Se préoccuper seulement du Dîn, ou bien du Dîn et du Dunyâ ?

(Le terme "Dunyâ" a été ici employé en son sens B.)

Il est des hommes qui disposent de grands bienfaits dunyawî mais ne disposent pas des bienfaits dînî. Pareillement, il en est d'autres qui se préoccupent d'acquérir tellement de bienfaits dunyawî que leur progression dans les actions dînî s'en retrouve fortement amoindrie.

Cependant, d'un autre côté il n'est pas possible de vivre sur Terre (et pouvoir alors pratiquer le dîn) sans avoir un minimum de bienfaits dunyawî : au moins la vie, un minimum de santé physique, de quoi manger pour demeurer en vie, etc.

Le fait est qu'à chaque humain, Dieu a imparti un certain laps de temps pour qu'il vive sur Terre. Pour chaque humain cela est déjà déterminé et consigné par Dieu, mais il ne connaît pas la durée de ce temps. L'objectif suprême que le croyant cherche à réaliser pendant ce laps de temps lui ayant été imparti est de se rapprocher de Dieu jusqu'à ce que Celui-ci l'aime (taqarrub ilayhi hattâ yuhibbahû), ce rapprochement étant rendu possible par le fait de L'aimer (mahabba) plus que toute chose, de Le magnifier (ta'zîm) plus que toute chose, d'obéir à Ses Ordres (itâ'ah) uniquement et donc de faire tout ce qu'Il aime et de se préserver de tout ce qu'Il déteste, mais aussi de L'évoquer abondamment (dhikr).

Agir en ce sens est donc le besoin suprême pour le croyant.

Mais le problème c'est que, comme tout être humain, ce croyant ne peut vivre sur Terre, avec l'objectif de réaliser cet objectif, que si son corps demeure en vie. Il s'agit donc pour lui de ne pas négliger ce qui nourrit ce corps et le maintient en vie. Voilà un second besoin pour le croyant : demeurer en vie et en bonne santé.

Par ailleurs, comme tout être humain, le(la) croyant(e) a été créé avec l'élan sexuel, inculqué par Dieu pour que l'espèce humaine se perpétue sur Terre. Le(la) croyant(e) cherche à satisfaire cet élan en prenant un(e) conjoint(e) ; une fois mariés, tous deux ont besoin d'un lieu commun pour vivre ensemble ; et de leur union naissent des enfants, qu'ils doivent nourrir à leur tour, et éduquer. Ces seuls deux aspects – se nourrir soi-même, nourrir et éduquer sa famille – entraînent la nécessité pour le croyant de travailler.

Ensuite, la diversité des besoins entraîne que le croyant est amené – comme tout humain – à vivre au sein d'un groupe d'humains, chaque individu de ce groupe se spécialisant dans un travail et obtenant de l'autre, par les échanges de biens et de services, ce dont il a lui aussi besoin mais en quoi il n'est pas spécialisé. Vivre au sein d'un groupe nécessite à son tour le développement de qualités éthico-sociales chez l'homme : solidarité envers les plus faibles et les démunis, fraternité, etc.

Voilà donc différents besoins qui constituent eux aussi des besoins fondamentaux de l'homme… Il y a donc croire en Dieu et en tout ce qu'Il a révélé, agir pour se rapprocher spirituellement de Lui. Mais il y a aussi : rester en vie et en bonne santé ; fonder une famille et s'occuper d'elle ; travailler pour gagner son pain quotidien et celui de sa famille ; aider autrui et avoir de la bonté pour lui ; réfléchir, découvrir et inventer des moyens techniques pour ce travail…

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Ash-Shâtibî a expliqué ceci ainsi :
"فلو عدم الدين عدم ترتب الجزاء المرتجى؛
ولو عدم المكلف لعدم من يتدين؛
ولو عدم العقل لارتفع التدين؛ ولو عدم النسل لم يكن في العادة بقاء؛
ولو عدم المال لم يبق عيش (وأعني بالمال ما يقع عليه الملك واستبد به المالك عن غيره إذا أخذه من وجهه، ويستوي في ذلك الطعام والشراب واللباس على اختلافها، وما يؤدي إليها من جميع المتمولات) فلو ارتفع ذلك لم يكن بقاء" :
"Si le Dîn disparaissait, l'applicabilité de la rétribution attendue disparaîtrait.
Si l'homme disparaissait, c'est celui qui pratique le Dîn qui disparaîtrait.
Si la raison disparaissait, la responsabilité par rapport au Dîn serait enlevée.
Si la descendance disparaissait, il n'y aurait plus de perpétuation (de l'espèce humaine).
Si les biens matériels disparaissaient, la vie ne serait plus possible (je veux dire par "biens matériels" ce par rapport à quoi la propriété s'établit et dont le propriétaire en a l'exclusivité lorsqu'il le prend de la façon légale ; cela englobe la nourriture, la boisson et le vêtement sous leurs différentes formes, ainsi que tous les autres matériels qui permettent cela)"
(Al-Muwâfaqât 1/332) ;

"إذًا، ثبت أن الشارع قد قصد بالتشريع إقامة المصالح الأخروية والدنيوية" :
"Donc il est établi que le Shâri' [Dieu] a visé, par Sa législation, l'établissement des maslaha [bienfaits] de l'autre monde et de ce monde"
(Ibid., 1/350) ;

"مقدمة كلامية مسلمة في هذا الموضع: وهي أن وضع الشرائع إنما هو لمصالح العباد في العاجل والآجل معا" : "l'institution des lois n'a été faite que pour les maslaha des hommes dans ce monde et dans l'autre" (Ibid., 1/322).

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'Izz ud-dîn ibn 'Abd is-Salâm l'a quant à lui exposé ainsi :
"واعلم أن مصالح الآخرة لا تتم إلا بمعظم مصالح الدنيا كالمآكل والمشارب والمناكح وكثير من المنافع.
فلذلك انقسمت الشريعة إلى العبادات المحضة في طلب المصالح الأخروية، وإلى العبادات المتعلقة بمصالح الدنيا والآخرة، وإلى ما يغلب عليه مصالح الدنيا كالزكاة، وإلى ما يغلب عليه مصالح الأخرى كالصلاة.
وكذلك انقسمت المعاملات إلى ما يغلب عليه مصالح الدنيا - كالبياعات والإجارات -، وإلى ما يغلب عليه مصالح الآخرة - كالإجارة بالطاعات على الطاعات -، وإلى ما يجتمع فيه المصلحتان - أما مصالح الأخرى فلباذليه وأما المصالح الدنيا فلآخذيه وقابليه -، وإلى ما يتخير باذلوه بين أن يجعلوه لدنياهم أو أخراهم أو أن يشركوا فيه بين دنياهم وأخراهم"

"Sache que les maslaha de la vie dernière (âkhira) ne deviennent complètes que par le biais de la plupart des maslaha de la vie terrestre (dunyâ), telles les nourritures, les boissons, les vêtements, les mariages et beaucoup d'(autres) chose profitables.
C'est pourquoi les actions prescrites (en islam) se partagent en :
- 'ibâdât purement destinées à prendre les maslaha de la vie dernière ;
- 'ibâdât liées aux maslaha de la vie terrestre et de la vie dernière [de façon égale] ;
- (actions) en quoi dominent les maslaha de la vie terrestre (...) ;
- et (actions) en quoi dominent les maslaha de la vie dernière (...).
De même, les transactions se partagent en :
- ce en quoi dominent les maslaha du dunyâ, comme les ventes et les locations ;
- ce en quoi dominent les maslaha de la vie dernière, comme les services d'actions pies par actions pies ;
- ce en quoi sont réunies les deux types de maslaha : la maslaha de la vie dernière pour celui qui donne, et la maslaha de ce monde pour celui qui reçoit ;
- ce en quoi ceux qui donnent ont le choix entre en retirer profit pour leur dunyâ, ou bien pour leur autre vie, ou bien y faire une réunion de leur dunyâ et de leur autre vie"
(Qawâ'id ul-ahkâm fî islâh il-anâm, , 2/130).

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Si ce qui est dînî est distinct de ce qui est de dunyawî, il ne s'agit donc pas de délaisser totalement les choses "dunyawî".

Il s'agit au contraire de vivre le dîn pendant sa vie terrestre, donc de vivre le dîn en vivant dans le dunyâ et en tirant profit (dans la mesure voulue) des choses dunyawî.

Il s'agit de chercher à acquérir les moyens (wassâ'ïl) de niveaux dharûrî et hâjî permettant de réaliser les objectifs dunyawî fixés pour l'homme (objectifs dont nous allons voir la liste) ; et il s'agit de consacrer le maximum du temps restant aux actions permettant de réaliser les objectifs dînî fixés pour l'homme.

(Même au sein des sciences dînî il est certains points qui peuvent être amenés à changer selon de nouvelles connaissances dunyawî ; cliquez ici.)

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Les objectifs supérieurs de la Shar' (al-Maqâssid ul-'ulyâ' li-sh-sharî'a) : Maqsad Dînî et Maqsad Dunyawî :

Dans Shifâ' ul-ghalîl, son deuxième ouvrage traitant des Principes du droit, al-Ghazâlî avait réparti les Maqâssid de la Shar' (il en avait établi 5) en deux grands ensembles : il avait distingué une Maqsad Dînî, et quatre Maqsad Dunyawî.
Mais dans Al-Mustasfâ, son 3ème ouvrage traitant du sujet, il n'a ensuite plus retenu cette distinction (cf. Nazariyyat ul-maqâssid, ar-Reyssûnî, pp. 34-35).

Le terme "Maqsad Dunyawî" signifie seulement ici que l'objectif supérieur ainsi décrit relève de ce qui, au final, constitue pour l'être humain un bienfait d'ordre temporel : soit physique, soit mental, soit social. Contrairement à la "Maqsad Dînî", laquelle, au final, constitue pour l'homme un bienfait d'ordre spirituel ou religieux.

Voici la liste des Maqâssid Shar'iyya que nous avons retenue dans notre article en question, nous inspirant en cela de al-Qaradhâwî :

1) "الدِيْن", "ad-dîn" (bi-n-nisbati li iqâmatihî fî hayât il-mar' ash-shaksiyya) : ici le terme "dîn" désigne "la religion agréée par Dieu, soit le dernier message que Dieu a envoyé aux humains" ; concrètement, ici cela recouvre, par rapport aux actions de l'individu :
--- 1.1) l'acceptation de ce message et la préservation de tout ce qui annule l'adhésion à lui (an-nutqu bi-sh-shahâdatayn, wa-l-ijtinâbu 'an nawâqidh-il-islâm) ;
--- 1.2) l'acquisition de la connaissance (ta'allum) de base nécessaire ;
--- 1.3) l'acquisition des croyances autres que celles relatives à ce que nous venons de voir ; le développement de la certitude (yaqîn) par rapport à ces croyances ; ceci constitue respectivement les points C et D dans un autre de nos articles ;
--- 1.4) le développement du lien spirituel avec Dieu, ce qui s'obtient par la purification de l'intérieur de tout ce que Dieu n'aime pas (takhliya) (y compris des actions diminuant l'adhésion au monothéisme parfait), et par l'avancée spirituelle vers Dieu (dhikr ullâh al-qalbî) (il s'agit respectivement des points B et F dans l'article vers lequel nous venons de mettre le lien), laquelle avancée s'obtient par le moyen des actions de rappel (tadhkîr) et par la pratique des actions purement cultuelles (al-'ibâdât) (cliquez ici, ici et ici) (cf. Al-Muwâfaqât, 1/509, où on voit ces différents aspects mentionnés ensemble) ;
--- 1.5) le fait d'accomplir toutes les règles ta'abbudî applicables à soi par rapport au lieu et au moment où on vit, règles qui ont été instituées par l'islam et sont en rapport avec les autres objectifs (ceux que nous allons énumérer ci-après) ;

– 2) "الدِيْن", "ad-dîn" (bi-n-nisbati li tamkînihî fi-l-mujtama' wa fi-l-ardh) : l'effort pour la diffusion et l'établissement du dîn (cf. Al-Muwâfaqât, 1/325, 211, 529) ; ceci se fait par le moyen des actions de revivification des sciences religieuses, et de l'action d'exhorter au bien et d'empêcher le mal, avec toutes les branches de cette dernière action, selon les besoins du moment (cliquez ici) (Izâlat ul-khafâ' 'an khilâfat il-khulafâ', p. 13 ; Asr-é hâdhir mein dîn kî taf'hîm-o-tashrîh, p. 111) (ceci est d'habitude classé comme faisant partie du Maqsad précédent, mais nous l'avons cité séparément, restreignant le précédent au dîn dans son rapport à l'effort de l'individu sur lui-même, nous exposons pourquoi dans un autre article) ;

3) "التَكافُل", "at-takâful" : la solidarité dans la société (ceci appartient à ce qui ne relève pas de ce qui fait les intérêts et les plaisirs personnels de l'individu : cf. Al-Muwâfaqât, 1/479-480) ;

4) "العَدْل", "al-'adl", l'établissement de la justice dans la société, ce qui se fait par le fait que chacun dans la société jouisse réellement des droits ("الحُقُوْق", "al-huqûq") qui lui sont accordés dans les textes (même remarque que pour la Maqsad précédente) ;

5) "الأُخُوَّة", "al-ukhuwwa" : la fraternité dans la société, avec l'affection et la chaleur humaine (même remarque que pour la Maqsad précédente) ;

6) "النَفْس", "an-nafs" : la vie, l'intégrité physique, la santé physique de l'individu (ceci, par contre, appartient à ce qui relève des intérêts de l'individu ; et il en sera de même de toutes les Maqsad qui vont suivre) ;

7) "عَقْل", "al-'aql" : la raison, l'intelligence, la santé mentale de l'individu ;

8) "المال", "al-mâl" : les biens matériels, la propriété individuelle ;

9) "النَسْل", "an-nasl" : la filiation, la famille ;

10) "العِرْض", "al-'irdh" : la dignité de l'individu au milieu de ses semblables ;

11) "الأَمْن", "al-amn" : la sécurité de chaque individu ;

12) "الحُرّيّة", "al-hurriya" : le fait de ne pas être emprisonné et de demeurer en liberté ; il y a aussi la liberté, accordée socialement, de demeurer dans une autre religion que l'islam…

(Rappelons qu'il est question ici des objectifs supérieurs de l'ensemble des enseignements de l'islam : la morale et l'éthique sont incluses dans les implications de ces objectifs.)

Dans cette liste :
– les 2 premières Maqsad sont dînî,
– les 3 suivantes relèvent de devoirs de l'individu par rapport à ses semblables (elles semblent devoir dès lors être qualifiées de dînî et de dunyawî à la fois, vu qu'elles ne relèvent pas des intérêts individuels, mais que d'autre part cela ne relève pas directement du lien avec Dieu),
– tandis que les 7 dernières sont purement dunyawî, relevant des purs droits que l'individu a par rapport à ses semblables.

On voit clairement ici que les enseignements de l'islam n'ont pas pour finalité le développement et la protection des seules spiritualité et religion, mais également le développement et la protection de choses aussi temporelles que la santé physique, la santé mentale, les biens matériels, et autres objectifs susmentionnés.

Délaisser complètement une action dunyawî qui fait partie de la nature humaine et qui est de niveau dharûrî, avec l'objectif de se consacrer davantage aux actions dînî, cela constitue d'ailleurs une innovation (bid'a shar'iyya), du monachisme (rahbâniyya) (cf. MF 22/136).

-
Ash-Shâtibî a nommé les objectifs temporels (dunyawiyya) supérieurs"al-maqâssid al-asliyya" : "les objectifs originels".
Cependant, poursuit-il, ce n'est pas dans ces objectifs originels eux-mêmes que Dieu a mis le plaisir immédiat ; Il a mis ce plaisir immédiat (naturellement, sur un plan takwînî) pour l'homme dans un certain nombre d'éléments qui permettent de réaliser ces objectifs ; ces éléments en deviennent alors : "al-maqâssid at-tâbi'a""les objectifs secondaires" (Al-Muwâfaqât 1/476-479)
.

Par exemple, le maintien de la vie est un objectif originel, un besoin essentiel, et c'est aussi quelque chose que l'homme cherche à réaliser instinctivement ; mais il ressent le besoin des éléments qui permettent la réalisation de cela : les nourritures saines, l'eau limpide et claire. Le besoin que l'homme a – sans même toujours s'en rendre compte – de consommer de la nourriture pour vivre s'exprime par le désir de la nourriture qu'il éprouve (la faim) ; le fait d'en consommer amène chez lui un plaisir, un apaisement du désir et une satisfaction – ce qui est l'expression de l'assouvissement du besoin qu'il avait.

Par exemple encore, le renouvellement de l'espèce humaine est un autre objectif originel, mais l'homme éprouve du désir pour ce qui permet la réalisation de cela : les relations intimes ; ces dernières sont elles-mêmes motivées par l'attraction existant naturellement entre l'homme et la femme. Cette attraction est donc naturelle, a pour but de permettre les relations intimes, qui, elles-mêmes, ont pour but d’assurer la reproduction, et, de là, la survie de l’espèce.

En fait, le besoin inscrit par Dieu dans la nature humaine s'exprime par une tension, qui engendre le désir de la chose qui permet de combler ce besoin et de mettre fin à cette tension.
Pendant qu'on assouvit ce désir, on ressent un  plaisir en même temps qu'un apaisement.
Immédiatement après vient la satisfaction.

Alors, certes, l’être humain possédant un cerveau qui est sujet à l’éducation, certains de ses désirs peuvent être liés à sa culture et non plus entièrement (ou non plus du tout) liés à sa nature. Ainsi, il peut ressentir de la faim en voyant un aliment qu’il affectionne particulièrement ; ou parce que l’heure du repas est arrivée.

C’est à cause de l’existence de ces objets du désir humain naturel que Dieu promet ceux-ci comme rétributions dans le Paradis.

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Par contre, pour ce qui est par exemple du fait d'uriner, c'est un besoin naturel qui engendre une tension, laquelle requiert l'apaisement, mais n’entraîne pas de désir.
Uriner n’est pas une action faisant l'objet de désir humain.

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En tous cas, pour reprendre les termes de ash-Shâtibî :
- l'ensemble de ces besoins (certains sont tels que certains humains se sont mis à les négliger totalement) forment les "objectifs originels" ;
- les moyens permettant de combler ces besoins sont aussi des besoins pour l'homme, et forment les "objectifs secondaires" ; c'est vis-à-vis d'eux que les hommes ressentent du désir, et c’est de leur assouvissement qu'ils retirent du plaisir.

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Al-Ghazâlî dit en substance qu'il est faux de croire que "l'éducation de l'âme" signifierait : "annihiler toute composante corporelle de l'homme, tout sentiment et tout désir".
Il écrit :
"Le désir a été créé en l'homme pour un avantage, et il est nécessaire dans sa nature. Si le désir de nourriture cessait, l'homme serait anéanti. Si l'appétence cessait, la reproduction cesserait. Si la colère disparaissait totalement, l'homme ne repousserait plus de sa personne ce qui (menace de) le détruire, et il serait anéanti. Et tant que demeure en l'homme la base du désir, demeure forcément en lui l'attachement au bien matériel lui permettant de parvenir à (la satisfaction de) ce désir, au point que cela le pousse à garder le bien matériel en sa possession. L'objectif (de l'éducation de l'âme) n'est pas d'effacer cela, mais l'objectif est de les ramener à l'équilibre, qui est un juste milieu entre l'excès et le manquement"
: "وأما الخيال الآخر الذي استدلوا به وهو قولهم "إن الآدمي ما دام حيا فلا تنقطع عنه الشهوة والغضب وحب الدنيا وسائر هذه الأخلاق"، فهذا غلط وقع لطائفة ظنوا أن المقصود من المجاهدة قمع هذه الصفات بالكلية ومحوها. وهيهات. فإن الشهوة خلقت لفائدة وهي ضرورية في الجبلة؛ فلو انقطعت شهوة الطعام لهلك الإنسان؛ ولو انقطعت شهوة الوقاع لانقطع النسل؛ ولو انعدم الغضب بالكلية لم يدفع الإنسان عن نفسه ما يهلكه ولهلك. ومهما بقي أصل الشهوة فيبقى لا محالة حب المال الذي يوصله إلى الشهوة حتى يحمله ذلك على إمساك المال. وليس المطلوب إماطة ذلك بالكلية بل المطلوب ردها إلى الاعتدال الذي هو وسط بين الإفراط والتفريط" (Al-Ih'yâ, tome 3, p. 92). Par rapport à la sexualité par exemple, il s'agit ni de rechercher l'abstinence totale (qui est un extrême), ni de flatter l'instinct et de lui laisser libre cours jusqu'à ce qu'il occupe toute notre pensée (ce qui est un autre extrême). Il s'agit de canaliser la manifestation de cet instinct (ce qui correspond, en islam, à rester dans le cadre du permis : "mâ yajûz") et de ne pas faire de cet instinct lui-même un des objectifs de son existence (ce qui correspond, en islam, à éviter de se prendre des idoles cachées : "ash-shirk ul-khafî").

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Si les enseignements de l'islam ont vocation à préserver, entretenir et développer aussi bien des choses du Dunyâ que les choses du Dîn, à quoi peut bien servir finalement la distinction faite entre "actions Dunyawiyya" et "actions Dîniyya" (au sens B de ces termes) ?

Nous avons vu au travers du sens B que dire que telle action n'est pas "dînî" mais est "dunyawî", cela ne signifie pas que le dîn ne dit rien au sujet de cette action ; au contraire :
– les textes dînî, à savoir le Coran et la Sunna, font l'obligation ou la recommandation de manger, de boire, de se marier, de se soigner physiquement, de gagner sa vie sans dépendre d'autrui ;
– ces textes dînî apportent par ailleurs des règles encadrant l'exercice de ces actions dunyawî : ils interdisent ou déconseillent certains des éléments constituant ces actions, rendent obligatoires ou recommandés d'autres éléments.

En fait, dire d'une action qu'elle n'est pas "dînî" mais "dunyawî", c'est avec le sens B du terme "dîn".
Par contre, dire que le dîn dit bien quelque chose au sujet d'une telle action, c'est avec le sens A (ou A') du terme "dîn".

Cette distinction entre "actions dînî" et "actions dunyawî" (au sens B) ne signifie pas non plus qu'on n'obtient de récompenses auprès de Dieu que par la pratique des actions dites "dînî" et non par la pratique des actions "dunyawî" ; au contraire, il y a aura aussi des récompenses, puisqu'il est obligatoire ou recommandé de pratiquer des actions "dunyawî" comme des actions "dînî" ; cependant :
– il faut, pour obtenir des récompenses lorsqu'on accomplit une action "dunyawî", une intention particulière ; il ne suffit pas d'accomplir cette action volontairement (lire notre article sur le sujet).

En fait la distinction entre actions dunyawî et actions dînî est utile pour 2 choses

La première est la distinction, au sein de tout ce que le Dîn (au sens A ou A' du terme) a prescrit, entre ce dont on peut avoir l'objectif de retirer de lui un avantage temporel et ce dont on ne peut pas avoir cet objectif (soit qu'on ne peut absolument pas avoir cet objectif, soit qu'on ne peut pas avoir cet objectif principal).
Ainsi, j'entendais récemment d'une personne qu'elle déplorait que Untel ait ouvert un magasin avec l'objectif de "gagner de l'argent", ce qui pour elle était un mauvais objectif, le seul objectif autorisé pour ce faire étant selon elle : suivre la Sunna. C'est au contraire cette personne qui a une mauvaise compréhension des choses : si on ouvre un commerce, il est tout à fait normal et autorisé qu'on le fasse avec l'objectif de gagner de l'argent halal.
Une autre personne déplorait que des musulmans se marient avec l'intention de pouvoir avoir des relations intimes, alors qu'il n'était autorisé de le faire que pour suivre la Sunna. Voilà encore une autre compréhension erronée des choses : se marier avec l'objectif de pouvoir vivre sa sexualité dans le cadre halal est tout à fait autorisé. Certes, il faut, quand on ouvre un commerce et quand on se marie, une intention particulière pour obtenir des récompenses auprès de Dieu (lire notre article sur le sujet). Mais avoir ces objectifs n'est nullement mauvais.
Par contre, quand on pratique une action dînî (dans le sens de sa pratique personnelle ou dans le sens de tamkîn ud-dîn), il n'est pas autorisé d'avoir comme objectif unique ou principal d'obtenir un avantage temporel (cliquez ici pour lire un article traitant de ce point pour les actions de 'ibâdât ; et cliquez ici et ici pour lire d'autres articles traitant de ce point pour les actions de tamkîn ud-dîn).

La seconde chose que la distinction entre actions dunyawî et actions dînî permet est de pouvoir distinguer, au sein de tous les objectifs dont la réalisation est nécessaire par l'homme – nécessité affirmée par les textes dînî –, entre d'une part ce qui est nécessaire et constitue un des objectifs supérieurs des enseignements de l'islam et d'autre part ce qui est nécessaire mais constitue l'objectif suprême des enseignements de l'islam : faire les actions qui servent les objectifs du premier type ne doit pas amener l'homme à occulter les actions servant l'objectif du second type : celui qui est suprême.
Manger est nécessaire pour vivre, et est donc obligatoire globalement sur le plan dînî ; respecter alors toutes les règles dînî – nourriture exclusivement halal, façon de manger conforme aux normes dînî en la matière, etc. – est également nécessaire. Mais il ne faudrait pas qu'on se mette à considérer comme étant l'objectif principal de sa vie sur Terre : le fait de gagner de l'argent halal, de manger halal, de boire halal et de partir en vacances dans un cadre halal, les cinq prières quotidiennes et autres actions dînî étant quant à elles accomplies mais reléguées à une place secondaire dans son cœur et son esprit.
De même, le mariage est obligatoire ou recommandé. Cependant, le fait de vivre intimement et dans le halal avec son(sa) conjoint(e) n'apporte pas en soi d'avancée spirituelle : cela permet seulement de combler de façon licite des besoins terrestres naturels – l'élan sexuel, le besoin affectif et le besoin de descendance – ; ces besoins comblés, la vie étant possible de façon plus épanouie sur terre, l'homme devrait alors se consacrer avec plus de sérénité aux actions dînî (spirituelles et religieuses).

Ash-Shâtibî a évoqué cela…

D'une part il a dit ce que nous avons déjà cité de lui plus haut : "le Shâri' [Dieu] a visé, par Sa législation, l'établissement des maslaha [bienfaits] de la vie dernière et de ce monde" (Al-Muwâfaqât 1/350) ; "l'institution des lois n'a été faite que pour les maslaha des hommes dans ce monde et dans l'autre" (Ibid., 1/322) ; "Si l'homme disparaissait, c'est celui qui pratique le dîn qui disparaîtrait ; si la raison disparaissait, la responsabilité par rapport au dîn serait enlevée ; si la descendance disparaissait, il n'y aurait plus de perpétuation (de l'espèce humaine) ; si les biens matériels disparaissaient, la vie ne serait plus possible" (Ibid., 1/332).

Mais d'autre part il a dit aussi : "المصالح المجتلبة شرعا والمفاسد المستدفعة إنما تعتبر من حيث تقام الحياة الدنيا للحياة الأخرى، لا من حيث أهواء النفوس في جلب مصالحها العادية، أو درء مفاسدها العادية" : "Les maslaha qui sont à acquérir d'après la Shar' et les mafsada qui sont à repousser, cela est pris en considération dans la mesure où la vie terrestre peut être vécue pour [la réussite dans] la vie dernière, et non pas d'après les envies des âmes dans l'acquisition de ses maslaha habituelles et le repoussement de ses mafsada habituelles" (Ibid., 1/351).

-
Ibn ul-Jawzî a écrit des lignes très voisines ici :
"فصل: اجتلاب الصالح ودفع المؤذي: لما كان بدن الآدمي لا يقوم إلا باجتلاب المصالح ودفع المؤذي، ركب فيه الهوى ليكون سببا لجلب النافع، والغضب ليكون سببا لدفع المؤذي. ولولا الهوى في المطعم، ما تناول الطعام، فلم يقم بدنه، فجعل له إليه ميل وتوق، فإذا حصل له قدر ما يقيم بده، زال التوق. وكذلك في المشرب والملبس والمنكح. وفائدة المنكح من وجهين: أحدهما: إبقاء الجنس، وهو معظم المقصودين. والثاني: دفع الفضلة المحتقنة المؤذي احتقانها. ولولا تركيب الهوى المائل بصاحبه إلى النكاح، ما طلبه أحد، ففات النسل وآذى المحتقن. فأما العارفون، فإنهم فهموا المقصود. وأما الجاهلون، فإنهم مالوا مع الشهوة والهوى، ولم يفهموا مقصود وضعها، فضاع زمانهم فيما لا طائل فيه، وفاتهم ما خلقوا لأجله، وأخرجهم هواهم إلى فساد المال، وذهاب العرض والدين، ثم أداهم إلى التلف. وكم قد رأينا من متنعم يبالغ في شراء الجواري، ليحرك طبعه بالمستجد، فما كان بأسرع من أن وهنت قواه الأصلية، فتعجل تلفه. وكذلك رأينا من زاد غضبه، فخرج عن الحد، ففتك بنفسه وبمن يحبه. فمن علم أن هذه الأشياء إنما خلقت إعانة للبدن على قطع مراحل الدنيا، ولم يخلق لنفس الالتذاذ، وإنما جلعت اللذة فيها كالحيلة في إيصال النفع بها، إذ لو كان المقصود التنعم بها، لما جعلت الحيوانات البهيمية أوفى حظا من الآدمي منها. فطوبى لمن فهم حقائق الوضع، ولم يمل به الهوى عن فهم حكم المخلوقات" (Sayd ul-khâtir, points 397 à 402).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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