Le Dernier des Prophètes : pourquoi parmi les Fils d'Ismaël, qui, par incidence, étaient des Arabes ?

Pourquoi, après le changement d'Alliance, sont-ce les Fils d'Ismaël qui ont été choisis pour que le Dernier Messager de Dieu soit suscité parmi eux ?

Et pourquoi ce dernier Messager a-t-il été suscité précisément au VIIè siècle de l'ère chrétienne ?

Il faut tout d'abord rappeler que bien qu'ayant vocation à l'universalité, il fallait bien que le Dernier message apparaisse en un lieu donné, au milieu d'un peuple donné, afin que ce soit de là qu'il puisse être diffusé (cliquez ici et ici pour en savoir plus).

Maintenant pourquoi ce dernier messager a-t-il été suscité chez les Fils d'Ismaël ?

On peut relever différentes raisons à ce choix de Dieu...

1) Les Fils d'Ismaël étaient eux aussi descendants de Abraham :

C'était dans la descendance de Abraham que, selon l'Alliance faite entre Dieu et le Patriarche, que se manifesteraient désormais les messages destinés à guider l'humanité dans son rapprochement avec Dieu (lire le point A de l'article déjà cité). Et les Fils d'Ismaël sont descendants, par leur père, de Abraham.

Ces Fils d'Ismaël fils de Abraham sont les Arabes adnanites, encore appelés "'Arab musta'riba" ou "Arabes par arabisation" : c'est parce que Abraham avait installé Agar et Ismaël à La Mecque, au centre de l'Arabie, que Ismaël était devenu un arabe, et ses descendants des arabes.

(Les autres Arabes qui peuplaient et peuplent toujours la péninsule, les "'Arab 'âriba", étaient installés sur place avant la venue de Ismaël, et ne descendent pas de lui, sauf par d'éventuels mariages avec ses descendants.)

La tribu des Quraysh, dont est issu Muhammad, descend de Ismaël, et fait donc partie des "Arab musta'riba".

En effet, Muhammad (que Dieu le bénisse et le salue) est le fils de Abdullah, fils de Abd ul-Muttalib, fils de Hâshim, fils de Abdu Manâf, fils de Qussayy, fils de Kilâb, fils de Murra, fils de Ka'b, fils de Lu'ayy, fils de Ghâlib, fils de Fihr [= Quraysh], fils de Mâlik, fils de an-Nadhr, fils de Kinâna, fils de Khuzayma, fils de Mud'rika, fils de Ilyâs, fils de Mudhar, fils de Nizâr, fils de Ma'add, fils de Adnân.

Et Adnân descend de Ismaël fils de Abraham. S'"il y a unanimité quant au fait que Adnân descend de Ismaël" (Zâd ul-ma'âd 1/71), par contre "le (détail de la) chaîne généalogique entre Adnân et Ismaël fait l'objet de divergences" (Fat'h ul-bârî 6/646).
Ibn Hajar a cité quelques-uns des différents avis existant à propos de cette seconde partie de la chaîne. Au sein de tout ce qu'il a cité, on distingue 2 tendances...
Selon l'une d'elles, entre Adnân et Ismaël se trouvent une quarantaine de maillons (avec, ensuite, des divergences quant au nombre exact de maillons et à leur nom) et selon laquelle Adnân descendrait de Ismaël par son fils Qédar (cf. Fat'h ul-bârî 6/658).
Si nous ajoutons ce nombre de 40 au nombre de maillons existant entre le Prophète et Adnân (qui est de 20, nous l'avons vu plus haut), nous obtenons, pour le nombre de générations entre Muhammad et Ismaël, un total d'environ 60.

(Cliquez ici pour lire des lignes au sujet de cette lignée.)

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2) A la Mecque se trouvait la Kaaba, sanctuaire bâti par Abraham et Ismaël pour le Culte de Dieu l'Unique :

Abraham et Ismaël avaient bâti le prototype de ce sanctuaire, qu'ils avaient dédié à Dieu l'Unique (cliquez ici). Et s'il est vrai que tous les Arabes ne sont pas leurs enfants (nous venons de le dire), c'étaient leurs descendants qui peuplaient majoritairement cette cité de la Mecque, ainsi que la région alentour.

Alors que le Sanctuaire dont le fondement avait été posé par Jacob (celui de Jérusalem) avait été dévasté par les Romains, celui-ci subsistait. Certes, il était souillé par la présence de nombreuses idoles, mais même devenus idolâtres, les Arabes le considéraient toujours comme la Maison de Dieu le Créateur, qu'ils reconnaissaient comme la divinité suprême.

De même, bien qu'ils étaient devenus au fil du temps dans leur quasi-totalité idolâtres, les Arabes tenaient en très haute estime Abraham et Ismaël, dont le souvenir restait chez eux très présent. Et bien qu'ils y avaient ajouté maints rites polythéistes, les Arabes venaient toujours accomplir le grand pèlerinage à la Maison de Dieu à la Mecque, une fois l'année, y commémorant alors ce que Abraham, Agar et Ismaël y avaient fait, mais y ayant rajouté des rites polythéistes.

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3) Les Arabes : un peuple comparable à une feuille vierge :

--- 3.A) Si on retient l'hypothèse selon laquelle la Péninsule arabique est le berceau des peuples sémitiques, les Arabes étaient ceux des sémites qui étaient demeurés les plus proches de leurs traditions sémitiques, les autres peuples sémitiques ayant dû s'adapter à de nouvelles conditions et au voisinage d'autres peuples habitant les régions où ils étaient allés s'installer.

--- 3.B) Les Arabes de l'époque étaient, de façon générale, un peuple qui dans leur majorité ne se référaient (tahkîm) pas à des Ecritures qu'ils considéraient Révélées par Dieu et dont il eût été donc difficile de leur faire comprendre que certains chapitres avaient subi les assauts des péripéties de leur histoire et/ou devaient être réactualisés pour pouvoir être universalisés (d'après Qassas un-nabiyyîn 5/13). Or c'est notamment parce que le message de Jésus introduisait des modifications à certaines règles de la Torah ou de la Loi orale que, des fils d'Israël même, une grande partie de personnes refusèrent son message.

--- 3.C) Les Arabes – surtout les Fils d'Ismaël, qui habitaient pour la plupart d'entre eux le Centre de la péninsule – étaient demeurés proches de la simplicité originelle et n'avaient pas développé une mentalité complexe, susceptible d'entraîner une révélation de normes conséquentes. Dans notre article exposant les causes des différences entre Loi de la Torah et Loi du Coran, nous avons vu un exemple de ce phénomène, avec la question de savoir si faire cuire l'agneau dans le lait de sa mère est une injustice, donc un acte à proscrire, ou pas. Comme l'a écrit Shâh Waliyyullâh, les Arabes n'avaient pas ce genre de problématiques complexes (Hujjat ullâh il-bâligha 1/264).

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4) Une région qualifiée de "charnière de l'ancien monde" :

Ce sont Jean et André Sellier qui ont écrit qu'à cette époque ("à la veille de l'islam") la région constituait "la charnière de l'ancien monde" (Atlas des peuples d'Orient, p. 20).

En effet...

--- 4.A) L'Arabie était contiguë aux deux plus grandes puissances d'alors, la Perse et Byzance, ce qui lui donnait la possibilité de convaincre les peuples que celles-ci contrôlaient et, par là-même, d'imprimer une marque durable sur une très grande partie du monde (Hujjat ullâh il-bâligha 1/343).

--- 4.B) A côté de cela le centre de la Péninsule arabique n'était pas et n'avait jamais été occupé par des puissances étrangères, dont il eût d'abord fallu la libérer pour établir une société croyante souveraine (comme les fils d'Israël avaient dû le faire par rapport à la Judée face aux Séleucides, puis, plus tard, avaient tenté de le faire contre les Romains, sans succès). Muhammad Hamidullah écrit : "Les chroniqueurs romains disent à propos de l'expédition du général Aellius Gallus (24 av. J.-C.), qui avait conquis Najrân, dans le Yémen, qu'il essaya d'atteindre la Mecque mais ne put y arriver. Les Romains revinrent plusieurs fois, jusqu'au temps de l'empereur Néron (m. 68 chr.), mais toujours sans succès. S'ils poussèrent dans cette direction, c'était probablement pour occuper la route commerciale du pays des produits aromatiques, le Yémen" (Le Prophète de l'islam, sa vie, son oeuvre, 2/736).
Les Arabes du Centre de la Péninsule étaient ainsi demeurés indépendants, et ils étaient farouchement attachés à leur indépendance.

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5) Au VIIè siècle chrétien, des circonstances favorables pour l'unification des Arabes :

Au VIIè siècle de l'ère chrétienne, les circonstances étaient telles que la société du Centre de l'Arabie était mûre pour (voire même aspirait à) l'émergence d'une institution fédératrice.

Shâh Waliyullâh l'a explicitement écrit : "وذلك إما بأن يكون الوقت وقت ابتداء ظهور دولة، وكبت الدول بها، فيبعث الله تعالى من يقيم دين أصحاب تلك الدولة؛ كبعث سيدنا محمد صلى الله عليه وسلم" (Hujjat ullâh il-bâligha 1/249).

André Miquel, parlant de l'Arabie de la période qui précède la venue du Prophète, écrit quant à lui :
"Telle est l'Arabie : à la veille de l'Islam, diront ceux qui voient en son avènement la marque exclusive du génie de Muhammad ; dans l'attente de l'Islam, rectifieront ceux pour qui l'aventure de Muhammad était comme inscrite dans les faits.
La vérité est sans doute à mi-chemin : sans Muhammad, les aspirations d'une certaine société arabe ne fussent pas devenues l'Islam ; sans une certaine société arabe, Muhammad eût peut-être prêché l'Islam, mais"
n'eût pas réalisé ce qu'il réalisa.
"C'est parce qu'il était Muhammad mais aussi, comme on va le voir, fils de ce contexte, que le Prophète de l'Islam a pu mettre en accord un destin personnel, une terre et un message"
(L'Islam et sa civilisation, André Miquel, p. 40).

Voilà donc quelques-unes des raisons qui peuvent expliquer le choix des Fils d'Ismaël (lesquels faisaient partie des Arabes) comme peuple parmi lequel le Dernier Prophète a été suscité.

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A cela, il faut cependant ajouter 3 choses :

La première est que j'adhère à l'avis disant que, sur le plan juridique, le musulman arabe n'a aucune spécificité par rapport au musulman non-arabe.

La seconde est que les Arabes n'ont eu, par rapport au message du prophète arabe Muhammad (sur lui soit la paix), qu'une primauté dans le temps, et pas une primauté de destination (comme cela avait été le cas pour les fils d'Israël).

La troisième est une question : "Le dernier prophète a laissé un message qui se présente comme ayant vocation à l'universalité. Or, étant lui-même de culture arabe, les enseignements de son message ne seraient-ils pas irrémédiablement teintés d'arabité, ce qui en gênerait l'universalité ?". La réponse figure dans notre article : Les enseignements de l'islam sont-ils teintés d'arabité ?.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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