Est-il interdit de se rassembler pour des activités spirituelles ? Et est-il autorisé de faire le dhikr ullâh en groupe ? et d'une même voix (bi sawtin wâhid) ?

Question :

On m'a dit que faire des invocations (dhikr) ou des supplications (du'a) en groupe était une innovation (bid'a). Qu'en pensez-vous ?

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Réponse :

Tout d'abord, comprenons-nous bien : nous parlons des actes purement cultuels et déjà institués en soi (al-'ibâdât al-mashrû'at ul-jins).

Cette précision est due au fait qu'en ce qui concerne les actes purement cultuels et qui ne sont pas institués en islam, la question de les pratiquer en groupe ou seul, avec ou sans horaire fixe, ne se pose pas, car ces actes relèvent déjà entièrement de l'innovation religieuse (bid'a) ; ainsi, un musulman n'adorera pas Dieu en faisant le vœu d'observer le silence.
De même, en ce qui concerne les actes qui ne sont pas purement cultuels, il n'y a bien sûr aucun problème à les faire en groupe avec un horaire fixe ; ainsi, le rassemblement pour un rappel ou pour un cours religieux étant un acte méritoire mais qui n'est pas purement cultuel, on peut fixer une périodicité, à l'instar de Ibn Mas'ûd qui faisait tous les jeudis un rappel, un "prêche" (tadhkîr) (rapporté par al-Bukhârî, n° 70).

La question que vous posez concerne donc uniquement les actes purement cultuels et déjà institués en soi (al-'ibâdât al-mashrû'at ul-jins), et qui sont facultatifs : peut-on les accomplir en groupe ?

Pour ce qui est de la prière non-obligatoire qui est liée à un événement (comme la prière de l'éclipse), il est recommandé de l'accomplir en groupe d'après les quatre écoles.
Pour la prière des tarâwîh, l'accomplir en groupe est mieux que l'accomplir seul chez les écoles hanafite, shafi'ite et hanbalite.

Quant à la prière purement surérogatoire (salât nâfila), le Prophète (sur lui la paix) l'a accomplie en groupe chez Anas ibn Mâlik (rapporté par Muslim, n° 660), chez 'Itbân ibn Mâlik (rapporté par al-Bukhârî, n° 804, Muslim, n° 33)… Ibn Taymiyya en a déduit que faire ainsi est mashrû', mais lorsque fait occasionnellement, et pas si cela est fait continuellement (MF 23/414). L'école hanafite, par contre, dit que accomplir cela est mak'rûh - même occasionnellement - si cela est fait suite à une invitation lancée à des personnes (at-tadâ'î).

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Pour ce qui est du fait de se rassembler pour faire la lecture du Coran, les demandes à Dieu (du'â), le dhikr, cela est en soi mashrû'.
Le Prophète a dit : "Chaque fois que des gens se réunissent dans une des maisons de Dieu, récitant le Coran [tilâwa] et se l'enseignant [tadârus], les anges les entourent, la miséricorde les enveloppe, la sérénité descend sur eux, et Dieu les évoque auprès de ceux qui sont auprès de Lui" (rapporté par Muslim, n° 2699, at-Tirmidhî, n° 2945, Abû Dâoûd, n° 1455). Le Prophète, un jour, s'est rendu auprès de certains de ses Compagnons assis ensemble et occupés à écouter l'un d'entre eux réciter le Coran ; il les a félicités pour ce qu'ils faisaient (rapporté par Abû Dâoûd, n° 3666).
Le Prophète a aussi dit : "Chaque fois qu'un groupe se réunit puis que quelques-uns demandent [du'â] à Dieu et que d'autres disent "Amîn", Dieu exauce leur demande" (rapporté par at-Tabarânî, al-Hâkim et al-Bayhaqî, cité dans Kanz ul-'ummâl, n° 3367).
Le Prophète a dit : "Chaque fois que des gens s'assoient pour invoquer Dieu [dhikr], les anges les entourent, la miséricorde les enveloppe, la sérénité descend sur eux, et Dieu les évoque auprès de ceux qui sont auprès de Lui" (rapporté par Muslim, n° 2700). De même, le Prophète (sur lui la paix) a parlé des "assemblées de dhikr" que des anges recherchent (rapporté par al-Bukhârî, n° 6045, Muslim, n° 2689). Et un jour, s'étant rendu auprès de certains de ses Compagnons occupés à penser à Dieu, le Prophète les a félicités pour ce qu'ils faisaient (rapporté par Muslim, n° 2701).
(Attention, je ne parle pas de faire du dhikr d'une même voix'alâ sawtin wâhidin –, tout le monde répétant les mêmes mots ensemble, cela constitue de la bid'a idhâfiyya : cf. Al-I'tissâm, ash-Shâtibî, tome 1 pp. 267-269.)

Ibn Taymiyya a cité certains des Hadîths que nous venons de voir (cf. Iqtidhâ' us-sirât il-mustaqîm, p. 280) et en a déduit que le rassemblement pour des actes purement cultuels et facultatifs n'était nullement interdit.

Cependant, a-t-il poursuivi, ce qu'il faut c'est éviter de faire ces actes cultuels et facultatifs avec une périodicité fixe quand le Prophète ne l'a pas enseigné : c'est cela qui crée l'innovation (bid'a) (Iqtidhâ' us-sirât il-mustaqîm, p. 280). Fixer une périodicité – alors que le Prophète ne l'a pas enseigné –, c'est faire ces actes en groupe par exemple chaque jour à tel horaire fixe, ou chaque semaine le mardi, ou chaque huitième de chaque mois, ou chaque 12 rajab de chaque année. C'est cela qu'il faut éviter, et non tout rassemblement en soi.

Ibn Mas'ûd reprocha à des personnes le fait qu'elle se rassemblent pour faire ensemble le dhikr (rapporté par ad-Dârimî, n° 204) ; en fait, écrit Ibn Taymiyya, ce qu'il leur reprocha fut le fait qu'elles pratiquaient ceci de façon systématique ("i'ityâdu dhâlik") (Iqtidhâ' us-sirât il-mustaqîm, p. 282).

Ibn Taymiyya relate des dires d'érudits où, à la question : "Est-il répréhensible que des gens se rassemblent pour adresser des invocations à Dieu en levant les mains ?", la réponse fut que cela n'était pas répréhensible, sauf si cela était fait de façon systématique ("lâ yattakhidhû 'âdatan hattâ yukthirû") (Ibid., p. 281).

Tout s'explique : Dieu veut que nous L'adorions ; mais Il veut aussi que nous le fassions sans innovation religieuse (bid'a). Or Dieu a déjà institué des actes purement cultuels qui reviennent avec une périodicité qu'Il a fixée : ainsi en est-il des cinq prières obligatoires chaque jour dans telle tranche horaire, qu'il est demandé d'accomplir en groupe ; il y a de même le mois de jeûne du ramadan, qui est obligatoire et qui est accompli par tous les musulmans en même temps ; il y a le rassemblement à la Mecque chaque année lors de certains jours du mois de dhul-hijja pour l'accomplissement du pèlerinage ; etc. Dès lors, il est bien de pratiquer un acte purement cultuel et facultatif quand l'on veut (hormis les moment interdits pour l'accomplissement de tel acte, comme le moment du lever du soleil pour la prière) ; on peut même pratiquer cet acte en groupe ; cependant, le pratiquer en groupe en lui conférant une périodicité, c'est courir le risque d'amener peu à peu des musulmans à considérer que la pratique de cet acte à tel moment est nécessaire et fait partie des enseignements de l'islam ; or c'est ainsi que naissent les innovations, puis peu à peu les déviances. Le tout est donc d'éviter de faire ces actes cultuels avec une périodicité si le Prophète ne l'a pas fait.

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Synthèse de la réponse :

Ibn Taymiyya écrit : "Se réunir pour faire la prière facultative, ou pour écouter la récitation du Coran, ou pour invoquer Dieu (dhikr ullâh), etc. est bien lorsque cela est fait parfois" (Iqtidhâ' us-sirât il-mustaqîm, p. 280). "L'innovation ici est de se mettre à pratiquer cela systématiquement au point que cela devienne comme si cela était nécessaire" ("lâkinna-l-bid'ata-ttikhâdu 'âdatin lâzima, hattâ yassîra ka'annahû wâjib") (Ibid., p. 283).

Il suffit donc de ponctuellement ne pas faire le rassemblement ; on évitera ainsi de tomber dans le "systématique". On le voit, il ne faut pas crier à l'innovation (bid'a) de façon simplificatrice.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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