Comment dédommager quelqu'un dont on a perdu toute trace ?

Question :

"Dans ma période de "jâhiliyya", j'ai voyagé en train sans payer. J'étais un peu voyou, qu'Allah me pardonne. Aujourd'hui que j'ai fait mon retour à Dieu (tawba ilallâh), dois-je réparer cette malhonnêteté ? et comment faire ?"

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Réponse :

Oui, il faut rendre à chacun ce qui lui appartient, et se faire pardonner ses injustices.

Le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "عن أبي هريرة، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم، قال: "أتدرون ما المفلس؟" قالوا: المفلس فينا من لا درهم له ولا متاع. فقال: "إن المفلس من أمتي يأتي يوم القيامة بصلاة، وصيام، وزكاة، ويأتي قد شتم هذا، وقذف هذا، وأكل مال هذا، وسفك دم هذا، وضرب هذا، فيعطى هذا من حسناته، وهذا من حسناته، فإن فنيت حسناته قبل أن يقضى ما عليه أخذ من خطاياهم فطرحت عليه، ثم طرح في النار" : "Savez-vous ce qu'est un homme en faillite ? - L'homme en faillite parmi nous est celui qui n'a (plus) ni pièce d'argent ni marchandise. - L'homme en faillite de ma Umma (est celui qui) viendra le jour de la résurrection avec prière, jeûne et aumône, (mais) il viendra ayant (également) tenu des propos de mal à celui-ci, ayant calomnié celui-là, ayant mangé le bien de celui-ci, ayant versé le sang de celui-là, et ayant frappé cet autre. A celui-ci il sera donné de ses bonnes actions, et à celui-là de ses bonnes actions. Si ses bonnes actions seront épuisées avant que ses dettes aient été réglées, on prendra les péchés de (ses victimes), ils seront jetés sur lui, ensuite il sera jeté dans le Feu" (Muslim, 2581).

Il a aussi dit : "عن أبي هريرة رضي الله عنه، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "من كانت له مظلمة لأخيه من عرضه أو شيء، فليتحلله منه اليوم، قبل أن لا يكون دينار ولا درهم، إن كان له عمل صالح أخذ منه بقدر مظلمته، وإن لم تكن له حسنات أخذ من سيئات صاحبه فحمل عليه" : "Celui qui a [à son passif] une injustice (qu'il a commise) sur son frère, qu'elle soit relative à sa dignité sociale ('irdh) ou autre, qu'il la fasse effacer de lui aujourd'hui, avant que ne (vienne le jour où) il n'y aura plus ni pièce d'or ni pièce d'argent. Alors s'il aura quelque bonne action, on en prendra de la quantité de son injustice. Et s'il n'aura pas de bonne action, on prendra des mauvaises actions de l'autre, et cela sera chargé sur lui" (al-Bukhârî, 2317 ; Riyâdh us-sâlihîn, 208).

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Si le musulman avait volé (ou usurpé) un bien :

1) S'il s'agissait d'un bien consomptible que le musulman avait volé (par exemple un sac, ou autre), alors il doit d'une part le faire parvenir à son propriétaire et d'autre le dédommager pour l'utilisation qu'il en a faite (à lui de faire évaluer l'utilisation qu'il en a faite).
Si ce bien a été par la suite détruit, le musulman doit dédommager le propriétaire lésé en lui remboursant la valeur de ce bien, à la date où il le lui avait prise, et en lui donnant la somme équivalente à l'utilisation qu'il en a faite.

2) S'il s'agissait d'argent que ce musulman avait dérobé, il doit le rendre à son propriétaire. S'il en avait déjà dépensé une partie, il doit rajouter de l'argent de sa poche, afin de lui restituer la totalité qu'il lui avait prise.

3) S'il s'agit d'un service que le musulman a volé (par exemple il a voyagé sans payer), alors il doit payer ce qu'il doit à ce fournisseur de services.
Dans le cas du voyage par train, évoqué dans la question, il doit faire parvenir à la compagnie le montant correspondant au service qu'il avait pris d'elle en la fraudant. Si cela n'est pas possible, eh bien au moins qu'il achète un billet pour le même parcours et n'utilise pas ce billet.

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1, 2 & 3) S'il ne peut pas remettre ce bien à son propriétaire parce que celui-ci risque de se fâcher ("Ah, c'était toi mon voleur !" Attends, je vais te faire ton affaire !"), alors il devra trouver un moyen pour lui faire parvenir son bien sans se faire connaître (et cela, si possible, en y adjoignant un mot de demande de pardon pour la mauvaise action passée).

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1, 2 & 3) Et s'il ne peut plus remettre cela à son propriétaire parce qu'il ne le trouve plus, alors il appliquera ce qui suit…

Ibn Mas'ûd avait réalisé un achat pour une somme de 700 dirhams. Mais le vendeur s'était éclipsé avant qu'il puisse lui remettre son argent. Ibn Mas'ûd chercha le vendeur, mais en vain. Alors il fit une annonce à son intention pendant une année. Mais le vendeur ne se présentait toujours pas. Alors Ibn Mas'ûd se mit à donner à des nécessiteux cette somme d'argent – 1 ou 2 dirhams à chaque nécessiteux – en disant : "O Dieu, (ceci est) de la part de son propriétaire. S'il revient (et refuse d'endosser l'aumône), alors, que celle-ci soit comptée en ma faveur, et à ma charge (sera le prix de la chose achetée, somme que je devrai remettre à cet homme)." Ibn Mas'ûd ajoutait à l'adresse des gens : "Faites ainsi avec l'objet trouvé !" : "واشترى ابن مسعود جارية، والتمس صاحبها سنة، فلم يجده، وفقد، فأخذ يعطي الدرهم والدرهمين، وقال: "اللهم عن فلان! فإن أتى فلان فلي وعلي." وقال: "هكذا فافعلوا باللقطة" (cité par al-Bukhârî dans son Jâmi' Sahîh ta'lîqan, Kitâbut-talâq, Bâb hukm il-mafqûd).
Ibn Hajar écrit : "وقع في رواية الأكثر أتى بالمثناة بمعنى جاء. وللكشميهني بالموحدة من الامتناع. وسقط هذا التعليق من رواية أبي ذر عن السرخسي. وقد وصله سفيان بن عيينة في جامعه رواية سعيد بن عبد الرحمن عنه. وأخرجه أيضا سعيد بن منصور عنه بسند له جيد أن بن مسعود اشترى جارية بسبعمائة درهم فإما غاب صاحبها وإما تركها فنشده حولا فلم يجده فخرج بها إلى مساكين عند سدة بابه فجعل يقبض ويعطي ويقول اللهم عن صاحبها فإن أتى فمني وعلي الغرم. وأخرجه الطبراني من هذا الوجه أيضا وفيه أبى بالموحدة" (Fat'h ul-bârî 9/532).

Un récit voisin est relaté de Ibn Abbâs : "وقال ابن عباس نحوه" (cité par al-Bukhârî dans son Jâmi' Sahîh ta'lîqan, Kitâbut-talâq, Bâb hukm il-mafqûd).
En fait Ibn Abbâs avait acheté un vêtement à un homme à La Mecque, mais la foule les avait séparés avant qu'il puisse lui remettre l'argent. Ibn Abbâs dit alors à Rafî' de faire l'annonce pendant une année, ainsi que l'année suivante au même lieu. Il ajouta : "Si tu le trouves, tant mieux ; sinon, donne-la en aumône. S'il vient ensuite, donne-lui le choix entre recevoir la récompense de l'aumône ou recevoir son argent" ("قوله وقال بن عباس نحوه ثبت هذا التعليق في رواية أبي ذر فقط عن المستملي والكشميهني خاصة وقد وصله سعيد بن منصور من طريق عبد العزيز بن رفيع عن أبيه أنه ابتاع ثوبا من رجل بمكة فضل منه في الزحام قال فأتيت ابن عباس فقال إذا كان العام المقبل فانشد الرجل في المكان الذي اشتريت منه فإن قدرت عليه وإلا تصدق بها فإن جاء فخيره بين الصدقة وإعطاء الدراهم. وأخرج دعلج في مسند ابن عباس له بسند صحيح عن ابن عباس قال: انظر هذه الضوال فشد يدك بها عاما فإن جاء ربها فادفعها إليه وإلا فجاهد بها وتصدق فإن جاء فخيره بين الأجر والمال" : Fat'h ul-bârî 9/532-533).

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Un cas différent mais voisin, où il s'agit de faire quelque chose pour se faire pardonner une faute qu'on ne peut pas avouer à la personne. Cela concerne certains cas où on a médit une personne hors les 6 cas où la médisance devient autorisée :

Si la personne avait eu connaissance de ce qu'on avait dit à son sujet (peut-être même qu'on avait manoeuvré habilement pour dire cela devant des hommes dont on savait qu'ils iraient le répéter à la personne concernée, histoire de "faire bouillir" celle-ci), alors, il faut aller la voir et lui demander pardon. C'est ainsi que se comprend ce que an-Nawawî a mentionné dans Riyâdh us-sâlihîn, chapitre 2 (التوبة واجبة من كل ذنب. فإن كانت المعصية بين العبد وبين الله تعالى لا تتعلق بحق آدمي، فلها ثلاثة شروط: أحدها: أن يقلع عن المعصية. والثاني: أن يندم على فعلها. والثالث: أن يعزم أن لا يعود إليها أبدا. فإن فقد أحد الثلاثة لم تصح توبته.
وإن كانت المعصية تتعلق بآدمي، فشروطها أربعة: هذه الثلاثة، وأن يبرأ من حق صاحبها؛ فإن كانت مالا أو نحوه رده إليه، وإن كانت حد قذف ونحوه مكنه منه أو طلب عفوه، وإن كانت غيبة استحله منها).

Si par contre la personne n'en avait pas eu connaissance, alors il ne faut pas, pour se faire pardonner d'elle, l'informer de ce qu'on a dit sur elle et lui demander ensuite de nous pardonner, pareille démarche risquant fort de provoquer sa colère et de conduire au contraire de l'effet escompté (Dalîl ul-fâlihîn li turuqi Riyâdh is-sâlihîn, Muhammad ibn 'Allân ; Zâd ul-muttaqîn fî shar'hi Riyâdh is-sâlihîn, Ibn ul-'Uthaymîn). Il faut, en pareil cas, comme l'ont dit Ibn Taymiyya et d'autres ulémas, que le médisant :
- primo adresse à Dieu des invocations en faveur de la personne qu'il a médite : "Ô Allah, accorde à Untel Ton Pardon. Accorde-lui un haut grade dans le Paradis",
- et secundo fasse les éloges de cette personne devant les mêmes personnes que celles devant qui il l'avait médite ("وهذه المسألة فيها قولان للعلماء - هما روايتان عن الإمام أحمد - وهما: هل يكفي في التوبة من الغيبة الاستغفار للمغتاب، أم لا بد من إعلامه وتحليله؟
والصحيح أنه لا يحتاج إلى إعلامه، بل يكفيه الاستغفار له وذكره بمحاسن ما فيه في المواطن التي اغتابه فيها؛ وهذا اختيار شيخ الإسلام ابن تيمية وغيره. والذين قالوا: "لا بد من إعلامه"، جعلوا الغيبة كالحقوق المالية. والفرق بينهما ظاهر: فإنّ الحقوق المالية ينتفع المظلوم بعود نظير مظلمته إليه، فإن شاء أخذها وإن شاء تصدق بها؛ وأما في الغيبة فلا يمكن ذلك ولا يحصل له بإعلامه إلا عكس مقصود الشارع صلى الله عليه وسلم؛ فإنه يوغر صدره ويؤذيه إذا سمع ما رمى به، ولعله يهيج عداوته ولا يصفو له أبدا. وما كان هذا سبيله فإن الشارع الحكيم صلى الله عليه وسلم لا يبيحه ولا يجوزه، فضلا عن أن يوجبه ويأمر به" (Al-Wâbil us-sayyib, Ibn ul-Qayyim, pp. 189-190).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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