Pour un Fiqh, des Fatwas, une Vision et des Rappels (Tadhkîr) qui considèrent les règles détaillées (أحكام تفصيلِيّة) mais aussi les règles générales (أحكام كُلِّيَّة) (II) (2/ 2-3) : Destruction de bâtisses historiques pour mettre fin à la bid'a, mais édification à leur place de bâtiments luxueux et de centres commerciaux rutilants ?

Suite de l'article où nous avons souligné d'autres manquements que nous musulmans avons parfois : lorsque nous pratiquons une action ('amal) donnée, nous nous contentons de mettre en pratique la règle détaillée (tafsîlî) la concernant, sans chercher à mettre aussi en pratique la règle plus générale (kullî) concernant elle aussi cette action, bien qu'étant "d'entrée différente de" la règle détaillée (tafsîlî)...

Nous avions, dans cet article là, donné un Premier exemple de cet aspect des choses, avec le fait de S'interdire formellement, même en actes seulement, de se raser la barbe, par souci d'obéir à l'impératif évoqué par le Prophète (sur lui soit la paix), mais n'avoir aucun état d'âme à être totalement malhonnête dans ses transactions :

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Nous avions, dans la suite de cet article là, donné un Second exemple avec le fait de considérer la conformité des ingrédients alimentaires avec les règles du rituel, mais pas leur conformité avec des règles plus générales, liées à leur dimension sanitaire ou éthique :

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Voici maintenant un Troisième exemple : destruction de bâtisses historiques pour mettre fin à la bid'a, mais édification à leur place de bâtiments luxueux et de centres commerciaux rutilants :

A al-Hudaybiya, c'était dans un lieu situé sous un arbre que le Prophète avait reçu des Compagnons le serment, comme Dieu le rappelle dans le Coran (48/18). Après le décès du Messager, certaines personnes choisirent de se rendre dans ce lieu précis pour y effectuer une prière, par recherche de bénédiction (tabarruk). Or si la recherche de bénédiction se fait par des cheveux du Prophètes, ou par des objets qu'il a utilisés (cliquez ici), elle ne se fait pas par les lieux où le Prophète s'est simplement tenu, assis, ou allongé, ni par les lieux où le Prophète a accompli une prière sans choix du lieu ; le faire constitue une innovation religieuse (bid'a) d'après l'avis pertinent (cliquez ici). "عن نافع قال: بلغ عمر بن الخطاب أن ناسا يأتون الشجرة التي بويع تحتها. قال: فأمر بها فقطعت" Nâfi' relate : "Omar ibn ul-Khattâb a appris que des gens se rendaient auprès de l'arbre sous lequel le serment avait eu lieu. Il donna alors l'ordre que cet (arbre) soit coupé" (rapporté par Ibn Abî Shayba dans son Mussannaf, n° 7627, 2/375 – 5/179 dans l'édition que je possède ; voir aussi Fat'h ul-bârî 7/558 qui cite Ibn Sa'd ayant rapporté ce fait "avec une chaîne de transmission authentique").

Dans le Hedjaz demeurent de nombreux lieux témoins de l'histoire du Prophète et de ses Compagnons, notamment à la Mecque et à Médine.

Le problème c'est que certains musulmans, par ignorance (jahl) ou par compréhension erronée (khata'), font certaines actions en ces lieux pour en acquérir la bénédiction (yatabarrakûna), ce qui est une innovation religieuse (bid'a), comme nous venons de le dire.

Les autorités saoudiennes, avec l'objectif de mettre fin à ce réel problème, font donc détruire de nombreux lieux anciens.

Le problème c'est qu'ici il ne s'agit plus d'un simple arbre que l'on coupe, il s'agit de nombreuses bâtisses, parfois fort anciennes, que l'on démolit. Et, une fois ces bâtisses détruites, la société ayant horreur du vide, à leur place sont construits des palais ultramodernes, des hôtels gigantesques et des centres commerciaux aux enseignes rutilantes.

Voyez un simple exemple :

zamzam_tower

(Photographie vue sur Munshaat.)

exterior

(Photographie vue sur Tripadvisor.fr.)

Or si Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) avait mis fin à la bid'a qui avait lieu à al-Hudaybiya, ce n'était sûrement pas pour édifier du luxueux à la place de l'arbre.

Bien au contraire, à des musulmans [apparemment il s'agit de musulmans arabes, cliquez ici et ici pour en savoir plus] installés en Azerbaïdjan, le même Omar ibn ul-Khattâb avait écrit ces recommandations (qui découlent toutes de la règle générale, kullî, de devoir garder sa culture, ses spécificités et sa frugalité arabes) : "اتزروا وارتدوا وانتعلوا، وألقوا الخفاف وألقوا السراويلات، وعليكم بثياب أبيكم إسماعيل، وإياكم والتنعم وزي الأعاجم، وعليكم بالشمس فإنها حمام العرب، وتمعددوا، واخشوشنوا، واخلولقوا، واقطعوا الركب ، وانزوا على الخيل نزوا، وارموا الأغراض" : "Portez le pagne, la houppelande et les sandales ; délaissez les chaussettes en cuir et les pantalons : choisissez les vêtements de votre ancêtre Ismaël. Préservez-vous du luxe et de la tenue vestimentaire des non-arabes. Restez au soleil, c'est le hammam des Arabes. Gardez la culture de Ma'add [ancêtre des Quraysh]. Endurcissez-vous. Soyez prêts. Coupez les étriers [= montez à cheval sans étriers] et sautez à cheval. Entraînez-vous au tir à l'arc en visant des cibles" (rapporté par Abû 'Awâna dans son Musnad, voir Al-Furûssiya, Ibn ul-Qayyim, p. 120).
Certaines de ces recommandations de Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) sont propres à l'époque, ou au pays (arabe), où il vivait.
Mais d'autres sont générales, comme : "Préservez-vous du luxe".

Ce que Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée) a fait par rapport à la bid'a de la tabarruk bi-l-makân, et qui constitue une règle détaillée (tafsîlî), cela devrait être appliqué sans que cela contredise ce qu'il a fait et dit par rapport à la simplicité à garder dans son mode de vie, et qui constitue une règne générale (kullî).

A la rigueur, ce genre de constructions rutilantes auraient été gardées pour la ville de Riyad ou de Dammam, ou encore pour celle de Jeddah, mais pas pour les cités de la Mecque et de Médine ! Dans ces deux saintes villes, ce n'est pas qu'il s'agirait de ne rien construire de nouveau et de moderne, c'est qu'il faudrait savoir mesure garder, et penser une synthèse originale entre choses anciennes et bâtiments modernes, entre un certain cachet d'autrefois et les commodités qui sont devenues nécessaires pour les gens d'aujourd'hui, et ce par maslaha (cliquez ici pour en savoir plus)…

Bien sûr, il faut construire pour loger le nombre grandissant de pèlerins. Mais ce sont d'autres solutions que des immeubles du style de Zamzam Tower qui devraient être trouvées. Les autorités saoudiennes ne pourraient-elles pas garder la Cité comme elle était : simple, avec ses ruelles et ses bâtisses anciennes ; construire d'une tout autre façon autour de la Cité ; et mettre en place un système de navettes permettant d'acheminer les pèlerins jusqu'à al-Masjid ul-harâm ?

Bien sûr, il faut mettre fin aux bid'as qui sont faites ici et là. Mais ce sont d'autres solutions que la destruction systématique de tout ce qui est ancien qui devraient être pensées : poster des mutawwa' aux endroits-clés, les former aux principales langues parlées par les musulmans dans le monde, et les former à la façon d'expliquer aux gens.

Cela fait longtemps que Abu-l-Hassan 'Alî an-Nadwî avait appelé à ne pas transformer la Mecque en une cité n'ayant plus aucune simplicité. Son discours et son écrit sur le sujet sont visibles dans Arkân-é arba'a, son ouvrage traitant de façon détaillée des quatre piliers de l'islam que sont la prière, l'aumône, le jeûne et le pèlerinage.
Evoquant différents aspects du pèlerinage à la Mecque et à certains de ses environs immédiats (Minâ etc.), an-Nadwî rappelle d'abord l'importance, pour ce qui constitue le Centre, de montrer l'image du vrai islam, car c'est ce que les pèlerins du monde entier ramèneront chez eux. Si l'image est faussée, les pèlerins ramèneront cette image chez eux (Arkân-é arba'a, pp. 328-330).
Puis il écrit (si nous n'avons pas reproduit certaines phrases du passages ci-après, c'est pour ne pas allonger le propos ; cependant, ce que nous avons omis ne change pas la substance de ce que nous reproduisons ici, comme chacun peut le vérifier) : "Un aspect plus subtil, et important, est que la Cité Sûre [= la Mecque] (…) doit absolument garder dans une certaine mesure cette simplicité, cette frugalité, ce zuhd, qui rapprocheront un tant soit peu ces pèlerins venus de chaque coin du monde, de cette atmosphère dans laquelle les musulmans des premières générations accomplissaient les rites du pèlerinage. (…) Dès lors, si la Maison de Dieu et la (Mosquée) al-Harâm demeurent comme elles étaient, mais que chaque chose alentour se trouve totalement modifiée, de sorte que la Cité Sûre [= la Mecque] et ses alentours se mettent à ressembler à une partie d'Europe ou d'Amérique (…) ; et que le pèlerin – qui a été décrit dans la Shar' comme étant "ash-sha'ith at-tafil" : "celui qui est ébouriffé et couvert de poussière" – se mette à tirer profit à chaque instant de tout le luxe de la modernité (…) ; alors les pèlerins ressentiront avec raison une sorte de vide spirituel, le sentiment du "manque de quelque chose", et un déclin évident deviendra perceptible dans les vertus et les effets que le pèlerinage apporte (normalement)" (Arkân-é arba'a, pp. 330-331).

Ce qui se passe actuellement sur ce point est vraiment dommage. D'autant plus dommage que cela est irréversible.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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