Le mal moral que des Djinns ou des Humains font sur Terre, est-ce Dieu qui a voulu qu'il se produise ? – La différence entre "إرادة تكوينية" : "Volonté divine existentielle", et "إرادة تشريعية" : "Volonté divine normative" (3/4)

Suite de l'article : Les actions de l'homme, est-ce Dieu, ou bien l'homme, qui les crée ? – La différence entre "خَلْقُ العَمَل", ou : "تكْوِينُ العَمَل" ("créer une action") et "رِضَى العَمَل", ou : "حُبّ العمل" ("aimer /agréer cette action pour l'homme") (2/4).

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Sur Terre c'est parfois le Mal qui domine : Shirk Akbar ; Kufr Akbar ; massacres ; viols ; malhonnêteté ; adultère ; etc.

Peut-on dire que "c'est Dieu qui en a voulu ainsi" ?
Ou bien doit-on dire que ce Mal se fait forcément "contre la Volonté de Dieu" ?

En fait il faut distinguer deux types de Volontés de Dieu...

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IV) Toute action (fi'l) qui voit le jour de la part des humains (ainsi que des djinns), c'est bien Dieu qui a voulu qu'elle voit le jour :

C'est là la croyance correcte, celle de l'orthodoxie Sunnite : tout ce que font les humains (ainsi que les djinns), c'est Dieu qui a voulu qu'ils le fassent (cela étant valable pour les actions de mal aussi, c'est-à-dire les croyances, les actions de coeur et les actions visibles qui constituent du mal).

La tendance déviante des Qadarites (et les Mutazilites sont Qadarites) n'adhère pas à cette croyance. Les Qadarites prétendent que Dieu ne veut que le bien moral, et donc qu'Il n'a pas voulu que le mal moral se réalise. Le mal moral est hors de ce que Dieu crée (l'action de bien moral également est hors de ce qu'Il crée), mais ce mal moral est aussi hors de ce qu'Il veut (alors que l'action de bien moral a été voulue par Dieu).

Les Sunnites répondent à cela que rien ne se déroule ni ne voit le jour sans que Dieu ne l'ait voulu ; cependant il faut distinguer deux types de volontés de Dieu :
– la volonté existentielle, irâda takwîniyya : "إرادة تكوينية" ; on dit aussi : "إرادة كونية" ; ou on utilise : "مشيئة" (qui est synonyme de : "إرادة"),
– la volonté normative, irâda tashrî'iyya : "إرادة تشريعية" ; on dit aussi : "إرادة شرعية" ; ou on utilise : "مشيئة" (qui est synonyme de : "إرادة").

La volonté existentielle (irâda takwîniyya, "إرادة تكوينية") concerne toute action qui se déroule dans l'univers : le bien moral comme le mal moral.

--- "Car Dieu égare qui Il veut et guide qui Il veut" (Coran 35/8).

--- "Celui que Dieu veut guider, Il ouvre sa poitrine à l'islam. Et celui qu'Il veut égarer, Il rend sa poitrine serrée, comme s'il s'élève dans le ciel [= en hauteur]" (Coran ).

--- Moïse (sur lui soit la paix) dit à Dieu : "Ceci n'est que la tentation que Tu (mets en place). Tu égares par son moyen qui Tu veux, et Tu guides qui tu veux" (Coran ).

Adhérer à la croyance des Qadarites constitue un manquement dans le monothéisme (ta'lîh wa tawhîd ullâh), car elle entraîne que les actions du mal commises par les humains et les djinns sont hors volonté de Dieu ; et qu'il se produit des choses que Dieu n'a pas voulues, et que par rapport à elles la volonté de l'homme a dominé la Volonté de Dieu (Sharh ul-'aqîda at-tahâwiyya, p. 358, pp. 321-323).

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La volonté normative (irâda tashrî'iyya), "إرادة تشريعية" ne concerne que ce qui constitue un bien moral. Cette "volonté" est synonyme d'"agrément" (رضى) de Dieu, vis-à-vis de cette action lorsque faite par l'homme :

--- "يُرِيدُ اللّهُ لِيُبَيِّنَ لَكُمْ وَيَهْدِيَكُمْ سُنَنَ الَّذِينَ مِن قَبْلِكُمْ وَيَتُوبَ عَلَيْكُمْ وَاللّهُ عَلِيمٌ حَكِيمٌ وَاللّهُ يُرِيدُ أَن يَتُوبَ عَلَيْكُمْ. وَيُرِيدُ الَّذِينَ يَتَّبِعُونَ الشَّهَوَاتِ أَن تَمِيلُواْ مَيْلاً عَظِيمًا يُرِيدُ اللّهُ أَن يُخَفِّفَ عَنكُمْ وَخُلِقَ الإِنسَانُ ضَعِيفًا" : "Dieu veut rendre clair pour vous et vous guider sur les voies de ceux qui (étaient) avant vous, et accepter votre repentir. Et Dieu est Savant, Sage. Et Dieu veut accepter votre repentir. (Alors que) ceux qui suivent (seulement) les plaisirs veulent que vous penchiez très grandement" (Coran 4/26-28).

--- "إِن تَكْفُرُوا فَإِنَّ اللَّهَ غَنِيٌّ عَنكُمْ وَلَا يَرْضَى لِعِبَادِهِ الْكُفْرَ. وَإِن تَشْكُرُوا يَرْضَهُ لَكُمْ" : "Et Il n'agrée pas pour Ses serviteurs le kufr. Si vous êtes reconnaissants, Il agrée cela pour vous" (Coran 39/7).
"وَمِنَ النَّاسِ مَن يُعْجِبُكَ قَوْلُهُ فِي الْحَيَاةِ الدُّنْيَا وَيُشْهِدُ اللّهَ عَلَى مَا فِي قَلْبِهِ وَهُوَ أَلَدُّ الْخِصَامِ وَإِذَا تَوَلَّى سَعَى فِي الأَرْضِ لِيُفْسِدَ فِيِهَا وَيُهْلِكَ الْحَرْثَ وَالنَّسْلَ وَاللّهُ لاَ يُحِبُّ الفَسَادَ" : "Et Dieu n'aime pas le mal" (Coran 2/204-205).

--- "الشَّيْطَانُ يَعِدُكُمُ الْفَقْرَ وَيَأْمُرُكُم بِالْفَحْشَاء. وَاللّهُ يَعِدُكُم مَّغْفِرَةً مِّنْهُ وَفَضْلاً" : "Le Diable vous promet la pauvreté (si vous faites l'aumône) et vous ordonne (de faire) le mal. Et Dieu vous promet un pardon de Sa part et une faveur" (Coran 2/268). "وَإِذَا فَعَلُواْ فَاحِشَةً قَالُواْ وَجَدْنَا عَلَيْهَا آبَاءنَا وَاللّهُ أَمَرَنَا بِهَا. قُلْ إِنَّ اللّهَ لاَ يَأْمُرُ بِالْفَحْشَاء أَتَقُولُونَ عَلَى اللّهِ مَا لاَ تَعْلَمُونَ" : "Dis : "Dieu n'ordonne pas (de faire) ce qui est mal"" (Coran 7/28).

--- Parlant de Ses Normes, Dieu dit de Lui-même : "Dieu veut la facilité pour vous, Il ne veut pas pour vous la difficulté" (Coran ). Evoquant la facilité qu'Il a placée dans la Norme qu'Il a révélée à propos de la gestion des biens de l'orphelin, Dieu dit : "وَيَسْأَلُونَكَ عَنِ الْيَتَامَى قُلْ إِصْلاَحٌ لَّهُمْ خَيْرٌ وَإِنْ تُخَالِطُوهُمْ فَإِخْوَانُكُمْ وَاللّهُ يَعْلَمُ الْمُفْسِدَ مِنَ الْمُصْلِحِ وَلَوْ شَاء اللّهُ لأعْنَتَكُمْ إِنَّ اللّهَ عَزِيزٌ حَكِيمٌ" : "Et si Dieu l'avait voulu, Il vous aurait mis dans la difficulté" (Coran 2/220).

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Takwîn et Tashrî' constituent deux ordres différents :

Dans tout ce que Dieu crée et fait se réaliser dans l'univers, il y a toujours une sagesse. Même dans le mal qu'Il fait se réaliser par Sa Volonté existentielle, il y a aussi une sagesse. Simplement, l'homme (de même que le djinn) qui commet (kasb) ce mal ne peut pas prendre prétexte de l'existence d'une sagesse à tout ce qui se déroule pour justifier le mal qu'il fait, est en train de faire, ou va faire.

Car ces deux perspectives relèvent de deux ordres différents : l'homme (comme le djinn) est tenu de se conformer à ce Dieu agrée de sa part. Quant à ce qui se passe dans l'Univers, cela relève du takwîn, en lequel l'homme a foi (dans le sens où il croit que cela est voulu par Dieu), mais sur lequel il ne peut pas s'appuyer pour justifier ce qu'il fait de mal, ni ce qu'il délaisse de bien obligatoire (القدر يؤمَن به، ولا يُحتجّ به).

Un exemple :
--- C'est bien Dieu qui a voulu que les Polythéistes Lui associent des choses. Il le dit Lui-même :
"اتَّبِعْ مَا أُوحِيَ إِلَيْكَ مِن رَّبِّكَ لا إِلَهَ إِلاَّ هُوَ وَأَعْرِضْ عَنِ الْمُشْرِكِينَ وَلَوْ شَاء اللّهُ مَا أَشْرَكُواْ وَمَا جَعَلْنَاكَ عَلَيْهِمْ حَفِيظًا وَمَا أَنتَ عَلَيْهِم بِوَكِيلٍ" : "Suis ce qui t'est révélé de la part de ton Seigneur, pas de divinité sauf Lui. Et détourne-toi [= ne te soucie pas outre mesure] des Associateurs. Et si Dieu l'avait voulu, ils n'auraient pas associé. Et Nous ne t'avons pas rendu protecteur sur eux. Et tu n'es pas garant d'eux"
(Coran 6/106-107). Cependant, il s'agit là de la Volonté existentielle (irâda takwîniyya).
--- Et Dieu reproche à des Polythéistes d'évoquer cette Volonté pour justifier leur Associationnisme :
"سَيَقُولُ الَّذِينَ أَشْرَكُواْ لَوْ شَاء اللّهُ مَا أَشْرَكْنَا وَلاَ آبَاؤُنَا وَلاَ حَرَّمْنَا مِن شَيْءٍ كَذَلِكَ كَذَّبَ الَّذِينَ مِن قَبْلِهِم حَتَّى ذَاقُواْ بَأْسَنَا قُلْ هَلْ عِندَكُم مِّنْ عِلْمٍ فَتُخْرِجُوهُ لَنَا إِن تَتَّبِعُونَ إِلاَّ الظَّنَّ وَإِنْ أَنتُمْ إَلاَّ تَخْرُصُونَ" : "Ceux qui ont associé vont bientôt dire : "Si Dieu l'avait voulu, nous n'aurions pas associé, ni nos pères, ni nous n'aurions déclaré illicite une chose." Ainsi ceux qui étaient avant eux ont-ils traité de mensonge (notre rappel), jusqu'à ce qu'ils aient goûté Notre rigueur. Dis : "Y a-t-il auprès de vous une science, que vous la sortiez pour nous ? Vous ne faites que suivre l'imagination, et vous ne faites que faire une approximation"
(Coran 6/148). Ces Polythéistes voulaient dire : "Si Dieu l'avait voulu, nous n'aurions pas associé à Dieu quoi que ce soit. Mais Dieu ne l'a pas voulu. Pourquoi veux-tu, toi ô Muhammad, que nous cessions d'associer à Dieu ce que nous adorons ? Le fait que cela s'est produit montre donc que Dieu l'agrée". Ils établissaient donc la Volonté normative sur la base de la Volonté existentielle, ce qui est faux.

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En fait, Dieu crée tout par Sa volonté existentielle (irâda takwîniyya), et, vivant au milieu de ce que Dieu crée ainsi, et à cause de cela, l'homme (de même que le djinn) est mis à l'épreuve :
--- l'homme est-il capable de résister personnellement aux tentations auxquelles il fait face et que Dieu a voulues (irâda takwîniyya), en donnant préférence à ce que Dieu veut (irâda tashrî'iyya) sur le fait de vivre ces tentations sans tenir compte de ce que Dieu veut pour lui ?
--- et puis, fait-il ce qu'il peut faire (ce qui est mashrû' pour lui, selon la situation dans laquelle il se trouve) pour résorber ce mal moral et faire émerger le bien moral ?
--- enfin, fait-il ce qui est en son possible (et qui est licite) pour soulager sa propre souffrance ainsi que la souffrance des créatures qui l'entourent, face aux malheurs qui frappent ?

C'est là l'épreuve à laquelle les réalités de la vie confrontent l'homme (ainsi que le djinn)...

Noé (sur lui soit la paix) dit à ceux des siens qui ne croyaient pas : "Et mon conseil ne vous servira à rien si je veux vous conseiller sincèrement, si Dieu veut vous égarer : Il est votre Rabb. Et vers Lui vous serez ramenés" (Coran ). Noé voulait dire ici que lui, en tant prophète soumis à l'ordre tashrî'î de Dieu, il veut, souhaite que son peuple apporte foi ; et il est tenu par Dieu de faire tout son possible pour que les gens de son peuple apportent foi. Cependant, la majorité parmi ceux-ci refusaient, et en fait cela était dû au fait que Dieu ne les guidait pas vers la foi : cela était dû au fait que, sur le plan takwînî, Dieu ne voulait pas les guider.

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V) Par ailleurs, cette volonté de Dieu existentielle est concomitante à l'action humaine :

Elle ne la précède pas mais lui est concomitante.

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VI) Etant donné que c'est Dieu qui crée le mal et qui le veut, peut-on désigner Dieu comme créateur de ce mal, comme celui ayant voulu que ce mal voit le jour ? peut-on par exemple dire : "Dieu est créateur de la maladie, de la mort, de l'égarement, du kufr, du shirk" ?

Et peut-on attribuer à Dieu le Fait (Fi'l) d'avoir créé ce mal, en le reliant à une créature, et dire : "C'est Dieu qui a égaré Untel" ?

La réponse à ces deux questions est :
Toute parole de ce genre n'est pas interdite, mais n'est pas non plus toujours autorisée. En fait il y a des nuances à respecter, afin de ne pas exprimer autre chose que la croyance correcte, tout en ne manquant jamais de respect à Dieu.

Lire à ce sujet notre article :
C'est Dieu qui crée et décide toute chose, mais par respect on ne Lui attribue pas le malheur qui nous atteint.

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VII) Enfin, quand l'homme tue un animal, vu que c'est Dieu qui fait mourir cet animal suite à l'action de l'homme, on dira : "Dieu a fait mourir tel animal" ; "mais c'est tel homme qui l'a tué" (c'est là la "مسألة التولُّد", "mas'alat ut-tawallud"). Cependant, vu que c'est aussi Dieu qui crée l'action humaine de tuer, peut-on Lui attribuer cette action et dire : "Dieu a tué telle créature" ?

Car il y a une différence entre :
- tuer (qatl) ;
- faire mourir (imâta).

Comme il y a une différence entre :
- manger ;
- être rassasié.

Ou entre :
- marcher ;
- être fatigué / affamé / assoiffé.

- Faire mourir consiste à faire sortir l'âme du corps.
- "Tuer" se dit de l'action qui est susceptible de "faire mourir".

- Etre rassasié consiste à ressentir la sensation d'apaisement qui résulte du fait d'avoir avalé des aliments.
- Manger se dit d'avaler, après les avoir portées en bouche et les avoir mastiquées, des aliments.

Dieu crée l'action de l'homme, qui est la cause, et crée également les autres causes présentes chez le sujet et l'objet de l'action (l'homme mastique, déglutit, mais il y a aussi que son estomac est sain, que son système nerveux est sain, etc.), et crée le résultat de ces causes (le fait d'être rassasié : ceci est mutawallid).

La même chose peut être dite du fait d'appuyer l'objet contondant sur les carotides de l'animal à abattre...

- "Faire mourir", cela ressort du fait de Dieu Seul : c'est Dieu qui fait mourir l'animal, suite à l'action de l'homme.
- Mais qu'en est-il du verbe "tuer" :
----- c'est l'homme qui a tué cet animal, cela est certain ;
----- mais peut-on dire aussi : "Dieu a tué cet animal" ?

C'est ce que nous avons exposé dans l'article suivant.

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Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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