Les degrés de certitude relatifs à un propos donné : il y a la certitude (اليقين), la présomption (الظنّ), le doute (الشكّ)... et d'autres degrés intermédiaires

- Il y a la certitude (dans l'esprit de l'homme) du propos : "X est assurément Y".
- Il y la présomption (dans l'esprit de l'homme) du propos : "X est probablement Y".
- Il y a le doute : que "X est Y" ou que "X n'est pas Y", cela est à 50%/50% d'égales probabilités.
- Il y a la présomption de la négation du propos : "X n'est probablement pas Y".
- A l'autre extrême il y a la certitude de la négation du propos : "X n'est certainement pas Y".

Tout un chacun connaît ces 5 grands degrés.

Mais il en existe encore d'autres, qui sont intermédiaires... En tout nous pouvons avoir jusqu'à 9 degrés !

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Il y a 11 degrés quant à ce en quoi l'homme croit en son Esprit :

Il existe 1 degré de certitude de la véracité d'un propos donné ;
Il existe
4 degrés de présomption quant à ce propos ou cet événement ;
Il existe
1 degré de doute quant à la véracité de ce propos ;
Il existe
4 degrés de faible probabilité de la véracité de ce propos ;
Il existe
1 degré de certitude de la fausseté de ce propos.

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Détail :

5) la certitude (dans l'esprit de l'homme) (yaqîn) (العلم) (اليقين) que X est y (c'est alors qu'on affirme le propos de façon tranchée (الجزم مع القطع بـ)) (l'adhésion au propos est de l'ordre de 100%, et la probabilité de sa négation est de 0%) ;

4) l'extrêmement forte présomption (dans l'esprit de l'homme) (zann aghlab) (الظن الأغلب) que X est y (c'est alors aussi qu'on affirme le propos (الجزم) (l'adhésion au propos est de 90% environ, et la probabilité de sa négation est de 5% environ) ;

3) la forte présomption (dans l'esprit de l'homme) (zann ghâlib) (الظن الغالب) que X est y (c'est alors qu'on donne préférence au propos (الترجيح)) (le propos est de 75% environ, et la probabilité de sa négation est de 25 % environ) ;

2) la présomption (dans l'esprit de l'homme) (zann) (الظن المُجرَّد) que X est y (c'est alors qu'on penche vers le propos (الميلان إلى)) (l'adhésion au propos est de 60% environ, et la probabilité de sa négation est de 40% environ) ;

1) l'hésitation (dans l'esprit de l'homme) (taraddud) (التردّد) quant au fait que X soit y (c'est ce par rapport à quoi, dans son esprit, les deux possibilités se valent presque : 55% / 45% ;

0) le doute (dans l'esprit de l'homme) (shakk) (الشك) que X soit y (c'est ce par rapport à quoi, dans son esprit, les deux possibilités se valent complètement : 50% / 50% ; et c'est alors qu'on dit ne pas pouvoir se prononcer (التوقف). Al-Asfahânî écrit : "الشك اعتدال النقيضين عند الإنسان وتساويهما، وذلك قد يكون لوجود أمارتين متساويتين عند النقيضين، أو لعدم الأمارة فيهما" (Al-Mufradât). Ibn Hajar relate : "الشك المصطلح وهو التوقف بين الأمرين من غير مزية لأحدهما على الآخر" (FB 6/500).

-1) l'hésitation (dans l'esprit de l'homme) (taraddud) (التردّد) quant au fait que X soit, ou ne soit pas, y (c'est ce par rapport à quoi, dans son esprit, les deux possibilités se valent presque : 45% / 55% ;

-2) la faible probabilité (dans l'esprit de l'homme) que X soit y ;

-3) la très faible probabilité (dans l'esprit de l'homme) que X soit y ;

-4) l'extrêmement faible probabilité (dans l'esprit de l'homme) que X soit y ;

-5) la certitude de la négation (يقين العدم) que X soit y (le rejet du propos est de l'ordre de 100%, et la probabilité qu'il soit vérifié est de 0%).

Les quatre degrés -1, -2 , -3 et -4 sont appelés : "وَهْم".

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Voici ce que Ibn Nujaym a écrit :
"الفائدة الثانية:
الشك (0): تساوي الطرفين.
والظن
(1): الطرف الراجح وهو ترجيح جهة الصواب
والوهم
(-1، -2، -3): رجحان جهة الخطأ
وأما أكبر الرأي وغالب الظن
(2) فهو: الطرف الراجح إذا أخذ به القلب" (Al-Ashbâh wa-n-nazâ'ïr, p. 63).

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Et il y a, dans le Réel, des preuves / indices forts ou faibles (ce sont ces indices qui entraînent ces degrés de certitude / de présomption) :

Il existe :
5) une preuve irréfutable (bayyina) de la chose. Ceci entraîne la certitude (yaqîn) de l'existence de cette chose ;
4) des indices extrêmement forts (qarâ'ïn qawiyya jiddan) de la chose. Ceci entraîne l'extrêmement forte présomption (zann aghlab) de cette chose ;
3) des indices forts (qarâ'ïn qawiyya) de la chose. Ceci entraîne la forte présomption (zann ghâlib) de cette chose ;
2) des indices moins forts (qarîna) de la chose. Ceci entraîne la simple présomption (zann) de cette chose ;
1) un indice moyen. Ceci entraîne l'hésitation (taraddud) quant à cette chose.

-5) la preuve de l'absence (bayyinat ul-'adam) de la chose. Ceci entraîne la certitude de l'absence (yaqîn ul-'adam) de cette chose.

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Par ailleurs, cela entraîne, quant aux avis que l'on a, que :

Face à des argumentations divergentes, il y a : - les cas où on peut (et on doit) être certain de la rectitude de tel avis (الجزم مع القطع بـ) ; - les cas où il s'agit d'affirmer de façon ferme que c'est tel avis qui est correct (الجزم) ; - les cas où il s'agit de donner préférence à tel avis (الترجيح) ; - les cas où il s'agit de pencher vers tel avis (الميلان) ; - les cas où il s'agit de ne pas se prononcer (التوقف).

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I) La question du degré de certitude (que telle chose est ainsi, ou que telle chose va entraîner telle autre chose), cette question entre en jeu dans de nombreuses questions du Fiqh, pour voir si la règle s'applique à ce réel (الواقع), ou pas :

Ainsi, manger quelque chose donné en aumône est interdit au Prophète (sur lui soit la paix) et à tous les gens de sa famille proche. Mais tel aliment, est-il établi qu'il est réellement une aumône, ou pas ?
Le Prophète (sur lui soit la paix) s'est abstenu, un jour, de manger une datte trouvée chez lui, car, bien qu'il n'en était pas certain, il craignait que - c'est-à-dire : il pensait qu'il y avait la probabilité que - elle provienne d'un tas de dattes donné en aumône : "عن أبي هريرة رضي الله عنه، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إني لأنقلب إلى أهلي، فأجد التمرة ساقطة على فراشي، فأرفعها لآكلها؛ ثم أخشى أن تكون صدقة، فألقيها" (al-Bukhârî, 2300 ; voir aussi 1950).

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Ibn Nujaym écrit que, en Fiqh, le degré "probable" (= le degré 2) est ramené au degré "douteux" (= le degré 0). Et que le le degré "très probable" (= le degré 3) est ramené au degré "certain" (= le degré 5) :

"وأما أكبر الرأي وغالب الظن (3) فهو: الطرف الراجح إذا أخذ به القلب، وهو المعتبر عند الفقهاء كما ذكره اللامشي في أصوله.
وحاصله: أن الظن (2) عند الفقهاء: من قبيل الشك (0)؛ لأنهم يريدون به التردد بين وجود الشيء وعدمه سواء استويا، أو ترجح أحدهما، ولذا قالوا في كتاب الإقرار: لو قال: له علي ألف درهم في ظني لا يلزمه شيء؛ لأنه للشك (انتهى).
وغالب الظن (3) عندهم: ملحق باليقين (5)، وهو الذي يبتنى عليه الأحكام؛ يعرف ذلك من تصفح كلامهم في الأبواب، صرحوا في نواقض الوضوء بأن الغالب كالمتحقق، وصرحوا في الطلاق بأنه إذا ظن الوقوع لم يقع، وإذا غلب على ظنه وقع"
(Al-Ashbâh wa-n-nazâ'ïr, p. 63).

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Le degré de la probabilité que la chose est ainsi, cela entre en jeu dans par exemple les questions suivantes :

– la question de considérer ou pas quelque chose comme étant : "une chose douteuse quant à sa licité ou son illicité" (et ce par rapport au cas B.1 évoqué dans cet article-là) ;
– la question de la licité de vendre à quelqu'un ce dont il pourrait faire une utilisation illicite : cela dépend du degré de probabilité que c'est pour l'utiliser de la façon illicite que l'acheteur achète ce bien ;
– la question de la licité ou l'illicité de penser en mal au sujet d'une personne donnée ;
– la question de savoir s'il est obligatoire / autorisé mais déconseillé / complètement interdit : d'avoir recours au procédé du li'ân (Al-Mughnî 10/628-629) : cela dépend de la question de savoir s'il y a une affiliation en jeu, ou pas, et ensuite du degré des indices d'infidélité ;
– la question de l'autorisation de regarder ce qui n'est pas 'awra : cela est conditionné à l'absence de risque conséquent de délectation visuelle...

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Le degré de la probabilité que telle action entraîne telle chose, cela entre en jeu dans par exemple les questions suivantes :

– la question de l'application du caractère de "sas" (dharî'a) à un acte qui peut conduire à un autre acte (سَدُّ الذريعة و فَتْحُ الذريعة) : cela dépend du degré de probabilité d'entraînement du second acte par le premier ;
– la question de l'autorisation ou non d'absorber un médicament en soi illicite mais susceptible de causer la guérison (et ce si on retient l'avis de Abû Yûssuf) : cela car entre (également) en jeu : le degré de probabilité que ce remède a d'entraîner (bi idhnillâh) la guérison...

Parfois c'est son expérience personnelle, ou sa profonde compréhension des choses, qui fait que la personne sait "très probable" (= le degré 3) que telle action va engendrer telle autre chose :

Ainsi :
– Le Prophète (sur lui soit la paix) n'a pas voulu entreprendre ce qui était souhaitable parce que cela aurait entraîné un tort plus grand : la démolition de la Kaaba pour la reconstruire de façon entièrement (et non plus partiellement) fidèle à la construction faite par le prophète Abraham (sur lui soit la paix).
Le Prophète a refusé qu'on fasse quoi que ce soit à Abdullâh ibn Ubayy ayant dit ce qu'il dit, car cela aurait entraîné des troubles conséquents à Médine : Il est possible que Abdullâh ibn Ubayy ait tenu ce propos en l'an 9 de l'hégire. Or le Prophète avait déjà constaté, lors de la calomnie contre Aïcha, en l'an 5, comment Sa'd ibn 'Ubâda avait réagi par rapport à Abdullâh ibn Ubayy et comment ensuite il avait dû calmer les esprits dans sa mosquée. Ce serait donc par expérience qu'il a refusé qu'on fasse quoi que ce soit à Abdullah ibn Ubayy lors de cette nouvelle sortie de sa part.
– Le Prophète a refusé qu'on fasse quoi que ce soit à Dhu-l-Khuwayssira ayant dit devant lui ce qu'il dit, et ce parce qu'il pressentait que les gens diraient qu'il faisait exécuter ceux qui étaient avec lui sans cause apparente.

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II) Par ailleurs, il faut avoir un minimum de garanties pour pouvoir attribuer au Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) une parole, ou une action, ou une approbation. Et les 5 degrés suscités sont alors présents :

(Ce qui suit s'inspire, dans ses grandes lignes, de la classification de Ibn Hajar.)

5) la certitude (العلم) (اليقين) que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit, fait ou approuvé ce qui lui est ainsi attribué [100%] ; cela quand le hadîth est rapporté au tawâtur ;
5') la quasi-certitude (قرب العلم) (قرب اليقين) que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit, fait ou approuvé ce qui lui est ainsi attribué [99%] ; cela quand le hadîth est khabaru wâhid mais bénéficie de tous les indices d'approbation [Ibn Hajar a cité 3 pareils indices] ;

4) l'extrêmement forte présomption (الظن الأغلب) (العلم النظري) qu'il a dit, fait ou approuvé ce qui lui est ainsi attribué [95/90%] ; cela quand le hadîth est khabaru wâhid et bénéficie d'un seul indice d'approbation [par exemple : selon Ibn Hajar : le fait que le hadîth est rapporté à la fois par al-Bukhârî et Muslim dans leur Sahîh respectif. Cependant, an-Nawawî et Ibn ul-Humâm ne sont pas du même avis : le seul fait qu'un hadîth soit rapporté par ces deux Cheikhs ne lui confère, selon eux, pas systématiquement ce très haut degré de présomption] ;

3) la forte présomption (الظن الغالب) qu'il a dit, fait ou approuvé ce qui lui est ainsi attribué [85/70%] ; cela quand le hadîth est khabaru wâhid, ne bénéficie d'aucun des indices d'approbation mais est reconnu authentique par l'ensemble des spécialistes du hadîth ;

2) la simple présomption (الظن المُجرَّد) qu'il a dit, fait ou approuvé ce qui lui est ainsi attribué [65/60%] ; cela quand le hadîth est khabaru wâhid et que son authenticité fait l'objet d'une divergence sérieuse entre les spécialistes des hadîths : certains le disent "hassan", d'autres : "dha'îf" ;

1) la très légère présomption (الظن الضعيف) qu'il a dit, fait ou approuvé ce qui lui est ainsi attribué [55%] : cela quand le hadîth est rapporté par une chaîne de transmission qui est faible (sans être très faible), et que son contenu ne contredit aucun texte établi ;

0) le doute (الشكَ) que le Prophète ait dit, fait ou approuvé ce qu'on lui attribue [50%].

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Remarque : Contrairement à ce qui a été dit en I, où on parlait de Fiqh, ici, en II, où on parle de la fiabilité des Hadîths, le degré zann n'a pas même valeur que le degré de shakk :

--- là-bas, en I, le degré zann et le degré de shakk avaient la même valeur juridique, comme Ibn Nujaym l'a dit ;

--- ici, en II, on ne peut pas dire les choses de cette façon : ici, il est question de précaution pour ne pas renier une parole ou une action qui est attribuée au Prophète (sur lui soit la paix). Il s'agit de prendre des précautions pour ne pas la renier, en même temps que de prendre des précautions pour ne pas attribuer au Prophète ce qu'il n'a pas dit ni fait. Car la règle première est de ne pas attribuer quelque chose au Prophète tant qu'on ne dispose pas d'un minimum de garanties voulues : "عن ابن عباس عن النبي صلى الله عليه وسلم، قال: "اتقوا الحديث عني إلا ما علمتم، فمن كذب علي متعمدا فليتبوأ مقعده من النار. ومن قال في القرآن برأيه فليتبوأ مقعده من النار" (at-Tirmidhî, 2951).

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III) Par ailleurs encore : il existe plusieurs degrés quant à l'établissement des éléments du Dîn (et ce par rapport à la fiabilité du texte lui-même, "ثبوت", mais aussi à ce que ce texte peut signifier, "دلالة"). D'où plusieurs degrés quant au fait de ne pas y croire :

5) L'élément du Dîn qui est réellement établi au yaqîn :
Le fait pour un musulman de contredire en croyance un tel élément, cela constitue du kufr akbar, ou bien du dhalâl (cela dépend du degré de istifâdha). Parvenir à ce qui est vrai, cela est en soi possible à un niveau "tranché" (qat') (même si dans le concret il arrive que la vérité ne soit pas du tout parvenue à un homme, ou bien qu'il l'ait mal comprise) ;

4) L'élément du Dîn qui est réellement établi au zann aghlab :
Le fait pour un musulman de contredire en croyance un tel élément, cela constitue une khata' ijtihâdî qat'i : croire en quelque chose d'erroné alors que le vrai relève de ce niveau-là, cela est harâm. Et parvenir à ce "vrai", cela est en soi possible à un niveau "tranché" (jazm bi ghayri qat') (même si dans le concret il arrive (et ici plus souvent que pour le point précédent) que la vérité ne soit pas du tout parvenue à un homme, ou bien qu'il l'ait mal comprise) ;

3) L'élément du Dîn qui est réellement établi au zann ghâlib :
Le fait pour un musulman de contredire en croyance un tel élément, cela constitue une khata' ijtihâdî zannî : croire en quelque chose d'erroné alors que le vrai relève de ce niveau-là, cela est harâm dans le principe, mais dans les faits ici il n'est en soi possible de parvenir à ce "vrai" (distinguant celui-ci de ce qui est erroné) qu'à un niveau de "préférence" (tarjîh), et non pas à un niveau "tranché" (qat'). C'est bien pourquoi le jugement rendu par un qâdhî sur le sujet ne peut pas être annulé par un autre qâdhî, bien que celui-ci soit de l'autre avis ;

2) L'élément du Dîn qui est réellement établi au zann mujarrad :
Le fait pour un musulman de contredire en croyance un tel élément, cela constitue quelque chose de zannî : croire en quelque chose d'erroné alors que le vrai relève de ce niveau-là, cela est harâm dans le principe, mais dans les faits ici il n'est en soi possible de parvenir à ce "vrai" (distinguant celui-ci de ce qui est erroné) qu'à un niveau de "penchant" (maylân), et non pas à un niveau "tranché" (qat'). C'est bien pourquoi le jugement rendu par un qâdhî sur le sujet ne peut pas être annulé par un autre qâdhî, bien que celui-ci soit de l'autre avis.

1) L'élément du Dîn qui est réellement établi au zann dha'îf :
Le musulman n'a alors à son sujet que de l'hésitation (taraddud).

0) Par contre un élément du Dîn ne peut pas être en soi établi à un niveau : mustawi-t-tarafayn.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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