"Les mains de Dieu", "la Face de Dieu" : sens propre ou sens figuré ?

Question :

J'ai lu dans le texte du Coran un verset qui dit de Dieu que "Ses deux mains sont ouvertes" (5/64). Faut-il prendre ce verset dans un sens figuré, ou bien Dieu a-t-il vraiment des mains comme nous ?

De même, le Coran parle de "la Face de Dieu". La même question se pose.

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Réponse :

Non, il ne faut pas appréhender cette formule au sens figuré. Dieu a Deux Mains, mais vu que rien ne Lui ressemble, ni Lui ni Ses Attributs sont comparables à nous et à ce qui nous concerne.

Si les concepts de l'existence et de l'unicité de Dieu sont facilement accessibles à la raison humaine, en revanche comprendre comment est Dieu est au-dessus de tout ce que cette raison humaine peut imaginer. En effet, Dieu ne ressemble à rien de ce qu'elle connaît et appréhende, et elle tourne donc à vide.

Pourtant, ne rien dire des attributs de Dieu sinon qu'Il existe et qu'Il est unique, cela présente le risque de ne pas permettre aux hommes de développer une relation profonde et directe avec Lui. Il fallait donc bien que Dieu fasse connaître aux hommes de Ses attributs. Mais pour communiquer aux humains des concepts aussi élevés, il fallait bien utiliser des mots. C'est ainsi que Dieu a dit de Lui-même dans Son livre qu'il est le Souverain, qu'Il est Juste, qu'Il est Miséricordieux, qu'Il Aime / qu'Il n'aime pas, qu'Il est Généreux, que Ses deux Mains sont ouvertes, qu'Il S'est établi sur le Trône, etc.

Un autre risque est alors apparu : c'est que les hommes, entendant, pour qualifier (wasf) Dieu, des mots qu'ils emploient également pour désigner des choses terrestres, en comprennent la même réalité dans le premier cas que dans le second.

Pour parer à ce risque, Dieu a, parallèlement à l'utilisation de ces mots, rappelé qu'"il n'y a rien qui Lui ressemble" (Coran 42/11).

La question principale demeure donc de savoir qu'est-ce qu'il faut comprendre de ces mots lorsqu'ils ont été employés à propos de Dieu.

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Ce qui précède explique pourquoi des mots tels que "Main de Dieu", "Trône de Dieu", "Dieu entend et voit ce que vous faites", etc. sont présents dans le Coran.

L'orthodoxie sunnite affirme que le terme "Main" désigne une réalité à propos de Dieu. Cependant elle nie que nous puissions connaître cette réalité (c'est le tafwîdh ul-kayf : on confie la connaissance du "comment" à Dieu). Elle reprend l'idée exprimée au début de cet article : ces termes ont été employés pour communiquer aux humains ce dont ils ne peuvent pas connaître la réalité pendant cette vie. Contentons-nous de les employer comme le Coran les a employés, en nous souvenant de ce que Dieu a aussi dit : "Il n'y a rien qui Lui ressemble".

Ibn Taymiyya écrit de ceux qui appréhendent la formule "Mains de Dieu" au sens figuré : "La réalité de leur propos est qu'[ils croient que les termes] par quoi Dieu S'est qualifié, n'en est compris (yu'qalu) [à propos de Dieu] que ce qui en est compris à propos des quelques créatures que nous voyons, comme les corps des hommes. Or ceci est une extrême ignorance. Car parmi les créatures [mêmes] il en est que nous n'avons pas vues, comme les anges, les djinns, et même nos âmes" (MF 6/433-434). En effet, Dieu a dit au sujet des anges : "alors que les anges tendent leurs mains [ou : bras]" (Coran 6/93). On appréhende ici le terme "main" dans son sens propre, en se disant qu'on n'en connaît pas la réalité. La même chose doit être faite par rapport à Dieu.

En fait la posture de l'orthodoxie sunnite (celle des Salafs) implique une capacité de la raison humaine à une certaine largesse de vue, cette raison humaine acceptant de croire en une chose, d'employer tel terme pour la décrire et de reconnaître le sens que celui-ci a, tout en ne ramenant pas la réalité de cette chose aux créatures qu'elle observe autour d'elle, et donc de pouvoir élargir sa conception et de s'élever par rapport au monde visible pour elle actuellement.

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Quelques explications de Shâh Waliyyullâh :

Shâh Waliyyullâh écrit : "Les textes ont rendu les (Noms et Attributs) "tawqîfî" et n'ont pas autorisé d'y prendre part selon son opinion" (Hujjat ullâh il-bâligha, tome 1 p. 193).

Shâh Waliyyullâh explique qu'il faut utiliser les mots ayant été employés avec l'objectif sus-cité, l'objectif étant qu'ils produisent dans notre esprit l'effet escompté. Parallèlement à cela, il faut rappeler et se rappeler que "Il n'y a rien qui Lui ressemble". Il rappelle que c'est ainsi qu'ont agi les musulmans sunnites des premiers siècles de l'Islam (Hujjat ullâh il-bâligha, tome 1 p. 190).

Shâh Waliyyullâh cite ensuite at-Tirmidhî, qui, en commentaire du Hadîth "La Main Droite du Miséricordieux est pleine", a écrit : "Ceci est un hadîth que les a'ïmma ont rapporté. Nous (y) apportons foi comme cela est stipulé, sans que cela soit détaillé (yufassar) ou imaginé (yutawahham). Ainsi ont dit plus d'un parmi les a'ïmma, parmi lesquels Suf'yân ath-Thawrî, Mâlik ibn Anas, Ibn 'Uyayna et Ibn ul-Mubârak : "Ces choses sont citées, on y croit, et on ne dit pas "comment"" (Jâmi' ut-Tirmidhî, commentaire du hadîth n° 3045) (Hujjat ullâh il-bâligha, 1/190).

Shâh Waliyyullâh dit : "Je dirai : Il n'y pas de différence [par rapport à ce point] entre l'Entendement, la Vue, la Puissance, le Rire, la Parole et l'Etablissement" (Hujjat ullâh il-bâligha, 1/191).

En effet, comment comprendre que certains acceptent que l'on dise que Dieu Entend, mais pas les Deux Mains de Dieu, alors que ces deux termes figurent dans le Coran et la Sunna, et que pour les deux il y a risque de tashbîh (= tamthîl) ?

En effet, car at-Tirmidhî – et Shâh Waliyyullâh a également brièvement cité cet autre écrit de lui – cite et approuve Is'hâq ibn Râhawayh qui dit : "Il y a tashbih si on dit "Main comme une main", "Entendement comme un entendement" ; si (quelqu'un) dit : "Entendement comme entendement", cela est de la tashbih. Par contre, quand on dit comme Dieu Elevé a dit : "Main", "Entendement", "Vue", et qu'on ne dit pas "comment" ni qu'on ne dit "comme un entendement", cela n'est pas de la tashbîh. Cela est comme Dieu Elevé a dit dans Son Livre : "Rien n'est comme Lui, et Il est Celui qui Entend, Celui qui voit"" (Jâmi' ut-Tirmidhî, commentaire du hadîth n° 662) (brièvement cité in Hujjat ullâh il-bâligha, 1/190).

Cependant il faut ici préciser que, certes, Shâh Waliyyullâh a écrit ce que nous venons de voir ; et, sans nul doute, les ulémas qui ont la posture des Salafs telle que nous venons de le voir, Shâh Waliyyullâh a pris leur défense face à ceux qui les accusent d'être mujassima et mushabbiha (p. 191) ; cependant, il n'accorde pas à cette posture la même importance que Ibn Taymiyya, par exemple, lui a donnée. Au contraire, il semble assez souple sur le sujet, comme en témoigne ce qu'il a écrit par ailleurs (pp. 41-43).

Par ailleurs, Shâh Waliyyullâh pense que Dieu a, pour Se qualifier et Se faire connaître aux hommes, emprunté les mots (wajaba an tusta'âra alfâzun) que l'usage humain a établi (p. 189).
Or l'explication de Ibn Taymiyya et de Ibn ul-Qayyim sur ce point est plus pertinente que celle de Shâh Waliyyullâh : ces deux personnages ont démontré que cette façon de percevoir les choses n'est pas correcte, vu que, comme le dit le hadîth, c'est avant de créer les humains que Dieu a écrit : "Ma miséricorde dépasse (ou : précède) Mon Courroux". On voit que ce ne sont pas des termes établis par l'usage humain que Dieu aurait repris dans Sa révélation pour se faire connaître des hommes, mais qu'au contraire Dieu a employé ces termes à Son Sujet avant même que les humains existent.

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Synthèse de la réponse :

Dieu que Dieu n'a pas de Mains du tout, et que la formule "Mains de Dieu" employée dans le Coran et la Sunna signifie : "Puissance de Dieu", ou "Faveur de Dieu", cela est erroné.

Dire que Dieu a Deux Mains comme celles des humains, cela est erroné aussi.

Par contre, quelle est la différence entre le fait de nier que Dieu ait des Mains mais en voulant dire par là qu'Il n'a pas de Mains comme celles des humains (ce qui est vrai), et le fait d'affirmer que Dieu a Deux Mains mais on n'en connaît pas la réalité ?

La différence c'est que la première posture est une posture qui ne correspond pas au texte du Coran. Dieu n'a pas détaillé la négation de tout ce qu'Il n'est pas. Il a choisi l'exposé détaillé de Ses Attributs (ithbâtu sifâtihî muffassalan), accompagné de la négation concise de toute ressemblance avec Ses créatures (naf'y ul-mumâthala ijmâlan). Cette nuance et cette différence ont un effet profond sur la connaissance (ma'rifa) que les hommes peuvent avoir de Dieu, et le lien qu'ils vont entretenir avec Lui.

Ainsi, il est vrai que Dieu n'a pas de "Main dont la réalité est comme la nôtre". Mais plutôt que de faire la négation d'un attribut semblable dans sa réalité au nôtre (naf'yu sifatin mumaththala) on devrait plutôt faire l'affirmation de l'attribut mentionné dans les textes et ajouter qu'on n'en connaît pas le "comment" et la réalité (ithbât us-sifat il-mansûs 'alayhâ, bi lâ takyîf wa lâ tamthîl).

"إذا استعمل في القرآن أو السنة لفظ يُعبِّرعن صفة الله وكان هذا اللفظ يُستعمَل في حق الخالق وفي حق المخلوق، أفاد هذا أنَّ بين الحقيقة التي يدلّ عليها هذا اللفظ في حق الخالق والحقيقة التي يدلّ عليها هذا اللفظ في حق المخلوق: قدرًا مشتركًا؛ ولكن هذه الحقيقة في حق المخلوق: كما يليق به، ونعرفها؛ بينما الحقيقة في حق الخالق: كما يليق به، ولا نعرفها".

D'ailleurs, lisons plus attentivement le verset plus haut évoqué : "il n'y a rien qui Lui ressemble, et Il est Celui qui entend, Celui qui voit" (Coran 42/11). Dieu n'y a pas dit textuellement que Lui Il ne ressemble à rien (même si cela aussi est vrai) ; Dieu y a dit qu'à Lui rien ne ressemble, avant de mentionner deux de Ses Noms. Dans le fait d'être qualifié des Attributs qui sont employés à Son Sujet comme ils sont employés au sujet des créatures (comme "entendre, voir"), c'est donc à Lui que ces Attributs s'appliquent pleinement et complètement, et à Ses créatures qu'ils s'appliquent dans une mesure moindre.

Il s'agit donc d'employer ces termes comme ils ont été employés dans le Coran ou la Sunna (tumarru ka mâ jâ'at), ce qui nous préservera de tomber dans l'extrême qui consiste à vider les passages du Coran ou de la Sunna contenant ces termes de leur sens, que cela soit par le fait de nier ces termes par rapport à Dieu ("lâ naqûlu : "Layssa lillâhi Yadan""), par le fait de les appréhender dans un sens allégorique ("lâ naqûlu : "Yadullâh : Qud'ratuh"), ou par le fait de prétendre qu'on ne connaît rien de leur sens (lâ naqûlu : la na'lamu shay'an min ma'nâhu).

Il s'agit aussi de se rappeler qu'"il n'y a rien qui ressemble à Dieu" et de se rappeler qu'on ne connaît pas la réalité de l'Etre et des Attributs de Dieu. Ceci nous préservera de tomber dans l'autre extrême qui consiste à donner à ces termes un sens anthropomorphique (lâ nujassim wa lâ numaththil).

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Quelques points pour se repérer sur le sujet :

1) Dieu est trop élevé pour être comparé à un concept ou à une chose terrestre, ou pour que les raisons L'atteignent.

2) D'un autre côté il fallait bien, pour le bien des hommes, que Dieu Se fasse connaître à eux en Se qualifiant.

3) Dieu S'est donc qualifié par certains mots, lesquels, comme tout mot, ont un sens (ma'nâ).

4) Or ces mots sont également employés pour désigner des choses terrestres. Le risque était alors que des humains comprennent de ces mots, lorsqu'employés au Sujet de Dieu, la même réalité (haqîqa) qu'ils décrivent lorsqu'employés au sujet des choses visibles.

5) Dieu a donc également rappelé que rien n'est semblable à Lui.

6) "On ne qualifie Dieu que par les termes par lesquels Lui-même S'est qualifié ou Son Messager L'a qualifié  ; on ne dépasse pas (à ce sujet) le Coran et les Hadîths" (Ahmad ibn Hanbal).

7) "Ainsi ont dit plus d'un parmi les a'ïmma, parmi lesquels Sufyân ath-Thawrî, Mâlik ibn Anas, Ibn 'Uyayna et Ibn ul-Mubârak : ce genre de textes est dit et on y apporte foi, mais sans traiter le "comment" (at-Tirmidhî). "Is'hâq ibn Ibrâhîm [Ibn Râhawayh] a dit : "Ces termes évoquant les Attributs divins, les répéter tels que les sources nous les ont donnés, ce n'est pas leur donner un sens anthropomorphique. Par contre c'est le fait de dire : "Il entend comme (telle créature entend)" et : "Il voit comme (telle créature voit)" qui consisterait à donner à ces termes un sens anthropomorphique"" (at-Tirmidhî).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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