Qui est le Dhu-l-Qarnayn mentionné dans le Coran ?

Dans le Coran (18/83-98) figure le récit de Dhu-l-Qarnayn, un homme qui possédait force richesses et moyens techniques de son époque, et qui a su les utiliser pour le bien-être des hommes qui en étaient dépourvus, et non pour abuser de leur faiblesse et les exploiter.
L'identité de Dhu-l-Qarnayn (littéralement : "l'homme aux deux cornes") n'est pas explicitée dans le Coran, qui, s'il est toujours d'une extrême exactitude historique dans ses récits, est plus attaché aux leçons qui se dégagent de ces récits qu'à leurs détails chronologiques ou géographiques. Des ulémas se sont cependant efforcés de découvrir de qui il s'agit.

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Une première opinion) Dhu-l-Qarnayn serait Alexandre de Macédoine, dit le Grand :

Ceci est une opinion très répandue. Et il est vrai que, à l'instar du Dhu-l-Qarnayn du Coran, Alexandre avait conquis un territoire immense.

Le problème c'est que Alexandre ne répond pas du tout aux qualités de monothéiste et de juste que le récit coranique attribue au personnage de Dhu-l-Qarnayn.

En effet, Alexandre était polythéiste (mushrik.
Ibn Taymiyya l'a relaté (Al-Furqân, p. 11 - MF 11/171-172).
Fakhr ud-dîn ar-Râzî l'a aussi écrit (cf. Fat'h ul-bârî 6/462).

Or Dieu n'aurait pas parlé en pareils termes d'un polythéiste ("Nous dîmes : "O Dhu-l-Qarnayn"...).

On dit de plus qu'il arrivait à Alexandre d'être assez cruel.

Cette opinion, bien que répandue, est donc à délaisser (voir également MF 11/570-571).

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Selon une autre opinion) Dhu-l-Qarnayn serait Cyrus II le Perse :

Cette autre opinion est celle de Abu-l-Kalâm Azâd (un penseur musulman indien) : Dhu-l-Qarnayn est Cyrus II, dit le Grand, qui régna sur les Mèdes et les Perses de 556 à 530 approximativement avant le début de l'ère chrétienne.

Cette opinion a été adoptée et développée par le 'âlim indien as-Syohârwî, qui a consacré à ce seul point quelques 50 pages dans son ouvrage Qassas ul Qur'ân (tome 3, pp. 121-171).

Les éléments qui suivent sont fondés sur son avis et ses recherches.

Cyrus II adorait Dieu l'Unique (Ahura-Mazdâ Seul, selon le monothéisme qui était lui aussi alors présent en Iran).
Le titre de "Dhu-l-Qarnayn" (l'homme aux deux cornes) est dû au fait qu'il avait réuni dans ses mains, en - 550, le commandement des Perses et celui des Mèdes.
– En - 547, Cyrus II conquit la Lydie, qui se trouve très à l'ouest par rapport à la Perse ("il atteignit le Couchant" – Coran 18/ 86) ; c'est ce qu'il vit alors de ses yeux que le Coran décrit : le soleil lui parut se coucher "dans une source boueuse".
– En - 546, il dut revenir pacifier de nombreuses tribus en Bactriane, à l'extrême est de la Perse ("il atteignit le Levant" – Coran 18/ 90).
– En - 539, il conquit Babylone.

Tout cela est bien connu des historiens.

A cela il faudrait ajouter, se fondant sur le récit coranique (18/ 92-93), que Cyrus II se serait également rendu plus au nord, jusqu'en Ciscaucasie, où il bâtit le Mur. Historiquement rien n'existe qui prouve le contraire : selon Pierre Briant, "il serait totalement illusoire et vain de prétendre reconstituer les campagnes de Cyrus". De plus, "les dix dernières années du règne de Cyrus sont incroyablement mal connues" (Histoire de l'Empire perse, Fayard, p. 50 et p. 60 respectivement).

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La cause de la révélation du récit de Dhu-l-Qarnayn est que les Qurayshites de la Mecque, désemparés face à la prédication de Muhammad dans leur cité, déléguèrent deux des leurs, an-Nadhr ibn ul-Hârith et 'Uqba ibn Abî Mu'ayt, auprès des rabbins de la communauté juive de Yathrib (la ville où le Prophète émigrera plus tard et qui se nommera Médine). Les juifs étant perçus par les Qurayshites comme étant les "gens de la Première Ecriture", les deux hommes avaient pour mission de leur décrire Muhammad et son comportement, afin de leur demander s'il pouvait réellement être un messager de Dieu.
Ils revinrent à la Mecque munis de questions à poser à Muhammad : les rabbins leur avaient dit : "S'il répond à ces questions, c'est un prophète, un messager de Dieu ; sinon c'est un imposteur".

Une délégation qurayshite se rendit alors auprès du Prophète et lui posa les questions ; le Prophète répondit : "Je vous répondrai demain" et oublia d'ajouter : "avec l'aide de Dieu" ou "si Dieu le veut".

Dieu ne communiqua alors aucune réponse, et plusieurs jours passèrent sans que le Prophète puisse tenir sa promesse. Les Mecquois exultaient, tandis que le Prophète était abattu.
Enfin, quand 15 jours se furent écoulés pendant lesquels le Ciel resta silencieux, Gabriel apporta la parole de Dieu répondant aux questions et lui rappelant également qu'il ne devait jamais dire : "Je ferai telle chose demain" sans ajouter : "si Dieu le veut".

Ce récit – dont nous avons cité seulement la substance – a été rapporté par Muhammad ibn Ish'âq (il est visible notamment dans Tafsîr Ibn Kathîr, tome 3 p. 64, voir aussi p. 70). As-Syôhârwî a relaté que les spécialistes ont relaté ce récit selon plusieurs chaînes de narration, et ont déclaré que l'ensemble de celles-ci élevaient l'authenticité du récit au niveau "hassan" (Qassas ul- qur'ân 3/122). Ibn Is'hâq a relaté les 3 questions que les rabbins demandèrent aux Qurayshites d'adresser à leur concitoyen : "Qu'est-ce que l'âme ? Quelle est l'histoire de l'homme qui a atteint l'orient et l'occident ? Qui sont ces jeunes du passé qui ont vécu une histoire étrange ?" (Tafsîr Ibn Kathîr). As-Syôharwî pense cependant que seules les 2 premières de ces questions ont eu pour origine ces rabbins, tandis que la 3ème fut ajoutée par les Quraysh eux-mêmes.

En tous cas, cette cause de révélation (sabab un-nuzûl) peut étayer le second avis : c'est Cyrus II qui, ayant conquis Babylone, a libéré les juifs qui s'y trouvaient en captivité et les a autorisés à rentrer à Jérusalem et à y rebâtir Bayt ul-Maqdis, le lieu de culte dédié à Dieu l'Unique (et que les Babyloniens avaient détruit). Les juifs le tiennent donc en haute estime. Ceci semble donc étayer le fait que les rabbins de Yathrib aient cité son surnom pour que son récit soit demandé au prophète Muhammad (sur lui soit la paix).

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Une objection formulée au sujet de cette seconde opinion par un visiteur :

"Dhu-l-Qarnayn est bien Alexandre le Grand, car dans Le Roman d'Alexandre il est relaté qu'Alexandre emprisonna Gog et Magog, ce qui correspond à ce que dit le Coran au sujet de Dhu-l-Qarnayn. "

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La réponse à cette objection :

D'une part il est certain que d'un polythéiste Dieu n'aurait jamais parlé comme Il l'a fait à propos de Dhu-l-Qarnayn ; or nous avons vu plus haut qu'Alexandre de Macédoine était polythéiste (mushrik).

D'autre part, tous les éléments présents dans Le Roman d'Alexandre ne sont pas historiquement certains (qat'î / yaqînî) : cliquez ici et ici pour en savoir plus ("On ne possède pas le texte original, son auteur n'est pas identifié, et la date même de sa rédaction - quelque part entre le IIIème et le Ier siècles avant J.-C. - n'est pas fixée avec précision").

Dès lors, il ne paraît pas judicieux de donner préférence à un élément qui n'est pas certain, alors même que cela mène à contredire frontalement ce qui, lui, est certain.

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Une autre objection, formulée par un autre visiteur :

"Cyrus II était lui aussi polythéiste. Des sources l'attestent, notamment le cylindre de Cyrus, où celui-ci montre qu'il croit en Marduk. Cyrus II ne peut donc lui non plus pas être Dhu-l-Qarnayn. Ce dernier est plutôt le prophète-roi Salomon fils de David."

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La réponse à cette seconde objection :

D'abord souvenez-vous que l'avis cité plus haut n'est que zannî, et pas qat'î : je penche vers le second avis sus-cité, je n'ai pas dit : "C'est lui qui est correct, et tout autre avis est faux".

Ceci dit, Cyrus II était-il monothéiste, ou bien polythéiste ?
Ce point fait l'objet d'avis divergents entre les spécialistes.

L'un des deux avis est qu'il était bien monothéiste.
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Si on retient cet avis disant qu'il était monothéiste, il se peut que la mention de Marduk dans le fameux cylindre ait été ajoutée par autre que Cyrus II après sa mort.

Salomon (sur lui soit la paix) serait-il Dhu-l-Qarnayn ?
Je ne le pense pas, car on voit mal pourquoi il aurait été désigné dans la sourate al-Kahf sous le surnom de "Dhu-l-Qarnayn", alors que, ailleurs dans le Coran, il est désigné par son prénom "Sulaymân"...

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Les leçons du récit de Dhu-l-Qarnayn :

Si le Coran est comme toujours d'une extrême exactitude dans les données historiques qu'il mentionne, il n'en explicite pas tous les détails. Pour le Coran, c'est le message qui reste l'essentiel. Et celui qu'il nous délivre à travers ce récit est tout à fait adapté aux époques moderne et contemporaine. Les moyens et les outils techniques, nous montre ce récit, sont souhaitables sans être des buts en soi. Ils doivent être utilisés pour le bien-être de l'humanité et non pour asservir les hommes qui en sont démunis. C'est ce qui ressort du comportement exemplaire de Dhu-l-Qarnayn, qui utilisa les moyens et la puissance qu'il détenait pour le bien-être d'un peuple dépourvu et ne comprenant presque pas ses propos, et qui alla jusqu'à décliner leur proposition de le rémunérer pour ce service (Coran 18/93-95) !

Pour qu'il arrive à utiliser lui aussi ses puissants outils à ces nobles et élevés objectifs, l'homme d'aujourd'hui doit développer en lui la conscience permanente que c'est Dieu qui lui a octroyé ces moyens (18/95) et non pas sa propre puissance, et que tout ce qu'il fabrique et réalise n'est qu'un effet de "la Miséricorde de Dieu" (18/98). Il doit se rappeler que, aussi robuste soit-elle, son œuvre n'est que temporaire, vouée à la destruction "lorsque viendra la Promesse de mon Seigneur" (18/98).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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A lire en complément de cet article :

- Qui sont Gog et Magog ?
- Quel mur Dhu-l-Qarnayn a-t-il bâti face à Gog et Magog ?

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