Est-il vrai que le Coran a institué la peine capitale pour les assassins ?

Question :

Bonjour. J'ai lu dans les journaux que certains pays musulmans appliquaient la peine capitale pour les meurtriers. Après avoir effectué des recherches, je me suis aperçue que le Coran mentionne en effet cette peine, en tant que talion. Comment expliquez-vous la présence de cette peine dans le livre de l'islam alors que, à en croire vos articles, l'islam serait une religion belle et humaniste ? J'ai lu différents articles de votre site, mais je n'ai rien trouvé à ce sujet. Pourriez-vous me renseigner s'il vous plaît ?

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Réponse :

Bonjour à vous.

Je voudrais tout d'abord souligner que je n'aborde ce point que parce que vous me questionnez à son sujet. Et si vous le faites, c'est parce que vous voulez comprendre un aspect du contenu du Coran qui vous trouble, comme peut-être d'autres personnes. Nous musulmans n'avons rien à cacher et c'est donc de bonne grâce que je vais humblement apporter des éléments de réponse.

Je voudrais également souligner que nous parlons bien de la présence d'un verset donné dans le Coran. La présence d'un verset et l'application de son contenu sont deux choses : l'application de cette catégorie de versets n'est ainsi pas possible en terre non-musulmane.

C'est vrai, le principe de la peine capitale pour le meurtrier est mentionné dans le texte du Coran (qui est, rappelons-le, explicité par les textes de la Sunna). Cependant, la peine capitale qu'évoquent le Coran et la Sunna n'a rien à voir avec celle qu'ont connue des pays européens dans le passé, ou que connaissent aujourd'hui encore les Etats-Unis.

D'après les textes des sources musulmanes eux-mêmes, cette peine est inapplicable au meurtrier si n'importe laquelle des quatre conditions suivantes est absente :

1) Que la famille de la victime réclame l'application de la peine capitale :

Ce point est souvent passé sous silence par ceux qui ont à cœur de critiquer l'islam, et pourtant il est essentiel. En effet, l'application de la peine capitale au meurtrier n'est pas systématique. La police et les tribunaux peuvent – et doivent – établir qui est le coupable. Mais l'application de la peine capitale sur celui-ci ne dépend pas de la volonté des policiers ou des juges, mais de celle des proches de la victime (sauf les cas où le meurtrier est muhârib, comme l'a rappelé Ibn Taymiyya : MF 28/310). Encore faut-il qu'en plus de cette demande de la part des proches de la victime, les trois autres conditions que nous allons voir soient présentes, sinon, la peine capitale n'est pas non plus applicable, le seul recours étant le paiement, par le meurtrier, d'un dédommagement (diya). Et au cas où ces trois conditions sont présentes mais que les proches de la victime ne demandent pas l'application du talion, c'est alors le tribunal qui peut condamner le meurtrier à une peine comme un emprisonnement, etc..
Le Coran, que vous avez cité dans votre question, dit : "Celui à qui son frère aura pardonné quelque chose, alors (on lui fera) une requête convenable [le paiement du dédommagement], et (il s'en) acquittera de bonne grâce. Ceci est un allègement et une miséricorde de la part de votre Seigneur…" (Coran 2/178). Dans le même ordre d'idées, le Prophète a dit : "Celui dont (un proche) a été tué, ou celui qui a été blessé, a le choix entre trois possibilités : soit il demande la loi du talion, soit il pardonne, soit il prend le dédommagement financier (diya)…" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 4496, une version voisine est rapportée par Ibn Mâja, n° 2623). Ces proches de la victime n'ont pas le droit de se faire justice eux-mêmes, et ils doivent donc porter plainte et préciser leur requête (talion ou dédommagement financier) auprès du tribunal compétent. Celui-ci établira les culpabilités et statuera en fonction à la fois de la requête et de la présence ou, au contraire, de l'absence des conditions suivantes.

2) Qu'il y ait des preuves irréfutables de la culpabilité :

Une simple présomption n'est évidemment pas suffisante pour établir la culpabilité. Celle-ci ne peut être établie que sur la base d'une preuve irréfutable ("bayyina"), par exemple un témoignage remplissant les strictes conditions voulues, ou l'ADN aujourd'hui, etc. (au sujet de ce qui constitue une "bayyina", se référer à l'ouvrage de Ibn ul-Qayyim, At-Turuq ul-hukmiyya). La présence d'indices réels mais insuffisants (lawth) fait (d'après un des avis existants entre les mujtahidûn) que le seul recours possible est non pas le talion mais le dédommagement financier (diya), par l'intermédiaire de la formule de la qassâma (selon une des interprétations de ce en quoi consiste cette dernière).

3) Qu'il soit prouvé qu'il y avait intention de tuer :

Le fait d'avoir établi les preuves irréfutables à propos de l'identité du meurtrier ne suffit pas. Il faut qu'il soit également prouvé qu'il avait l'intention de tuer. Le droit musulman distingue à ce sujet, sur la base de Hadîths, trois catégories principales de meurtres :
--- le meurtre avec intention de donner la mort (al-qatl ul-'amd),
--- les coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (al-qatl shib'h ul-'amd),
--- et les coups et blessures involontaires (ou administrés par erreur, suite à une méprise) ayant entraîné la mort (al-qatl ul-khata' : khata' fi-l-fi'l).
Seule la première de ces catégories rend possible (sous réserve de présence des autres conditions) l'application de la peine capitale. Or, le simple fait que l'objet ayant entraîné la mort soit un objet qui ne soit généralement pas employé pour tuer rend impossible l'inculpation sous le chef de cette première catégorie, et le seul recours est alors le dédommagement financier (diya).
Et même dans le cas où l'objet ayant causé la mort est un objet généralement employé pour tuer, il faut encore établir les circonstances exactes du meurtre : il peut arriver, soulignent les juristes, que lors d'une partie de chasse, un coup visant un animal ait mortellement blessé un homme, ce qui fait entrer l'homicide sous le chef de la troisième catégorie citée ci-dessus, et rend donc impossible l'application de la peine capitale. Ici encore, le seul recours possible est alors le dédommagement financier (diya).

4) Qu'il n'y ait pas des circonstances atténuantes :

Enfin, la présence de circonstance atténuantes rend caduque l'application de la peine capitale malgré la présence des trois conditions précédentes. Ainsi en est-il du cas de légitime défense, évoqué explicitement par le Prophète (rapporté par Muslim, n° 140). De nombreux autres cas ont été pris en compte par des juristes et ont été évoqués dans les ouvrages du droit musulman, conformément au principe juridique bien connu "Al-hudûd wal-qisâs tandari'u bi-shs-shubuhât" : "Les peines et le talion sont caduques dès qu'un doute est présent". L'accusé profite du bénéfice du doute, qui fait encore une fois que le seul recours possible est le dédommagement financier (diya).

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Très bien, me direz-vous, mais pourquoi, malgré ces conditions pointues, l'islam n'a-t-il pas complètement fermé la porte de la peine capitale ?

Voici la réponse, sous forme d'une histoire vraie : je connais une personne qui est de confession musulmane en même temps que de nationalité française. Cette personne m'a raconté que, alors qu'elle habitait un pays dit du Tiers-Monde, elle y avait un ami français non-musulman avec qui il lui arrivait de discuter de choses et d'autres, et qui lui disait parfois que pour lui, il était incompréhensible que le Coran évoque seulement la peine capitale, et que le caractère humaniste de l'islam était donc plus que douteux. Cette personne lui répondait en lui expliquant dans les grandes lignes ce que nous venons de voir, à savoir que les conditions pour l'application de cette peine sont pointilleuses, et que de toute façon tout dépend de la demande des proches de la victime et ne peut être décidé par le tribunal seul. "Voilà donc bien la tradition de vengeance propre aux habitants du désert où est né l'islam ! Nous humanistes sommes beaucoup trop évolués pour nous laisser aller à ce genre de sentiment de vengeance de l'Antiquité" lui répondait invariablement cet ami.
Un jour, me raconte cette personne de ma connaissance, je rencontre cet ami après l'avoir perdu de vue depuis quelques mois. Son air abattu me frappe. Je n'en laisse pour autant rien paraître et engage la conversation. Au fil de celle-ci, il me raconte le malheur qui lui est arrivé : un homme a violé sa fille (moins de dix ans) puis l'a tuée en lui fracassant le crâne contre un rocher. Il me raconte également : "Lorsque j'ai su qui était le meurtrier – car il avait été confondu – et lorsque j'ai vu les policiers l'embarquer, je me suis précipité sur lui. Si les policiers ne m'avaient pas maîtrisé, j'aurais fini par l'étrangler tellement j'étais fou de rage. Et je ne sais pas si je pourrai me maîtriser si je le vois de nouveau et s'il est à portée de mes mains… Violenter et tuer une gamine même pas âgée de dix ans, qui était adorable et jouait sur mes genoux, que j'ai élevée avec amour !" Je lui dit alors : "N'était-ce pas toi qui me disait que tu es trop évolué pour te laisser aller à des sentiments de vengeance ? - Oui, mais je n'avais encore jamais imaginé ce que représente un tel malheur", me répond-il.

Cet homme est donc passé d'un extrême à l'autre : hier il critiquait la seule autorisation, donnée en terre musulmane au proche de la victime, de pouvoir demander au pouvoirs publics l'application de la peine capitale, application qui en plus est restreinte par les nombreuses autres conditions citées plus haut. Aujourd'hui il déclare qu'en tant que proche de la victime il ne peut pas se retenir face au meurtrier de sa fille. Humain, trop humain. C'est pour éviter les excès qui, en pareille circonstance, se produisent plus souvent qu'on ne pense et qui sont justement humains, trop humains, que le texte coranique, malgré les strictes conditions nécessaires pour l'éventualité d'une peine capitale, n'a pas totalement fermé cette porte.

Cependant, malgré tout, l'islam recommande le pardon plutôt que la demande du talion. Il est en effet demandé à la famille de donner préférence au pardon (le pardon complet ou, au moins, le recours au dédommagement) plutôt que de demander l'application du talion. Le Compagnon Anas raconte : "عن أنس بن مالك، قال: ما رأيت النبي صلى الله عليه وسلم رفع إليه شيء فيه قصاص، إلا أمر فيه بالعفو" : "Je n'ai jamais vu le Prophète (sur lui soit la paix) avoir à traiter une affaire dans laquelle le talion était applicable, sans qu'il recommande (aux proches de choisir) le pardon" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 4497).

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Synthèse de la réponse :

L'islam n'entend pas appliquer de façon systématique la peine capitale au meurtrier : il ne l'envisage que sur la demande des proches de la victimes (qui ne peuvent pas se faire justice eux-mêmes). Même en cas d'une telle demande, l'islam rend nécessaire la présence de nombreuses conditions pour que cette application puisse être faite par le pouvoir exécutif. Enfin, l'islam recommande aux proches de pardonner plutôt que de demander aux tribunaux l'application de la peine : "Celui qui pardonne cela, ce sera une cause de pardon pour ses (propres) péchés" (Coran 5/45). "Chaque fois qu'un cas où le talion était applicable était présenté au Prophète, il recommandait (aux proches de choisir) le pardon" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 4497).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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