Qui est le Dhu-l-Qarnayn mentionné dans le Coran ?

Dans le Coran (18/83-98) figure le récit de Dhu-l-Qarnayn, un homme qui possédait force richesses et moyens techniques de son époque, et qui a su les utiliser pour le bien-être des hommes qui en étaient dépourvus, et non pour abuser de leur faiblesse et les exploiter.
L'identité de Dhu-l-Qarnayn (littéralement : "celui aux deux cornes") n'est pas explicitée dans le Coran, qui, s'il est toujours d'une extrême exactitude historique dans ses récits, est plus attaché aux leçons qui se dégagent de ces récits qu'à leurs détails chronologiques ou géographiques. Des ulémas se sont cependant efforcés de découvrir de qui il s'agit.

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Une première opinion) Dhu-l-Qarnayn serait Alexandre de Macédoine, dit le Grand :

Ceci est une opinion très répandue. Et il est vrai que, à l'instar du Dhu-l-Qarnayn du Coran, Alexandre avait conquis un territoire immense.

Le problème c'est que Alexandre ne répond pas du tout aux qualités de monothéiste et de juste que le récit coranique attribue au personnage de Dhu-l-Qarnayn.

En effet, Alexandre était polycultiste (mushrik) : Ibn Taymiyya l'a relaté (Al-Furqân, p. 11 - MF 11/171-172). Fakhr ud-dîn ar-Râzî l'a aussi écrit (cf. Fat'h ul-bârî 6/462).

Or Dieu n'aurait pas parlé en pareils termes d'un polycultiste ("Nous dîmes : "O Dhu-l-Qarnayn"...).

On dit de plus qu'il arrivait à Alexandre d'être assez cruel.

Cette opinion, bien que répandue, est donc à délaisser (voir également MF 11/570-571).

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Selon une autre opinion) Dhu-l-Qarnayn serait Cyrus II le Perse :

Cette autre opinion est celle de Abu-l-Kalâm Azâd (un penseur musulman indien) : Dhu-l-Qarnayn est Cyrus II, dit le Grand, qui régna sur les Mèdes et les Perses de 556 à 530 approximativement avant le début de l'ère chrétienne.

Cette opinion a été adoptée et développée par l'érudit indien as-Syohârwî, qui a consacré à ce seul point quelques 50 pages dans son ouvrage Qassas ul Qur'ân (tome 3, pp. 121-171).

Les éléments qui suivent sont fondés sur son avis et ses recherches.

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Cyrus II adorait Dieu l'Unique (Ahura-Mazdâ), selon le monothéisme qui était lui aussi alors présent en Iran.

Le titre de "Dhu-l-Qarnayn" ("celui aux deux cornes") est dû au fait qu'il avait réuni dans ses mains, en - 550, le commandement des Perses et celui des Mèdes.
Dans l'une des visions de Daniel relatées dans le TaNaKh, Livre de Daniel, chapitre 8, il est dit que ce prophète (sur lui soit la paix) vit un bélier qui avait deux cornes, et qui était très puissant ; mais peu après un bouc venu de l'occident surgit qui terrassa le premier animal (voir Daniel 8/1-8). Selon le texte, l'ange Gabriel vint ensuite en donner l'interprétation à ce prophète : "Le bélier que tu as vu, ses deux cornes ce sont les rois des Mèdes et des Perses" (Daniel 8/20) (avant de lui dire : "Le bouc velu est le roi de Yavan" : 8/21 : il s'agit de l'empire hellénistique, avec Alexandre de Macédoine comme premier empereur, qui devait plus tard vaincre l'empire perse).
Chez les Commentateurs classiques du Coran, on trouve, parmi les explications plurielles de ce surnom, une explication qui est semblable sur le fond ("il fut surnommé ainsi parce qu'il a réuni deux peuples"), quoique différente dans la détermination de l'un de ces deux peuples : "وقيل: لأنه كان ملك الروم وفارس" (Tafsîr ul-Baghawî) ; "وعن وهب: لأنه ملك الروم وفارس؛ وروى: الروم والترك" (Tafsîr uz-Zamakhsharî).
Cyrus II fut donc "celui aux deux cornes", ayant réuni la royauté des Perses et celle des Mèdes.

En - 547, à la faveur de la bataille de Ptérie puis de celle de Thymbrée, où il fit face à Crésus parti en campagne contre lui (suite à sa victoire sur les Mèdes), Cyrus II conquit la Lydie. Or celle-ci se trouve très à l'ouest par rapport à la Perse : "il atteignit le Couchant" (Coran 18/86).
Et, alors, il vit de ses yeux que le Coran décrit : le soleil lui parut se coucher "dans une source boueuse". Au sujet du peuple se trouvant près de cette mer comparée ainsi à "une source boueuse", Dieu lui inspira (ou lui fit savoir par le biais du prophète qui l'accompagnait) : "Et il trouva auprès de celle-ci un peuple ; Nous dîmes : "Ô Dhu-l-Qarnayn, soit tu les châties, soit tu prends un bon (agir) parmi eux" : "حَتَّى إِذَا بَلَغَ مَغْرِبَ الشَّمْسِ وَجَدَهَا تَغْرُبُ فِي عَيْنٍ حَمِئَةٍ وَوَجَدَ عِندَهَا قَوْمًا قُلْنَا يَا ذَا الْقَرْنَيْنِ إِمَّا أَن تُعَذِّبَ وَإِمَّا أَن تَتَّخِذَ فِيهِمْ حُسْنًا" (Coran 18/86). Ce peuple s'était donc rendu coupable de chose qui lui faisait encourir une sanction, mais il pouvait également être gracié : "وقد دل قوله: {إما أن تعذب وإما أن تتخذ فيهم حسنا} على أنهم مستحقون للعذاب؛ فدل على أن أحوالهم كانت في فساد من كفر وفساد عمل" (At-Tahrîr wa-t-tanwîr). "وإما أن تتخذ فيهم حسنا} يعني: تعفو وتصفح؛ وقيل: تأسرهم فتعلّمهم الهدى. خيره الله بين الأمرين" (Tafsîr ul-Baghawî). Cela ferait-il allusion aux agressions dont Crésus et son armée s'étaient rendus coupables précédemment ? En tous cas, le choix qui a été donné ici à Dhu-l-Qarnayn était dû à la latitude présente dans le cas de figure dans lequel il se trouvait (une conquête) : cela est comparable à la latitude figurant dans la Shar' de Muhammad (sur lui soit la paix) : "فَإِمَّا مَنًّا بَعْدُ وَإِمَّا فِدَاء" (Coran 47/4) (At-Tahrîr wa-t-tanwîr). Il se peut aussi que Dieu voulait que, lors de ce choix, Dhu-l-Qarnayn choisisse de lui-même le meilleur (aslah), un peu comme Dieu nous l'a dit quant à l'épisode de David et Salomon lorsque des bêtes d'un groupe de personnes ravagèrent le champ d'une autre : "فَفَهَّمْنَاهَا سُلَيْمَانَ وَكُلًّا آتَيْنَا حُكْمًا وَعِلْمًا" (Coran 21/79) (At-Tahrîr wa-t-tanwîr).
Dhu-l-Qarnayn dit alors : "Quant à celui qui a été injuste, nous le châtierons, ensuite il sera ramené à son Pourvoyeur, Qui le châtiera d'un châtiment grave" (Coran 18/87) ; "Et quant à celui qui a apporté foi et fait bonne oeuvre, il aura, en rétribution, la meilleure chose ; et nous lui dirons chose facile de notre décision" (Coran 18/88).

En - 546, Cyrus II dut revenir pacifier de nombreuses tribus en Bactriane, à l'extrême est de la Perse ("il atteignit le Levant" : Coran 18/90).

En - 539, il conquit Babylone.

Tout cela est bien connu des historiens.

A cela il faudrait ajouter, se fondant sur le récit coranique, un autre déplacement important (Coran 18/92-93) : celui-ci aurait eu lieu vers le nord, jusqu'en Ciscaucasie, où Cyrus II bâtit le Mur faisant barrage à Gog et Magog. Historiquement rien n'existe qui prouve le contraire : selon Pierre Briant, "il serait totalement illusoire et vain de prétendre reconstituer les campagnes de Cyrus". De plus, "les dix dernières années du règne de Cyrus sont incroyablement mal connues" (Histoire de l'Empire perse, Fayard, p. 50 et p. 60 respectivement).
En tous cas, le peuple qui vint se plaindre à lui que Gog et Magog venaient piller leur terre, et qui demanda qu'un Mur soit érigé, Dieu le qualifie ainsi : "un peuple qui ne pouvait presque pas comprendre une parole" / "faire comprendre une parole" : "حَتَّى إِذَا بَلَغَ بَيْنَ السَّدَّيْنِ وَجَدَ مِن دُونِهِمَا قَوْمًا لَّا يَكَادُونَ يفْقهُونَ قَوْلًا" (Coran 18/93). En fait cela était dû au fait que leur langue n'était pas de celles que Dhu-l-Qarnayn connaissait : "قال المفسّرون: وإن كانوا كذلك لأنهم لا يعرفون غير لغتهم. (...) وقيل: كلّم ذا القرنين عنهم مترجمون ترجموا" (Zad ul-massîr) ; "وقوله لا يَكادُونَ يَفْقَهُونَ قَوْلًا} عبارة عن بُعد لسانهم عن ألسنة الناس؛ لكنهم فقهوا وأفهموا بالترجمة ونحوها" (Tafsîr Ibn 'Atiyya). Cela signifie qu'ils ne purent se comprendre qu'avec difficulté : "والمعنى أنهم لا يعرفون غير لغة أنفسهم وما كانوا يفهمون اللسان الذي يتكلم به ذو القرنين، ثم قال تعالى: {قالوا يا ذا القرنين إن يأجوج ومأجوج مفسدون في الأرض}. فإن قيل: كيف فهم ذو القرنين منهم هذا الكلام بعد أن وصفهم الله بقوله {لا يكادون يفقهون قولا}؟ والجواب أن نقول: "كاد" فيه قولان: الأول أن إثباته نفي ونفيه إثبات؛ فقوله: {لا يكادون يفقهون قولا} لا يدل على أنهم لا يفهمون شيئا، بل يدل على أنهم قد يفهمون على مشقة وصعوبة. والقول الثاني أن "كاد" معناه المقاربة؛ وعلى هذا القول فقوله: {لا يكادون يفقهون قولا} أي لا يعلمون وليس لهم قرب من أن يفقهوا؛ وعلى هذا القول فلا بد من إضمار، وهو أن يقال: "لا يكادون يفهمونه إلا بعد تقريب ومشقة من إشارة ونحوها". وهذه الآية تصلح أن يحتج بها على صحة القول الأول في تفسير "كاد" (Tafsîr ur-Râzî).

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La cause de la révélation du récit de Dhu-l-Qarnayn est que les Qurayshites de la Mecque, désemparés face à la prédication de Muhammad - صلى الله عليه وسلم - dans leur cité, déléguèrent deux des leurs, an-Nadhr ibn ul-Hârith et 'Uqba ibn Abî Mu'ayt, auprès des rabbins de la communauté juive de Yathrib (la ville où le Prophète émigrera plus tard et qui prendra alors le nom de Médine). Les juifs étant perçus par les Qurayshites comme les "gens de la Première Ecriture", les deux hommes avaient pour mission de leur décrire Muhammad et son comportement, afin de leur demander s'il pouvait réellement être un messager de Dieu.
Ils revinrent à la Mecque munis de questions à poser à Muhammad : les rabbins leur avaient dit : "S'il vous informe de cela, c'est un prophète suscité par Dieu. Sinon, c'est un homme attribuant (à Dieu ce que Celui-ci ne lui a pas dit) ; vous établirez à son sujet votre avis" (Tafsîr Ibn Kathîr, 3/64).

Une délégation qurayshite se rendit alors auprès du Prophète et lui posa les questions ; le Prophète répondit : "Je vous informerai demain de ce au sujet de quoi vous avez questionné" et oublia d'ajouter : "avec l'aide de Dieu" ou "si Dieu le veut".

Dieu ne communiqua alors aucune réponse, et plusieurs jours passèrent sans que le Prophète puisse tenir sa promesse. Les Mecquois exultaient, tandis que le Prophète était abattu.
Enfin, quand 15 jours se furent écoulés pendant lesquels le Ciel resta silencieux, Gabriel apporta la parole de Dieu répondant aux questions et lui rappelant également qu'il ne devait jamais dire : "Je ferai telle chose demain" sans ajouter : "si Dieu le veut".

Ce récit – dont nous avons cité seulement la substance – a été rapporté par Muhammad ibn Ish'âq et a été relaté par at-Tabarî : "حدثنا أبو كريب، قال: ثنا يونس بن بكير، عن محمد بن إسحاق، قال: ثني شيخ من أهل مصر، قدم منذ بضع وأربعين سنة، عن عكرمة، عن ابن عباس - فيما يروي أبو جعفر الطبري - قال: بعثت قريش النضر بن الحارث وعقبة بن أبي معيط إلى أحبار يهود بالمدينة، فقالوا لهم: "سلوهم عن محمد، وصفوا لهم صفته، وأخبروهم بقوله، فإنهم أهل الكتاب الأول، وعندهم علم ما ليس عندنا من علم الأنبياء". فخرجا حتى قدما المدينة، فسألوا أحبار يهود عن رسول الله صلى الله عليه وسلم، ووصفوا لهم أمره وبعض قوله، وقالا: "إنكم أهل التوراة، وقد جئناكم لتخبرونا عن صاحبنا هذا". قال: فقالت لهم أحبار يهود: "سلوه عن ثلاث نأمركم بهن؛ فإن أخبركم بهن فهو نبي مرسل؛ وإن لم يفعل فالرجل متقول، فرأوا فيه رأيكم. سلوه عن فتية ذهبوا في الدهر الأول: ما كان من أمرهم؟ فإنه قد كان لهم حديث عجيب؛ وسلوه عن رجل طوّاف بلغ مشارق الأرض ومغاربها: ما كان نبؤه؟ وسلوه عن الروح: ما هو؟ فإن أخبركم بذلك، فإنه نبي فاتبعوه؛ وإن هو لم يخبركم، فهو رجل متقول، فاصنعوا في أمره ما بدا لكم". فأقبل النضر وعقبة حتى قدما مكة على قريش، فقالا: "يا معشر قريش، قد جئناكم بفصل ما بينكم وبين محمد. قد أمرنا أحبار يهود أن نسأله عن أمور"؛ فأخبروهم بها. فجاءوا رسول الله صلى الله عليه وسلم، فقالوا: "يا محمد أخبرنا"، فسألوه عما أمروهم به. فقال لهم رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أخبركم غدا بما سألتم عنه"، ولم يستثن. فانصرفوا عنه. فمكث رسول الله صلى الله عليه وسلم خمس عشرة ليلة، لا يحدث الله إليه في ذلك وحيا، ولا يأتيه جبرائيل عليه السلام، حتى أرجف أهل مكة وقالوا: "وعدنا محمد غدا، واليوم خمس عشرة قد أصبحنا فيها لا يخبرنا بشيء مما سألناه عنه"، وحتى أحزن رسول الله صلى الله عليه وسلم مكث الوحي عنه، وشق عليه ما يتكلم به أهل مكة. ثم جاءه جبرائيل عليه السلام من الله عز وجل بسورة أصحاب الكهف، فيها معاتبته إياه على حزنه عليهم وخبر ما سألوه عنه من أمر الفتية والرجل الطوّاف، وقول الله عز وجل {ويسألونك عن الروح قل الروح من أمر ربي وما أوتيتم من العلم إلا قليلا}. قال ابن إسحاق: فبلغني أن رسول الله صلى الله عليه وسلم افتتح السورة فقال: {الحمد لله الذي أنزل على عبده الكتاب} يعني محمدا إنك رسولي في تحقيق ما سألوا عنه من نبوته {ولم يجعل له عوجا قيما}: أي معتدلا لا اختلاف فيه" (Tafsîr ut-Tabarî) (voir aussi Tafsîr Ibn Kathîr, tome 3 p. 64 ; voir aussi p. 70). As-Syôhârwî a relaté que les spécialistes ont relaté ce récit selon plusieurs chaînes de narration, et ont déclaré que l'ensemble de celles-ci élevaient l'authenticité du récit au niveau "hassan" (Qassas ul- qur'ân 3/122).

Ibn Is'hâq a relaté les 3 questions que les rabbins demandèrent aux Qurayshites d'adresser à leur concitoyen :
--- "Qui sont ces jeunes du passé qui ont vécu une histoire étrange ?"
--- "Quelle est l'histoire de l'homme qui a atteint l'orient et l'occident ?"
--- "Qu'est-ce que l'âme ?" (Tafsîr ut-Tabarî).
As-Syôharwî pense cependant que seules ces 2 dernières de ces questions ont eu pour origine ces rabbins, tandis que l'autre fut ajoutée par les Quraysh eux-mêmes.

En tous cas, cette cause de révélation (sabab un-nuzûl) étaye le second avis : c'est Cyrus II qui, ayant conquis Babylone, a libéré les juifs qui s'y trouvaient en captivité et les a autorisés à rentrer à Jérusalem et à y rebâtir Bayt ul-Maqdis, le lieu de culte dédié à Dieu l'Unique (et que les Babyloniens avaient détruit). Les juifs le tiennent donc en haute estime. Ceci semble donc étayer le fait que les rabbins de Yathrib aient cité son surnom ("celui aux deux cornes") pour que son récit soit demandé au prophète Muhammad (sur lui soit la paix).

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Une objection formulée au sujet de cette seconde opinion par un visiteur :

"Dhu-l-Qarnayn est bien Alexandre de Macédoine, car dans Le Roman d'Alexandre il est relaté qu'Alexandre emprisonna Gog et Magog, ce qui correspond à ce que dit le Coran au sujet de Dhu-l-Qarnayn. "

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La réponse à cette objection :

D'une part il est certain que, d'un polycultiste, Dieu n'aurait jamais parlé comme Il l'a fait à propos de Dhu-l-Qarnayn ; or nous avons vu plus haut qu'Alexandre de Macédoine était polycultiste (mushrik).

D'autre part, tous les éléments présents dans Le Roman d'Alexandre ne sont pas historiquement certains (qat'î / yaqînî) : cliquez ici et ici pour en savoir plus ("On ne possède pas le texte original, son auteur n'est pas identifié, et la date même de sa rédaction - quelque part entre le IIIème et le Ier siècles avant J.-C. - n'est pas fixée avec précision").

Dès lors, il ne paraît pas judicieux de donner préférence à un élément qui n'est pas certain, alors même que cela mène à contredire frontalement ce qui, lui, est certain.

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Une autre objection, formulée par un autre visiteur :

"Cyrus II était lui aussi polycultiste. Des sources l'attestent, notamment le cylindre de Cyrus, où celui-ci montre qu'il adore Marduk. Cyrus II ne peut donc lui non plus pas être Dhu-l-Qarnayn. Ce dernier est plutôt le prophète-roi Salomon fils de David."

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La réponse à cette seconde objection :

D'abord souvenez-vous que l'avis cité plus haut n'est que zannî, et pas qat'î : je penche vers le second avis sus-cité, je n'ai pas dit : "C'est lui qui est correct, et tout autre avis est faux".

Cela rappelé, Cyrus II était-il monothéiste, ou bien polycultiste ?
Ce point fait l'objet d'avis divergents entre les spécialistes.

L'un des deux avis est qu'il était bien monothéiste.
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Si on retient cet avis disant qu'il était monothéiste, il se peut que la mention de Marduk dans le fameux cylindre ait été ajoutée par autre que Cyrus II après la mort de ce dernier.

Salomon (sur lui soit la paix) serait-il Dhu-l-Qarnayn ?
Je ne le pense pas, car on voit mal pourquoi il aurait été désigné dans la sourate al-Kahf sous le surnom de "Dhu-l-Qarnayn", alors que, ailleurs dans le Coran, il est désigné par son prénom : "Sulaymân"...

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En sus d'être roi, Dhu-l-Qarnayn était-il aussi prophète, ou seulement pieux non-prophète ?

Si cette question se pose, c'est à cause de ce passage du Coran : "حَتَّى إِذَا بَلَغَ مَغْرِبَ الشَّمْسِ وَجَدَهَا تَغْرُبُ فِي عَيْنٍ حَمِئَةٍ وَوَجَدَ عِندَهَا قَوْمًا قُلْنَا يَا ذَا الْقَرْنَيْنِ إِمَّا أَن تُعَذِّبَ وَإِمَّا أَن تَتَّخِذَ فِيهِمْ حُسْنًا. قَالَ أَمَّا مَن ظَلَمَ فَسَوْفَ نُعَذِّبُهُ ثُمَّ يُرَدُّ إِلَى رَبِّهِ فَيُعَذِّبُهُ عَذَابًا نُّكْرًا وَأَمَّا مَنْ آمَنَ وَعَمِلَ صَالِحًا فَلَهُ جَزَاء الْحُسْنَى وَسَنَقُولُ لَهُ مِنْ أَمْرِنَا يُسْرًا" (Coran 18/86-88). On lit, ici : "Jusqu'à ce que, lorsqu'il atteignit le Couchant du soleil, il vit celui-ci se coucher dans une source boueuse, et il trouva auprès de celle-ci un peuple ; Nous dîmes : "Ô Dhu-l-Qarnayn, soit tu les châties, soit tu prends un bon (agir) parmi eux". Il dit : "Quant à celui qui a été injuste, nous le châtierons, ensuite il sera ramené à son Pourvoyeur, Qui le châtiera d'un châtiment grave ; (...)" (Coran 18/86-87).
Il semble y avoir ici une communication entre Dieu et Dhu-l-Qarnayn ("Nous dîmes : "Ô Dhu-l-Qarnayn"), ce qui est le propre du Wah'y.

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Différents commentaires ont vu le jour au sujet de ce verset
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--- ce propos fut communiqué à Dhu-l-Qarnayn par Il'hâm Zannî seulement, qui fut placée dans son coeur ; il n'était donc pas un prophète ;
--- cette communication consista en effet à du Wah'y ; et ce fut Dhu-l-Qarnayn qui reçut ce Wah'y ; il était donc bien un prophète de Dieu ;
--- cette communication consista bien en du Wah'y, mais ce fut non pas Dhu-l-Qarnayn mais le prophète qui l'accompagnait qui en fut le récipiendaire (mutalaqqî-hi min'Allah) ; Dhu-l-Qarnayn fut seulement le destinataire (mukhâtabu-hû) de ce message : il n'était donc pas prophète. Le fait est que le terme "Qawl" peut être employé pour désigner la Parole de Dieu étant révélée au prophète et retransmise à celui à qui Dieu adresse Son propos, al-mukhâtab.
On en a un exemple en ce passage du Coran, qui s'adresse explicitement aux épouses du Prophète, débutant par un vocatif (qui est répété une fois par la suite) : "Ô femmes du Prophète" : "يَا نِسَاءَ النَّبِيِّ مَن يَأْتِ مِنـكُنَّ بِفَاحِشَةٍ مُّبَيِّنَةٍ يُضَاعَفْ لَهَا الْعَذَابُ ضِعْفَيْنِ وَكَانَ ذَٰلِكَ عَلَى اللَّهِ يَسِيرًا وَمَن يَقْنُتْ مِنـكُنَّ لِلَّهِ وَرَسُولِهِ وَتَعْمَلْ صَالِحًا نُّؤْتِهَا أَجْرَهَا مَرَّتَيْنِ وَأَعْتَدْنَا لَهَا رِزْقًا كَرِيمًا يَا نِسَاءَ النَّبِيِّ لَسْـتُنَّ كَأَحَدٍ مِّنَ النِّسَاءِ إِنِ اتَّقَيْـتُنَّ فَـلَا تَخْضَعْنَ بِالْقَوْلِ فَيَطْمَعَ الَّذِي فِي قَلْبِهِ مَرَضٌ وَقُلْنَ قَوْلًا مَّعْرُوفًا وَقَرْنَ فِي بُيُوتِكُنَّ وَلَا تَبَرَّجْنَ تَبَرُّجَ الْجَاهِلِيَّةِ الْأُولَىٰ وَأَقِمْنَ الصَّلَاةَ وَآتِينَ الزَّكَاةَ وَأَطِعْنَ اللَّهَ وَرَسُولَهُ إِنَّمَا يُرِيدُ اللَّهُ لِيُذْهِبَ عَنكُمُ الرِّجْسَ أَهْلَ الْبَيْتِ وَيُطَهِّرَكُمْ تَطْهِيرًا وَاذْكُرْنَ مَا يُتْلَىٰ فِي بُيُوتِكُنَّ مِنْ آيَاتِ اللَّهِ وَالْحِكْمَةِ إِنَّ اللَّهَ كَانَ لَطِيفًا خَبِيرًا" (Coran 33/30-34).
On en a un autre exemple en cet autre verset : "إِن تَتُوبَا إِلَى اللَّهِ فَقَدْ صَغَتْ قُلُوبُكُمَا وَإِن تَظَاهَرَا عَلَيْهِ فَإِنَّ اللَّهَ هُوَ مَوْلَاهُ وَجِبْرِيلُ وَصَالِحُ الْمُؤْمِنِينَ وَالْمَلَائِكَةُ بَعْدَ ذَٰلِكَ ظَهِيرٌ", qui s'adresse directement à deux personnes : "Si toutes deux vous vous repentez, alors (vous méritez de le faire car) votre coeur a dévié..." (Coran 66/4). Les deux personnes à qui cela s'adresse n'y étant pas nommées, Ibn Abbâs questionna Omar ibn ul-Khattâb quant à leur identité ; et il le fit en ces termes : "Qui sont, parmi les épouses du Prophète, les deux femmes à qui Dieu a dit : "Si vous vous repentez, alors..." ?" : "فقلت: "يا أمير المؤمنين، من المرأتان من أزواج النبي - صلى الله عليه وسلم - اللتان قال الله عز وجل لهما: {إن تتوبا إلى الله فقد صغت قلوبكما}؟" فقال: "واعجبي لك يا ابن عباس. عائشة وحفصة" (al-Bukhârî, 2336, Muslim, 1479/34). Ibn Abbâs a ici utilisé le verbe "qawl li", "dire à" : "Dieu a dit (telle chose) à ces deux femmes". Al-Baghawî a employé pour sa part le verbe "mukhâtaba", "s'adresser à" : "يخاطب عائشة وحفصة" (Tafsîr ul-Baghawî). Cependant, bien que dans cette parole Dieu s'est adressé à ces deux illustres dames, c'est seulement à Son Prophète que Dieu a fait Wah'y de cette parole : le fait est que le Wah'y est le fait que Dieu transmette, de façon dissimulée des autres, à un ange ou un humain, l'une de Ses Paroles, et cela, soit directement, soit par le truchement d'un ange. Vu que cette parole de Dieu leur étant explicitement adressée n'est parvenue à Aïcha et Hafsa (que Dieu les agrée) que par le truchement d'un autre humain - le Prophète (que Dieu le salue) -, cela n'a pas consisté pour elles à recevoir du Wah'y.

Je penche vers ce 3ème avis.

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Il existe certes sur le sujet une parole attribuée au Messager de Dieu (que Dieu le rapproche de Lui et le salue) où il est dit : "(...) Et je ne sais pas si Dhu-l-Qarnayn était un prophète, ou pas ? (...)" : "عبد الرزاق، أنبأ معمر، عن ابن أبي ذئب، عن سعيد المقبري، عن أبي هريرة، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "ما أدري تبع أنبيا كان أم لا؟ وما أدري ذا القرنين أنبيا كان أم لا؟ وما أدري الحدود كفارات لأهلها أم لا؟" (al-Hâkim, Al-Mustad'rak, 104, 2174, 3682 ; al-Bayhaqî, As-Sunan ul-kub'râ).

Cependant, il y a débat entre les spécialistes du hadîth quant à savoir si cela est mursal ou mawsûl.

Al-Bukhârî a donné préférence à la version mursal : "فهكذا رواه عبد الرزاق، عن معمر. ورواه هشام الصنعاني، عن معمر، عن ابن أبي ذئب، عن الزهري، عن النبي صلى الله عليه وسلم مرسلا؛ قال البخاري: "وهو أصح، ولا يثبت هذا عن النبي صلى الله عليه وسلم، لأن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "الحدود كفارة"". قال الشيخ رحمه الله: "قد كتبناه من وجه آخر عن ابن أبي ذئب موصولا" (As-Sunan ul-kub'râ).
Al-Albânî a pour sa part donné préférence à la version mawsûl (Silsilat ul-ahâdîth is-sahîha, n° 2217).

Il est à noter que Abû Dâoûd a pour sa part rapporté ce hadîth avec seulement 2 phrases (au lieu de 3), et avec mention de 'Uzayr (en place de Dhu-l-Qarnayn) : "عبد الرزاق، أخبرنا معمر، عن ابن أبي ذئب، عن سعيد بن أبي سعيد، عن أبي هريرة، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "ما أدري أتبّعُ لَعينٌ هو أم لا؟ وما أدري أعزير نبي هو أم لا" (Abû Dâoûd, 4674).

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Al-Âlûssî a résumé les 3 avis sus-cités ainsi : "واستدل بالآية من قال بنبوته؛ والقول عند بعضهم بواسطة ملك، وعند آخرين كفاحا. ومن لم يقل بنبوته قال: كان الخطاب بواسطة نبي في ذلك العصر، أو كان ذلك إلهاما لا وحيا، بعد أن كان ذلك التخيير موافقا لشريعة ذلك النبي" (Rûh ul-ma'ânî).

Un peu plus loin il écrit que :
--- le zâhir du verset étaye que Dhu-l-Qarnayn était un prophète (soit le premier avis) ;
--- tandis que la meilleure ta'wîl qui en ait été faite est que cela lui a été transmis par le truchement d'un prophète (présent à ses côtés) (ce qui constitue le 3ème avis).
"والحق أن الآية ظاهرة الدلالة في نبوته (ولعلها أظهر في ذلك من دلالة قوله تعالى: {وَما فَعَلْتُهُ عَنْ أَمْرِي} على نبوة الخضر عليه السّلام). وكأن الداعي إلى صرفها عن الظاهر الأخبار الدالة على خلافها؛ ولعل الأولى في تأويلها أن يقال: كان القول بواسطة نبي" (Ibid.).

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Les leçons du récit de Dhu-l-Qarnayn :

Si le Coran est comme toujours d'une extrême exactitude dans les données historiques qu'il mentionne, il n'en explicite pas tous les détails. Pour le Coran, c'est le message qui reste l'essentiel. Et celui qu'il nous délivre à travers ce récit est particulièrement parlant en ce qui concerne l'époque contemporaine.

Les moyens et les outils techniques, nous montre ce récit, sont souhaitables sans être des buts en soi. Ils doivent être utilisés pour le bien-être de l'humanité et non pour asservir les hommes qui en sont démunis et ensuite exploiter ceux-ci. C'est ce qui ressort du comportement exemplaire de Dhu-l-Qarnayn, qui utilisa les moyens et la puissance qu'il détenait pour le bien-être d'un peuple dépourvu et ne comprenant presque pas ses propos, et qui alla jusqu'à décliner leur proposition de le rémunérer pour ce service (Coran 18/93-95) !

Pour qu'il arrive à utiliser lui aussi ses puissants outils à ces nobles et élevés objectifs, l'homme d'aujourd'hui doit développer en lui la conscience permanente que c'est Dieu qui lui a octroyé ces moyens (Coran 18/95) et non pas sa propre puissance, et que tout ce qu'il fabrique et réalise n'est qu'un effet de "la Miséricorde de Dieu" (Coran 18/98). Il doit se rappeler que, aussi robuste soit-elle, son œuvre n'est que temporaire, vouée à la destruction "lorsque viendra la Promesse de mon Seigneur" (Coran 18/98).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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A lire en complément de cet article :

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