Abû Hanîfa est-il d'avis que le monde est bi-polaire, de sorte qu'il n'oppose que la "Dâr ul-harb" à la "Dâr ul-islâm" ?

D'après la classification la plus connue, le monde est multi-polaire : s'il y a d'un côté la "Dâr ul-islâm" ("l'aire de l'islam"), de l'autre côté, la "Dâr ul-kufr" ("l'aire des pays non-musulmans") se partage en : "Dâr ul-harb", et "Dâr ul-'ahd".

Or, l'avis de Abû Hanîfa est que le monde est constitué de deux entités : il y a la "Dâr ul-islâm", et la "Dâr ul-harb".

Cependant, 2 interprétations de cet avis de Abû Hanîfa existent…

A) Soit cet avis signifie qu'entre la Dâr ul-islâm et le reste du monde, les rapports naturels sont le conflit.
Le fait est que Abû Hanîfa est aussi d'avis qu'une Dâr ul-Harb ne peut devenir une Dâr ul-islâm que si les règles de l'islam y sont appliquées (Islâm aur jadîd ma'âshî massa'ïl, p. 63 ; Al-'Alâqât ud-duwaliyya fi-l-islâm, p. 106). Il en résulte que Abû Hanîfa pensait lui aussi que le pays où ce ne sont pas les règles de l'islam qui sont appliquées n'est pas une Dâr ul-islâm. Or, la classification étant bi-polaire, cet autre pays est forcément une Dâr ul-harb, donc un pays avec lequel la Dâr ul-islâm doit entrer en guerre.

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B) Soit l'avis de Abû Hanîfa signifie autre chose : "Islâm" et "Harb" ne désignant pas ici "l'islam" et "la guerre" mais "la sécurité" et "l'insécurité" :
ici, le critère retenu pour la dénomination "Dâr ul-islâm" n'est pas "la nature des lois qui sont appliquées dans le pays" mais "le fait que les musulmans puissent, en sécurité, y vivre et y pratiquer librement un certain nombre de fondamentaux de leur religion. Cheikh Khâlid Saïfullâh écrit ainsi : "Pour Abû Hanîfa, les dénominations "Dâr ul-islâm" et "Dâr ul-kufr" n'ont pas comme objectif de faire référence à l'"Islam" et au "Non-islam", mais à la sécurité et à l'absence de sécurité" (Islâm aur jadîd ma'âshî massâ'ïl, p. 65). Wahba az-Zuhaylî a écrit la même chose (Al-'Alâqât ud-duwaliyya fi-l-islâm, pp. 105-106), de même que Mannâ' al-Qattân (Iqâmat ul-muslim fî baladin ghayri islâmî, p. 5). 
Le fait est que al-Kâssânî relate cette autre définition de la "Dâr ul-harb" : "Il s'agit du pays où les musulmans n'ont pas le pouvoir, et où, des règles, celles qui constituent les symboles de l'islam ne peuvent pas être pratiquées" (cité dans Iqâmat ul-muslim fî balad ghayr islâmî, p. 5). Cette définition retient donc deux critères faisant d'un pays une "Dâr ul-harb" : que le pouvoir – donc la possibilité d'appliquer sur la société les lois de l'islam – n'y soit pas musulman, mais aussi que les musulmans ne puissent pas y pratiquer un certain minimum des règles de leur religion. Si n'importe lequel de ces deux critères fait défaut, le pays n'est donc pas une "Dâr ul-harb". Or, la classification étant bipolaire, ce pays est forcément appelé : "Dâr ul-islâm".

La "Dâr ul-islâm" de la classification bipolaire de Abû Hanîfa ne recouvre plus alors seulement la "Dâr ul-islam" de la classification tripolaire (c'est-à-dire "l'ensemble des pays musulmans"), mais est un qualificatif signifiant plus largement : "l'ensemble des pays où le musulman peut, en sécurité, vivre et pratiquer librement un certain nombre de fondamentaux de sa religion", ce qui englobe aussi la "Dâr ul-'ahd" de la classification tripolaire.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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