Exhorter au bien et dissuader du mal (amr bi-l-ma'rûf, nah'y 'an il-munkar) : pourquoi, quand, comment... الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر

Exhorter à faire le bien et dissuader de faire le mal est quelque chose qui fait partie des actes de bien. Des versets coraniques évoquent explicitement cette action.
Le texte le plus cité à cet égard est cependant ce célèbre Hadîth du Prophète (sur lui soit la paix) : "Celui parmi vous qui voit un mal doit le modifier par sa main ; s'il ne le peut pas, alors par sa langue ; et s'il ne le peut pas, alors par son cœur. Et c'est là le plus faible de la foi" : "عن طارق بن شهاب قال: أول من بدأ بالخطبة يوم العيد قبل الصلاة مروان. فقام إليه رجل، فقال: "الصلاة قبل الخطبة!" فقال: "قد ترك ما هنالك!" فقال أبو سعيد: أما هذا فقد قضى ما عليه. سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "من رأى منكم منكرا فليغيره بيده، فإن لم يستطع فبلسانه، فإن لم يستطع فبقلبه، وذلك أضعف الإيمان" (Muslim 49, la dernière phrase fait l'objet de commentaires différents, et nous en citerons un plus bas).
Un autre Hadîth du Prophète (sur lui soit la paix) explique par une parabole pourquoi les hommes ne doivent pas se soucier de leur droiture personnelle seulement, mais doivent aussi exhorter les autres. En voici la substance : Les personnes qui commettent les actions de mal et celles qui s'en abstiennent sont comparables à deux groupes de gens montés sur un même bateau, les uns dans la cale et les autres sur le pont. Un jour ceux qui sont dans la cale décident de ne plus passer par le pont pour aller prendre l'eau (de la rivière ou de la mer) pour leurs besoins, et de percer la coque du navire pour la recueillir directement ainsi. Lorsque les gens séjournant sur le pont les voient commencer à faire cela, ils ont deux possibilités : soit ils leur expliquent et tous resteront sains et saufs, soit ils ne leur disent rien [en pensant : "Ils font ce qu'ils veulent"], et tous périront noyés. Voici le texte de ce hadîth : "عامرا، يقول: سمعت النعمان بن بشير رضي الله عنهما، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "مثل القائم على حدود الله والواقع فيها، كمثل قوم استهموا على سفينة، فأصاب بعضهم أعلاها وبعضهم أسفلها، فكان الذين في أسفلها إذا استقوا من الماء مروا على من فوقهم، فقالوا: لو أنا خرقنا في نصيبنا خرقا ولم نؤذ من فوقنا. فإن يتركوهم وما أرادوا هلكوا جميعا؛ وإن أخذوا على أيديهم نجوا، ونجوا جميعا" (al-Bukhârî, 2540).

Nous ne parlerons dans cet article que du fait d'exhorter à, et de dissuader de, les actions, bonnes et mauvaises.

Pour ce qui est du fondement de la croyance elle-même, cela est évoqué dans un autre article : Le kufr étant plus grave que les mauvaises furû', doit-on, peut-on empêcher le kufr comme on empêche les mauvaises furû' ?.

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1) Comprendre l'objectif qu'a l'islam en disant de quelque chose qu'il est obligatoire ou qu'il est interdit :

En disant de quelque chose qu'il est obligatoire ou qu'il est interdit, l'islam n'a nullement comme objectif d'instituer une contrainte et une privation, mais bien de préserver un certain nombre d'éléments chez l'individu comme dans la société. Cliquez ici et ici pour en savoir plus.

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2) Un verset coranique souvent mal compris :

Un verset coranique se lit ainsi : "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُواْ عَلَيْكُمْ أَنفُسَكُمْ لاَ يَضُرُّكُم مَّن ضَلَّ إِذَا اهْتَدَيْتُمْ إِلَى اللّهِ مَرْجِعُكُمْ جَمِيعًا فَيُنَبِّئُكُم بِمَا كُنتُمْ تَعْمَلُونَ" : "O ceux qui ont apporté foi, souciez-vous de vous-mêmes. Celui qui s'est égaré ne vous fera pas du tort du moment que vous êtes bien guidés" (Coran 5/105).

--- Certaines personnes citent parfois ce verset et disent qu'il indique que le musulman n'a nullement (mutlaqan) à rappeler à son frère ses devoirs vis-à-vis de Dieu ; il doit s'occuper de son âme (nafs)...

--- C'est là une compréhension erronée de ce verset. En effet, ce verset dit bien : "du moment que vous êtes bien guidés" ; or on ne peut être bien guidé que si on pratique ce que Dieu a ordonné ; et, parmi ce que Dieu a ordonné, se trouve le fait d'exhorter au bien et de dissuader du mal. C'est donc lorsque le musulman a fait ce qui lui incombait à ce propos aussi (nous allons voir ci-après qu'est-ce qui lui incombe en la matière) qu'il est "bien guidé", et non avant (cf. Shar'h Muslim 2/22, MF 14/480). "عن أبي بكر الصديق أنه قال: "يا أيها الناس إنكم تقرءون هذه الآية {يا أيها الذين آمنوا عليكم أنفسكم لا يضركم من ضل إذا اهتديتم}، وإني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "إن الناس إذا رأوا ظالما فلم يأخذوا على يديه، أوشك أن يعمهم الله بعقاب منه". هذا حديث حسن صحيح" (at-Tirmidhî, 3057).

Dès lors, ce que signifie ce verset réellement est que, une fois qu'il a fait ce qu'il devait faire en matière d'exhortation au bien et de dissuasion du mal, le musulman ne doit pas, face au refus de son frère d'agir selon son rappel, exagérer : soit le harceler, soit, à l'inverse, déprimer. Il a fait son devoir de rappel, il doit garder à l'esprit qu'il n'est responsable que de ses actes personnels au niveau de l'agir concret (MF 14/481-482).

Ce verset rappelle également de se soucier de son salut : il ne faudrait pas que le musulman se soucie d'effectuer le rappel aux autres mais que lui-même il s'oublie et se permette de commettre ce qu'il exhorte autrui à délaisser, ou délaisse ce qu'il exhorte autrui à faire.
--- Dans le hadîth suivant est ainsi évoqué le dur châtiment qui risque de toucher, dans la Géhenne, celui qui faisait aux autres amr bi-l-ma'rûf mais lui-même négligeait le ma'rûf ; et qui faisait aux autres nah'y 'an il-munkar mais lui-même s'adonnait au munkar : "عن أبي وائل، قال قيل لأسامة: "لو أتيت فلانا فكلمته!" قال: "إنكم لترون أني لا أكلمه إلا أسمعكم! إني أكلمه في السر دون أن أفتح بابا لا أكون أول من فتحه. ولا أقول لرجل أن كان علي أميرا إنه خير الناس، بعد شيء سمعته من رسول الله صلى الله عليه وسلم." قالوا: وما سمعته يقول؟ قال: سمعته يقول: "يجاء بالرجل يوم القيامة فيلقى في النار، فتندلق أقتابه في النار، فيدور كما يدور الحمار برحاه، فيجتمع أهل النار عليه فيقولون: أي فلان ما شأنك؟ أليس كنت تأمرنا بالمعروف وتنهانا عن المنكر؟ قال: كنت آمركم بالمعروف ولا آتيه، وأنهاكم عن المنكر وآتيه" (al-Bukhârî, 3094, Muslim, 2989).
--- "L'exemple du 'âlim qui enseigne aux gens le bien et qui s'oublie lui-même est comme la lampe qui éclaire les gens et se brûle elle-même" : "عن جندب قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "مثل العالم الذي يعلم الناس الخير وينسى نفسه كمثل السراج يضيء للناس ويحرق نفسه" (at-Tabarânî : Silsilat ul-ahâdîth is-sahîha, n° 3379).

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Oui, cependant, dans les cas qui vont être évoqués plus bas aux points 8.1, 9, 10, et 11 (plus 12 d'après certains ulémas), le caractère normalement obligatoire du amr bi-l-ma'rûf il-wâjib / nah'y 'an il-munkar il-muharram devient caduque li 'âridh.

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3) Faire le rappel, oui, mais se souvenir que Seul Dieu jugera les hommes : et Il pardonnera ceux des péchés (furû') qu'Il voudra, et Il châtiera pour ceux des péchés qu'Il voudra :

Il faut détester le péché, et il faut appeler son auteur à cesser (c'est le nah'y 'an il-munkar). Il faut rappeler les devoirs vis-à-vis de Dieu (c'est le amr bi-l-ma'rûf). C'est ce que nous évoquons sur cette page. Certains musulmans disent ne pas avoir à faire cela (voir le point précédent, le 2), et cela constitue un problème.

Mais un autre problème est que certains musulmans pratiquants font bien, pour leur part, le amr bi-l-ma'rûf et le nah'y 'an il-munkar, mais ensuite, devant le refus de certaines personnes de changer de comportement, ils se permettent de les considérer comme "vouées à l'enfer", tandis que eux auraient en quelque sorte une place assurée au paradis... C'est là une considération totalement déplacée !

"عن أبي هريرة قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "كان رجلان في بني إسرائيل متواخيين، فكان أحدهما يذنب، والآخر مجتهد في العبادة، فكان لا يزال المجتهد يرى الآخر على الذنب فيقول: أقصر. فوجده يوما على ذنب فقال له: أقصر. فقال: خلني وربي! أبعثت علي رقيبا؟ فقال: والله لا يغفر الله لك، أو لا يدخلك الله الجنة! فقبض أرواحهما، فاجتمعا عند رب العالمين فقال لهذا المجتهد: أكنت بي عالما، أو كنت على ما في يدي قادرا؟ وقال للمذنب: اذهب فادخل الجنة برحمتي، وقال للآخر: اذهبوا به إلى النار". قال أبو هريرة: والذي نفسي بيده لتكلم بكلمة أوبقت دنياه وآخرته" :
Abû Hurayra relate que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Il y avait parmi les fils d'Israël deux hommes qui étaient proches amis : l'un faisait des péchés et l'autre faisait des efforts dans la 'ibâda. Celui qui faisait des efforts voyait l'autre faire le péché et n'arrêtait pas de lui dire : "Cesse." Jusqu'à ce qu'un jour il le vit faire un péché qu'il considéra très grave ; il lui dit alors : "Cesse." L'autre lui dit : "Laisse-moi (cela est entre moi) et mon Seigneur ; aurais-tu été suscité comme surveillant pour moi ?" L'autre lui dit : "Par Dieu, Dieu ne te pardonnera jamais" ou "ne te fera jamais entrer dans le paradis." Dieu reprit leur âme. Ils se retrouvèrent alors auprès du Seigneur des mondes. Il dit alors à celui qui faisait des efforts : "Savais-tu ce que Je ferai, ou avais-tu puissance sur ce qui se trouve en Ma Main ?" Il dit au pécheur : "Entre au paradis par Ma Miséricorde", et Il dit au sujet de l'autre : "Emmenez-le dans le feu"" (Abû Dâoûd, 4901, Ahmad, 7942).
Cette histoire se passa chez les fils d'Israël avant l'abrogation du message de Moïse (donc avant la venue de Jésus et de Muhammad), et aucun de ces deux hommes n'était donc kâfir ; or les péchés qui ne constituent pas du kufr akbar et qui coexistent avec le minimum de foi voulue (asl ul-îmân), Dieu peut les pardonner, comme Il peut infliger à celui qui les a fait un séjour temporaire dans le feu, avant de les admettre au paradis (cliquez ici et ici).

"عن جندب، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم، حدث "أن رجلا قال: "والله لا يغفر الله لفلان." وإن الله تعالى قال: "من ذا الذي يتألى علي أن لا أغفر لفلان! فإني قد غفرت لفلان، وأحبطت عملك" : Jundub relate que le Prophète a raconté qu'un homme a dit : "Par Dieu, Dieu n'accordera pas Son Pardon à Untel !" et que Dieu Elevé soit-Il a dit : "Qui fait serment par Moi que Je n'accorderai pas le Pardon à Untel ? J'ai accordé le Pardon à Untel et ai annulé tes (bonnes) actions !" (Muslim, 2621).

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4) Pas d'espionnage pour "traquer" tout ce qui pourrait être fait dans les intimités :

Dieu dit : "Et ne vous épiez pas" : "وَلَا تَجَسَّسُوا" (Coran 49/12).

Ibn Taymiyya écrit : "C'est le mal fait ouvertement qui fait l'objet d'une inkâr, contrairement à ce qui est fait de façon dissimulée" (MF 28/205). Ibn Mas'ûd disait : "Il nous a été interdit d'espionner. Mais si quelque chose apparaît ouvertement devant nous, nous agissons (na'khudh bih")" : "عن زيد بن وهب، قال: أتي ابن مسعود فقيل هذا فلان تقطر لحيته خمرا، فقال عبد الله: "إنا قد نهينا عن التجسس. ولكن إن يظهر لنا شيء نأخذ به" (Abû Dâoûd 4890). Cela concerne l'empêchement par la force.

Cependant, si on sait de façon certaine que tel péché, qui comporte un grand tort pour la société (meurtre, attentat, etc.) est en préparation, il s'agit de l'empêcher ou de le faire empêcher.

De même, si on sait de façon certaine que tel péché est fait de façon dissimulée, on pourra faire un discours public et évoquer l'enseignement de l'islam sur le sujet. De même encore, si on sait de façon certaine que quelqu'un fait tel péché (de portée personnelle) en privé, on peut lui en parler pour l'inviter à cesser.

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5) Exhorter au bien et dissuader du mal : obligatoire ou facultatif ?

L'acte qu'il est interdit à un musulman de faire, il est obligatoire à l'autre musulman de lui faire un rappel à son sujet.
Et l'acte qu'il est seulement déconseillé de faire, faire un rappel sur le sujet est seulement conseillé et non pas obligatoire.
Parallèlement, l'acte qu'il est obligatoire à un musulman de faire, il est obligatoire à l'autre musulman de lui faire un rappel à ce sujet.
Et l'acte qu'il est seulement conseillé de faire, faire un rappel à son sujet est seulement conseillé et non pas obligatoire. (Cf. Mirqât 9/329 ; Bayân ul-qur'ân 2/45.)

Quand on dit "obligatoire", et "conseillé", cela est du type "'ala-l-kifâya" : il s'agit d'une obligation / recommandation collective. C'est si personne d'autre ne le fait que ce caractère s'applique à l'individu précis ("'ala-l-'ayn") : "ثم إن الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر فرض كفاية: إذا قام به بعض الناس، سقط الحرج عن الباقين؛ وإذا تركه الجميع، أثم كل من تمكن منه بلا عذر ولا خوف. ثم إنه قد يتعين - أي يصير واجباً على شخص بعينه - كما إذا كان في موضع لا يعلم به إلا هو، أو لا يتمكن من إزالته إلا هو، وكمن يرى زوجته أو ولده أو غلامه على المنكر أو تقصير في المعروف" (Shar'h Muslim 2/23).
Voir aussi MF 28/126.

Tout cela est la règle de base.

Cependant, comme nous le verrons plus bas (aux points 8.1, 9, 10 et 11), que parfois, pour cause extérieure (li 'âridh), il devient déconseillé (mak'rûh) ou même non-institué (ghayr mashrû') d'ordonner, par la langue ou la main, ce qui est recommandé ou obligatoire, et de dissuader, par la langue ou la main, ce qui est déconseillé ou interdit.

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6) Devoir de tout musulman ou seulement des ulémas ?

An-Nawawî écrit :
"N'ordonnera (de faire l'obligatoire) et n'interdira (de faire l'interdit) que celui qui est 'âlim sur le sujet. Or cela diffère en fonction de l'objet :
[A] s'il s'agit des obligations claires et des interdits connus – comme la prière, le jeûne, la fornication, la (consommation d') alcool et choses semblables –, alors tout musulman est 'âlim sur le sujet ;
[B] et s'il s'agit d'actes et de propos dont (le caractère) est subtil [= n'est pas évident à cerner] et qui relèvent de l'ijtihad, alors ceux qui ne sont pas ulémas n'ont pas à s'y immiscer et à dénoncer ce genre de choses : ce sont aux ulémas que (le fait de s'en occuper) revient. Ensuite [au sein de cette catégorie B] les ulémas ne dénonceront que [B.a] ce qui fait l'objet d'un consensus ; [B.b] quant à ce qui fait l'objet d'avis divergents, il n'y a pas de dénonciation à son sujet car (…) celui dont l'avis est juste est un et celui dont l'avis est erroné n'est pas déterminé (mais) le péché est enlevé de lui ; cependant, si on recommande à (une personne) d'abandonner le cas de divergence [en ne faisant plus ce qui interdit même d'après l'avis d'un mujtahid seulement], ce sera faire là acte de bien, qu'il est recommandé de faire quand (cela l'est) avec douceur"
:
"ثم إنه إنما يأمر وينهى من كان عالما بما يأمر به وينهى عنه. وذلك يختلف باختلاف الشيء.
فإن كان من الواجبات الظاهرة والمحرمات المشهورة كالصلاة والصيام والزنا والخمر ونحوها فكل المسلمين علماء بها.
وإن كان من دقائق الأفعال والأقوال ومما يتعلق بالاجتهاد، لم يكن للعوام مدخل فيه ولا لهم إنكاره بل ذلك للعلماء. ثم العلماء إنما ينكرون ما أجمع عليه؛ أما المختلف فيه فلا إنكار فيه، لأن على أحد المذهبين كل مجتهد مصيب (وهذا هو المختار عند كثيرين من المحققين أو أكثرهم)، وعلى المذهب الآخر المصيب واحد والمخطىء غير متعين لنا والإثم مرفوع عنه؛ لكن إن ندبه على جهة النصيحة إلى الخروج من الخلاف فهو حسن محبوب مندوب إلى فعله برفق، فإن العلماء متفقون على الحث على الخروج من الخلاف إذا لم يلزم منه إخلال بسنة أو وقوع في خلاف آخر"
 (Shar'h Muslim 2/23).

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7) Comprendre les priorités en matière de amr et de inkâr :

Les deux points précédents, 5 et 6, mettent en exergue qu'on ne peut se soucier d'exhorter principalement des personnes précises à faire des actes recommandés alors que ces personnes délaissent aussi les actes obligatoires. De même qu'on ne peut les dissuader de faire tel acte déconseillé alors qu'elles s'adonnent parallèlement à des actes interdits.

Pareillement, on ne peut dénoncer des actes dont le caractère interdit fait l'objet d'une divergence d'opinions et ne rien dire d'actions dont le caractère haram fait l'unanimité.

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8) Par quel moyen dissuadera-t-on du mal et exhortera-t-on au bien ?

Dans le Hadîth suscité ("Celui parmi vous qui voit un mal doit le modifier par sa main ; s'il ne le peut pas, alors par sa langue ; et s'il ne le peut pas, alors par son cœur. Et c'est là le plus faible de la foi" : "من رأى منكم منكرا فليغيره بيده، فإن لم يستطع فبلسانه، فإن لم يستطع فبقلبه، وذلك أضعف الإيمان"), trois moyens ont été évoqués :
empêcher la personne de faire le mal ("doit le modifier par sa main") ;
– l'inviter par la parole à délaisser ce mal ("s'il ne peut pas (par sa main), alors par sa langue") ;
– considérer en son for intérieur ce mal comme étant un mal ("et s'il ne peut pas (par sa langue), alors par son cœur").

Délaisser ce qui est obligatoire étant interdit (cf. le point 2.c d'un autre article), ces mêmes moyens entrent en jeu à propos du fait d'exhorter au bien : il y a aussi :
– obliger la personne à faire l'action qui est moralement obligatoire ;
– l'inviter par la parole à faire l'action moralement obligatoire ;
– considérer en son for intérieur que le fait que la personne délaisse l'action obligatoire est mal.

Nous avons donc :
a) considérer les choses en son for intérieur ;
b) faire un rappel par la parole ;
c) empêcher concrètement le mal / obliger concrètement à faire l'obligatoire.

En fait seuls "b" et "c" sont véritablement des moyens pour dissuader et exhorter. Quant à "a", il ne s'agit pas à proprement parler d'un moyen de dissuasion et d'exhortation, mais le Hadîth veut dire que c'est alors la seule chose qui soit en le possible de l'homme (Mirqât 9/328, Shar'h Muslim 2/25).

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8.1) Les moyens b et c :

Le changement "par la main" (c) n'implique pas que des coups soient administrés à celui qui a fait l'action interdite. Cela peut désigner le fait de faire disparaître l'objet qui sert à cette action interdite ; Alî al-Qârî relate ainsi le fait de "renverser l'alcool" (Mirqât 9/328). Cependant, de telles initiatives ne sont pas à entreprendre en toute circonstance, comme nous allons le voir.

En effet, d'une part, le Hadîth stipule bien une condition pour le changement par la main : il précise que "s'il ne le peut pas [= par la main], alors par la langue". Il faut donc "avoir pareille possibilité" pour procéder à un changement par la main. Et, comme l'écrit al-Qaradhâwî, "ceci est le cas en général du détenteur de l'autorité, dans le cadre de ce sur quoi il a autorité" (Fatâwâ mu'âssira 2/688) ; à l'échelle de la société, il s'agit du dirigeant [municipal, régional, ou national] (Mirqât 9/328) ; à l'échelle d'une famille, il s'agit du chef de famille (Bayân ul-qur'ân 2/45). Si on n'a pas l'autorité voulue, on n'empêchera rien par sa main.
On se rappellera ainsi que le Prophète n'a brisé les idoles qui avaient été placées autour de la Kaaba que lorsqu'il a eu autorité sur la cité de la Mecque, ce qui s'est produit quelques 18 ans après le début de sa prédication publique, donc 18 ans après le moment où il avait commencé à dénoncer publiquement le culte des idoles (cliquez ici) ; le Prophète ne l'a pas fait pendant les 10 ans où il a continué à vivre à la Mecque après le début de cette prédication publique ; il ne l'a pas fait non plus en l'an 7 de l'hégire, pendant les trois jours où, venus accomplir le petit pèlerinage, ses Compagnons et lui étaient seuls dans la cité, désertée par les Mecquois.

D'autre part, même en ce qui concerne le détenteur de l'autorité, "pouvoir avoir recours à cette façon de changer les choses" ne signifie pas simplement en avoir la force ou être en mesure de le faire, mais aussi être dans une situation où ce genre d'action ne causera pas un mal plus grand que celui qu'il est censé faire cesser ; ceci s'applique d'ailleurs autant au moyen "b" qu'au moyen "c" (cf. Mirqât 9/329, Shar'h Muslim 2/25). En effet, quand le Hadîth dit : "s'il ne le peut pas (par la main), alors par la langue", cela ne signifie pas seulement : "s'il n'a pas la force de le faire par la main" mais aussi : "s'il y a présomption que le changement par la main entraînera une mafsada plus grande que la mafsada qu'il veut faire disparaître, alors ce sera par la langue" (cf. Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, Cheikh Thânwî, p. 174) : cliquez ici pour en savoir plus. "Avoir la possibilité de faire le changement par la main" implique donc qu'il n'y ait pas un tel risque. Tout musulman qui n'est pas ainsi n'a en réalité pas "la possibilité d'avoir recours à ce moyen "c", et ne le fera donc pas.

Ibn Taymiyya écrit ainsi à propos de cette "exhortation au bien" et cette "dissuasion du mal" : "وكذلك الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر لا يجب على كل أحد بعينه بل هو على الكفاية كما دل عليه القرآن. ولما كان الجهاد من تمام ذلك، كان الجهاد أيضا كذلك. فإذا لم يقم به من يقوم بواجبه أثم كل قادر بحسب قدرته، إذ هو واجب على كل إنسان بحسب قدرته؛ كما قال النبي صلى الله عليه وسلم {من رأى منكم منكرا فليغيره بيده فإن لم يستطع فبلسانه فإن لم يستطع فبقلبه وذلك أضعف الإيمان}. وإذا كان كذلك، فمعلوم أن الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر - وإتمامه بالجهاد - هو من أعظم المعروف الذي أمرنا به؛ ولهذا قيل: ليكن أمرك بالمعروف ونهيك عن المنكر غير منكر. وإذا كان هو من أعظم الواجبات والمستحبات، فالواجبات والمستحبات لا بد أن تكون المصلحة فيها راجحة على المفسدة؛ إذ بهذا بعثت الرسل ونزلت الكتب؛ والله لا يحب الفساد، بل كل ما أمر الله به فهو صلاح؛ وقد أثنى الله على الصلاح والمصلحين والذين آمنوا وعملوا الصالحات، وذم المفسدين في غير موضع. فحيث كانت مفسدة الأمر والنهي أعظم من مصلحته، لم تكن مما أمر الله به، وإن كان قد ترك واجب وفعل محرم؛ إذ المؤمن عليه أن يتقي الله في عباده وليس عليه هداهم؛ وهذا معنى قوله تعالى {يا أيها الذين آمنوا عليكم أنفسكم لا يضركم من ضل إذا اهتديتم} والاهتداء إنما يتم بأداء الواجب فإذا قام المسلم بما يجب عليه من الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر كما قام بغيره من الواجبات لم يضره ضلال الضلال. وذلك يكون تارة بالقلب، وتارة باللسان، وتارة باليد. فأما القلب فيجب بكل حال إذ لا ضرر في فعله ومن لم يفعله فليس هو بمؤمن كما قال النبي صلى الله عليه وسلم {وذلك أدنى أو أضعف الإيمان} وقال: {ليس وراء ذلك من الإيمان حبة خردل}. وقيل لابن مسعود: من ميت الأحياء؟ فقال : الذي لا يعرف معروفا ولا ينكر منكرا وهذا هو المفتون الموصوف في حديث حذيفة بن اليمان.
وهنا يغلط فريقان من الناس: فريق يترك ما يجب من الأمر والنهي تأويلا لهذه الآية، كما قال أبو بكر الصديق رضي الله عنه في خطبته: إنكم تقرءون هذه الآية {عليكم أنفسكم لا يضركم من ضل إذا اهتديتم}، وإنكم تضعونها في غير موضعها؛ وإني سمعت النبي صلى الله عليه وسلم يقول: "إن الناس إذا رأوا المنكر فلم يغيروه أوشك أن يعمهم الله بعقاب منه."
والفريق الثاني: من يريد أن يأمر وينهى إما بلسانه وإما بيده مطلقا من غير فقه وحلم وصبر ونظر فيما يصلح من ذلك وما لا يصلح وما يقدر عليه وما لا يقدر كما في حديث أبي ثعلبة الخشني: سألت عنها رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "بل ائتمروا بالمعروف وتناهوا عن المنكر حتى إذا رأيت شحا مطاعا وهوى متبعا ودنيا مؤثرة وإعجاب كل ذي رأي برأيه ورأيت أمرا لا يدان لك به فعليك بنفسك ودع عنك أمر العوام، فإن من ورائك أيام الصبر فيهن على مثل قبض على الجمر للعامل فيهن كأجر خمسين رجلا يعملون مثل عمله." فيأتي بالأمر والنهي معتقدا أنه مطيع في ذلك لله ورسوله وهو معتد في حدوده" :
"Là où le désavantage ("mafsada [shar'iyya]") qu'(entraîne) le fait d'ordonner (le bien) et d'interdire (le mal) est plus grand que son avantage ("maslaha [shar'iyya]"), cela ne relève pas de ce que Dieu a ordonné. (…) Cela se fait parfois par le cœur [seulement], parfois par la langue [aussi], et parfois par la main [également]. Pour ce qui est du cœur, cela est obligatoire en toute circonstance (…). Deux groupes de gens commettent ici une erreur. Un premier groupe délaisse (de façon absolue) l'exhortation et la dissuasion, en faisant une interprétation (erronée) de ce verset [Coran 5/105] (…). Et le second groupe est constitué de ceux qui veulent ordonner (le bien) et interdire (le mal) par la langue et la main de façon inconditionnelle ("mutlaqan"), sans compréhension ("fiqh"), longanimité ("hilm"), patience et considération pour ce qui convient à ce sujet et ce qui ne convient pas, et pour ce dont on a (réellement) la capacité et ce dont on n'en a pas la capacité. (…) Ces gens ordonnent (le bien) et interdisent (le mal) en croyant qu'ils obéissent ainsi à Dieu et suivent Son Messager, alors qu'en fait ils outrepassent les limites fixées par Dieu" (MF 28/126-128).
Dans ce passage où Ibn Taymiyya a écrit que ce devoir d'évaluer la maslaha et la mafsada s'applique à tout ce qui relève du amr bi-l-ma'rûf et le na'hy 'an il-munkar (afin de ne tomber dans aucun de ces deux groupes aux positions erronées), on voit qu'il a aussi écrit que le Jihad bi-s-silâh, c'est-à-dire le Qitâl (combattre l'ennemi), relève lui aussi de cette action générale. (Ash-Shâtibî l'a lui aussi écrit : "كقاعدة الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر، والجهاد شعبة منها" : Al-Muwâfaqât, 1/529 ; voir aussi 1/652). C'est bien pourquoi, exception faite du cas où il s'agit de combattre de façon purement défensive, face à l'invasion armée du pays (cas classé comme étant le cas "B.1" dans notre article), tous les autres cas de combat sont conditionnés au fait qu'il y ait capacité et que cela n'entraîne pas un fassâd plus grand encore. Lire à ce sujet nos articles :
Le concept islamique du "jihad" n'est pas spécifiquement d'ordre militaire ;
La paix est ce que nous souhaitons - Les différents cas de combat : défensif et offensif, et leurs conditions ;
Ne pas confondre "repousser l'envahisseur d'un des pays formant la Dâr ul-islâm", et "attaquer cet envahisseur sur son territoire à lui" ;
Quelques précisions et nuances à propos du combat défensif ;
Quelques précisions et nuances à propos du combat défensif.

Dans un passage d'un autre de ses ouvrages, Ibn Taymiyya a écrit que ce principe de devoir évaluer la maslaha et la mafsada que va entraîner le amr bi-l-ma'rûf et le na'hy 'an il-munkar, s'applique également à l'application des peines : "ومن النهي عن المنكر: اقامة الحدود على من خرج من شريعة الله" : "Et relève du nah'y 'an il-munkar : l'application des peines sur celui qui sort de la voie (tracée) par Dieu" (Al-Istiqâma, p. 172 / 2/209-215 dans l'édition que je possède).

On voit ici que le principe général (condition de capacité) s'appliquant au chapitre général du amr bi-l-ma'rûf et du na'hy 'an il-munkar s'applique à tous les éléments qui en relèvent (donc également à l'application des peines à celuiqui s'est rendu coupable d'un délit, et au fait de combattre l'ennemi).

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Un bédouin vint un jour prier en compagnie du Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) dans sa mosquée. Ensuite, se mettant debout dans un coin de la mosquée, il se mit à uriner (at-Tirmidhî 147). Des Compagnons se levèrent et se dirigèrent vers lui (al-Bukhârî 5679), mais le Prophète leur dit : "Laissez-le, ne lui faites pas de tort" (al-Bukhârî 216, 5679). Puis il appela le bédouin et lui dit : "Ces mosquées ne sont pas faites pour qu'on y urine ou qu'on y fasse d'autres saletés ! Elles sont faites pour qu'on y invoque Dieu, qu'on y prie et qu'on y récite le Coran". Puis le Prophète demanda à quelqu'un d'apporter un seau d'eau et fit nettoyer l'endroit sali (Muslim 285). Ultérieurement dans sa vie, le bédouin, devenu plus compréhensif ("ba'da an faqiha"), se remémorait cette sagesse et cette douceur du Prophète (cf. Ibn Mâja 529).
On voit ici le Prophète refuser – bien qu'il était détenteur de l'autorité – qu'on intervienne par la main pour dissuader du mal, et ce parce que, le bédouin ayant déjà commencé à uriner, il se serait enfui et aurait sali d'autres endroits encore de la mosquée. Un endroit était déjà en train d'être sali, on aurait eu plusieurs endroits souillés (Fat'h ul-bârî 1/421). Le Prophète a donc donné préférence au moindre de deux maux (Ibid. 423). Voilà un exemple de compréhension, de longanimité et de patience dans le fait de dissuader du mal.

Dans le droit fil de ce modèle, le récit avec Ibn Taymiyya est bien connu où il est relaté qu'il passait avec un groupe d'élèves près de Mongols – des musulmans, mais qui s'étaient lancés dans une entreprise de conquête des terres musulmanes pour y faire régner leur ordre erroné – complètement ivres. L'un de ceux qui se trouvaient en compagnie de Ibn Taymiyya leur fit alors des reproches (inkâr) [leur rappelant que Dieu a interdit la consommation d'alcool]. Mais Ibn Taymiyya intervint alors et reprit cet élève quant à son propos, lui expliquant que Dieu a interdit la consommation d'alcool afin que, comme Il l'a dit dans Son Livre, celui-ci n'empêche pas la personne de penser à Lui. Or, dans le cas des Mongols, l'ivresse les empêchait, eux, de détruire les biens des autres musulmans. Il dit donc à cet élève : "Laisse-les donc !" : "وسمعت شيخ الإسلام ابن تيمية - قدس الله روحه ونور ضريحه - يقول: "مررت أنا وبعض أصحابي في زمن التتار بقوم منهم يشربون الخمر. فأنكر عليهم من كان معي. فأنكرت عليه، وقلت له: "إنما حرم الله الخمر لأنها تصد عن ذكر الله وعن الصلاة؛ وهؤلاء يصدهم الخمر عن قتل النفوس وسبي الذرية وأخذ الأموال؛ فدعهم" (A'lâm ul-muwaqqi'în, 3/13 ; Al-Istiqâma, p. 163 ou 2/165-166).
Ibn Taymiyya n'entendit absolument pas dire ici qu'il s'agissait de considérer la consommation d'alcool licite pour les Mongols ; il n'entendit pas non plus dire à cet élève de leur fournir de l'alcool pour qu'ils puissent en boire davantage. Il voulut seulement dire que, du moment que ces Mongols avaient d'eux-mêmes choisi d'en boire, il fallait s'abstenir de leur en rappeler le caractère interdit, et ce à cause de la situation dans laquelle ils se trouvaient en ce lieu donné, à ce moment donné : le fait qu'ils soient à jeun causait encore plus de tort encore à l'Islam que le fait qu'ils soient ivres.
Tout le passage se lit ainsi : "المثال الأول: أن النبي صلى الله عليه وسلم شرع لأمته إيجاب إنكار المنكر ليحصل بإنكاره من المعروف ما يحبه الله ورسوله، فإذا كان إنكار المنكر يستلزم ما هو أنكر منه وأبغض إلى الله ورسوله فإنه لا يسوغ إنكاره، وإن كان الله يبغضه ويمقت أهله. وهذا كالإنكار على الملوك والولاة بالخروج عليهم؛ فإنه أساس كل شر وفتنة إلى آخر الدهر، .وقد استأذن الصحابة رسول الله - صلى الله عليه وسلم - في قتال الأمراء الذين يؤخرون الصلاة عن وقتها، وقالوا: أفلا نقاتلهم؟ فقال: "لا، ما أقاموا الصلاة." وقال: "من رأى من أميره ما يكرهه فليصبر ولا ينزعن يدا من طاعته." ومن تأمل ما جرى على الإسلام في الفتن الكبار والصغار رآها من إضاعة هذا الأصل وعدم الصبر على منكر فطلب إزالته فتولد منه ما هو أكبر منه. فقد كان رسول الله - صلى الله عليه وسلم - يرى بمكة أكبر المنكرات ولا يستطيع تغييرها. بل لما فتح الله مكة وصارت دار إسلام عزم على تغيير البيت ورده على قواعد إبراهيم، ومنعه من ذلك - مع قدرته عليه - خشية وقوع ما هو أعظم منه من عدم احتمال قريش لذلك لقرب عهدهم بالإسلام وكونهم حديثي عهد بكفر. ولهذا لم يأذن في الإنكار على الأمراء باليد، لما يترتب عليه من وقوع ما هو أعظم منه كما وجد سواء.
فإنكار المنكر أربع درجات؛ الأولى: أن يزول ويخلفه ضده. الثانية: أن يقل وإن لم يزل بجملته. الثالثة: أن يخلفه ما هو مثله. الرابعة: أن يخلفه ما هو شر منه.
فالدرجتان الأوليان مشروعتان. والثالثة موضع اجتهاد. والرابعة محرمة. فإذا رأيت أهل الفجور والفسوق يلعبون بالشطرنج كان إنكارك عليهم من عدم الفقه والبصيرة إلا إذا نقلتهم منه إلى ما هو أحب إلى الله ورسوله كرمي النشاب وسباق الخيل ونحو ذلك. وإذا رأيت الفساق قد اجتمعوا على لهو ولعب أو سماع مكاء وتصدية فإن نقلتهم عنه إلى طاعة الله فهو المراد، وإلا كان تركهم على ذلك خيرا من أن تفرغهم لما هو أعظم من ذلك فكان ما هم فيه شاغلا لهم عن ذلك. وكما إذا كان الرجل مشتغلا بكتب المجون ونحوها وخفت من نقله عنها انتقاله إلى كتب البدع والضلال والسحر فدعه وكتبه الأولى. وهذا باب واسع. وسمعت شيخ الإسلام ابن تيمية - قدس الله روحه ونور ضريحه - يقول: "مررت أنا وبعض أصحابي في زمن التتار بقوم منهم يشربون الخمر. فأنكر عليهم من كان معي. فأنكرت عليه، وقلت له: إنما حرم الله الخمر لأنها تصد عن ذكر الله وعن الصلاة، وهؤلاء يصدهم الخمر عن قتل النفوس وسبي الذرية وأخذ الأموال فدعهم"
(A'lâm ul-muwaqqi'în, 3/12-13).
On lit ici sous la plume de Ibn ul-Qayyim que réprouver le Munkar est de 4 degrés :
- que le fait de le réprouver le fasse disparaître complètement (et que un bien prenne alors sa place) : réprouver ce Munkar est alors mashrû' ;
- que le fait de le réprouver le fasse diminuer : le réprouver est alors mashrû' ;
- que le fait de le réprouver le fasse disparaître mais qu'une Mafsada de même niveau que lui prenne alors sa place : il y a ici ikhtilâf quant à la question de savoir si le réprouver est alors mashrû' ;
- que le fait de le réprouver le fasse disparaître mais qu'une Mafsada plus grande que lui prenne alors sa place : le réprouver est alors interdit.

Ahmad ibn Hanbal
est d'avis que procéder à la décoration des copies du Coran est mak'rûh. Pourtant, un jour qu'on lui dit que tel émir avait dépensé 1000 pièces d'or pour décorer une copie du Coran, il fit : "Laisse-les, cela est le mieux dans quoi ils dépensent l'or !" Cette réponse ne constitue pas de sa part une fatwa générale, mais une fatwa particulière, liée à la situation de ce qu'il savait de cet émir et certains de ses semblables : s'ils ne dépensaient pas leur or dans ce motif en soi mak'rûh, ils le dépenseraient dans ce qui est pire : "ولهذا قيل للإمام أحمد عن بعض الأمراء: "إنه أنفق على مصحف ألف دينار" أو نحو ذلك، فقال: "دعهم، فهذا أفضل ما أنفقوا فيه الذهب" أو كما قال؛ مع أن مذهبه أن زخرفة المصاحف مكروهة. وقد تأول بعض الأصحاب أنه أنفقها في تجويد الورق والخط. وليس مقصود أحمد هذا، إنما قصده أن هذا العمل: فيه مصلحة، وفيه أيضًا مفسدة كره لأجلها. فهؤلاء إن لم يفعلوا هذا، وإلا اعتاضوا بفساد لا صلاح فيه، مثل أن ينفقها في كتاب من كتب الفجور من كتب الأسمار أو الأشعار أو حكمة فارس والروم.

فتفطن لحقيقة الدين، وانظر ما اشتملت عليه الأفعال من المصالح الشرعية والمفاسد، بحيث تعرف ما مراتب المعروف ومراتب المنكر، حتى تقدم أهمها عند الازدحام. فإن هذا حقيقة العلم بما جاءت به الرسل. فإن التمييز بين جنس المعروف وجنس المنكر، أو جنس الدليل وغير الدليل: يتيسر كثيرًا. فأما مراتب المعروف والمنكر، ومراتب الدليل، بحيث يقدم عند التزاحم أعرف المعروفين وينكر أنكر المنكرين، ويرجح أقوى الدليلين، فإنه هو خاصة العلماء بهذا الدين.
فالمراتب ثلاث: أحدها: العمل الصالح المشروع الذي لا كراهة فيه. والثانية: العمل الصالح من بعض وجوهه أو أكثرها، إما لحسن القصد، أو لاشتماله مع ذلك على أنواع من المشروع. والثالثة: ما ليس فيه صلاح أصلًا، إما لكونه تركا للعمل الصالح مطلقًا، أو لكونه عملًا فاسدًا محضًا" (Al-Iqtidhâ', Ibn Taymiyya, pp. 274-275).

On peut se souvenir également que le Prophète (sur lui soit la paix) n'a pas entrepris la réfection de la Kaaba afin de la rendre exactement comme elle avait été construite par Abraham (il s'agissait de l'agrandir légèrement et de ramener la porte au niveau du sol), car, expliqua-t-il à Aïcha, les Quraysh, nouvellement convertis à l'islam, n'auraient pas compris cette entreprise (lire ce hadîth et son commentaire dans un autre article).

Il y a également ce hadîth : "عن أبي أمية الشعباني، قال: أتيت أبا ثعلبة الخشني، فقلت له: كيف تصنع بهذه الآية؟ قال: أية آية؟ قلت: قوله تعالى: {يا أيها الذين آمنوا عليكم أنفسكم لا يضركم من ضل إذا اهتديتم}. قال: "أما والله لقد سألت عنها خبيرا، سألت عنها رسول الله صلى الله عليه وسلم فقال: "بل ائتمروا بالمعروف وتناهوا عن المنكر، حتى إذا رأيت شحا مطاعا، وهوى متبعا، ودنيا مؤثرة، وإعجاب كل ذي رأي برأيه، فعليك بخاصة نفسك ودع العوام، فإن من ورائكم أياما، الصبر فيهن مثل القبض على الجمر، للعامل فيهن مثل أجر خمسين رجلا يعملون مثل عملكم". قال عبد الله بن المبارك: وزادني غير عتبة - قيل: "يا رسول الله أجر خمسين رجلا منا أو منهم؟" قال: "بل أجر خمسين رجلا منكم" (at-Tirmidhî, 3058 ; dha'îf d'après al-Albânî).

A propos d'un élément (hajru man yuz'hir ul-munkar) qui relève également de la catégorie générale "exhorter au bien et dissuader du mal", Ibn Taymiyya écrit encore : "وهذا الهجر يختلف باختلاف الهاجرين في قوتهم وضعفهم وقلتهم وكثرتهم فإن المقصود به زجر المهجور وتأديبه ورجوع العامة عن مثل حاله. فإن كانت المصلحة في ذلك راجحة بحيث يفضي هجره إلى ضعف الشر وخفيته، كان مشروعا. وإن كان لا المهجور ولا غيره يرتدع بذلك بل يزيد الشر والهاجر ضعيف بحيث يكون مفسدة ذلك راجحة على مصلحته، لم يشرع الهجر؛ بل يكون التأليف لبعض الناس أنفع من الهجر؛ والهجر لبعض الناس أنفع من التأليف. ولهذا كان النبي صلى الله عليه وسلم يتألف قوما ويهجر آخرين. كما أن الثلاثة الذين خلفوا كانوا خيرا من أكثر المؤلفة قلوبهم لما كان أولئك كانوا سادة مطاعين في عشائرهم فكانت المصلحة الدينية في تأليف قلوبهم وهؤلاء كانوا مؤمنين والمؤمنون سواهم كثير فكان في هجرهم عز الدين وتطهيرهم من ذنوبهم. وهذا كما أن المشروع في العدو القتال تارة والمهادنة تارة وأخذ الجزية تارة كل ذلك بحسب الأحوال والمصالح. وجواب الأئمة كأحمد وغيره في هذا الباب مبني على هذا الأصل. ولهذا كان يفرق بين الأماكن التي كثرت فيها البدع كما كثر القدر في البصرة والتنجيم بخراسان والتشيع بالكوفة وبين ما ليس كذلك. ويفرق بين الأئمة المطاعين وغيرهم. وإذا عرف مقصود الشريعة سلك في حصوله أوصل الطرق إليه. وإذا عرف هذا فالهجرة الشرعية هي من الأعمال التي أمر الله بها ورسوله. فالطاعة لا بد أن تكون خالصة لله وأن تكون موافقة لأمره فتكون خالصة لله صوابا. فمن هجر لهوى نفسه أو هجر هجرا غير مأمور به: كان خارجا عن هذا. وما أكثر ما تفعل النفوس ما تهواه ظانة أنها تفعله طاعة لله. والهجر لأجل حظ الإنسان لا يجوز أكثر من ثلاث" : Cela "diffère selon la différence des personnes susceptibles de le pratiquer, selon qu'elles sont en situation de force ou de faiblesse, en petit ou en grand nombre. Car l'objectif en est de sanctionner et d'éduquer celui à qui la parole n'est pas adressée, et que le public délaisse une situation semblable à celle de cet homme. Dès lors, si l'avantage lié à cela domine, de sorte que le fait de ne pas lui adresser la parole entraînera l'affaiblissement du mal et sa disparition de la scène, (agir ainsi) est ce que demandent les textes. (Mais) si ni celui à qui on n'adressera plus la parole ni les autres ne cesseront pas (de faire ce mal) mais qu'au contraire le mal augmentera [à cause du fait qu'on ne leur parle plus], et que celui qui va ne plus parler est en situation de faiblesse, de sorte que le désavantage lié à cela domine l'avantage, le fait de ne plus lui parler n'est alors pas prescrit. [La vérité est que] chercher à gagner le cœur fait plus de bien à certaines personnes que ne plus leur adresser la parole, alors que ne plus leur adresser la parole est plus profitable à d'autres que chercher à gagner le cœur. C'est pourquoi le Prophète cherchait à gagner les cœurs de certains (mais) n'adressait plus la parole à d'autres ; les trois (Compagnons) dont l'affaire a été remise à plus tard étaient meilleurs que la plupart de ceux dont on cherchait à gagner les cœurs ; ces derniers étaient des chefs obéis dans leurs clans, et ce qu'il fallait faire au regard des enseignements de l'islam était de chercher à gagner leur cœur. Ceux-ci [les trois Compagnons] étaient des croyants, alors que les autres croyants étaient nombreux ; il y avait donc, dans le fait ne plus leur adresser la parole, un rehaussement de l'islam et une purification pour eux de leur faute. (…) Lorsqu'on connaît l'objectif des sources (à ce sujet), on emprunte, pour atteindre celui-ci, le chemin qui y mène le plus" (MF 28/206-207).

Ibn Taymiyya montre donc d'une part qu'il faut se rendre compte qu'il y a, dans le modèle du Prophète, une pluralité de comportements quant à la façon d'inciter quelqu'un à abandonner le mal et à revenir au bien. Et d'autre part que le musulman doit analyser la réalité à laquelle il fait face et dans laquelle il se trouve, afin d'adopter le comportement qui correspond à celle-ci, dans le droit fil du modèle prophétique.
Tout manquement dans la compréhension des textes et / ou du réel et, partant, toute entreprise inadéquate risquent de produire l'inverse de l'effet escompté : l'acte auquel on fait face risque alors non pas seulement de ne pas diminuer mais, au contraire, d'augmenter.
Par exemple, en terre occidentale, demander aux autorités l'interdiction d'un livre ou d'une pièce de théâtre qui n'appelle pas à la haine de l'islam ou des musulmans mais fait une critique de l'islam, c'est ne pas comprendre qu'en tenant ce propos, on risque fort de donner davantage d'armes aux détracteurs, qui profiteront de l'occasion pour hurler qu'il faut lutter avec davantage de détermination encore contre les musulmans et leur culte, car ils "sont contre la liberté d'expression". En pareil contexte, on se trouve dans une situation comparable à celle que Ibn Taymiyya décrit comme étant de faiblesse (et qui rejoint en partie celle que le Prophète avait connue à la Mecque). Bien sûr, les musulmans doivent désapprouver les idées de kufr akbar que ce genre d'ouvrages contient (c'est le degré a), mais ce qu'ils peuvent faire c'est préparer un autre livre qui réfute point par point les arguments du premier ouvrage ; et non demander l'interdiction de celui-ci. Ceci n'a aucune chance d'aboutir.

La façon d'inviter par la langue doit aussi se faire de façon pragmatique : quand le mal est généralisé au point où il a gagné les cœurs et les esprits d'une majorité de gens et qu'il est devenu la norme, au point que l'on est certain qu'inviter alors à le délaisser totalement ne passera pas et qu'on irait au devant de problèmes plus graves que celui qu'on entendait faire disparaître, on se contentera d'inviter à amoindrir le mal qui est commis. C'est bien ce qui ressort du Hadîth où le Prophète a parlé d'une époque qui viendrait où "l'homme se lèvera vers la femme et aura des relations intimes avec elle sur la voie publique. La meilleure personne ce jour-là sera celle qui lui dira : "Si tu la cachais derrière le mur"" : " والذي نفسي بيده لا تفنى هذه الأمة حتى يقوم الرجل إلى المرأة فيفترشها في الطريق، فيكون خيارهم يومئذ من يقول: لو واريتها وراء هذا الحائط" (Silsilat ul-ahâdîth is-sahîha, 1/868 ; voir aussi Silsilat ul-ahâdîth id-dha'îfa, n° 1254). Dans une autre version : "Si vous vous mettiez à l'écart du chemin ?" : "ولأبي يعلى عن أبي هريرة: "لا تفنى هذه الأمة حتى يقوم الرجل إلى المرأة فيفترشها في الطريق فيكون خيارهم يومئذ من يقول: لو واريناها وراء هذا الحائط." وللطبراني في الأوسط من حديث أبي ذر نحوه وفيه: "يقول أمثلهم: لو اعتزلتم الطريق" (Fat'h ul-bârî 13/106).
Voyez :
– avoir des relations sexuelles hors mariage (c'est bien de cela que le Hadîth parle, voir l'autre version) est interdit ;
– mais le faire sur la voie publique est un second interdit, aggravant.
A cette époque future, inviter personnellement à cesser ce second interdit sera déjà hors normes, au point que celui qui aura le courage de le faire sera une personne pieuse, digne d'éloges. C'est pour cela que le musulman se contentera, en pareille époque, d'exhorter les hommes à adopter un moindre mal.
Attention : il ne s'agira ni de considérer que ce moindre mal est devenu autorisé (murakhkhas fîh) parce que la majorité des gens font, eux, un mal plus grand – il n'y a ici pas de ta'ârudh bayna hassanatayn aw sayyi'atayn –, ni de dire une parole qui laissera l'homme en question croire que ce qu'il fait est permis (mudâhana muharrama) ; il s'agira de se contenter de l'inviter à délaisser une partie du mal qu'elle fait ; pour l'autre partie le musulman gardera le silence (sukût).

Un point supplémentaire : il est des ulémas qui sont d'avis que lorsqu'on est certain que le conseil n'aura aucun effet, il n'est alors pas obligatoire d'adresser le conseil (bien que l'acte commis soit interdit ou que l'acte délaissé soit obligatoire), cela restant toutefois quand même préférable (Bayân ul-qur'ân 4/48, Radd ul-muhtâr 1/566, Mirqât 9/329). En fait il y a alors rukhsa de ne plus adresser le conseil, la 'azîma étant de le faire quand même.

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8.2) Le degré a :

Le degré a – considérer en son cœur que tel acte est un mal – n'est jamais caduc (il est d'ailleurs la source des moyens b et c : c'est bien parce que dans son cœur on pense que tel acte est mal qu'on invite une personne à ne plus le faire). Même quand on ne peut entreprendre le moyen b, on se doit de considérer en son cœur (a) que l'acte est mal.

En pareille situation, on doit de plus, sauf raison valable, s'éloigner de l'endroit où ce mal est fait. Ibn Taymiyya écrit : "ليس للإنسان أن يحضر الأماكن التي يشهد فيها المنكرات ولا يمكنه الإنكار؛ إلا لموجب شرعي: مثل أن يكون هناك أمر يحتاج إليه لمصلحة دينه أو دنياه لا بد فيه من حضوره؛ أو يكون مكرها" : "Il n'est pas permis à quelqu'un d'être présent en des lieux où il assiste à des actes de mal alors qu'il ne peut pas inviter à les délaisser, sauf pour une raison valable" (MF 28/239). Quelques pages auparavant, il a écrit chose voisine et a présenté comme preuve le hadîth où le Prophète a dit : "من كان يؤمن بالله واليوم الآخر فلا يجلس على مائدة يشرب عليها الخمر" : "Celui qui croit en Dieu et au jour dernier, qu'il ne s'assoie pas à une table sur laquelle l'alcool est bu" [ad-Dârimî 2092, Ahmad 14241 ; voir aussi at-Tirmidhî 2801, Ahmad 126] (MF 28/221). Ailleurs il a présenté comme preuve le verset du Coran où Dieu dit : "وَقَدْ نَزَّلَ عَلَيْكُمْ فِي الْكِتَابِ أَنْ إِذَا سَمِعْتُمْ آيَاتِ اللّهِ يُكَفَرُ بِهَا وَيُسْتَهْزَأُ بِهَا فَلاَ تَقْعُدُواْ مَعَهُمْ حَتَّى يَخُوضُواْ فِي حَدِيثٍ غَيْرِهِ إِنَّكُمْ إِذًا مِّثْلُهُمْ" : "Et il déjà fait descendre sur vous dans le Livre (l'ordre disant) que lorsque vous entendez les versets de Dieu être reniés et raillés, alors ne vous asseyez pas avec ces gens jusqu'à ce qu'ils entreprennent une autre conversation" [Coran 4/140] (MF 28/203). C'est également dans ce sens que se comprend cette parole du Prophète : "عن العرس ابن عميرة الكندي، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "إذا عملت الخطيئة في الأرض، كان من شهدها فكرهها كان كمن غاب عنها؛ ومن غاب عنها فرضيها كان كمن شهدها" : "Lorsque le mal est commis sur terre, celui qui y assiste et le déteste [au fond de son cœur] est comme celui qui en était éloigné. Et celui qui en est éloigné (mais) est content de ce mal est comme celui qui y assiste" (Abû Dâoûd 4345). Cet autre Hadîth montre bien, lui aussi, que l'idéal, requis de façon nécessaire, est qu'on ne soit pas présent dans les lieux où le mal est commis ouvertement ; sauf au cas où on ne peut pas s'en éloigner (à cause d'une maslaha mu'tabara shar'an), lequel cas il s'agit en son cœur de désapprouver cet acte de mal ; on est alors considéré comme celui qui s'en était éloigné. A l'inverse, celui qui est satisfait de ce mal est considéré comme s'il y assistait, même s'il était éloigné de ce lieu. (Cliquez ici.)

Tout ceci va dans le sens d'un des commentaires du célèbre Hadîth mentionné au début de cet article : "Celui parmi vous qui voit un mal doit le modifier par sa main ; s'il ne le peut pas, alors par sa langue ; et s'il ne le peut pas, alors par son cœur. Et c'est là le plus faible de la foi" ("من رأى منكم منكرا فليغيره بيده، فإن لم يستطع فبلسانه، فإن لم يستطع فبقلبه، وذلك أضعف الإيمان") : "Et c'est là la plus faible époque de la foi" (Mirqât 9/328). C'est-à-dire que lorsque, de façon généralisée, les musulmans ne peuvent plus avoir recours qu'au fait de penser en leur cœur que tel acte est mal et ne peuvent même plus l'exprimer verbalement, alors ils vivent dans une époque où la foi a une très faible présence dans le monde.

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8.3) Le recours au moyen "b" consiste soit à dire à la personne concernée, soit à faire passer le message lors d'un discours général :

Il y a deux façons de dissuader du mal par le moyen de la langue : soit on se rend auprès du frère concerné et on lui dit personnellement, d'homme à homme, que ce qu'il fait n'est pas bien, pour telle et telle raison ; soit on fait un discours devant une assemblée, et, pendant ce discours, on parle du problème de façon générale (c'est le recours au fameux "Mâ bâlu aqwâmin yaf'alûn kadhâ").
Le Prophète a parfois lui-même eu recours à ce second procédé, car il permet de tenir un propos général plutôt que de dire au frère qu'il s'est trompé, ce qui pourrait l'amener à réagir négativement. Al-Bukhârî a même titré : "باب: من لم يواجه الناس بالعتاب" ("Qui ne s'est pas adressé de vive voix aux gens pour leur reprocher quelque chose") (Al-Jâmi' us-sahîh, kitâb ul-adab, tarjama n° 72). Cette façon de faire est rapportée du Prophète à propos d'un acte qu'il avait autorisé lors du pèlerinage (al-Bukhârî, 2371), de même qu'à une autre occasion (al-Bukhârî, 5750).

Cependant, je dis bien que le Prophète a parfois eu recours à ce procédé, car ce n'était pas systématique. Dans le cas de Mu'âwiya ibn al-Hakam, ou des trois Compagnons voulant se priver de ce que Dieu a autorisé, il est venu leur parler directement (Muslim, 537, et al-Bukhârî, 4776 respectivement). Dans le cas de Ibn ul-Utbiyya, il a eu recours aux deux façons de faire : il le lui a dit de vive voix puis en a parlé de façon générale lors d'un discours (al-Bukhârî, 6578). Dans le cas de Mu'âdh qui, alors qu'il était imam, récitait dans la prière du soir de très longues sourates – al-Baqara – il le lui dit aussi de vive voix (al-Bukhârî, 673), mais il est aussi relaté un cas semblable à propos de la prière du matin, et le Prophète en parla de façon générale lors d'un discours (al-Bukhârî, 672). A propos d'une demande que 'Alî ibn Abî Tâlib avait faite, il en parlé lors d'un discours, mais en prononçant explicitement le nom de 'Alî (al-Bukhârî, 4932).

Il faut analyser la situation et agir en fonction de ce qui conférera une meilleure efficacité au message.

Par contre on peut remarquer que certaines personnes ont recours à ce fameux "Mâ bâlu aqwâmin yaf'alûn kadhâ" par rapport à ce que font certains coreligionnaires, et, quand on leur demande pourquoi elles ne vont pas trouver ces derniers pour leur adresser de vive voix le conseil ou la désapprobation qu'elles ont à leur faire, elles arguent que c'est Sunna d'avoir recours à ce "Mâ bâlu aqwâmin yaf'alûn kadhâ" (un passage de Malfûzât-é Mawlanâ Ilyâs est aussi souvent cité ici). Pratiquer la sunna, n'est-ce pas ce que chacun devrait en effet faire ?
Le seul problème c'est que
si d'autres que ces personnes ont recours au même procédé pour expliquer que tel acte ou tel propos ou tel avis n'est pas correct ou n'est pas approprié et que les premières font partie de ceux qui pratiquent cet acte, tiennent ce propos ou ont émis cet avis, voilà les premières personnes qui oublient la sunna, changent immédiatement de raisonnement : "Ce n'est pas une façon de faire, ça ! C'est inacceptable ! Il faut venir s'asseoir autour d'une table et en discuter".
Etrange… Si on pense que le procédé du "Mâ bâlu aqwâmin yaf'alûn kadhâ" est à appliquer – car pratiqué parfois par le Prophète – pour faire comprendre à d'autres, pourquoi se fâche-t-on quand le même procédé est utilisé par d'autres pour attirer l'attention sur une faute que cette fois soi on fait ? Le procédé serait "sunna" lorsque appliqué à l'égard des autres, mais deviendrait "ghayrôn kâ tarîqa" lorsque employé à son égard ? A moins que l'on considérerait que seuls les autres font des fautes ? Ou à moins encore que le "nah'y 'an il-munkar" serait en fait utilisé non pas pour élever la parole de Dieu mais pour élever sa parole à soi ?

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8.4) La façon de dire les choses compte aussi, en sus de ce que l'on dit :

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9) Il ne faut pas, parmi les questions qui font l'objet d'avis divergents entre les Mujtahidûn, sélectionner l'avis qui nous arrange dans notre objectif de pouvoir dénoncer ce que celui que nous n'aimons pas fait, ou au contraire de pouvoir justifier ce que notre ami fait :

Ibn Taymiyya a donné les quelques exemples suivants, très parlants :
"– Ou lorsque c'est un homme qu'il a en inimitié qui fait certaines choses qui font l'objet d'avis divergents – comme le fait de boire le nabîdh qui fait l'objet d'opinions divergentes, ou de jouer aux échecs, ou d'assister à un samâ' – il dit : "Il faudrait boycotter (hajr) cet (homme) et dénoncer ce qu'il fait (inkâr) !" Par la suite, lorsque c'est son ami qui fait cela, il se met à exprimer comme croyance que : "Cela fait partie des questions d'ijtihad, à propos desquelles il n'y a pas de blâme".
Une telle personne, cela est donc possible dans sa croyance : que quelque chose soit à la fois licite et illicite, à la fois obligatoire et non-obligatoire : selon son envie (hawâ) ! Cette (personne) est blâmable par le fait de sortir (ainsi) de la 'adâla" :
"وسئل شيخ الإسلام أن يشرح ما ذكره نجم الدين بن حمدان: "من التزم مذهبا أنكر عليه مخالفته بغير دليل ولا تقليد أو عذر آخر"؟
فأجاب: هذا يراد به شيئان: أحدهما: أن من التزم مذهبا معينا، ثم فعل خلافه من غير تقليد لعالم آخر أفتاه، ولا استدلال بدليل يقتضي خلاف ذلك ومن غير عذر شرعي يبيح له ما فعله، فإنه يكون متبعا لهواه وعاملا بغير اجتهاد ولا تقليد، فاعلا للمحرم بغير عذر شرعي! فهذا منكر. وهذا المعنى هو الذي أورده الشيخ نجم الدين.
وقد نص الإمام أحمد وغيره على أنه ليس لأحد أن يعتقد الشيء واجبا أو حراما، ثم يعتقده غير واجب ولا حرام، بمجرد هواه.
مثل أن يكون طالبا لشفعة الجوار فيعتقدها أنها حق له؛ ثم إذا طلبت منه شفعة الجوار اعتقدها أنها ليست ثابتة!
أو مثل من يعتقد إذا كان أخا مع جد أن الإخوة تقاسم الجد؛ فإذا صار جدا مع أخ اعتقد أن الجد لا يقاسم الإخوة.
أو إذا كان له عدو يفعل بعض الأمور المختلف فيها كشرب النبيذ المختلف فيه ولعب الشطرنج وحضور السماع،
أن هذا ينبغي أن يهجر وينكر عليه؛ فإذا فعل ذلك صديقه اعتقد ذلك من مسائل الاجتهاد التي لا تنكر.
فمثل هذا ممكن في اعتقاده حل الشيء وحرمته ووجوبه وسقوطه بحسب هواه! هو مذموم بخروجه خارج عن العدالة. وقد نص أحمد وغيره على أن هذا لا يجوز"
(MF 20/220-221).

Cela se comprend très facilement (et nous le verrons de nouveau au point 14, plus bas) : le Amr bi-l-Ma'rûf wa Nah'y 'an il-Munkar n'est pas un outil à utiliser pour notre intérêt, mais pour l'amélioration de la société et la progression du Dîn. Or le Dîn appartient à Dieu.

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10) Ne pas dénoncer le mal personnel que quelqu'un fait, sans avoir au préalable analysé la conséquence que cela peut avoir sur le bien que cet homme fait par ailleurs :

Ibn Taymiyya va plus loin encore que ce que nous avons lu plus haut sous sa plume. Il est des personnes musulmanes, dit-il, qui ont un engagement pour l'islam et les musulmans, mais qui, à côté de cela, ont certaines faiblesses personnelles. Or on sait que ces personnes sont telles que, par habitude personnelle, elles ne font ce bien que si elles font aussi ce mal personnel (j'attire l'attention sur ce dernier mot, car c'est de cela que l'on parle ici, et pas de la da'wa ila-l-munkar aw ila-l-bid'a, qui constitue un autre cas), et que si on les dissuade clairement du mal qu'elles font, elles délaisseront aussi le bien qu'elles faisaient jusqu'à présent. Il ne s'agit alors pas de les dissuader clairement du mal qu'elles font, sans réflexion sur les conséquences que cela ne manquera pas d'avoir sur le bien qu'elles faisaient jusqu'à présent. Attention, précise Ibn Taymiyya, le mal que ces personnes font ne devient pas un acte autorisé à cause du bien qu'elles font par ailleurs, et il ne faut pas le leur faire croire. Simplement il faut s'abstenir de dénoncer ce mal parce qu'on sait que si on le fait ces personnes délaisseront aussi le bien qu'elles faisaient jusqu'alors. " والصورة الثانية إذا كان يمكن فعل الحسنات بلا سيئة لكن بمشقة لا تطيعه نفسه عليها أو بكراهة من طبعه بحيث لا تطيعه نفسه إلى فعل تلك الحسنات الكبار المأمور بها إيجابا أو استحبابا إن لم يبذل لنفسه ما تحبه من بعض الأمور المنهي عنها التي إثمها دون منفعة الحسنة، فهذا القسم واقع كثيرا في أهل الإمارة والسياسة والجهاد وأهل العلم والقضاء والكلام وأهل العبادة والتصوف وفي العامة. مثل من لا تطيعه نفسه إلى القيام بمصالح الإمارة - من الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر وإقامة الحدود وأمن السبل وجهاد العدو وقسمة المال - إلا بحظوظ منهي عنها من الاستئثار ببعض المال والرياسة على الناس والمحاباة في القسم وغير ذلك من الشهوات. وكذلك في الجهاد لا تطيعه نفسه على الجهاد إلا بنوع من التهور. وفي العلم لا تطيعه نفسه على تحقيق علم الفقه وأصول الدين إلا بنوع من المنهي عنه من الرأي والكلام؛ ولا تطيعه نفسه على تحقيق علم العبادة المشروعة والمعرفة المأمور بها إلا بنوع من الرهبانية. فهذا القسم كثر في دول الملوك إذ هو واقع فيهم وفي كثير من أمرائهم وقضاتهم وعلمائهم وعبادهم أعني أهل زمانهم. وبسببه نشأت الفتن بين الأمة: فأقوام نظروا إلى ما ارتكبوه من الأمور المنهي عنها، فذموهم وأبغضوهم؛ وأقوام نظروا إلى ما فعلوه من الأمور المأمور بها، فأحبوهم. ثم الأولون ربما عدوا حسناتهم سيئات؛ والآخرون ربما جعلوا سيئاتهم حسنات. وقد تقدم أصل هذه المسألة، وهو أنه إذا تعسر فعل الواجب في الإمارة إلا بنوع من الملك، فهل يكون الملك مباحا (كما يباح عند التعذر)؟ ذكرنا فيه القولين؛ فإن أقيم التعسر مقام التعذر، لم يكن ذلك إثما وإن لم يقم كان إثما. وأما ما لا تعذر فيه ولا تعسر: فإن الخروج فيه عن سنة الخلفاء اتباع للهوى. فالتحقيق أن الحسنات حسنات، والسيئات سيئات؛ وهم خلطوا عملا صالحا وآخر سيئا؛ وحكم الشريعة أنهم لا يؤذن لهم فيما فعلوه من السيئات ولا يؤمرون به؛ ولا يجعل حظ أنفسهم عذرا لهم في فعلهم، إذا لم تكن الشريعة عذرتهم؛ لكن يؤمرون بما فعلوه من الحسنات ويحضون على ذلك ويرغبون فيه، وإن علم أنهم لا يفعلونه إلا بالسيئات المرجوحة (...). ثم إذا علم أنهم إذا نهوا عن تلك السيئات تركوا الحسنات الراجحة الواجبة، لم ينهوا عنها، لما في النهي عنها من مفسدة ترك الحسنات الواجبة (إلا أن يمكن الجمع بين الأمرين فيفعل حينئذ تمام الواجب؛ كما كان عمر بن الخطاب يستعمل من فيه فجور لرجحان المصلحة في عمله، ثم يزيل فجوره بقوته وعدله). ويكون ترك النهي عنها حينئذ مثل ترك الإنكار باليد أو بالسلاح إذا كان فيه مفسدة راجحة على مفسدة المنكر. فإذا كان النهي مستلزما في القضية المعينة لترك المعروف الراجح، كان بمنزلة أن يكون مستلزما لفعل المنكر الراجح؛ كمن أسلم على أن لا يصلي إلا صلاتين كما هو مأثور عن بعض من أسلم على عهد النبي صلى الله عليه وسلم أو أسلم بعض الملوك المسلطين وهو يشرب الخمر أو يفعل بعض المحرمات، ولو نهى عن ذلك ارتد عن الإسلام. ففرق بين ترك العالم أو الأمير لنهي بعض الناس عن الشيء إذا كان في النهي مفسدة راجحة، وبين إذنه في فعله. وهذا يختلف باختلاف الأحوال. ففي حال أخرى يجب إظهار النهي، إما لبيان التحريم واعتقاده والخوف من فعله أو لرجاء الترك أو لإقامة الحجة، بحسب الأحوال. ولهذا تنوع حال النبي صلى الله عليه وسلم في أمره ونهيه وجهاده وعفوه، وإقامته الحدود وغلظته ورحمته" (MF 35/30-32.)

"وعلى هذا إذا كان الشخص أو الطائفة جامعين بين معروف ومنكر بحيث لا يفرقون بينهما، بل إما أن يفعلوهما جميعا، أو يتركوها جميعا، لم يجز أن يؤمروا بمعروف ولا أن ينهوا من منكر؛ ينظر: فإن كان المعروف أكثر أمر به، وإن استلزم ما هو دونه من المنكر، ولم ينه عن منكر يستلزم تفويت معروف أعظم منه؛ بل يكون النهي حينئذ من باب الصد عن سبيل الله والسعي في زوال طاعته وطاعة رسوله وزوال فعل الحسنات. وإن كان المنكر أغلب نهى عنه، وإن استلزم فوات ما هو دونه من المعروف، ويكون الأمر بذلك المعروف المستلزم للمنكر الزائد عليه أمرا بمنكر وسعيا في معصية الله ورسوله. وإن تكافأ المعروف والمنكر المتلازمان لم يؤمر بهما ولم ينه عنهما. فتارة يصلح الأمر؛ وتارة يصلح النهي؛ وتارة لا يصلح لا أمر ولا نهي حيث كان المعروف والمنكر متلازمين. وذلك في الأمور المعينة الواقعة.
وأما من جهة النوع فيؤمر بالمعروف مطلقا وينهى عن المنكر مطلقا" (MF 28/129-130).

Certaines personnes refusent le bien-fondé de ce principe quand les frères sont d'autres imams, ou des coreligionnaires engagés sur le terrain, et qu'ils font une mauvaise action personnelle (voire même lorsqu'ils font une action qui est permise d'après un avis divergent existant depuis les premiers siècles de l'Islam). Pour ces personnes, en pareil cas il est hors de question de dire : "Dieu jugera ces personnes pour cette action personnelle soit mauvaise de façon certaine, soit mauvaise d'après un seul des avis ; pour notre part ne leur disons rien, sinon elles cesseront de faire le bien qu'elles font actuellement". Non. Ici c'est : "Nous, nous ne faisons de complaisance avec personne, nous disons haut et fort la vérité ; nous ne sommes pas d'accord avec ce propos de Ibn Taymiyya ; nous, nous suivons la voie de nos Akâbirîn de l'Inde, qui ont toujours dit haut la vérité, sans autre considération".
Voilà une grande et belle parole. Le problème c'est que, pourtant, ces personnes appliquent bel et bien le principe évoqué par Ibn Taymiyya – et en défendent également le bien-fondé –, mais quand les frères en question sont des grands argentiers. Là c'est : "Voyons, l'islam demande d'agir avec sagesse ! Aussi on ne dénonce pas qu'ils travaillent avec intérêt, et on ne partage pas non plus de papier sur le sujet, sinon ils cesseront de financer les activités de medersas comme ils le font actuellement". A l'occasion on composera même des vers et on fera les éloges de ces personnes publiquement, dans des mosquées, justifiant son propos par un qiyâs avec les éloges que le Prophète a fait en public de... Abû Bakr (le qiyâs est ma'a-l-fâriq, bien sûr, mais voilà ce qui arrive quand on s'improvise mujtahid mutlaq...). Fort étrange, vraiment. Le bien matériel est l'un des Maqsad, et on en a tous besoin, c'est sûr. Mais il n'y a pas que le bien matériel qui soit l'un des Maqsad : la diffusion du 'Ilm ud-Dîn en est un autre.

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11) Le caractère obligatoire du Amr bi-l-Ma'rûf il-wâjib / Nah'y 'an il-Munkar il-muharram verbal devient-il caduque au cas où cela va entraîner des problèmes pour nous ?

Cela dépend de la nature de ce problème...

--- S'il s'agit seulement de quelques critiques verbales que l'on va essuyer : alors cela n'est pas suffisant pour rendre caduque le devoir de Amr bi-l-Ma'rûf l-wâjib / Nah'y 'an il-Munkar il-muharram.

----- Par contre, si les critiques verbales vont être de niveau tel qu'on ne pourra pas le supporter, alors peut-être que dans ce cas aussi (comme au cas suivant) le caractère obligatoire devient caduque.

--- Si on risque des coups sur sa personne, ou l'emprisonnement, ou ce genre de choses, alors le caractère obligatoire devient caduque.

--- Si c'est sa famille qui risque des coups, non seulement le caractère obligatoire en devient caduque, mais il ne convient pas que l'on fasse le Amr bi-l-ma'rûf / Nah'y 'an il-munkar.

Ibn Rajab a écrit les lignes suivantes :
"فإن خاف السب، أو سماع الكلام السيئ، لم يسقط عنه الإنكار بذلك؛ نص عليه الإمام أحمد" (Jâmi' ul-'ulûm wa-l-hikam, commentaire du hadîth 34).
"ومع هذا، فمتى خاف منهم على نفسه السيف أو السوط أو الحبس أو القيد أو النفي أو أخذ المال أو نحو ذلك من الأذى، سقط أمرهم ونهيهم؛ وقد نص الأئمة على ذلك، منهم مالك وأحمد وإسحاق وغيرهم. (...) وإن احتمل الأذى وقوي عليه، فهو أفضل؛ نص عليه أحمد أيضا. (...) وأما حديث: "لا ينبغي للمؤمن أن يذل نفسه"، فإنما يدل على أنه إذا علم أنه لا يطيق الأذى ولا يصبر عليه، فإنه لا يتعرض حينئذ للأمر؛ وهذا حق، وإنما الكلام فيمن علم من نفسه الصبر؛ كذلك قاله الأئمة، كسفيان وأحمد والفضيل بن عياض وغيرهم.
(...)
نعم، إن خشي في الإقدام على الإنكار على الملوك أن يؤذي أهله أو جيرانه، لم ينبغ له التعرض لهم حينئذ، لما فيه من تعدي الأذى إلى غيره؛ كذلك قال الفضيل بن عياض وغيره" (Jâmi' ul-'ulûm wa-l-hikam, commentaire du hadîth 34).

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12) Le caractère obligatoire du Amr bi-l-Ma'rûf il-wâjib / Nah'y 'an il-Munkar il-muharram verbal devient-il caduque au cas où on sait (Zann Ghâlib) que cela ne va pas avoir d'effet sur la personne ?

Il y a divergence entre les ulémas sur le sujet.

Pour an-Nawawî : Non, cela demeure, même alors, obligatoire : "قال العلماء رضي الله عنهم: ولا يسقط عن المكلف الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر لكونه لا يفيد في ظنه، بل يجب عليه فعله؛ فإن الذكرى تنفع المؤمنين. وقد قدمنا أن الذي عليه: الأمر والنهي، لا القبول؛ وكما قال الله عز وجل: {ما على الرسول إلا البلاغ" (Shar'h Muslim, 2/23).

Pour Ibn Abd is-Salâm : Le caractère obligatoire en devient alors caduque, mais pas le caractère recommandé (lequel demeure) : "فإن علم الآمر بالمعروف والناهي عن المنكر أن أمره ونهيه لا يجديان ولا يفيدان شيئا، أو غلب على ظنه، سقط الوجوب، لأنه وسيلة - ويبقى الاستحباب - والوسائل تسقط بسقوط المقاصد" (Qawâ'îd ul-ahkâm fî islâh il-anâm, 1/175).

Ibn Rajab a relaté ces deux avis en ces termes :
"وقد حكى القاضي أبو يعلى روايتين عن أحمد في وجوب إنكار المنكر على من يعلم أنه لا يقبل منه.

وصحح القول بوجوبه، وهذا قول أكثر العلماء.

وقد قيل لبعض السلف في هذا، فقال: "يكون لك معذرة"، وهذا كما أخبر الله عن الذين أنكروا على المعتدين في السبت أنهم قالوا لمن قال لهم: {لِمَ تَعِظُونَ قَوْمًا اللَّهُ مُهْلِكُهُمْ أَوْ مُعَذِّبُهُمْ عَذَابًا شَدِيدًا قَالُوا مَعْذِرَةً إِلَى رَبِّكُمْ وَلَعَلَّهُمْ يَتَّقُونَ}. (...) وكلام ابن عمر يدل على أن من علم أنه لا يقبل منه، لم يجب عليه، كما حُكي رواية عن أحمد" (Jâmi' ul-'ulûm wa-l-hikam, commentaire du hadîth 34).

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13) Le célèbre hadîth de Zaynab : "Serions-nous détruits alors que parmi nous se trouvent les pieux ? - Oui, lorsque le mal devient abondant" :

– Un célèbre hadîth, relaté par Zaynab, se lit comme suit : Suite au fait que le Prophète (sur lui soit la paix) a annoncé qu'un malheur s'abattrait sur les Arabes, elle demanda : "Serions-nous détruits alors que se trouvent parmi nous les pieux ? – Oui ; lorsque le mal devient abondant" : "عن زينب بنت أبي سلمة، عن أم حبيبة بنت أبي سفيان، عن زينب بنت جحش، رضي الله عنهن، أن النبي صلى الله عليه وسلم، دخل عليها فزعا يقول: "لا إله إلا الله، ويل للعرب من شر قد اقترب، فتح اليوم من ردم يأجوج ومأجوج مثل هذه"، وحلق بإصبعه الإبهام والتي تليها. قالت زينب بنت جحش: فقلت يا رسول الله: أنهلك وفينا الصالحون؟ قال: "نعم إذا كثر الخبث" (al-Bukhârî 3168, Muslim 2880).

– Un autre hadîth, relaté par an-Nu'mân ibn Bashîr, peut lui aussi parler de destruction en ce monde. Cet autre hadîth compare les personnes qui font le mal et celles qui s'en abstiennent à deux groupes de gens montés sur un même bateau, ceux qui sont dans la cale étant ceux qui font le mal. Un jour ils décident de ne plus passer par le pont pour aller prendre l'eau de la rivière ou de la mer pour leurs besoins, et de percer la coque du navire pour la recueillir directement ainsi. Lorsque les gens séjournant sur le pont les voient commencer à faire cela, ils ont deux possibilités : soit ils leur expliquent et tous resteront sains et saufs, soit ils ne leur disent rien [en pensant : "Ils font ce qu'ils veulent"], et tous périront noyés. Voici le texte de ce hadîth : "عامرا، يقول: سمعت النعمان بن بشير رضي الله عنهما، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "مثل القائم على حدود الله والواقع فيها، كمثل قوم استهموا على سفينة، فأصاب بعضهم أعلاها وبعضهم أسفلها، فكان الذين في أسفلها إذا استقوا من الماء مروا على من فوقهم، فقالوا: لو أنا خرقنا في نصيبنا خرقا ولم نؤذ من فوقنا. فإن يتركوهم وما أرادوا هلكوا جميعا، وإن أخذوا على أيديهم نجوا، ونجوا جميعا" (al-Bukhârî, 2540).

– Ces hadîths montrent que Dieu peut infliger, en ce monde même, une calamité générale pour cause de forte présence des mauvaises actions (d'autres calamités peuvent avoir comme objectif la simple mise à l'épreuve), et ce bien que des gens pieux soient eux aussi présents.

En fait il y a ici 3 cas de figure...

Premier) Soit les gens qui ne font pas ce mal ne se souciaient absolument pas des autres : à ce moment, non seulement une calamité terrestre peut les englober, mais en plus, dans l'au-delà aussi, ils peuvent devoir rendre des comptes et subir une punition pour ce manquement de leur part (puisque nous avons vu, tout au long de cet article, qu'adorer Dieu, ce n'est pas faire des actions personnelles de bien tout en se désintéressant totalement des autres). Ce cas de figure tombe sous le coup du hadîth relaté par Jarîr : "Lorsqu'un homme se trouve parmi des gens et fait des mauvaises actions parmi eux, qu'ils ont la capacité de le modifier, et qu'ils ne le font pas, Dieu leur infligera une punition avant qu'ils meurent [= dans ce monde même]" : "عن جرير، قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "ما من رجل يكون في قوم يعمل فيهم بالمعاصي، يقدرون على أن يغيروا عليه، فلا يغيروا، إلا أصابهم الله بعذاب من قبل أن يموتوا" (Abû Dâoûd, 4339 : hassan d'après al-Albânî) ; dans une autre version, il y a ces mots : "Tout peuple au sein duquel on fait des mauvaises actions et (les gens qui ne les font pas) sont plus nombreux que ceux qui les font..." : "حدثنا وهب بن بقية، عن خالد (ح) وحدثنا عمرو بن عون، أخبرنا هشيم، المعنى، عن إسماعيل، عن قيس، قال: قال أبو بكر بعد أن حمد الله وأثنى عليه: "يا أيها الناس، إنكم تقرءون هذه الآية وتضعونها على غير مواضعها: {عليكم أنفسكم لا يضركم من ضل إذا اهتديتم}؛ قال عن خالد: وإنا سمعنا النبي صلى الله عليه وسلم يقول: "إن الناس إذا رأوا الظالم فلم يأخذوا على يديه، أوشك أن يعمهم الله بعقاب." وقال عمرو عن هشيم: وإني سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "ما من قوم يعمل فيهم بالمعاصي، ثم يقدرون على أن يغيروا، ثم لا يغيروا، إلا يوشك أن يعمهم الله منه بعقاب." قال أبو داود: ورواه كما قال خالد أبو أسامة وجماعة؛ وقال شعبة فيه: "ما من قوم يعمل فيهم بالمعاصي هم أكثر ممن يعمله" (Abû Dâoûd, 4338, Ibn Mâja, 4009, Ahmad) ; du hadîth relaté par 'Amîra al-Kindî : "وعن عميرة الكندي قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "إن الله تعالى لا يعذب العامة بعمل الخاصة حتى يروا المنكر بين ظهرانيهم وهم قادرون على أن ينكروه فلا ينكروا فإذا فعلوا ذلك عذب الله العامة والخاصة." رواه في شرح السنة" (cité dans Mishkât ul-massâbîh, 5147 : dha'îf) ; et du hadîth relaté par Jâbir : "وعن جابر قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أوحى الله عز وجل إلى جبريل عليه السلام: أن اقلب مدينة كذا وكذا بأهلها." قال: "يا رب إن فيهم عبدك فلانا لم يعصك طرفة عين". قال: فقال: "اقلبها عليه وعليهم فإن وجهه لم يتمعر في ساعة قط" (cité dans Mishkât ul-massâbîh, 5152 : dha'îf).

Second) Soit les gens qui s'abstenaient des mauvaises actions se souciaient bien du sort de ceux qui les commettaient, mais, vu les circonstances dans lesquelles ils se trouvaient, ils ont dû se contenter de faire le nah'y 'an il-munkar par le coeur et n'ont réellement rien pu dire. On relève bien, dans le hadîth de Jarîr (cité ci-dessus, dans le premier cas de figure), une condition précise : "Lorsqu'un homme se trouve parmi des gens et fait des mauvaises actions parmi eux, qu'ils ont la capacité de le modifier, et qu'ils ne le font pas, Dieu leur infligera une punition avant qu'ils meurent [= dans ce monde même]" : "عن جرير، قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "ما من رجل يكون في قوم يعمل فيهم بالمعاصي، يقدرون على أن يغيروا عليه، فلا يغيروا، إلا أصابهم الله بعذاب من قبل أن يموتوا" (Abû Dâoûd, 4339). On en déduit que celui qui n'avait réellement pas les capacités n'est pas visé par le hukm du hadîth. L'autre hadîth, plus haut mentionné, celui de 'Amîra al-Kindî, dit de même : "Lorsque le mal est commis sur terre, celui qui y assiste [parce qu'il n'a pas d'autre choix] et le déteste [au fond de son cœur] est comme celui qui en était éloigné. Et celui qui en est éloigné (mais) est content de ce mal est comme celui qui y assiste" (cité dans Mishkât ul-massâbîh, 5147 : dha'îf). Ce second cas de figure est concerné par le hadîth relaté par Ibn Omar : "Lorsque Dieu fait descendre une punition sur un peuple, celle-ci touche tous ceux qui y sont. Puis ils seront ressuscités selon leurs actions" : "عن عبد الله بن عمر رضي الله عنهما قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إذا أنزل الله بقوم عذابا، أصاب العذاب من كان فيهم، ثم بعثوا على أعمالهم" (al-Bukhârî, 6691, Muslim, 2879).

Troisième) Soit les gens qui s'abstenaient des mauvaises actions se sont souciés de ceux qui les faisaient et les ont exhortés à les délaisser, mais ceux-ci ne les ont pas écoutés ; à ce moment une éventuelle calamité terrestre venant sanctionner la forte présence du mal peut les englober tous, mais dans l'au-delà seuls ceux qui sont dans le second groupe seront fautifs. Ce troisième cas de figure est lui aussi concerné par le hadîth relaté par Ibn Omar (que nous avons déjà vu) : "Lorsque Dieu fait descendre une punition sur un peuple, celle-ci touche tous ceux qui y sont. Puis ils seront ressuscités selon leurs actions" : "عن عبد الله بن عمر رضي الله عنهما قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إذا أنزل الله بقوم عذابا، أصاب العذاب من كان فيهم، ثم بعثوا على أعمالهم" (al-Bukhârî, 6691, Muslim, 2879).

Voir à ce sujet ce qu'a écrit Ibn Hajar (Fat'h ul-bârî 13/76-77, 136).

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14) La sincérité :

Il est un autre point qu'il est important d'observer quand on exhorte au bien ou dissuade du mal : la sincérité.
"وهذا كله يجب أن يكون على وجه النصح وابتغاء وجه الله تعالى، لا لهوى الشخص مع الإنسان، مثل أن يكون بينهما عداوة دنيوية أو تحاسد أو تباغض أو تنازع على الرئاسة، فيتكلم بمساوئه مظهرا للنصح، وقصده في الباطن الغض من الشخص واستيفاؤه منه؛ فهذا من عمل الشيطان و{إنما الأعمال بالنيات وإنما لكل امرئ ما نوى}. بل يكون الناصح قصده أن الله يصلح ذلك الشخص وأن يكفي المسلمين ضرره في دينهم ودنياهم ويسلك في هذا المقصود أيسر الطرق التي تمكنه"
"Tout ceci doit être fait en voulant le bien (de la personne) et par recherche de la Face de Dieu, et non par intérêt personnel vis-à-vis de l'humain. Une personne a par exemple de l'inimitié vis-à-vis de quelqu'un à cause d'une affaire de ce monde, ou à cause d'une jalousie, d'une antipathie ou d'un conflit lié au pouvoir, et elle se met à parler du mal que fait cet homme en montrant qu'elle veut le bien, alors que son objectif est en réalité de le rabaisser et de se venger. Cela relève de l'action satanique. "Les actions ne sont que par les intentions, et chacun n'aura (comme récompense) que l'intention qu'il aura eue"" (Majmû' ul-fatâwâ 28/221).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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