Loi de la Torah et Loi du Coran : pourquoi différentes si elles proviennent du même Dieu et s'enracinent dans la Loi d'Abraham ?

Question :

Si Moïse et Muhammad sont des messagers du même Dieu, pourquoi y a-t-il des différences entre les deux "Lois" qu'ils ont apportées ? Comment peut-on comprendre que Dieu ait communiqué une Loi religieuse, celle de la Torah, et qu'Il ait ensuite communiqué une nouvelle Loi religieuse, différente : celle du Coran ? J'ai du mal à comprendre que Dieu puisse changer Sa Loi par une autre...

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Réponse :

Deux versets évoquent la question que vous posez :

- "ثُمَّ أَوْحَيْنا إِلَيْكَ أَنِ اتَّبِعْ مِلَّةَ إِبْراهِيمَ حَنِيفاً وَما كانَ مِنَ الْمُشْرِكِينَ. إِنَّما جُعِلَ السَّبْتُ عَلَى الَّذِينَ اخْتَلَفُوا فِيهِ وَإِنَّ رَبَّكَ لَيَحْكُمُ بَيْنَهُمْ يَوْمَ الْقِيامَةِ فِيما كانُوا فِيهِ يَخْتَلِفُونَ" :
"Puis Nous te révélâmes : "Suis la forme de religion de Abraham, celui qui était droit. Et il ne faisait pas partie des Associateurs". Le sabbat n'a été institué que sur ceux qui
[finalement] divergèrent à son sujet. Et ton Pourvoyeur rendra le jugement entre eux le jour de la résurrection au sujet de ce au sujet de quoi ils divergeaient" (Coran 16/123-124).

- "كُلُّ الطَّعَامِ كَانَ حِلاًّ لِّبَنِي إِسْرَائِيلَ إِلاَّ مَا حَرَّمَ إِسْرَائِيلُ عَلَى نَفْسِهِ مِن قَبْلِ أَن تُنَزَّلَ التَّوْرَاةُ قُلْ فَأْتُواْ بِالتَّوْرَاةِ فَاتْلُوهَا إِن كُنتُمْ صَادِقِينَ" :
"Avant que la Torah fut révélée, tous ces aliments étaient licites pour les fils d'Israël – exception faite de ce que Israël s'était interdit à lui-même. Dis : "Apportez donc la Torah et récitez-la, si vous êtes véridiques"" (Coran 3/93).

- Shâh Waliyyullâh, un érudit musulman de l'Inde, évoque cette problématique en les termes : "فلما جاء النبي صلى الله عليه وسلم رد كل شيء إلى أصله؛ فاختلفت شريعته بالنسبة إلى اليهودية التي هي في أيديهم؛ فقالوا: هذا زيادة ونقص وتبديل! وليس تبديلا في الحقيقة" : "La Loi religieuse que (Muhammad, sur lui la paix) a apportée s'avéra différente de la Loi que les juifs ont auprès d'eux. Ceux-ci ont alors dit : "(Muhammad) a rajouté certaines choses, en a retranché d'autres et en a modifié d'autres encore." Or cela ne constitue pas, en réalité, une modification" (Hujjat ullâh il-bâligha 1/355).

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En fait, il y a 4 grands facteurs qui ont entraîné les différences existant entre la Loi de la Torah actuelle et la Loi du Coran :

Ce n'est pas la totalité de ce qui est présenté comme "La Loi de Moïse" qui constitue réellement "La Loi de Moïse" :
--- Ce n'est pas la totalité des textes de la Torah actuelle qui constitue ce qui a été révélé par Dieu : en effet, ce qui a vraiment été révélé par Dieu n'a pas pu être dans sa totalité sauvegardé dans son authenticité.
--- Par ailleurs, il y a certaines interprétations que des érudits juifs ont faites qui sont "excessives", et, pourtant, elles sont présentées comme relevant elles aussi de "la Loi de Moïse".

Même entre la Loi dûment révélée à Moïse et la Loi révélée à Muhammad, il y a vraiment eu des différences. Cela à cause des 2 facteurs suivants :
--- C'est la forme de religion de Abraham qui constituait la plateforme commune aux fils d'Ismaël et aux fils d'Israël, mais elle connut un développement particulier dans la lignée des fils d'Israël. Or Muhammad ne faisait pas partie de cette lignée, et il revint à la source vive des enseignements de Abraham.
--- Enfin, le message de Muhammad ayant vocation à l'universalité, des règles furent révélées à Muhammad dont le fondement même est inexistant dans la Torah.

Explications détaillées...

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D'abord, entre la Loi dûment révélée à Moïse et la Loi révélée à Muhammad, il y a vraiment eu des différences. Cela s'explique comme suit :

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Avant-Propos) Universel et particulier :

C'est Dieu qui légifère, et la Loi qu'Il donne à des humains par le biais du Messager du moment comporte toujours le bien pour eux : elle leur interdit ce qui est mauvais, leur déclare licite ce qui est bon pour eux, et rend obligatoire pour eux ce qui est nécessaire pour eux. Ces normes-là sont universelles, et communes à tous les messages que Dieu a révélés (ces messages étant comparés dans leur authenticité).

Cependant, à côté des normes universelles, il est d'autres normes qui sont particulières au peuple à qui Il destine la Loi précise Dieu institue eu égard pour la situation du peuple à qui Il destine cette Loi : nous ne sommes pas en train de dire qu'Il leur prescrit alors ce qui est nocif, simplement parce qu'ils le faisaient déjà ; nous sommes seulement en train de dire qu'Il tient compte de la situation de ce peuple quant à l'institution de certaines règles.

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Avant-Propos - i) Points communs et différences :

Ceci entraîne des points communs mais aussi des différences entre les différents Messages apportés par différents Messager du même Dieu.

Ces Messages sont d'une part semblables sur le plan des "bases fondatrices" : croyance en l'existence et l'unicité de Dieu, en la vie après la mort, en la rétribution dans l'au-delà, en la nécessité d'adorer Dieu par la prière, le jeûne, le pèlerinage, l'aumône, en l'interdiction de la mise à mort d'un innocent, de la fornication et de l'adultère, etc. Dieu dit ainsi : "وَمَا أَرْسَلْنَا مِن قَبْلِكَ مِن رَّسُولٍ إِلَّا نُوحِي إِلَيْهِ أَنَّهُ لَا إِلَهَ إِلَّا أَنَا فَاعْبُدُونِ" : "Et Nous n'avons envoyé avant toi de messager que nous ne lui ayons révélé ceci : "Pas de divinité en dehors de Moi, adorez-Moi donc""(Coran 21/25) ; "شَرَعَ لَكُم مِّنَ الدِّينِ مَا وَصَّى بِهِ نُوحًا وَالَّذِي أَوْحَيْنَا إِلَيْكَ وَمَا وَصَّيْنَا بِهِ إِبْرَاهِيمَ وَمُوسَى وَعِيسَى أَنْ أَقِيمُوا الدِّينَ وَلَا تَتَفَرَّقُوا فِيهِ كَبُرَ عَلَى الْمُشْرِكِينَ مَا تَدْعُوهُمْ إِلَيْهِ" : "Il a tracé pour vous, comme voie, ce qu'Il avait enjoint à Noé, et ce qu'Il avait révélé à Abraham, Moïse, Jésus : "Etablissez cette Voie et ne faites pas de division à son sujet"" (Coran 42/13).

Mais ces différents messages présentent également, d'autre part, des différences dans l'expression de ces "bases fondatrices", dans ce que le Coran nomme "la voie et le chemin" ("shir'a wa min'hâj") : les gestes et paroles composant les prières rituelles, le nombre de prières rituelles quotidiennes obligatoires, les horaires de ces prières, et certaines autres prescriptions. Dieu dit ainsi : "لِكُلٍّ جَعَلْنَا مِنْكُمْ شِرْعَةً وَمِنْهَاجًا وَلَوْ شَاءَ اللَّهُ لَجَعَلَكُمْ أُمَّةً وَاحِدَةً وَلَكِنْ لِيَبْلُوَكُمْ فِي مَا آتَاكُمْ فَاسْتَبِقُوا الْخَيْرَاتِ إِلَى اللَّهِ مَرْجِعُكُمْ جَمِيعًا فَيُنَبِّئُكُمْ بِمَا كُنْتُمْ فِيهِ تَخْتَلِفُونَ" : "A chaque (groupe) d'entre vous, nous avons assigné une voie ("shir'a") et une façon de faire. Et si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous un seul groupe, mais (Il ne l'a pas fait) afin de vous éprouver dans ce qu’Il vous a donné. Aussi, pressez-vous vers les bonnes œuvres. Vers Dieu se fera votre retour à tous, et alors Il vous informera de ce en quoi vous divergiez" (Coran 5/48). Ce verset évoque quant à lui les différences existant entre les Voies résultant de la Torah, de l'Evangile et du Coran (Tafsîr ul-Qurtubî, Tafsîr Ibn Kathîr, etc.), vu que les versets 5/43 et 44 parlaient de la Torah, le verset 5/46 de l'Evangile, et le verset 5/48 du Coran. Ibn Abbâs dit qu'ici "shir'a" désigne ici : "ce que Dieu a institué par Sa Parole", et "minhâj" : "ce que Son messager a institué" : "قال ابن عباس: الشرعة: ما ورد به القرآن؛ والمنهاج: ما ورد به السنة" (Al-Muf'radât).

Ces différences sont dues aux différences de contextes, c'est-à-dire :
– aux différences de mentalités,
– et aux différences de cadres sociaux
qui existaient entre les différentes communautés humaines parmi lesquelles chaque Messager a été suscité.
Shâh Waliyyullâh écrit ainsi :
"واعلم أن كثيرا من العادات والعلوم الكامنة يتفق فيها العرب والعجم وجمع سكان الأقاليم المعتدلة وأهل الأمزجة القابلة للأخلاق الفاضلة. (...)؛ فتلك العادات والعلوم أحق الأشياء بالاعتبار.
ثم بعدها عادات وعقائد تختص بالمبعوث إليهم؛ فتعتبر تلك أيضا. وقد جعل الله لكل شيء قدرا"
(Hujjat ullâh il-bâligha, 1/262).
"فكذلك يعتبر في الشرائع علوم مخزونة في القوم واعتقادات كامنة فيهم وعادات تتجارى فيهم كما يتجارى الكلب. ولذلك نزل تحريم لحوم الابل وألبانها على بنى إسرائيل دون بني إسماعيل، ولذلك كان الطيب والخبيث في المطاعم مفوضا إلى عادات العرب. ولذلك حرمت بنات الأخت علينا دون اليهود، فانهم كانوا يعدونها من قوم أبيها لا مخالطة بينهم وبينها، ولا ارتباط، ولا اصطحاب، فهي كالأجنبية؛ بخلاف العرب" (Ibid., 1/263). (Le second point que Shâh Waliyyullâh a ici cité et qui évoque un point de jurisprudence propre à la voie muhammadienne, Ibn Taymiyya n'est cependant pas d'accord avec : parmi les aliments dont le Coran et la Sunna n'ont dit ni qu'ils sont licites ni qu'ils sont illicites, on ne se réfère pas à leur sujet au goût des Arabes pour établir s'ils sont "tayyib" ou "khabîth", dit Ibn Taymiyya.)

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Avant-Propos - ii) Les différences de contextes dans lesquels précisément les Lois de Moïse et de Muhammad (sur eux soit la paix) ont été révélées :

Ce qui précède concernait toutes les Lois apportées par différents Messagers de Dieu.

Mais entre la Loi de Moïse et celle de Muhammad (sur eux soit la paix) précisément, il est une différence de contexte qui saute aux yeux : au moment de la révélation de la Loi à Moïse, l'humanité n'était pas encore entrée dans la phase de mondialisation qu'elle devait connaître vers le IIIè siècle de l'ère chrétienne ; et Dieu tint compte de l'état de cette avancée dans le fait même qu'Il ne communiqua pas une Loi ayant vocation à l'universalité.

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Avant-Propos - iii) Tout ceci entraîne que l'ensemble des éléments Lois révélées par Dieu peuvent être classifiés selon 2 strates :

Il existe donc, entre les voies (shar') enseignées par différents Messagers de Dieu, à la fois des différences et des points communs. Certains de ces éléments communs à toutes ces voies sont partagés même par les humains qui n'ont eu connaissance du Message d'aucun Messager : il s'agit des éléments sur lesquels les cœurs par lesquels les humains raisonnent sont unanimes en tout temps et en tout lieu.

Nous avons donc en tout 3 strates :
– les éléments "'aqlî", qui sont communs à la conscience humaine universelle ;
– les éléments "millî", qui sont communs à toutes les voies de tous les Messagers, considérées dans leur forme originelle, mais qui sont supplémentaires ou restrictifs par rapport au 'aqlî ;
– les éléments "shar'î", propres à la voie du Dernier Messager, Muhammad, et qui sont supplémentaires ou restrictifs par rapport au millî.

C'est Ibn Taymiyya qui a souligné l'existence de ces 3 strates (Majmû' ul-fatâwâ 20/66) : 'Aqlî, millî, shar'î : les trois strates concernant les normes éthiques de l'homme.

La plupart des différences existant entre le Shar' d'un prophète et le Shar' d'un autre prophète relèvent de la catégorie "2.2", et certains de la catégorie "3" dans notre article : Le caractère "bon" ou "mauvais" d'une action humaine (d'après ce que le Wah'y / Shar' en a dit) : précédait-il ce que la Révélation est venue "révéler" au sujet de cette action ? ou bien fait-il suite à ce que la Révélation a dit à son sujet ?.

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--- A) La voie de Abraham, une voie commune aux fils d'Ismaël et aux fils d'Israël, mais qui connut un développement particulier dans la lignée des fils d'Israël :

Deux grandes nations se réclament directement de Abraham :
– les fils d'Ismaël, installés en Arabie ;
– les fils d'Israël, installés à Canaan.
Et deux sanctuaires avaient été dédiés à Dieu l'Unique :
– celui de la Kaaba, bâti à La Mecque par Abraham et Ismaël ;
– celui de Bayt ul-maqdis, fondé à Jérusalem probablement par Abraham.

Or Muhammad (sur lui soit la paix) se disait sur la Voie de Abraham (sur lui soit la paix), mais il ne faisait pas partie de la lignée israélite ; et jamais il ne prétendit suivre la Loi de la Torah dans ses particularités ("la voie et le chemin", "shir'a wa min'hâj"). Il affirma au contraire être le porte-parole d'une Loi qui revenait aux sources vives de la Voie de Abraham, selon ce que celle-ci était demeurée dans la lignée d'Ismaël, c'est-à-dire "à l'état originel", sans le développement que la lignée israélite en avait connu.

En fait les enseignements apportés par Muhammad étaient caractérisés par un double mouvement :
– celui de ce retour aux enseignements des sources vives de la tradition abrahamique,
– et, simultanément, celui de leur modelage et de leur complétion de sorte que ces enseignements puissent être vécus par des hommes de cultures différentes, vu que le message de Muhammad s'adresse pour sa part à toute l'humanité (nous allons y revenir en B, plus bas).

--- Lire notre article intitulé "La religion de Muhammad suit celle de Abraham" ;
--- Lire notre article au sujet du développement de deux courants à partir de la voie de Abraham.

Voilà le premier facteur de différence entre la Loi de la Torah et la Loi du Coran...

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A.1) Des différences liées au cadre de référence de chacune des deux branches :

Se tourner vers la Kaaba et se tourner vers Bayt ul-maqdis constituent en soi deux possibilités pour réaliser le fait de prendre la direction de la Maison de Dieu lorsqu'on prie :
– Ismaël et ses fils avaient recours à la première possibilité,
– les fils d'Israël à la seconde (Hujjat ullâh il-bâligha 1/255, 550).

Au début, à La Mecque, les musulmans priaient dans la direction qu'ils voulaient.
Mais une fois émigrés à Médine, les musulmans prièrent tournés vers Jérusalem (cela s'est fait, d'après un des avis, suite à un ijtihâd du Prophète, sur lui soit la paix, et d'après un autre, sur ordre de Dieu Lui-même).
16 ou 17 mois passèrent ainsi, puis ordre leur fut donné (sourate al-Baqara) de prendre la direction de la Kaaba.

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A.2) Des différences dues à d'autres facteurs :

Du vivant même de Muhammad (que Dieu le bénisse et le salue), ce genre d'objection lui fut faite :

--- "Comment pouvait-il dire qu'il suivait la voie de Abraham, alors qu'il n'interdisait pas le travail le samedi, alors que la Torah l'interdit ?"
Le verset suivant vint répondre à cette objection :
"ثُمَّ أَوْحَيْنا إِلَيْكَ أَنِ اتَّبِعْ مِلَّةَ إِبْراهِيمَ حَنِيفاً وَما كانَ مِنَ الْمُشْرِكِينَ. إِنَّما جُعِلَ السَّبْتُ عَلَى الَّذِينَ اخْتَلَفُوا فِيهِ وَإِنَّ رَبَّكَ لَيَحْكُمُ بَيْنَهُمْ يَوْمَ الْقِيامَةِ فِيما كانُوا فِيهِ يَخْتَلِفُونَ" :
"Puis Nous te révélâmes : "Suis la forme de religion de Abraham, celui qui était droit" ; et il ne faisait pas partie des Associateurs. Le sabbat n'a été institué que sur ceux qui
[finalement*] divergèrent à son sujet. Et ton Pourvoyeur rendra le jugement entre eux le jour de la résurrection au sujet de ce au sujet de quoi ils divergeaient" (Coran 16/123-124) ("وقوله تعالى: إنما جعل السبت بمعنى إنما فرض تعظيمه والتخلي للعبادة وترك الصيد فيه؛ تحقيق لذلك النفي الكلي وتوضيح له بإبطال ما عسى يتوهم كونه قادحا في الكلية؛ فإن اليهود كانوا يزعمون أن السبت من شعائر الإسلام وأن إبراهيم عليه السلام كان محافظا عليه. أي ليس السبت من شرائع إبراهيم وشعائر ملته عليه السلام التي أمرت باتباعها حتى يكون بينه وبين بعض المشركين علاقة في الجملة، وإنما شرع ذلك لبني إسرائيل بعد مدة طويلة" : Rûh ul-ma'ânî).
* "ceux qui divergèrent" : le verset veut dire que le sabbat ne fut prescrit qu'aux fils d'Israël, et pas à Abraham ; et que parmi les fils d'Israël, finalement, divergence il y eut : certains ne respectèrent pas le sabbat (c'est le commentaire retenu dans Bayân ul-qur'ân). Pourquoi ce fut le samedi le jour le plus important, cela est un fait (que nous aborderons plus bas en A.2.2.2), mais pourquoi, ce jour-là, y eut-il interdiction de travailler, Cheikh Thânwî pense que cela relève de la sévérité qui caractérisait la Loi mosaïque (et que nous évoquerons plus bas en A.2.2.3).

--- "Comment pouvait-il dire qu'il suivait la voie de Abraham, alors qu'il déclarait licites, en tant qu'aliments à consommer, des choses qui étaient illicites dans la Loi de la Torah, présente auprès des fils d'Israël ?"
Le verset suivant vint répondre à cette objection :
"كُلُّ الطَّعَامِ كَانَ حِلاًّ لِّبَنِي إِسْرَائِيلَ إِلاَّ مَا حَرَّمَ إِسْرَائِيلُ عَلَى نَفْسِهِ مِن قَبْلِ أَن تُنَزَّلَ التَّوْرَاةُ قُلْ فَأْتُواْ بِالتَّوْرَاةِ فَاتْلُوهَا إِن كُنتُمْ صَادِقِينَ"
:
"Avant que la Torah fut révélée, tous ces aliments étaient licites pour les fils d'Israël – exception faite de ce que Israël s'était interdit à lui-même. Dis : "Apportez donc la Torah et récitez-la, si vous êtes véridiques"" (Coran 3/93).
("سبب نزولها أن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "أنا على ملة إبراهيم." فقالت اليهود: "كيف وأنت تأكل لحوم الإبل وتشرب ألبانها؟" فقال: "كان ذلك حلالا لإبراهيم." فقالوا: "كل شيء نحرمه نحن، فإنه كان محرما على نوح وإبراهيم حتى انتهى إلينا." فنزلت هذه الآية تكذيبا لهم" : Zâd ul-massîr ; Asbâbu nuzûl il-qur'ân li-l-Wâhidî, 229 ; Rûh ul-ma'ânî).

C'est selon un des deux commentaires que la proposition "avant que la Torah fut révélée" est subordonnée à la phrase "tous ces aliments étaient licites pour les fils d'Israël" (c'est le commentaire retenu dans Bayân ul-qur'ân de ath-Thânwî, ainsi que dans Tafsîr ur-Râzî ; Ibn Kathîr a pour sa part évoqué les deux possibilités).

La traduction "tous ces aliments" se fonde sur le commentaire selon lequel l'article défini est de type 'ahd dhih'nî (lire notre article sur les différentes étendues du sens du terme "tout", "kull") : il n'est pas question ici de tous les aliments, puisque certains d'entre eux étaient déjà interdits depuis avant Abraham (tels que la bête à sang chaud morte sans que ce soit par égorgement). Il n'est question ici que des aliments au sujet desquels l'objection avait été faite au Prophète Muhammad : interdits dans la Torah mais autorisés dans les Coran et Sunna : "ثم قال القفال: "لم يبلغنا أنه كانت الميتة مباحة لهم مع أنها طعام، وكذا القول في الخنزير." ثم قال: "فيحتمل أن يكون ذلك على الأطعمة التي كان يدعي اليهود في وقت الرسول صلى الله عليه وسلم أنها كانت محرمة على إبراهيم." وعلى هذا التقدير لا تكون الألف واللام في لفظ الطعام للاستغراق، بل للعهد السابق؛ وعلى هذا التقدير يزول الإشكال. ومثله قوله تعالى: {قل لا أجد في ما أوحي إلي محرما على طاعم يطعمه إلا أن يكون ميتة أو دما مسفوحا أو لحم خنزير} فإنه إنما خرج هذا الكلام على أشياء سألوا عنها فعرفوا أن المحرم منها كذا وكذا، دون غيره فكذا في هذه الآية" : Tafsîr ur-Râzî) (voir aussi Al-Bahr ul-muhît).

Il y avait donc, au sein de l'ensemble des aliments qui furent interdits aux fils d'Israël dans la Torah :
a) des aliments qui étaient interdits en soi, pour ce qu'ils recèlent (li ma'nan fî nafsihî), qui avaient déjà été interdits avant la révélation de la Torah, et même avant que Jacob/ Israël ne s'interdise ce qu'il s'interdit : et Abraham suivait leur caractère interdit ;
b) une seconde catégorie, constituée des aliments que Jacob/ Israël s'était lui-même interdits pour une cause spécifique (li 'âridh), et au sujet du caractère interdit desquels ses fils puis toute sa descendance le suivirent : ces aliments-là, les fils d'Israël les considérèrent interdits avant même la révélation de la Torah (la révélation de la Torah venant plus tard entériner leur caractère illicite) ; mais Abraham ne les considérait pas interdits, lui ;
c) enfin, une troisième catégorie d'aliments interdits : eux ne furent interdits aux fils d'Israël qu'avec la révélation de la Torah et, avant celle-ci, ils étaient restés licites même pour les fils d'Israël.

Il y eut donc 2 étapes dans le développement particulier qui fut donné, dans la lignée des fils d'Israël, à la Voie de Abraham :
A.2.1) Jacob/ Israël s'était interdit certaines choses (les aliments b), et ses fils le suivirent à ce sujet ; et lorsque, ultérieurement, la Torah fut révélée, elle reconduisit le caractère "interdit" de ces aliments ;
A.2.2) la Torah vint interdire aux fils d'Israël d'autres choses encore (les aliments de type c).

Le verset coranique : "كُلُّ الطَّعَامِ كَانَ حِلاًّ لِّبَنِي إِسْرَائِيلَ إِلاَّ مَا حَرَّمَ إِسْرَائِيلُ عَلَى نَفْسِهِ مِن قَبْلِ أَن تُنَزَّلَ التَّوْرَاةُ قُلْ فَأْتُواْ بِالتَّوْرَاةِ فَاتْلُوهَا إِن كُنتُمْ صَادِقِينَ" : "Avant que la Torah fut révélée, tous ces aliments étaient licites pour les fils d'Israël – exception faite de ce que Israël s'était interdit à lui-même. Dis : "Apportez donc la Torah et récitez-la, si vous êtes véridiques"" (Coran 3/93), veut donc dire :
"Bien que Muhammad comme les fils d'Israël se réclament des enseignements de Abraham, il n'y a rien d'étrange à ce que la Loi apportée par Muhammad reprenne les interdits alimentaires de type a, mais pas tous les interdits alimentaires de type b et c des fils d'Israël.
Le fait est que les interdits alimentaires de ces types
b et c datent de la révélation de la Torah ; ils ne remontent justement pas à Abraham.
En effet,
avant la révélation de la Torah :
-
les aliments de type c étaient entièrement licites pour les fils d'Israël ;
- seuls les aliments de type
b, ils les considéraient interdits pour eux, et cela uniquement parce que Jacob-Israël se les était interdits : ses descendants suivaient en cela leur ancêtre, par égard pour lui.
Mais tout ceci a été instituée dans la lignée des fils d'Israël, et ne remonte pas à Abraham.
Référez-vous à la Torah, et vous y trouverez confirmation de tout cela.
Or Muhammad reprend la source vive des enseignements de Abraham, par la lignée de son autre fils Ismaël"
.

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----- A.2.1) Jacob/ Israël s'était interdit une ou plusieurs choses que Abraham n'avait, lui, pas déclarée(s) interdite(s) :

Ce fut là la première étape dans le développement particulier de la Voie communiquée aux fils d'Israël.

Vu que Jacob/Israël s'était interdit ce ou ces aliments, par considération pour leur illustre ancêtre, les fils d'Israël et après eux leur descendance se préservèrent eux aussi de consommer ces aliments.

Par la suite la Loi donnée à Moïse vint entériner ce sentiment d'illicéité que les fils d'Israël avaient ainsi développé au cours des décennies vis-à-vis de ces aliments.

De quoi s'agit-il, le texte coranique ne l'a pas précisé...

--- Dans le texte de la Torah on lit ceci, comme conclusion du récit d'une lutte de Jacob avec un ange : "وأشرقت له الشمس إذ عبر فنوئيل وهو يخمع على فخذه. لذلك لا يأكل بنو إسرائيل عرق النسا الذي على حق الفخذ إلى هذا اليوم، لأنه ضرب حق فخذ يعقوب على عرق النسا" (Genèse 32/32-33 ; traduction arabe) : "Le soleil se levait quand il passa Penouël. Il boitait de la hanche. C'est pourquoi les fils d’Israël ne mangent pas le muscle de la cuisse qui est à la courbe du fémur, aujourd'hui encore. Il avait en effet heurté Jacob à la courbe du fémur, au muscle de la cuisse" (Genèse 32/32-33 ; traduction de la TOB) ; dans d'autres traductions, au lieu de "le muscle de", on trouve : "le tendon qui est" (Segond) ; "le grand nerf qui est" (Bible annotée).

--- Dans les Sources islamiques on lit deux interprétations :
----- soit Jacob (sur lui soit la paix) a fait le vœu de ne plus manger tel animal (le chameau), ou telle partie de tout animal comestible (le nerf sciatique de cet animal, عرق النساء) ;
----- soit c'est pour raison médicale qu'il s'interdit de manger cela...

----- "حدثني يعقوب بن إبراهيم، قال، حدثنا هشيم قال، أخبرنا أبو بشر، عن يوسف بن مَاهَك قال: جاء أعرابي إلى ابن عباس فقال إنه جعل امرأته عليه حرامًا، قال: ليست عليك بحرام. قال: فقال الأعرابي: ولم؟ والله يقول في كتابه: "كل الطعام كان حلا لبني إسرائيل إلا ما حرَّم إسرائيل على نفسه"؟ قال: فضحك ابن عباس وقال: وما يدريك ما كان إسرائيل حَرّم على نفسه؟ قال: ثم أقبل على القوم يحدثهم فقال: "إسرائيل عرَضتْ له الأنساءُ فأضنته، فجعل لله عليه إنَ شفاه الله منها لا يطعم عِرْقًا." قال: "فلذلك اليهود تنزع العروق من اللحم" (Tafsîr ut-Tabarî, 7405). "حدثنا الحسن بن يحيى قال: حدثنا عبد الرزاق قال، أخبرنا سفيان الثوري، عن حبيب بن أبي ثابت، عن سعيد بن جبير، عن ابن عباس قال: "كان إسرائيل أخذه عرق النسا، فكان يبيتُ لهُ زُقاء، فجعل لله عليه إن شفاه أن لا يأكل العروق. فأنزل الله عز وجل:"كلّ الطعام كان حلا لبني إسرائيل إلا ما حرّم إسرائيل على نفسه". قال سفيان: "له زقاء" "يعني صياح (Tafsîr ut-Tabarî, 7411). "حدثنا الشيخ أبو بكر أحمد بن إسحاق، أنبأ أبو المثنى، ثنا مسدد، ثنا يحيى بن سعيد، عن سفيان، عن حبيب بن أبي ثابت، عن سعيد بن جبير، عن ابن عباس رضي الله عنهما، أن إسرائيل أخذه عرق النسا فكان يبيت وله زقاء، قال: "فجعل إن شفاه الله أن لا يأكل لحما فيه عروق." قال: "فحرمته اليهود." فنزلت {كل الطعام كان حلا لبني إسرائيل إلا ما حرم إسرائيل على نفسه، من قبل أن تنزل التوراة، قل فأتوا بالتوراة فاتلوها إن كنتم صادقين} إن هذا كان قبل التوراة" (Al-Mustad'rak, 3152). "عرق النساء: بفتح النون والألف المقصورة، هو وجع يبتديء من مفصل الورك وينزل من جانب الوحشي على الفخذ وربما امتد إلى الركبة وإلى الكعب؛ وسمى المرض باسم المحل لأن النسا بالفتح والقصر وريد يمتد على الفخذ من الوحشي إلى الكعب، وجرى العادة بأن يسمى وجع النسا بعرق النسا؛ وتقدير الكلام: وجع العرق الذي هو النسا" (Tuhfat ul-ahwadhî).

----- "حدثنا عبد الله بن عبد الرحمن قال: أخبرنا أبو نعيم، عن عبد الله بن الوليد - وكان يكون في بني عجل - عن بكير بن شهاب، عن سعيد بن جبير، عن ابن عباس، قال: أقبلت يهود إلى النبي صلى الله عليه وسلم، فقالوا: يا أبا القاسم، أخبرنا عن الرعد ما هو؟ قال: "ملك من الملائكة موكل بالسحاب معه مخاريق من نار يسوق بها السحاب حيث شاء الله." فقالوا: فما هذا الصوت الذي نسمع؟ قال: "زجرة بالسحاب إذا زجره حتى ينتهي إلى حيث أمر." قالوا: صدقت. فقالوا: فأخبرنا عما حرم إسرائيل على نفسه؟ قال: "اشتكى عرق النسا، فلم يجد شيئا يلائمه إلا لحوم الإبل وألبانها، فلذلك حرمها." قالوا: صدقت" (at-Tirmidhî, 3117). Al-Mubârakpurî écrit : "وفي رواية الترمذي هذه إجمال، توضحه رواية أحمد من طريق هاشم بن القاسم عن عبد الحميد عن شهر عن ابن عباس" (Tuhfat ul-ahwadhî). "حدثنا حسين، حدثنا عبد الحميد بن بهرام، عن شهر بن حوشب، قال: قال عبد الله بن عباس: حضرت عصابة من اليهود رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقالوا: "يا أبا القاسم، حدثنا عن خلال نسألك عنها، لا يعلمهن إلا نبي." فكان فيما سألوه أي الطعام حرم إسرائيل على نفسه قبل أن تنزل التوراة؟ قال: "فأنشدكم بالله الذي أنزل التوراة على موسى، هل تعلمون أن إسرائيل يعقوب عليه السلام مرض مرضا شديدا فطال سقمه، فنذر لله نذرا لئن شفاه الله من سقمه، ليحرمن أحب الشراب إليه وأحب الطعام إليه، فكان أحب الطعام إليه لحمان الإبل، وأحب الشراب إليه ألبانها؟" فقالوا: اللهم نعم" (Ahmad, 2471 - voir aussi Ahmad, 2514 - ; il y a une discussion sur la fiabilité de Abdul-Hamîd 'an Shah'r, et de Shah'r, a écrit le muhaqqiq de Ar-Rissâla).

Ibn ul-Jawzî expose les différents avis en ces termes :
"وفي الذي حرمه على نفسه ثلاثة أقوال: أحدها: لحوم الإبل وألبانها؛ روي عن ابن عباس، وهو قول الحسن وعطاء بن أبي رباح وأبي العالية في آخرين. والثاني: أنه العروق؛ رواه سعيد بن جبير عن
ابن عباس، وهو قول مجاهد وقتادة والضحاك والسدي في آخرين. والثالث: أنه زائدتا الكبد والكليتان، والشحم إلا ما على الظهر؛ قاله عكرمة.
وفي سبب تحريمه لذلك أربعة أقوال: أحدها: أنه طال به مرض شديد، فنذر لئن شفاه الله، ليحرمن أحب الطعام والشراب إليه؛ روي عن النبي صلى الله عليه وسلم. والثاني: أنه اشتكى عرق النسا، فحرم العروق؛ قاله ابن عباس في آخرين. والثالث: أن الأطباء وصفوا له حين أصابه النسا اجتناب ما حرمه، فحرمه؛ رواه الضحاك عن ابن عباس. والرابع: أنه كان إذا أكل ذلك الطعام، أصابه عرق النسا فيبيت وقيدا، فحرمه؛ قاله أبو سليمان الدمشقي.
واختلفوا: هل حرم ذلك بإذن الله، أم باجتهاده؟ على قولين.
واختلفوا: بماذا ثبت تحريم الطعام الذي حرمه، على اليهود، على ثلاثة أقوال" (Zâd ul-massîr).

"وقال السدي: لما أنزل الله التوراة، حرم عليهم ما كانوا يحرمون على أنفسهم قيل نزولها" (Al-Bahr ul-muhît).

Shâh Waliyyullâh écrit pour sa part (il a cependant retenu ce qui n'est qu'un des commentaires quant à ce que Jacob s'interdit alors) : "باب أسباب نزول الشرائع الخاصة بعصر دون عصر وقوم دون قوم: والأصل فيه قوله تعالى: {كل الطعام كان حلا لبني إسرائيل إلا ما حرم إسرائيل على نفسه من قبل أن تنزل التوراة قل فأتوا بالتوراة فاتلوها إن كنتم صادقين}. تفسيرها أن يعقوب عليه السلام مرض مرضا شديدا، فنذر لئن عافاه الله ليحرمن على نفسه أحب الطعام والشراب إليه، فلما عوفي حرم على نفسه لحمان الإبل وألبانها. وأقتدى به بنوه في تحريمها. ومضى على ذلك القرون حتى أضمروا في نفوسهم التفريط في حق الأنبياء إن خالفوهم بأكلها. فنزل التوراة بالتحريم. ولما بين النبي صلى اله عليه وسلم أنه على ملة إبراهيم قالت اليهود كيف يكون على ملته وهو يأكل لحوم الإبل وألبانها، فرد الله تعالى عليهم أن كل الطعام كان حلا في الأصل وإنما حرمت الإبل لعارض لحق باليهود؛ فلما ظهرت النبوة في بني إسماعيل وهم برآء من ذلك العارض لم يجب رعايته.
وقول النبي صلى الله عليه وسلم في صلاة التراويح: "ما زال بكم الذي رأيت من صنيعكم حتى خشيت أن يكتب عليكم، ولو كتب عليكم ما قمتم به، فصلوها أيها الناس في بيوتكم." فكبحهم النبي صلى الله عليه وسلم عن جعلها شائعا ذائعا بينهم لئلا تصير من شعائر الدين، فيعتقدوا تركها تفريطا في جنب الله، فتفرض عليهم. وقوله صلى الله عليه وسلم: "أعظم المسلمين في المسلمين جرما من سأل عن شيء، فحرم لأجل مسألته." وقوله صلى الله عليه وسلم : "إن إبراهيم حرم مكة ودعا لها وإني حرمت المدينة كما حرم إبراهيم مكة ودعوت لها في مدها وصاعها مثل ما دعا إبراهيم لمكة". وقوله صلى الله عليه وسلم لمن سأله عن الحج "أهو في كل عام؟": "لو قلت نعم لوجبت، ولو وجبت لم تقوموا بها، ولو لم تقوموا بها عذبتم""
(Hujjat ullâh il-bâligha 1/259-260).

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----- A.2.2) La Loi communiquée par Dieu à Moïse rajouta (sur ordre de Dieu) d'autres choses encore :

Shâh Waliyyullâh écrit : "وزاد موسى عليه السلام على ملة إبراهيم عليه السلام أشياء، كتحريم لحوم الأبل ووجوب السبت ورجم الزناة وغير ذلك" : "(La Loi communiquée par Dieu à) Moïse (sur lui soit la paix) rajouta aux enseignements de Abraham (sur lui soit la paix) certaines choses, telles que l'interdiction de la chair de chameau, l'obligation du sabbat, la lapidation de ceux qui ont fait l'adultère, et d'autres choses encore" (Hujjat ullâh il-bâligha 1/354).

Pourquoi ces développements particuliers (A.2.2) ?

Les 3 facteurs suivants peuvent être invoqués...

------- A.2.2.1) Prise en compte du cadre social (préexistant à la révélation de la Loi) existant chez les fils d'Israël :

Toute Loi communiquée par Dieu interdit l'inceste, c'est-à-dire l'union d'un homme avec une proche parente à lui.

Par contre différentes Lois divines peuvent diverger quant à la détermination d'un type d'union précise : relève-t-elle de l'inceste ou non.

Ainsi, la Loi donnée à Moïse ne considérait pas comme relevant de l'inceste l'union d'un homme avec la fille de sa sœur. Et cela parce qu'elle a tenu compte du cadre social préexistant chez les fils d'Israël à l'époque.

Shâh Waliyyullâh écrit : "ولذلك حرمت بنات الأخت علينا، دون اليهود؛ فانهم كانوا يعدونها من قوم أبيها لا مخالطة بينهم وبينها، ولا ارتباط، ولا اصطحاب، فهي كالأجنبية. بخلاف العرب،" : "Les fils d'Israël considéraient la fille de leur sœur comme faisant partie de la famille de son père avant tout, sans lien direct avec la famille de sa mère" ; la fille de sa sœur ne constituant ainsi pas une proche parente de l'homme, la Loi mosaïque ne considéra pas l'union d'un homme avec ce genre de parente comme étant incestueuse. Chez les Arabes (et donc les fils d'Ismaël aussi), par contre, la nièce était bel et bien considérée comme faisant partie des très proches parentes, et la Loi révélée à Muhammad a donc interdit le mariage avec elle (Hujjat ullâh il-bâligha 1/263).

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------- A.2.2.2) Prise en compte des schémas mentaux (préexistants à la révélation de la Loi) présents chez les fils d'Israël, considérés dans leur ensemble en tant que nation :

Toute Loi communiquée par Dieu interdit de consommer ce qui est nocif pour la santé physique, mentale ou spirituelle de l'homme : "خبيث لوصف قائم بالمحلّ".

De même, elle interdit de tuer l'animal d'une façon qui le fait souffrir beaucoup, car cela constitue un acte d'inutile souffrance supplémentaire, laquelle est indigne de l'être humain.

Toute Loi d'origine divine interdit également de faire à l'égard de l'animal ce qui ne convient pas : "خبيث لسبب خارج عن المحلّ" ; or c'est à cela qu'il faut affilier le fait que la Loi donnée à Moïse interdit de faire cuire la viande dans du beurre.
La raison, écrit Shâh Waliyyullâh, est ceci : "ولذلك كان طبخ العجل في لبن أمه حراما عليهم، دوننا. فان علم كون ذلك تغييرا لخلق الله ومصادمة لتدبير الله، حيث صرف ما خلقه الله لنشء العجل ونموه إلى فك بنيته وحل تركيبه، كان راسخا في اليهود متجاريا فيهم. وكان العرب أبعد خلق الله عن هذا العلم حتى لو ألقى عليهم لما فهموه، ولما أدركوا المناط المناسب للحكم" : "C'est pour cette raison que faire cuire le veau dans le lait de sa mère a été interdit pour eux et pas pour nous. Car était ancré et avait cours chez eux la considération qu'un tel acte serait une modification de la marche voulue par Dieu pour la création, dans la mesure où ce que Dieu a créé pour la croissance du veau, (l'homme) l'utilise ici pour en déliter la chair". Et Shâh Waliyyullâh d'ajouter dans ce passage que percevoir cet acte comme s'opposant à la marche normale de la création est quelque chose de spécifique à la mentalité "sophistiquée" des fils d'Israël, alors que les Arabes (ce qui inclut les fils d'Ismaël), par exemple, ayant une façon "plus simple" de concevoir les choses, ne perçoivent pas cela comme posant un quelconque problème : ils trouveraient même étrange ce raisonnement (Hujjat ullâh il-bâligha 1/264).

Un autre exemple : quel jour consacrer particulièrement au culte de Dieu ?
Les fils d'Israël avaient en eux l'idée que le jour qui méritait d'être retenu pour cela est le jour où Dieu ne créa pas de chose concrète ('ayn) parce qu'Il avait terminé la création des cieux et de la Terre : c'est le samedi, le sabbat.
--- Pour certains ulémas musulmans, le vendredi fut fixé comme jour le plus important de la semaine, mais les fils d'Israël insistèrent pour qu'il soit remplacé par le samedi.
--- D'après al-Qurtubî, cette pensée que les fils d'Israël avait en eux au sujet du samedi, cela se manifesta, lorsqu'il s'agit de choisir le jour le plus important de la semaine, par un ijtihâd de leur part en faveur du samedi ; et Dieu entérina le résultat de cet ijtihâd.
--- D'après Shâh Waliyyullâh, cette pensée que les fils d'Israël avaient déjà en eux concernant la grandeur du samedi, Dieu fit une révélation allant dans le même sens quant à la détermination du jour le plus important de la semaine : "واستحقت اليهود السبت لاعتقادهم أنه يوم فرغ الله فيه من الخلق وأنه أحسن شيء لأداء العبادة" (Hujjat ullâh il-bâligha 1/262). Par contre, aux fils d'Ismaël (les destinataires premiers, dans le temps, du message de Muhammad), étant un peuple vierge de ce genre de considération, ce fut le vendredi qui fut révélé : "استحقوا تعيين الجمعة لكونهم أميين برآء من العلوم المكتسبة". Et Shâh Waliyyullâh d'ajouter : "مع أن الكل بأمر الله ووحيه" (Ibid.).
--- "وقيل: إن الله تعالى لم يعينه لهم، وإنما أمرهم بتعظيم يوم في الجمعة، فاختلف اجتهادهم في تعيينه، فعينت اليهود السبت، لأن الله تعالى فرغ فيه من الخلق. وعينت النصارى يوم الأحد، لأن الله تعالى بدأ فيه بالخلق. فألزم كل منهم ما أداه إليه اجتهاده. وعين الله لهذه الأمة يوم الجمعة من غير أن يكلهم إلى اجتهادهم فضلا منه ونعمة، فكانت خير الأمم أمة" (Tafsîr ul-Qurtubî, 10/199). 'Iyâdh a écrit à peu près la même chose : "قال القاضى: قال بعضهم: فيه حجة أن الجمعة فُرض. وقال بعض المشايخ ما معناه: إنه ليس فى الحديث دليل أن يوم الجمعة فرض عليهم تعيينه فتركوه، لأنه لا يجوز لأحد أن يترك فرضا فرض عليه؛ والظاهر أنه فرض عليهم يومٌ [في] الجمعة يعظمونه بغير تعيين، ووكل إلى اختيارهم تعين، ليقيموا فيه شريعتهم؛ فاختلف اجتهادهم ولم يهدهم الله ليوم الجمعة؛ وذكره لهذه الأمة وبينه لهم ولم يكله إلى اجتهادهم، ففازوا بفضيلته. وقد جاء فى بعض الأخبار أن موسى أمرهم بالجمعة فأخبرهم بفضلها، فناظروه أن السبت أفضل، فقال له الله: دعهم وما اختاروا. وقد يستدل على هذا بقوله: "هذا يوم الجمعة الذى كتبه الله علينا، هدانا الله له"، وفى الآخر: "فهدانا الله لما اختلفوا فيه من الحق". ولو كان منصوصا عليه، لم يصح اختلافهم، بل كان يقول: "خالفوا فيه" (Ikmâl ul-mu'lim, commentaire du hadîth 856). "قلت: ويمكن أن يكون أمروا به صريحا ونص على عينه، فاختلفوا فيه: هل يلزم تعيينه، أم لهم إبداله؟ وأبدلوه. وغلطوا في إبداله" (Shar'h Muslim, an-Nawawî, 6/143-144).

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------- A.2.2.3) Règles instituées par mesure de sévérité (shidda) eu égard à la situation des fils d'Israël :

Le Coran affirme que suite à certains manquements, Dieu interdit aux fils d'Israël certaines choses qui en soi ne sont pourtant pas mauvaises (mais sont au contraire tayyibât).
Dieu dit : "فَبِظُلْمٍ مِّنَ الَّذِينَ هَادُواْ، حَرَّمْنَا عَلَيْهِمْ طَيِّبَاتٍ أُحِلَّتْ لَهُمْ" : "A cause d'un manquement de la part de ceux qui se sont judaïsés, Nous leur interdîmes certaines tayyibât qui avaient été (auparavant) déclarées licites pour eux" (Coran 4/160).
Ces interdits alimentaires sont ainsi détaillés dans un autre verset : "وَعَلَى الَّذِينَ هَادُواْ حَرَّمْنَا كُلَّ ذِي ظُفُرٍ وَمِنَ الْبَقَرِ وَالْغَنَمِ حَرَّمْنَا عَلَيْهِمْ شُحُومَهُمَا إِلاَّ مَا حَمَلَتْ ظُهُورُهُمَا أَوِ الْحَوَايَا أَوْ مَا اخْتَلَطَ بِعَظْمٍ. ذَلِكَ جَزَيْنَاهُم بِبَغْيِهِمْ وِإِنَّا لَصَادِقُونَ""Et à ceux qui se sont judaïsés, Nous avions interdit tout animal à ongle unique. Et des bovins et des ovins/caprins Nous leur interdîmes leurs graisses, excepté ce que portent leur dos ou leurs entrailles, ou ce qui est mêlé à l'os. Ainsi les avions-Nous rétribués pour leurs manquements" (Coran 6/146).
Dieu dit également : "وَعَلَى الَّذِينَ هَادُواْ حَرَّمْنَا مَا قَصَصْنَا عَلَيْكَ مِن قَبْلُ؛ وَمَا ظَلَمْنَاهُمْ وَلَكِن كَانُواْ أَنفُسَهُمْ يَظْلِمُونَ" (Coran 16/118).

De quels manquements s'agit-il ?

Il s'agit de manquements faits par un certain nombre du peuple d'Israël, et tous survenus à l'époque de Moïse lui-même, mais après la réception des Tables au Mont du Sinaï. Al-Kalbî : "Dieu ne le leur a pas interdit dans les (Tables Ecrites données au Sinaï), mais plus tard, à cause de leurs manquements" : "وقال الكلبي: لم يحرمه الله عز وجل في التوراة عليهم، وإنما حرمه بعد التوراة بظلمهم وكفرهم؛ وكانت بنو إسرائيل إذا أصابوا ذنبا عظيما حرم الله تعالى عليهم طعاما طيبا، أو صب عليهم رجزا وهو الموت. فذلك قوله تعالى: {فبظلم من الذين هادوا حرمنا عليهم طيبات أحلت لهم} الآية، وقوله: {وعلى الذين هادوا حرمنا كل ذي ظفر} الآية إلى قوله: {ذلك جزيناهم ببغيهم وإنا لصادقون" (Tafsîr ul-Qurtubî 4/137).

Ibn Taymiyya relate que la sévérité de la Loi donnée à Moïse à l'intention des fils d'Israël fut motivée par le fait que, affaiblis par l'oppression qu'ils avait subie en Egypte, il leur fallait une telle législation pour devenir plus forts psychologiquement : "قيل: سبب ذلك أن بني إسرائيل كانت نفوسهم قد ذلت لقهر فرعون لهم واستعباد فرعون لهم، فشرعت لهم الشدة لتقوى أنفسهم ويزول عنهم ذلك الذل. (...) قالوا: فلما نصر الله بني إسرائيل وأظهرهم، ظهرت فيهم الأحداث بعد ذلك وتجبروا، وقست قلوبهم (...)، فبعث الله المسيح - عليه السلام - باللين والصفح والعفو عن المسيء واحتمال أذاه؛ ليلين أخلاقهم ويزيل ما كانوا فيه من الجبرية والقسوة" (Al-Jawâb us-sahîh 3/192).

En tous cas, quand Muhammad (que Dieu le salue) fut suscité comme ultime messager de Dieu, la Loi qu'il apporta de la part de Dieu déclara ces choses-là licites, vu qu'elles sont en soi bonnes (tayyibât) : cette Loi n'interdit que d'une part l'action qui est en soi mauvaise (munkar) ou qui est très susceptible d'y conduire (sadd udh-dharî'a ila-l-munkar), et d'autre part la chose qui est en soi mauvaise (khabîth) par rapport à une action donnée : "الَّذِينَ يَتَّبِعُونَ الرَّسُولَ النَّبِيَّ الأُمِّيَّ الَّذِي يَجِدُونَهُ مَكْتُوبًا عِندَهُمْ فِي التَّوْرَاةِ وَالإِنْجِيلِ: يَأْمُرُهُم بِالْمَعْرُوفِ وَيَنْهَاهُمْ عَنِ الْمُنكَرِ وَيُحِلُّ لَهُمُ الطَّيِّبَاتِ وَيُحَرِّمُ عَلَيْهِمُ الْخَبَآئِثَ وَيَضَعُ عَنْهُمْ إِصْرَهُمْ وَالأَغْلاَلَ الَّتِي كَانَتْ عَلَيْهِمْ. فَالَّذِينَ آمَنُواْ بِهِ وَعَزَّرُوهُ وَنَصَرُوهُ وَاتَّبَعُواْ النُّورَ الَّذِيَ أُنزِلَ مَعَهُ أُوْلَئِكَ هُمُ الْمُفْلِحُونَ" : "ceux qui suivent le messager prophète illettré, qu'ils trouvent mentionné auprès d'eux dans la Torah et l'Evangile : il leur ordonne (l'action) qui est reconnue et les empêche de (l'action) qui est réprouvée ; il déclare licites pour eux (les choses) qui sont bonnes et déclare illicites pour eux (les choses) qui sont mauvaises ; il enlève d'eux la charge, et les jougs qui étaient sur eux..." (Coran 7/157).

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----- A.2.3) En résumé :

Le reproche fait à Muhammad de se dire sur la Voie de Abraham tout en considérant tels et tels aliments licites alors que ceux-ci sont interdits dans la Loi mosaïque n'a pas lieu d'être, puisque :
– certains de ces aliments (b) n'étaient devenus illicites dans la voie de Moïse que pour une raison précise (li 'âridh), propre à la lignée des fils d'Israël : Jacob se les étaient interdits ;
– d'autres aliments (c) étaient mêmes demeurés licites après Jacob pour plusieurs générations de fils d'Israël encore, et ce n'est qu'avec la Loi révélée à Moïse qu'ils leur ont été interdits : les causes de cette interdiction étaient également propres à la lignée des fils d'Israël.

Ces interdits étaient donc spécifiques au développement particulier que la Voie de Abraham a connue dans la lignée des fils d'Israël.

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--- B) Par ailleurs, le message de Muhammad ayant vocation à l'universalité, des règles furent révélées à Muhammad dont le fondement même est inexistant dans la Torah :

C'est là un deuxième facteur de différence entre les deux Lois dûment révélées, celle de la Torah et celle du Coran, cité par Shâh Waliyyullâh (Hujjat ullâh il-bâligha 1/356, 342).

Et il a cité comme relevant de ce facteur :

Le fait que la Dâr ul-islâm accueille en son sein des gens adhérant de façon connue à d'autres religions que l'islam : ceci a entraîné la révélation de règles inexistantes dans la Torah, telles que la dhimma, le kharâj, etc. (Ibid.).

Peut-être que ce serait également ce facteur B qui a motivé l'interdiction formelle de certaines choses, par mesure de précaution (sadd udh-dharî'a), au vu de la grande diversité des cultures jusque auxquelles le Dernier message parviendrait.
On le voit au travers des exemples suivants :
----- l'interdiction de toute prosternation devant autre que Dieu, fût-elle de grand respect seulement (alors que ce type de prosternation a été pratiqué par Jabob-Israël lui-même, comme cela est relaté dans le Coran) ;
----- l'interdiction de fabriquer et de garder chez soi la représentation, faite dans du volume (sculpture), de n'importe quel être animé, fût-il un animal (alors que cela avait été réalisé sur commande de Salomon : Coran 34/12-13 ; en fait ce genre de sculptures n'étaient pas interdites d'après la Loi mosaïque : cheela.org ; cheela.org) ;
----- l'interdiction de boire toute boisson comportant un degré d'alcool perceptible par les sens, quel qu'en soit le taux (alors que aux fils d'Israël, l'ivresse était interdite, de même que de boire certaines boissons alcooliques, tandis qu'ils avaient la possibilité de préparer et de boire un certain type d'alcool, considéré alors cacher) ;
----- l'interdiction de l'exposition de sa nudité, même entre hommes, aux bains publics ; tandis que ceci n'était pas interdit pour les fils d'Israël, qui se baignaient nus entre hommes (Ibn Hajar dit ceci au sujet du hadîth bien connu : "ظاهره أن ذلك كان جائزا في شرعهم، وإلا لما أقرهم موسى على ذلك. وكان هو عليه السلام يغتسل وحده أخذا بالأفضل" : Fat'h ul-bârî 1/501 ; lire également l'avis rabbinique sur ce point : cheela.org).

Il existe aussi le cas inverse : certaines choses avaient été interdites dans la loi mosaïque mais ont été autorisées dans la loi muhammadienne, eu égard à un allègement, mais cette fois alors que la règle en vigueur dans les Lois précédentes n'était pas due à une mesure de sévérité (shidda) comme en A.2.2.3 :
----- l'autorisation de consommer la chair de l'animal que l'on a sacrifié pour Dieu (MF 17/484).

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Note :

Une fois que Dieu a révélé dans Son dernier Message une règle et que celle-ci est formelle (qat'î), nul ne peut plus relativiser une telle règle au prétexte qu'il vit dans une culture où on considère les choses différemment, et que c'était bien à cause de considérations différentes que les Lois de Dieu avaient présenté des différences dans le passé. Le fait est que Dieu a décrété, et, cela relevant de la catégorie 2.2, 2.3 ou 3 dans notre article sur les proportions entre maslaha et mafsada, il s'y trouve une dimension de inshâ' (et donc de ibtilâ').

Par contre, pour des règles qui font l'objet d'interprétations divergentes et où la détermination de l'avis correct n'est pas de ce niveau qat'î, oui, il est possible que les muftis compétents donnent fatwa sur l'avis qui correspond le plus à la situation dans laquelle les musulmans se trouvent.

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Ensuite, ce n'est pas la totalité de ce qui est présenté comme "La Loi de Moïse" qui constitue réellement "La Loi de Moïse" :

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--- C) Ce n'est pas la totalité des textes de la Torah révélée par Dieu qui a pu être sauvegardée dans son authenticité :

Certaines différences entre la Loi actuelle de la Torah et celle que Muhammad a reçue s'expliquent par le fait que la première n'a pas pu être conservée dans son entière authenticité.

Attention, je ne parle pas de "tahrîf lafzî", de falsification.

Je parle de situations qui ont pu empêcher la sauvegarde des textes dans leur entière authenticité.

Et je ne parle pas non plus de tous les textes composant l'actuelle Torah /TaNaK.
Je parle de certains passages. Et ces passages n'étant pas authentiques ne représentent qu'une petite quantité, et non pas la majorité de la Torah / TaNaK.

J'ai déjà, dans un autre article, au sujet de ce point, cité l'écrit de Ibn Khaldûn qui dit : "وأما ما يقال من ان علماءهم بدلوا مواضع من التوراة بحسب أغراضهم في ديانته، فقد قال ابن عباس على ما نقل عنه البخاري في صحيحه إن ذلك بعيد. وقال: معاذ الله ان تعمد أمة من الامم إلى كتابها المنزل على نبيها فتبدله أو ما في معناه. قال: وانما بدلوه وحرفوه بالتأويل. ويشهد لذلك قوله تعالى: "وعندهم التوراة فيها حكم الله"؛ ولو بدلوا من التوراة ألفاظها لم يكن عندهم التوراة التى فيها حكم الله. وما وقع في القرآن الكريم من نسبة التحريف والتبديل فيها إليهم فانما المعنى به التأويل. اللهم الا أن يطرقها التبديل في الكلمات على طريق الغفلة وعدم الضبط وتحريف من لا يحسن الكتابة بنسخها فذلك يمكن في العادة؛ لا سيما وملكهم قد ذهب وجماعتهم انتشرت في الآفاق واستوى الضابط منهم وغير الضابط والعالم والجاهل ولم يكن وازع يحفظ لهم ذلك لذهاب القدرة بذهاب الملك؛ فتطرق من أجل ذلك إلى صحف التوراة في الغالب تبديل وتحريف غير معتمد من علمائهم وأحبارهم. ويمكن مع ذلك الوقوف على الصحيح منها إذا تحرى القاصد لذلك بالبحث عنه" : "Quant à ce qui est dit que leurs savants ont modifié des passages de la Torah conformément à leurs intérêts religieux, Ibn Abbâs a dit, d'après ce que al-Bukhârî a rapporté de lui dans son Sahîh : "Cela est peu probable". Il a dit en substance : "A Dieu ne plaise qu'une nation parmi les nations falsifie volontairement le livre qu'elle a reçu, révélé à son prophète !" Il a dit : "C'est par une interprétation erronée ("ta'wîl") (de certains passages) de leur part qu'il y a modification [du sens de certaines parties du message donné par Dieu] [et non par une falsification délibérée du texte même]." Va dans le sens de ces propos la parole de Dieu qui dit : "alors qu'auprès d'eux se trouve la Torah dans laquelle se trouve le jugement de Dieu" : s'ils avaient modifié les mots de la Torah, il n'y aurait pas "auprès d'eux la Torah dans laquelle se trouve le jugement de Dieu". Et ce qui dans le Coran est dit de changement volontaire de leur part, cela concerne l'interprétation (qu'ils font de certains de leurs textes). Sauf qu'une modification dans les mots a pu se glisser par la voie de l'inattention, de l'absence de précision, et d'une modification de la part de qui ne sait pas bien écrire en recopiant ; cela est possible habituellement. D'autant que leur royaume a été détruit et que leur communauté a été dispersée en différents horizons ; que sont devenus (alors) égaux celui qui a la maîtrise et celui qui ne l'a pas, le savant et l'ignorant ; et qu'ils ne disposaient pas d'une cause qui aurait préservé cela pour eux, à cause de la disparition de la capacité, due à la disparition du royaume. A cause de cela, s'est glissé dans les feuilles de la Torah un changement involontaire dans les mots, de la part de leurs savants et érudits. Malgré cela, il est possible de prendre connaissance de ce qui en est authentique, lorsque le chercheur recherche cela en l'explorant" (Târîkh Ibn Khaldûn, 2/7-8).

Shâh Waliyyullâh est lui aussi d'avis qu'il n'y a pas eu "tahrîf lafzî" de la Torah même (Al-Fawz ul-kabîr, p. 29 ; son avis est légèrement différent, cependant, de celui de Ibn Khaldûn).

Ceci va dans le sens de ce que Max Dimont, auteur juif bien connu, écrit : "The final fusion of the Five Books of Moses, called the Pentateuch, occurred around 450 B.C. – in other words, not until eight to sixteen hundred years after some of the events narrated in them took place. Is it not reasonable to suppose that in that period of time [i. e. before 450 B.C.], before there were any written records, many changes and alterations must have occurred as the stories and legends were handed down orally from generation to generation ?" (Jews, God and History, New American Library, 2nd edition, p. 31). Décrivant cette entreprise de fusion s'étant déroulée vers la moitié du 5ème siècle avant J.C., Dimont écrit : "As a second move toward forging a national religious and spiritual Jewish character, Ezra and Nehemia decided not only to revise the Book of Deuteronomy but to add to it four other Books of Moses. Under their direction, priest and scholar labored diligently to fuse the most important of the divergent Mosaic documents, including the Deuteronomy of Josiah, into the five books of the Pentateuch, namely, Genesis, Exodus, Leviticus, Numbers, and Deuteronomy. All Five Books of Moses were now made divine. From here on, no deletions, changes or additions to the Pentateuch could be made, nor have any been made" (Ibid., p. 63). "There are two versions of many, many other events, as the perceptive reader of Old Testament may have noticed. Are we dealing with two versions of the same story, or with two different stories merged into one ?" (Ibid., p. 28). Cliquez ici pour lire notre article au sujet de l'authenticité des textes des Révélations antérieures.

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--- D) Il existe certaines interprétations que des érudits juifs ont faites qui sont "excessives", et, pourtant, elles sont présentées comme relevant elles aussi de "la Loi de Moïse" :

Certains érudits juifs, tout en conservant les textes attribués à Moïse, y ont adjoint, en commentaire, des points issus de leurs pures déductions, parfois trop poussées, "تعمقات" (pour reprendre le terme employé par Shâh Waliyyullâh in Al-Fawz ul-kabîr).

Il s'agit de déductions fondées :
--- sur des recoupements avec une particule ici employée, et une autre là-bas employée ;
--- sur le recours à une perception de nombreux textes comme étant en fait des paraboles ;
--- sur le recours à des interprétations de niveau ésotérique.

Leurs érudits distinguent 4 niveaux de lecture des textes : Pshat : littéral ; Remez : allusion ; Drash : sonder, chercher ; Sod : secret (PaRDeS).

Il y a eu les érudits qui ont été les auteurs de ces déductions.

Mais par la suite leurs élèves immédiats ou lointains se sont mis à considérer ces points comme étant du même niveau que les enseignements de Moïse eux-mêmes (c'est-à-dire : qat'î), sans parvenir à garder à l'esprit que ce ne sont là que des commentaires pensés par des humains non-prophètes, et ces humains peuvent tout à fait s'être trompés.

Ce sont d'ailleurs de telles déductions pures, considérées comme étant de même niveau que la révélation faite à Moïse, qui a conduit la plupart des juifs à rejeter Jésus fils de Marie : Jésus ne correspondait pas à la totalité des qualificatifs du Messie à venir tels qu'établis par déduction par des érudits (cf. Al-Fawz ul-kabîr, p. 32).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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