Rares sont ceux qui n'auraient jamais entendu parler du concept islamique du jihad. C'est cependant une grande erreur que de croire qu'il consiste systématiquement en un combat armé (c'est encore une plus grande erreur que de croire qu'un tel combat déboucherait pour l'ennemi sur le choix entre la conversion et la mort : la contrainte pour convertir quelqu'un à l'islam est systématiquement interdite par les textes de l'islam).
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A) Signification du terme "jihâd" :
– Etymologiquement, le terme "jihâd" provient de la racine "ja-ha-da", qui a le sens d'"effort" :
Cela apparaît clairement dans un autre terme issu de la même racine : "juhd", qui signifie : "effort".
Quant à "jahd", il signifie : "capacité" ("الوُسْع"), "difficulté" ("المشقّة"), "fatigue" ("جهَد، يَجهُد، جَهْدًا في الأمر = تَعِبَ").
On retrouve ces termes dans les 2 hadîths suivants :
--- "فأخذني فغطني حتى بلغ مني الجهد ثم أرسلني" (al-Bukhârî, 3, Muslim, 160). Ibn Hajar écrit : "قوله حتى بلغ مني الجهد: روي بالفتح والنصب أي بلغ الغطُ مني غايةَ وسعي؛ وروي بالضم والرفع أي بلغ مني الجُهدُ مبلغَه" (FB 1/32-33).
--- "عن أبي هريرة عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إذا جلس بين شعبها الأربع ثم جهدها، فقد وجب الغسل" (al-Bukhârî, 287, Muslim, 348). En commentaire, Ibn Hajar écrit : "ثم جهدها بفتح الجيم والهاء يقال جهد وأجهد أي بلغ المشقة. قيل: معناه كدها بحركته أو بلغ جَهدَه في العمل به؛ ولمسلم من طريق شعبة عن قتادة: "ثم اجتهد". ورواه أبو داود من طريق شعبة وهشام معا عن قتادة بلفظ: "وألزق الختان بالختان" بدل قوله "ثم جهدها"؛ وهذا يدل على أن الجهد هنا كناية عن معالجة الايلاج" (FB 1/512). An-Nawawî écrit quant à lui : "ومعنى جهدها: حفرها كذا قاله الخطابي. وقال غيره: بلغ مشقتها؛ يقال "جهدتُه وأجهدتُه": بلغتُ مشقته. قال القاضي عياض رحمه الله تعالى: الأولى أن يكون "جهدها" بمعنى "بلغ جَهدَه في العمل فيها"، والجَهد الطاقة؛ وهو إشارة إلى الحركة وتمكن صورة العمل. وهو نحو قول من قال: "حفرها أي كدها بحركته"؛ والا، فأي مشقة بلغ بها في ذلك؟ والله أعلم" (Shar'h Muslim).
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– Dans le Coran et la Sunna, quand le terme est utilisé sous sa forme verbale III de "jihâd" :
On dit ainsi :
- "جاهَدَ فلانٌ"
- "أحدًا"
- "على / لـ شيء"
- "في شيء"
- "بوسيلة كيت".
----- On trouve un verset qui emploie le terme au sujet de l'effort que des parents polythéistes ont fait face à la conversion à l'islam de leur fils, afin que ce dernier se mette à l'adoration d'idoles : "وَإِن جَاهَدَاكَ عَلى أَن تُشْرِكَ بِي مَا لَيْسَ لَكَ بِهِ عِلْمٌ فَلَا تُطِعْهُمَا وَصَاحِبْهُمَا فِي الدُّنْيَا مَعْرُوفًا وَاتَّبِعْ سَبِيلَ مَنْ أَنَابَ إِلَيَّ ث" : "Et s'ils font des efforts sur toi pour que tu M'associes ce dont tu n'as pas de preuve, ne leur obéis pas, et comporte-toi convenablement avec eux en ce monde. Et suis le chemin de qui se tourne vers Moi" (Coran 31/15). "وَوَصَّيْنَا الْإِنسَانَ بِوَالِدَيْهِ حُسْنًا وَإِن جَاهَدَاكَ لِتُشْرِكَ بِي مَا لَيْسَ لَكَ بِهِ عِلْمٌ فَلَا تُطِعْهُمَا" (Coran 29/8).
Or il est relaté comme cas relevant de ce qui est concerné par ce verset que la mère de Sa'd ibn Abî Waqqâs avait fait serment de ne plus prendre de nourriture ni de boisson et de ne plus parler à Sa'd jusqu'à ce qu'il apostasie de l'islam ; elle ajouta : "Tu prétends que Dieu t'a enjoint de bien agir envers tes parents. Eh bien je suis ta mère, et je t'ordonne cela" : "عن سعد أنه نزلت فيه آيات من القرآن. قال: حلفت أم سعد أن لا تكلمه أبدا حتى يكفر بدينه ولا تأكل ولا تشرب. قالت: "زعمت أن الله وصاك بوالديك؛ وأنا أمك، وأنا آمرك بهذا." قال: مكثت ثلاثا حتى غشي عليها من الجهد. فقام ابن لها يقال له عمارة، فسقاها. فجعلت تدعو على سعد. فأنزل الله عز وجل في القرآن هذه الآية: {ووصينا الإنسان بوالديه حسنا وإن جاهداك على أن تشرك بي} وفيها {وصاحبهما في الدنيا معروفا" (Muslim, 1648).
On le voit, le terme signifie seulement : "faire un effort face à quelque chose, en vue d'obtenir tel résultat", et non pas : "contraindre, forcer quelqu'un à...".
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On fait des efforts sur quelque chose parce que cette chose se trouve dans la position opposée, et présente, par rapport à ce qu'on veut qu'elle le devienne : soit une inertie, soit une franche opposition.
C'est pour cela qu'on exerce un effort. Cependant, cet effort n'implique pas d'"amener cette chose au résultat voulu à contrecoeur, alors qu'elle le déteste, et ne l'aurait jamais fait ou ne le serait jamais devenu sans la contrainte qu'elle a subie").
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----- En fait, dans l'usage islamique, tant sur le plan intérieur et personnel que sur un plan extérieur, le jihad est un effort de l'homme face à quelque chose, en vue de telle autre chose.
La vie sur Terre est ainsi faite que les tiraillements se produisent d'une part dans le for intérieur de l'homme entre le penchant vers le mal et le devoir de rester dans ce qui est licite, entre la paresse et le devoir d'accomplir ce qui est un bien nécessaire ; et d'autre part dans la société des hommes entre les courants travaillant à, ou ayant déjà réussi à, établir l'injustice (ce qui inclue ce qui est mal) et d'autres ayant déjà réussi à, ou travaillant à, établir l'équité, la foi et le bien.
Le jihad est alors l'effort demandé à chaque croyant (mu'min) : lutte en son for intérieur contre les mauvais penchants de son être et contre les mauvais aspects de sa personne ; lutte dans le monde extérieur contre l'oppression, l'injustice, le mal.
Ibn Taymiyya définit le jihad comme suit : "fournir l'effort en vue de la réalisation de ce que Dieu agrée et aime, et du repoussement de ce qu'Il n'agrée pas et déteste" : "الجهاد حقيقته الاجتهاد في حصول ما يحبه الله من الإيمان والعمل الصالح، ومن* دفع ما يبغضه الله من الكفر والفسوق والعصيان" (MF 10/191) (* cela ne devrait-il pas être plutôt : "وفي" ?) ; "و الجهاد هو بذل الوسع - وهو القدرة - في حصول محبوب الحق** ودفع ما يكرهه الحق" (MF 10/192-193) (** il veut dire : "الله").
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En tant que concept, le jihad constitue donc une catégorie générale (un genre, jins).
Et, en tant que mot, le jihad est un kullî mushakkik.
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B) Un effort que le musulman produit par rapport à ce qui existe en son for intérieur :
Le jihad sur le plan intérieur a été évoqué en ces termes par le Prophète (sur lui soit la paix) : "… Et le mujâhid est celui qui fait le jihâd contre lui-même dans l'obéissance à Dieu [= pour s'efforcer à demeurer dans l'obéissance de Dieu]" : "عن فضالة بن عبيد، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم في حجة الوداع: "ألا أخبركم بالمؤمن؟ من أمنه الناس على أموالهم وأنفسهم، والمسلم من سلم الناس من لسانه ويده، والمجاهد من جاهد نفسه في طاعة الله، والمهاجر من هجر الخطايا والذنوب" (Ahmad, 23958, authentifié par al-Arna'ût : voir ses annotations sur Zâd ul-ma'âd, 3/6). Ibn ul-Qayyim écrit : "فائدة: قال تعالى: {وَالَّذِينَ جَاهَدُوا فِينَا لَنَهْدِيَنَّهُمْ سُبُلَنَا}: علق سبحانه الهداية بالجهاد؛ فأكمل الناس هداية أعظمهم جهادا. وأفرض الجهاد جهاد النفس وجهاد الهوى وجهاد الشيطان وجهاد الدنيا. فمن جاهد هذه الأربعة في الله، هداه الله سبل رضاه الموصلة إلى جنته؛ ومن ترك الجهاد، فاته من الهدى بحسب ما عطل من الجهاد. قال الجنيد: {والذين جاهدوا} أهواءَهم {فينا} بالتوبة {لنهدينهم سبل} الإخلاص؛ ولا يتمكن من جهاد عدوّه في الظاهر إلا من جاهد هذه الأعداء باطنا؛ فمن نُصر عليها نُصر على عدوِّه، ومن نُصرت عليه نُصر عليه عدوُّه" (Al-Fawâ'ïd, fâ'ïda n° 30, p. 109).
Cet effort se fait dans le for intérieur, par la raison et le cœur, face aux penchants à la paresse ou au mal, en vue de faire ce qui relève du devoir et de se préserver de ce qui est mal…
C'est dans ce sens que le pèlerinage a été qualifié de "jihâd" : "عن عائشة، قالت: قلت: يا رسول الله، على النساء جهاد؟ قال: "نعم، عليهن جهاد لا قتال فيه: الحج والعمرة" : "Aïcha questionna le Prophète, sur lui soit la paix : "Y a-t-il un jihad incombant aux femmes ? - Oui, il leur incombe un jihad dans lequel il n'y a pas de combat : le grand pèlerinage et le petit pèlerinage" (Ibn Mâja, 2901 : FB 4/96). (Voir aussi al-Bukhârî, 1448, Muslim.) Ibn Hajar écrit, juste quelque peu avant : "وتسمية الحج جهادا إما من باب التغليب، أو على الحقيقة والمراد جهاد النفس لما فيه من إدخال المشقة على البدن والمال وسيأتي في ثاني أحاديث الباب الذي بعده ما يؤيده" (FB 3/470).
C'est encore dans ce sens que le fait de servir ses parents a été qualifié de "jihâd" : "عن عبد الله بن عمرو رضي الله عنهما قال: جاء رجل إلى النبي صلى الله عليه وسلم، فاستأذنه في الجهاد، فقال: "أحي والداك؟" قال: نعم، قال: "فـفيـهما فجاهد" : "Quelqu'un se rendit auprès du Prophète, sur lui soit la paix, et lui demanda la permission de partir en jihad (par les armes). Le Prophète lui dit : "Tes parents sont-ils vivants ? - Oui. - Eh bien en eux fais le jihad" (al-Bukhârî, 2842, Muslim, 2549) (voir aussi Abû Dâoûd, 2530, at-Tirmidhî, , FB 6/169-170). Ibn Hajar écrit en commentaire de ce hadîth : "قوله فيهما فجاهد أي خصصهما بجهاد النفس في رضاهما. (...) وإنما المراد إيصال القدر المشترك من كلفة الجهاد وهو تعب البدن والمال؛ ويؤخذ منه أن كل شيء يتعب النفس يسمى جهادا" (FB, 6/170).
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C) Un effort que le musulman produit à l'extérieur de lui :
Le jihad sur le plan extérieur n'est pas spécifiquement de nature militaire.
Abu-l Hassan an-Nadwî, qui décrit lui aussi ce jihad comme "faire le maximum d’effort pour ce qui représente l’objet le plus noble sur Terre" (Mâ dhâ khassira-l-'âlamu b-inhitât il-muslimîn, p. 116), précise : "Le jihad peut prendre diverses formes, dont l'une est le combat" (Ibid., p. 116).
Al-Qaradhâwî, après avoir relaté les deux sens que revêt la formule "dans le chemin de Dieu", a lui aussi rappelé que le jihad n'est pas spécifiquement militaire (cf. Fiqh uz-zakât, pp. 702-705).
Ibn ul-Qayyim a consacré un long développement au concept du jihad et à l'étendue de ce qu'il recouvre dans son ouvrage Zâd ul ma'âd (tome 3, pp. 5 à 18).
Jean et André Sellier, historiens, l'ont bien compris, qui traduisent ainsi le jihad : "… littéralement "effort" et non "guerre sainte"…" (Atlas des Peuples d'Orient, La Découverte, 1993, p. 17).
Soulignons seulement ici que, insistant de la même façon sur la différence entre la notion coranique du jihad et celle, biblique, du herem – l'extermination sacrée –, le document publié par le Secrétariat du Vatican sous le titre Orientations pour un dialogue entre chrétiens et musulmans affirme : "Le Jihâd n'est aucunement le kherem biblique, il ne tend pas à l’extermination, mais à étendre à de nouvelles contrées les droits de Dieu et des hommes" (cité par Bucaille dans La Bible, le Coran et la science, p. 118).
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--- C.B) Au sein de la catégorie générale "jihad" (jins ul-jihâd) faite par rapport à l'extérieur :
Au sein de la catégorie générale (jins), on peut distinguer plusieurs types (naw') de jihad, selon 3 classifications différentes...
– Différents types de jihad selon l'objet :
S'il y a certes, le jihad face au kufr akbar (pour aider le Dîn), il y a aussi le jihad face aux déviances ("bida'" ou "munkar"), et il y a encore le jihad face à l'injustice et la tyrannie ("jawr").
– Différents types de jihad selon le moyen :
Il n'existe pas seulement le jihad par les armes (ce qui correspond au combat armé, qitâl (nous allons y revenir)), il existe aussi le jihad des arguments (jihâd ul-hujja) : c'est le jihad par la parole (verbale ou écrite).
– Différents types de jihad selon qu'il s'agit de prendre les devants ou de seulement assurer la défense :
Il y a le jihad de type défensif (difâ'î mahdh) et le jihad de type offensif (iqdâmî mahdh) ; il existe ensuite d'autres sous-types, avec le mi-défensif mi-offensif, etc.
Si certains de ces types appartenant à une catégorie donnée peuvent se marier avec chaque autre type relevant d'une autre catégorie, en revanche d'autres existent qui ne peuvent pas être mariés avec chaque autre type. Ainsi en est-il du jihad face au gouvernant injuste, qui ne peut se faire que par la langue, et pas par les armes.
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--- C.C) Voici quelques références textuelles sur le sujet, avec des commentaires de ulémas :
– Dieu avait révélé au Prophète, lorsque celui-ci n'avait pas encore émigré de La Mecque (et donc alors que le combat n'était pas autorisé) : "وَلَقَدْ صَرَّفْنَاهُ بَيْنَهُمْ لِيَذَّكَّرُوا فَأَبَى أَكْثَرُ النَّاسِ إِلَّا كُفُورًا وَلَوْ شِئْنَا لَبَعَثْنَا فِي كُلِّ قَرْيَةٍ نَذِيرًا فَلَا تُطِعِ الْكَافِرِينَ وَجَاهِدْهُم بِـهِ جِهَادًا كَبِيرًا" : "La plupart des hommes ont alors refusé sinon de mécroire. Et si Nous l'avions voulu, Nous aurions suscité dans chaque cité un avertisseur. Ne suis donc pas les incroyants et fais un grand jihâd face à eux par ceci [le Coran]" (Coran 25/50-52) (c'est Ibn Abbâs qui est d'avis qu'il est ici question du Coran : Tafsîr ul-Qurtubî).
Ceci consistait, écrit Ibn ul-Qayyim, à présenter l'islam et faire le jihâd par les arguments (le jihâd ul-hujja), soit le jihad par la parole (cf. Zâd al-ma'âd, 3/71).
Il s'agissait :
--- soit de répondre aux critiques des Quraysh par des arguments, ce qui constituait un jihad par la langue qui était défensif (difâ'ï) ;
--- soit de continuer à faire la critique intellectuelle de la religion polythéiste des Quraysh, ce qui était un jihad par la langue, de type offensif (iqdâmî) ("كما أخبر الله أنّ يوسف دعا أهل مصر، لكن بغير معاداة لمن لم يؤمن ولا إظهار مناوأة بالذم والعيب والطعن لما هم عليه. كما كان نبيُّنا أول ما أُنزل عليه الوحي، وكانت قريش إذ ذاك تُقرّه ولا يُنْكَرُ عليه. إلى أن أظهر عيبَ آلهتهم ودينهم وعيبَ ما كان عليه آباؤهم وسَفَّهَ أحلامهم؛ فهنالك عادوه وآذوه؛ وكان ذلك جهاداً بـاللسان (قبل أن يؤمر بجهاد اليد)، قال تعالى: {وَلَوْ شِئْنَا لَبَعَثْنَا في كُلِّ قَرْيَةٍ نَذِيراً فَلا تُطِعِ الكَافِرِينَ وَجَاهِدْهُمْ بِهِ جِهَادَاً كَبِيراً}. وكذلك موسى مع فرعون: أمره أن يؤمن بالله وأن يُرسِل معه بني إسرائيل وإن كره ذلك؛ وجاهد فرعون بإلزامه بذلك بالآيات التي كان الله يعاقبهم بها؛ إلى أن أهلكه الله وقومه على يديه" : Kitâb un-nubuwwât, p. 319.) Lors du premier temps il faisait du Amr bi-l-mar'ûf sans Inkâr 'ala-l-munkar.
– De même, le Prophète (sur lui soit la paix) affirma à l'un de ses Compagnons, le poète Ka'b ibn Mâlik, que les vers qu'il composait à l'encontre des Mecquois (lesquels étaient alors en état de belligérance contre Médine) relevaient du jihad qu'il faisait "par sa langue" comme à d'autres occasions il avait dû lutter contre eux "par son épée" : "عن كعب بن مالك أنه قال للنبي صلى الله عليه وسلم: "إن الله تعالى قد أنزل في الشعر ما أنزل"، فقال النبي صلى الله عليه وسلم: "إن المؤمن يجاهد بسيفه ولسانه. والذي نفسي بيده لكأنما ترمونهم به نضح النبل": رواه في شرح السنة
وفي الاستيعاب لابن عبد البر أنه قال: "يا رسول الله ماذا ترى في الشعر؟" فقال: "إن المؤمن يجاهد بسيفه ولسانه" (Mishkât ul-massâbîh, 4795).
– Ibn ul-Qayyim expose ces deux types de jihad (celui par les arguments et celui par les armes) ainsi : "ولا ريب أن الأمر بالجهاد المطلق إنما كان بعد الهجرة. فأما جهاد الحجة فأمر به في مكة بقوله: {فلا تطع الكافرين وجاهدهم به} أي: بالقرآن {جهادا كبيرا}؛ فهذه سورة مكية، والجهاد فيها هو التبليغ وجهاد الحجة. وأما الجهاد المأمور به في سورة الحج فيدخل فيه الجهاد بالسيف" (Zâd ul-ma'âd, 3/70-71).
Ailleurs il les évoque ainsi :
- "الجلاد بالسيف والسنان، والجدال بالحجة والبرهان" (Al-Furûssiyya, p. 156) ;
- "فالفروسية فروسيتان: فروسية العلم والبيان، وفروسية الرمي والطعان" (Ibid., p. 157).
Il écrit encore : "والدين إنما يقوم بهذين الأمرين: العلم، والقدرة" (Ibid., 203).
– Dieu avait révélé également à Son Prophète alors que celui-ci n'avait pas encore émigré de La Mecque (et donc alors que le combat n'était pas autorisé) : "وَالَّذِينَ جَاهَدُوا فِيـنَا لَنَهْدِيَنَّهُمْ سُبُلَنَا وَإِنَّ اللَّهَ لَمَعَ الْمُحْسِنِينَ" : "Et ceux qui font le jihad pour Nous, nous les guiderons jusqu'à nos chemins. Et Dieu est avec ceux qui sont bienfaisants" (Coran 69/29). Al-Qurtubî relate les commentaires suivants, disant que ce verset ne parle pas spécifiquement de jihad par les armes, mais de jihad de façon générale : "قوله تعالى: (والذين جاهدوا فيـنا) أي جاهدوا الكفار فيـنا أي في طلب مرضاتنا. وقال السدي وغيره: إن هذه الآية نزلت قبل فرض القتال. قال ابن عطية: فهي قبل الجهاد العرفي، وإنما هو جهاد عام في دين الله وطلب مرضاته. (...) وقال أبو سليمان الداراني: ليس الجهاد في الآية قتال الكفار فقط بل هو نصر الدين والرد على المبطلين وقمع الظالمين؛ وعظمه الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر؛ ومنه مجاهدة النفوس في طاعة الله - وهو الجهاد الأكبر" (Tafsîr ul-Qurtubî) ; cette dernière phrase de ad-Dârânî se comprend par rapport au hadîth cité plus haut : "والمجاهد من جاهد نفسه في طاعة الله" (Ahmad).
– Agir et se mobiliser contre l'injustice par le moyen de ses actes, de ses propos et de son cœur, relèvent du jihad. Ainsi le Prophète décrivait-il la parole de celui qui parle de façon pacifique mais honnête et franche face aux tyrans et aux dictateurs : "Le meilleur jihad est de dire une parole de vérité auprès d'un gouvernant oppresseur" : "عن أبي سعيد الخدري، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أفضل الجهاد كلمة عدل عند سلطان جائر، أو أمير جائر" (Abû Dâoûd, n° 4344) : "عن طارق بن شهاب، أن رجلا سأل النبي صلى الله عليه وسلم وقد وضع رجله في الغرز، أي الجهاد أفضل؟ قال: "كلمة حق عند سلطان جائر" (an-Nassâ'ï, n° 4209). Il n'est pas autorisé de faire le jihad armé contre le gouvernant oppresseur (cliquez ici et ici). "سيد الشهداء: حمزة بن عبد المطلب، ورجل قام إلى إمام جائر فأمره ونهاه فقتله" (al-Hâkim : Silsilat ul-ahâdîth is-sahîha, n °374).
– Voici encore une parole du Prophète : "عن أبي رافع، عن عبد الله بن مسعود، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "ما من نبي بعثه الله في أمة قبلي إلا كان له من أمته حواريون، وأصحاب يأخذون بسنته ويقتدون بأمره، ثم إنها تخلف من بعدهم خلوف يقولون ما لا يفعلون، ويفعلون ما لا يؤمرون، فمن جاهدهم بـيده فهو مؤمن، ومن جاهدهم بـلسانه فهو مؤمن، ومن جاهدهم بـقلبه فهو مؤمن، وليس وراء ذلك من الإيمان حبة خردل" : "Chaque fois que Dieu a envoyé un prophète dans un peuple, il y a eu dans la communauté de celui-ci des saints et des hommes qui s’en tiennent à sa voie, et pratiquent ce qu’il a ordonné. Puis leur succèdent des successeurs qui se vantent de faire ce qu'ils ne font pas, et font ce qui ne leur a pas été demandé [= ce qui leur a été interdit]. Celui qui, face à eux, fait le jihâd par sa main est croyant. Celui qui, face à eux, fait le jihâd par sa langue est croyant. Et celui qui, face à eux, fait le jihâd par son cœur est croyant" (rapporté par Muslim, 50, Ahmad, 4379). Ce Hadîth fait allusion aux manquements dans l'agir qui ont hélas surgi au sein de la Communauté musulmane. D'après une autre version, ce sont en fait des dirigeants de la Communauté que ce Hadîth évoque ici : "عن أبي رافع قال: أخبرني ابن مسعود أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "إنه لم يكن نبي قط إلا وله من أصحابه حواري وأصحاب يتبعون أثره ويقتدون بهديه، ثم يأتي من بعد ذلك خوالف أمراء يقولون ما لا يفعلون، ويفعلون ما لا يؤمرون" (Ahmad, 4402), "عن عطاء بن يسار، عن ابن مسعود قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "سيكون أمراء بعدي يقولون ما لا يفعلون، ويفعلون ما لا يؤمرون" (Ahmad, 4363). Ahmad ibn Hanbal a commenté cela en disant que la formule "faire le jihad par la main" ne signifiait pas utiliser les armes : "وقد ذكرنا حديث ابن مسعود الذي فيه: "يخلف من بعدهم خلوف، فمن جاهدهم بيده فهو مؤمن" الحديث، وهذا يدل على جهاد الأمراء باليد. وقد استنكر الإمام أحمد هذا الحديث - في رواية أبي داود -، وقال: "هو خلاف الأحاديث التي أمر رسول الله صلى الله عليه وسلم فيها بالصبر على جور الأئمة". وقد يجاب عن ذلك: بأن التغيير باليد لا يستلزم القتال. وقد نصَّ على ذلك الإمام أحمد - في رواية صالح - فقال: "التغيير باليد ليس بالسيف والسلاح." وحينئذٍ فجهاد الأمراء باليد أن يزيل بيده ما فعلوه من المنكرات، مثل: أن يُرِيْقَ خمورهم، أو يكسر الآت الملاهي التي لهم ونحو ذلك، أو يُبطل بيده ما أمروا به من الظلم إن كان له قدرةٌ على ذلك؛ وكل هذا جائزٌ وليس هو من باب قتالهم ولا من الخروج عليهم الذي ورد النهي عنه؛ فإنَّ هذا أكثرُ ما يُخَافُ منه أنْ يَقتلَ الآمرَ وحده. وأما الخروج عليهم بالسيف فيُخشى منه الفتن التي تُؤدي إلى سفك دماءِ المسلمين. نعم، إن خشي في الإقدام على الإنكار على الملوك أن يؤذي أهله أو جيرانه، لم ينبغِ له التعرض لهم حينئذٍ، لما فيه من تعدي الأذى إلى غيره. كذلك قال الفضيل بن عياض وغيره" (Jâmi' ul-'ulûm wa-l-hikam, Ibn Rajab, hadîth 34).
En tous cas ce Hadîth recommande de fournir un effort – un jihad – contre les choses mauvaises dans l'agir des musulmans (ou contre l'agir des dirigeants musulmans), avec l'objectif d'améliorer celui-ci en le rendant plus conforme aux enseignements de l'islam. Le Hadîth fait valoir que celui qui ne peut pas faire cet effort par sa langue doit au moins être conscient que ce qu'il voit est mal : il fait alors un jihad par son cœur.
Ce Hadîth renvoie à la même chose que le Hadîth bien connu : "Celui parmi vous qui voit un mal doit le modifier par sa main ; s'il ne le peut pas, alors par sa langue ; et s'il ne le peut pas, alors par son cœur. Et c'est là le plus faible de la foi" (Muslim 49), que nous avons commenté dans notre article sur le Nah'y 'an il-munkar.
Le concept du jihad n'est donc, on le voit, pas spécifiquement militaire.
Quelles sont les situations où le jihad par les armes est réellement institué (mashrû'), cliquez ici et ici pour les découvrir.
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D) Lequel, du jihad intérieur (B) et du jihad extérieur (C), est essentiel (asl) ?
Le jihad extérieur procède en fait du jihad intérieur.
En effet, c'est parce qu'intérieurement il fait des efforts contre son penchant naturel à la paresse pour pouvoir faire ce que Dieu aime, que le musulman consent à faire des efforts dans le monde, contre les forces de l'injustice et du mal, en faveur du bien et contre l'injustice.
Ibn ul-Qayyim décrit ainsi le jihad contre ses mauvais penchants comme étant le jihad essentiel ("muqaddam", "asl") par rapport aux autres formes de jihad ("far'").
Il écrit ainsi : "ولما كان جهاد أعداء الله في الخارج فرعا على جهاد العبد نفسه في ذات الله (كما قال النبي صلى الله عليه وسلم: "المجاهد من جاهد نفسه في طاعة الله، والمهاجر من هجر ما نهى الله عنه")، كان جهاد النفس مقدمًا على جهاد العدو في الخارج، وأصلًا له" (Zâd al-ma'âd, 3/6).
Ceci entraîne que faire des efforts pour l'établissement du bien dans le monde ne prend tout son sens que si le musulman n'oublie pas de faire aussi des efforts contre ses propres mauvais penchants.
Il ne faudrait pas que lui-même, dans son for intérieur et/ou par rapport à ses actions extérieures mais personnelles et que les hommes ne voient pas, il se laisse aller à tous ses désirs et penchants, et qu'il concentre toute son attention sur la réforme de la société et la lutte contre le mal chez les autres. C'est là le sens – d'après une des interprétations – du hadîth déjà cité plus haut : "… Et le mujahid est celui qui fait le jihad contre lui-même pour obéir à Dieu" (Ahmad, 23958). Le terme "mujâhid" désigne ici celui qui mérite pleinement ce qualificatif (al-kamâl al-wâjib), eu égard au fait qu'il a réalisé non pas seulement l'action extérieure et visible portant ce nom, mais aussi sa dimension intime, connue de cet homme et de Dieu seulement.
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E) Et au sein de la catégorie du jihad extérieur (C), lequel, du jihad par la parole et du jihad par les armes, est essentiel (asl) ?
Parlant de "la catégorie générale (jins) du jihad [extérieur]", laquelle comporte différentes branches (dont celles que nous avons exposées plus haut), Ibn ul-Qayyim écrit que c'est pratiquer quelque chose de cette catégorie qui est obligatoire sur le musulman : "والتحقيق أن جنس الجهاد فرض عين (...). فعلى كل مسلم أن يجاهد بنوع من هذه الأنواع" (Zâd ul-ma'âd, 3/72).
Enfin, Ibn ul-Qayyim écrit que c'est le jihad des arguments qui est le jihad essentiel. Il dit : "وقد أمره الله سبحانه بجدالهم بالتي هي أحسن في السورة المكية والمدنية، وأمره أن يدعوهم ـ بعد ظهور الحجة ـ إلى المباهلة؛ وبهذا قام الدين. وإنما جعل السيف ناصرا للحجة" (Zâd ul-ma'âd, 3/642).
Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).
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