniques, etc. – peut être long au point de dépasser les chevilles.

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A) Si le pantalon dépasse momentanément les chevilles à cause du fait que le musulman qui le porte s'est levé précipitamment :

Alors cela n'est nullement l'objet d'une interdiction ni d'un caractère déconseillé.
Le Prophète (sur lui soit la paix) lui-même s'était une fois levé précipitamment de la sorte et fit quelque pas alors que son vêtement (izâr, pagne) traînait sur le sol de sa maison : "عن أبي بكرة رضي الله عنه قال: خسفت الشمس ونحن عند النبي صلى الله عليه وسلم، فقام يجر ثوبه مستعجلا، حتى أتى المسجد، وثاب الناس، فصلى ركعتين فجلي عنها، ثم أقبل علينا، وقال: "إن الشمس والقمر آيتان من آيات الله، فإذا رأيتم منها شيئا فصلوا، وادعوا الله حتى يكشفها"
(rapporté par al-Bukhârî, 5448). (Voici la version n° 993 : "عن أبي بكرة، قال: كنا عند رسول الله صلى الله عليه وسلم فانكسفت الشمس، فقام النبي صلى الله عليه وسلم يجر رداءه حتى دخل المسجد، فدخلنا، فصلى بنا ركعتين حتى انجلت الشمس، فقال صلى الله عليه وسلم: "إن الشمس والقمر لا ينكسفان لموت أحد، فإذا رأيتموهما، فصلوا، وادعوا حتى يكشف ما بكم").
Al-Bukhârî a titré sur ce hadîth : "باب من جر إزاره من غير خيلاء" (Al-Jâmi' us-sahîh, Kitâb ul-libâs).

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B) Si le pantalon dépasse les chevilles à cause de l'impossibilité de faire autrement :

Alors cela n'est nullement l'objet d'une interdiction ni d'un caractère déconseillé.
Ainsi, alors que le Prophète avait dit une fois : "Celui qui, par fierté, laisse traîner son vêtement [en le portant], Dieu ne le regardera pas le jour du jugement", Abû Bakr lui fit part de son problème à ce sujet : lorsqu'il marchait, son vêtement (izâr) se relâchait légèrement et dépassait alors ses chevilles. Le Prophète (sur lui soit la paix) lui dit en substance que dans son cas cela ne faisait rien : "عن سالم بن عبد الله، عن أبيه رضي الله عنه عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "من جر ثوبه خيلاء لم ينظر الله إليه يوم القيامة." قال أبو بكر: "يا رسول الله، إن أحد شقي إزاري يسترخي، إلا أن أتعاهد ذلك منه؟" فقال النبي صلى الله عليه وسلم: "لست ممن يصنعه خيلاء" (rapporté par al-Bukhârî, n° 5447).
En fait, cela est dû au fait que Abû Bakr était mince et légèrement voûté (voir Fat'h ul-bârî, tome 10 p. 314).

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C) La question se pose uniquement pour les cas autres que les deux suscités : Est-il alors autorisé (jâ'ïz) à un musulman de porter volontairement des pantalons qui dépassent les chevilles ?

Si cette question se pose, c'est parce qu'il existe sur le sujet deux types de Hadîths...

– Il y a d'une part des Hadîths du Prophète qui ne mentionnent aucune condition (qayd) à l'interdiction de laisser ses pantalons dépasser ses chevilles. Ces Hadîths disent ainsi :
--- "Ce qui du pagne dépasse les chevilles sera dans le feu" : "عن أبي هريرة رضي الله عنه، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "ما أسفل من الكعبين من الإزار ففي النار" (rapporté par al-Bukhârî, n° 5787).
--- "La façon qu'a le musulman de porter son pagne est jusqu'à mi-mollets. Il n'y a pas de mal (à ce que le pagne) aie une longueur comprise entre mi-mollets et chevilles. Ce qui dépasse les chevilles sera dans le feu : celui qui laisse traîner son pagne par orgueil, Dieu ne le regardera pas" : "عن العلاء بن عبد الرحمن، عن أبيه، قال: سألت أبا سعيد الخدري عن الإزار، فقال: على الخبير سقطت، قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إزرة المسلم إلى نصف الساق. ولا حرج - أو لا جناح - فيما بينه وبين الكعبين. ما كان أسفل من الكعبين فهو في النار، من جر إزاره بطرا لم ينظر الله إليه" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 4093, authentifié par al-Arna'ût).
--- à Abû Jurayy Jâbir ibn Sulaym, le Prophète avait dit : "Relève ton pagne jusqu'à mi-mollets. Sinon jusqu'aux chevilles. Et préserve-toi de laisser traîner, car laisser traîner relève de l'orgueil, or Dieu n'aime pas l'orgueil" : "وارفع إزارك إلى نصف الساق، فإن أبيت فإلى الكعبين، وإياك وإسبال الإزار، فإنها من المخيلة، وإن الله لا يحب المخيلة" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 4084).

– Et il y a d'autre part des Hadîths qui mentionnent, comme condition (qayd) à l'interdiction de laisser ses pantalons dépasser ses chevilles, que celui qui les porte ainsi le fasse par fierté. Ainsi : "Celui qui, par fierté, laisse traîner son vêtement [en le portant], Dieu ne le regardera pas le jour du jugement" : "عن سالم بن عبد الله، عن أبيه رضي الله عنه عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "من جر ثوبه خيلاء لم ينظر الله إليه يوم القيامة." قال أبو بكر: "يا رسول الله، إن أحد شقي إزاري يسترخي، إلا أن أتعاهد ذلك منه؟" فقال النبي صلى الله عليه وسلم: "لست ممن يصنعه خيلاء" (rapporté par al-Bukhârî, n° 5447). D'autres Hadîths de ce genre ont été rapportés par Muslim, at-Tirmidhî, Abû Dâoûd, an-Nassâ'ï, etc.
Voici la définition de khuyalâ' par al-Asfahânî : "الخيلاء: التكبّر عن تخيل فضيلة تراءت للإنسان من نفسه" (Al-Muf'radât).

D'une part, donc, des Hadîths qui mentionnent l'interdiction sans la lier à aucune condition (ces Hadîths sont donc dits "mutlaq").
Et d'autre part des Hadîths qui mentionnent la même interdiction en la liant avec un élément, celui de le faire par fierté (ces Hadîths sont donc dits "muqayyad").
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Nous sommes ici en présence d'un cas classique en principes du droit musulman :
"Le "mutlaq" sera-t-il reporté sur le "muqayyad" ?, ou bien est-ce que le "mutlaq" demeurera-t-il selon sa "itlâq" ?"

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En ce qui concerne la question présente du fait de laisser ses pantalons dépasser les chevilles, les deux réponses existent chez les ulémas...

--- Des ulémas hanbalites, beaucoup de ulémas hanafites, de même que Ibn ul-'Arabî et Ibn Hajar, sont d'avis que le simple fait de laisser ses vêtements dépasser les chevilles est interdit, même si celui qui fait ainsi affirme ne pas le faire par fierté. C'est le fait même de porter pareils vêtements qui est une présomption (mazinna) de fierté (Fat'h ul-bârî, tome 10 p. 325, p. 320).

--- Ash-Shâfi'î, an-Nawawî et certains ulémas hanafites sont pour leur part d'avis que la condition mentionnée dans certains Hadîths est prise en considération : il s'agit en fait d'une 'illat ul-hukm.
An-Nawawî écrit :
"فالمستحب نصف الساقين. والجائز بلا كراهة ما تحته إلى الكعبين. فما نزل عن الكعبين فهو ممنوع؛ فإن كان للخيلاء فهو ممنوع منع تحريم، والا فمنع تنزيه. وأما الأحاديث المطلقة بأن ماتحت الكعبين في النار فالمراد بها ما كان للخيلاء، لأنه مطلق فوجب حمله على المقيد. والله أعلم"
"Le recommandé est que (le vêtement inférieur) soit à mi-mollets.
Entre mi-mollets et les chevilles, cela est tout à fait permis.
Quant à ce qui dépasse les chevilles, cela est défendu : si cela est porté ainsi par fierté, cela est interdit ; sinon cela est légèrement déconseillé ("mak'rûh tanzîh").
Quant aux Hadîths "mutlaq" disant que ce qui est en dessous des chevilles sera dans le feu, ils signifient ce qui est porté ainsi par fierté. Etant "mutlaq", ils doivent être reportés sur ce qui est "muqayyad". Dieu sait mieux"
(Shar'h Muslim, 14/62-63).
Cependant, le vêtement qui traîne par terre doit être systématiquement évité car cela est totalement inutile en ce qui concerne les hommes et il s'agit donc de gaspillage (Fat'h ul-bârî, 10/325. Voir aussi p. 323 l'avis qu'Ibn Hajar rapporte de son professeur).
Cet avis tient compte du fait que, chez les Arabes, certains aimaient – et aiment toujours – porter des vêtements qui traînent derrière eux.

Et voici ce qu'on lit dans Al-Fatâwâ al-hindiyya (Fatâwâ Âlamguîriyya) : "إسبال الرجل إزاره أسفل من الكعبين إن لم يكن للخيلاء ففيه كراهة تنزيه، كذا في الغرائب".

Lire aussi ce qui est écrit dans cette réponse : "إسبال الإزار... بين الإباحة والكراهة والتحريم". Par contre je ne suis pas certain que cela descende jusqu'au degré "mubâh", et crois que cela reste au moins "mak'rûh tanzîhî".

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Il faut également souligner que le Prophète n'a pas interdit de porter de trop grands vêtements seulement en ce qui concerne les membres inférieurs. Il a dit : "Le fait d'être trop long concerne le pagne, la tunique et le turban : celui qui traîne quelque chose de cela par fierté, Dieu ne le regardera pas le jour du jugement" : "عن سالم بن عبد الله، عن أبيه، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "الإسبال في الإزار والقميص والعمامة؛ من جر منها شيئا خيلاء، لم ينظر الله إليه يوم القيامة" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 4094, authentifié par al-Arna'ût).
Ibn Hajar pense qu'il est certes ici question de ne pas laisser traîner ces vêtements jusque par terre, mais aussi de "ne pas porter un vêtement dont la longueur ou la largeur serait volontairement inhabituelle" (Fat'h ul-bârî, 10/323).
Al-Qadhî 'Iyâdh a d'ailleurs le même avis : "Il est déconseillé ("mak'rûh") de porter tout vêtement qui dépasse les besoins et les normes habituelles – en longueur et en largeur – en matière vestimentaire" (Shar'h Muslim, 14/63).

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Ici, je voudrais également rappeler que le Prophète avait recommandé de porter des vêtements qui, pour être simples, soient de qualité en adéquation avec ses possibilités. Un de ses Compagnons, Mâlik ibn Madhla, raconte ainsi : "J'étais assis en compagnie du Prophète. J'avais sur moi de vils vêtements ("ratth"). Le Prophète me dit : "As-tu des biens ? - Oui, Messager de Dieu. Je possède des biens de toutes sortes. - Eh bien, quand Dieu t'a donné des biens, l'effet doit transparaître sur toi" (rapporté par an-Nassaï, n° 5223). Le Prophète voulait dire que les vêtements que chacun porte doivent être convenables et présentables, et chacun peut y veiller dans la mesure de ses moyens. "Dieu est beau et aime la beauté" avait également répondu le Prophète à quelqu'un venu lui demander s'il faisait un acte de mal parce qu'il aimait avoir de beaux vêtements et de belles chaussures (rapporté par Muslim).

Cependant, le Prophète a, parallèlement, fixé des limites qui dessinent l'éthique musulmane en la matière. Parmi ces limites il y a le fait que le Prophète a voulu qu'il n'y ait pas, à ce sujet, de compétition des uns par rapport aux autres. Il a ainsi blâmé "celui qui est fier que les lacets de ses sandales soient plus beaux que ceux de son ami" (rapporté par at-Tabarî, cité dans Fat'h ul-bârî, tome 10 p. 320). Si en soi aimer le port de beaux vêtements est permis, être fier de la beauté de ses vêtements par rapport à ceux de son frère est donc interdit.
Deuxièmement : le Prophète a blâmé le fait de porter des vêtements pour se faire une renommée. Il a dit : "Celui qui dans ce monde porte des vêtements pour être connu ("shuh'ra"), Dieu lui fera porter des vêtements d'humiliation le jour du jugement…" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 3399).
Troisièmement : le Prophète a blâmé le fait – qui en réalité est à la base des deux points précédents – de faire du port de beaux vêtements un objectif de sa vie : en quelque sorte de devenir l'esclave du beau vêtement. Il a dit : "Malheur à l'esclave de la pièce d'or, à l'esclave de la pièce d'argent et à l'esclave du manteau..." (rapporté par al-Bukhârî). Etre serviteur de quelque chose, c'est lui donner son cœur. C'est lui donner dans son cœur la place qui revient à Dieu.

L'islam accorde donc une grande importance à ce que le musulman et la musulmane portent des vêtements propres et de qualité conséquente. Il accorde cependant une importante aussi sinon plus grande, à ce que le musulmane et la musulmane ne fassent pas de la beauté de leurs vêtements un objectif de leur existence et de leur chemin sur terre, et qu'ils ne fassent pas non plus de leurs vêtements un moyen de devenir fiers par rapport à leurs frères et leurs sœurs.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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