Parler intelligemment des choses de l'islam

Ci-après quelques réflexions quant au contenu et à la forme de ce que l'on dit à propos de l'islam...

-
A) Les priorités à établir pour en parler :

Un point qu'il est important de noter est qu'il s'agit de privilégier, parmi les enseignements de l'islam, les éléments les plus importants pour en parler. Et il est pour cela nécessaire de tenir compte de la réalité dans laquelle on se trouve et de se préserver de raisonner avec devant soi l'idée d'une réalité d'autres temps et/ou d'autres lieux. Parce que nul ne peut nier que certains jeunes sont loin, très loin des réalités spirituelles. Alors si on parle seulement ou principalement du rituel, sans jamais ou presque jamais tenir de paroles qui sont à même de toucher le coeur (jamais on ne parle de Dieu selon Son Attribut correspondant à Son Nom "al-Wadûd", "Celui qui Aime") ; si on focalise son rappel et son action sur des choses qui ne sont que recommandées alors même que des choses obligatoires sont délaissées de façon générale ; si on insiste sur le fait de se préserver d'actes qui ne sont que légèrement déconseillés en ne réalisant pas que le public à qui on s'adresse est plongé dans ce qui constitue des kabâ'ïr… on se trompe de priorités. Et ce n'est pas là la façon de faire du Prophète (sur lui la paix).

-

B) Le moment pour en parler :

Pour ce qui est du rappel concernant un point qui est erroné, on peut parfois être amené à parler immédiatement, parfois choisir d'intervenir plus tard.

Par contre, pour ce qui est du rappel général, il s'agit de ne pas être lassant. Abdullâh ibn Abbâs avait ainsi fait cette sage recommandation à son élève 'Ik'rima : "Fais aux gens le rappel chaque vendredi, ou deux fois par semaine, ou trois fois par semaine, et ne les amène pas à être lassés de ce Coran. Et que je ne te voie jamais te rendre auprès de gens occupés à parler, te mettre alors à leur faire le rappel après avoir interrompu leur conversation ; tu les fatiguerais [de l'islam et de ses enseignements]. Dans pareil cas, reste silencieux. S'ils te le demandent, fais-leur le rappel, qu'ils auront alors l'envie d'écouter…" (al-Bukhârî, 5978).

Ibn Abbâs ne faisait qu'exprimer là ce qu'il avait appris du Prophète (sur lui la paix). En effet, Abdullâh ibn Mas'ûd raconte : "Le Prophète choisissait des jours pour nous faire le rappel ("al-maw'iza"), de crainte que nous éprouvions ensuite de la lassitude" (al-Bukhârî, 68, Muslim, 2821).

Le Prophète savait parler des choses de la spiritualité et de l'au-delà sans oublier les choses de la vie quotidienne. Et il savait être un ami, un compagnon des discussions des gens qui l'entouraient. Alors qu'on demanda un jour à Jâbir ibn Samura : "T'asseyais-tu en compagnie du Messager de Dieu ?", il répondit : "Oui, souvent. Il se levait rarement du lieu où il avait accompli la prière de l'aube avant que le soleil se lève. Il s'en levait après que le soleil se fut levé. Les (Compagnons) se parlaient et évoquaient la période de l'Ignorance ; ils riaient alors, et le Prophète souriait" (Muslim 670, 2322). Zayd ibn Thâbit relate : "Quand nous parlions des affaires de ce monde, il parlait de cela avec nous. Quand nous parlions des choses de l'au-delà, il parlait de cela avec nous. Et quand nous parlions de nourriture, il parlait de cela avec nous" : "عن خارجة بن زيد بن ثابت قال: دخل نفر على زيد بن ثابت، فقالوا له: "حدّثنا أحاديث رسول الله صلى الله عليه وسلم". قال: "ماذا أحدّثكم؟ كنت جاره فكان إذا نزل عليه الوحي بعث إليّ فكتبته له. فكنّا إذا ذكرنا الدنيا ذكرها معنا، وإذا ذكرنا الآخرة ذكرها معنا، وإذا ذكرنا الطّعام ذكره معنا، فكلّ هذا أحدّثكم عن رسول الله صلى الله عليه وسلم" (at-Tirmidhî dans Ash-Shamâ'ïl, 326 ; il y a cependant un débat quant à l'authenticité de cette parole, à cause du narrateur Sulaymân ibn Khârija).

-

C) La façon d'en parler :

La façon de dire quelque chose compte également, à côté de ce que l'on dit.

Primo il s'agit de parler aux gens de ce qu'ils sont à même de comprendre. Ainsi, en Inde on aime les histoires qui sortent de l'ordinaire ; en Europe, on est plus cartésien. Récemment Cheikh Abdullah Patel, ancien directeur de la Darul Ulûm Falâh-é Dârayn du Gujerat, de passage dans notre île, me disait que, à certains jeunes diplômés de l'Inde qui sont ses anciens élèves et qui sont invités à faire des discours en Angleterre ou dans d'autres pays occidentaux, il a recommandé d'éviter de bâtir des discours sur les histoires dont on est si friand en Inde, arguant que les deux publics n'ont pas la même mentalité. Je lui dis alors : "Ici aussi certains frères ne comprennent pas ce point ; voyez : un jour quelqu'un racontait comme histoire qu'un jour en Inde une tombe s'étant ouverte à cause d'une crue de la rivère voisine, on y vit un scorpion anormal, on chercha à le tuer mais aucun coup ne lui faisait rien, jusqu'à ce qu'un grand savant présent récite telle sourate du Coran, et le scorpion diminua de volume jusqu'à disparaître". Je n'avais pas plutôt fini de lui relater l'histoire qu'il me dit en substance : "Comment s'attendre à ce que les jeunes d'ici croient en cela ?" Puis il me raconta que quelqu'un de sa connaissance, établi dans un pays occidental et biologiste de formation, parlait aux musulmans des merveilles de la création en reliant à chaque fois cela à la Puissance du Créateur, et que cela enchantait son public (fin de citation).

Tout cela rejoint le contenu d'une parole de Alî, qui disait : "Relatez aux gens ce qu'ils sont à mêmes de comprendre. Aimeriez-vous que l'on dise de Dieu et de Son Messager qu'ils sont des menteurs ?" (al-Bukhârî 127 ; "wa-l-murâd bi "mâ ya'rifûn" : ay yaf'hamûn" : Fath' ul-bârî 1/297). Ce n'est pas à dire qu'il y a des choses qu'il faille dissimuler ; c'est à dire qu'il faut choisir ses sujets en fonction de la mentalité de son auditoire.

Secundo il s'agit de faire appel non pas seulement à la raison de son interlocuteur et / ou de son auditoire, mais aussi à leurs sentiments. Car le Prophète savait, lui, émouvoir son auditoire : un Compagnon rapporte de lui et des autres que c'était comme s'ils voyaient le paradis et la géhenne (Muslim 2750), un autre rapporte que lui et les autres rapportent avaient "eu le cœur touché et les yeux ruisselant" de larmes (at-Tirmidhî 2676, Abû Dâoûd 4607).

Faut-il parler avec douceur ou dureté ? Il est vrai que parfois le Prophète a fait des sermons sur un ton de colère (voir par exemple al-Bukhârî 672 ; voir aussi Muslim 867) ; il est vrai aussi que, s'adressant directement à des personnes, il lui est aussi arrivé de leur parler avec colère (voir al-Bukhârî 5761) : al-Bukhârî a même titré : "Al-ghadhab fi-l-maw'iza wa-t-ta'lîm idhâ ra'â mâ yak'rah" ("Le fait de se mettre en colère dans le conseil ou dans l'enseignement, quand on voit ce qui ne va pas") (Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb ul-'ilm, tarjama n° 28). Mais peut-on nier que généralement, aux personnes à qui il s'adressait directement, le Prophète expliquait avec douceur (voir par exemple Muslim 537) ? Dieu ne lui a-t-il pas dit dans le Coran : "C'est par une miséricorde de la part de Dieu que tu as été si doux envers eux. Et si tu avais été rude, au coeur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage" (Coran 3/159).
En fait il faut prendre en compte la réalité dans laquelle on se trouve : en certains lieux / certaines occasions, "pousser un coup de gueule" (mais qui constitue vraiment "un cri du coeur") n'est pas le malvenu, bien au contraire ; mais en règle générale ce n'est pas ainsi qu'il s'agit de procéder : "La douceur ne se trouve en quelque chose, qu'elle l'embellit" (Muslim 2594). Lire notre article au sujet du nah'y 'an il-munkar.

Tertio : le Prophète parlait de façon très claire : Aïcha raconte que, dans le propos du Prophète, chaque mot était prononcé de façon claire (al-Bukhârî 3375, Muslim 2493) et qu'il "n'enchaînait pas propos sur propos mais tenait un propos au milieu duquel se trouvaient des pauses ("baynahû fasl"), de sorte que chaque personne assise auprès de lui mémorisait (facilement)" (at-Tirmidhî 3639).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

Print Friendly, PDF & Email