Réponse (II, suite) à des critiques formulées à propos de mon article sur "'adam ul-hukm bi mâ anzalallâh" - Avec le commentaire d'un écrit de Ibn Taymiyya quant à ce que le Qâdhî peut imposer et ce qu'il n'a pas la prérogative d'imposer

Suite de l'article traitant de certaines critiques formulées à propos de mon écrit relatif au statut de l'action "'adam ul-hukm bi mâ anzalallâh".

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Voici quelques-autres des éléments avancés par l'objecteur à mon sujet :

"Une proposition rapportée par l'auteur [= Anas Ahmed Lala] dit : "Et si elle a comme croyance qu'elle est tenue de juger selon ce que Dieu a révélé et qu'elle connaît ce que Dieu a révélé à propos du cas dont il est question, mais se détourne de ce que Dieu a révélé tout en reconnaissant qu'elle s'expose à la sanction divine (dans l'au-delà), alors elle commet un péché [F.2] ; c'est là un kufr au sens figuré, ou un petit kufr."

Ceci est une parole de Murji'ah !

Et l'artifice issu de sa rhétorique est de dire que puisque qu'il est impossible de connaître la croyance qui se trouve dans le cœur, alors il est impossible de dire quelque chose de ceux qui se trouvent dans ce cas.

Voici, concernant le cas du Alim (Savant) qui rentre dans le moule de la proposition rapportée par l'auteur, l'avis tranché de Ibn Taymiyya (radhiyallahu anh) : "Lorsqu'un Alim (Savant) délaisse ce qu'il sait du Livre d'Allah et de la Sunna de Son Messager et suit le hukm du hâkim qui contredit le hukm d'Allah et de Son Messager, alors il est un murtadd kafir (…)" (Majmû' ul-fatâwâ, Vol 35).

C'est sans blabla, contorsions, etc.

Et voici ce qu'a écrit an-Nawawî : "Et s'il apostasie en repoussant une obligation ou en autorisant une interdiction, alors son islam est invalide jusqu'à ce qu'il revienne en arrière et qu'il relise les deux Shahadahs" (Al-Majmû', Vol 19/231)."

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Réponse :

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Premier point :

L'objecteur a écrit : "Une proposition rapportée par l'auteur dit : "Et si elle a comme croyance qu'elle est tenue de juger selon ce que Dieu a révélé et qu'elle connaît ce que Dieu a révélé à propos du cas dont il est question, mais se détourne de ce que Dieu a révélé tout en reconnaissant qu'elle s'expose à la sanction divine (dans l'au-delà), alors elle commet un péché [F.2] ; c'est là un kufr au sens figuré, ou un petit kufr.""

L'objecteur commente ensuite ce propos par un laconique :
"Ceci est une parole de Murji'ah !"

Or, cette "proposition", comme dit l'objecteur, je l'ai rapportée de Ibn Abi-l-'Izz... :
"وهنا أمر يجب أن يتفطن له، وهو أن الحكم بغير ما أنزل الله قد يكون كفرا ينقل عن الملة، وقد يكون معصية: كبيرة أو صغيرة، ويكون كفرا: إما مجازيا، وإما كفرا أصغر، على القولين المذكورين. وذلك بحسب حال الحاكم: فإنه إن اعتقد أن الحكم بما أنزل الله غير واجب، وأنه مخير فيه، أو استهان به مع تيقنه أنه حكم الله : فهذا كفر أكبر. وإن اعتقد وجوب الحكم بما أنزل الله، وعلمه في هذه الواقعة، وعدل عنه مع اعترافه بأنه مستحق للعقوبة، فهذا عاص، ويسمى كافرا كفرا مجازيا، أو كفرا أصغر. وإن جهل حكم الله فيها، مع بذل جهده واستفراغ وسعه في معرفة الحكم وأخطأه، فهذا مخطئ، له أجر على اجتهاده، وخطؤه مغفور"
"Il y a ici un point qu'il faut bien comprendre : juger selon d'autres choses que ce que Dieu a révélé est parfois un acte d'incroyance ("kufr yanqulu 'anil-milla") et parfois un péché seulement ("ma'siya") – un grand péché ou un petit péché –, un péché ayant été nommé "kufr" dans le sens figuré ou dans le sens d'un petit kufr, conformément aux deux explications que nous avons vues. Tout dépend de l'état du juge.
Ainsi, si la personne a comme croyance qu'elle n'est pas tenue d'appliquer ce que Dieu a révélé ou si elle méprise cela – tout en sachant bien que c'est l'ordre de Dieu – alors c'est là un acte d'incroyance [F.1].
Et si elle a comme croyance qu'elle est tenue de juger selon ce que Dieu a révélé et qu'elle connaît ce que Dieu a révélé à propos du cas dont il est question, mais se détourne de ce que Dieu a révélé tout en reconnaissant qu'elle s'expose à la sanction divine (dans l'au-delà), alors elle commet un péché [F.2] ; c'est là un kufr au sens figuré ou un petit kufr.
Et si, malgré des recherches pour le découvrir, elle ignore ce que Dieu a révélé à propos du cas dont il est question, elle fait une erreur d'interprétation : elle aura une récompense pour avoir fait un effort d'interprétation et son erreur est pardonnée [F.3]"
(Shar'h ul-'aqîda at-tahâwiyya, tome 2 p. 446).

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Second point :

L'objecteur écrit : "Voici ce qu'a écrit an-Nawawî : "Et s'il apostasie en repoussant une obligation ou en autorisant une interdiction, alors son islam est invalide jusqu'à ce qu'il revienne en arrière et qu'il relise les deux Shahadahs" (Al-Majmû', Vol 19/231)."

Or ce propos de an-Nawawî est entièrement vrai, mais déjà l'objecteur ne l'a pas parfaitement compris, ensuite l'objecteur ne comprend apparemment pas les nuances (ou ne veut pas les comprendre, je ne sais pas).

Déjà, an-Nawawî n'est pas entrain d'y dire que dès que quelqu'un réfute une obligation ou déclare licite ce qui est strictement illicite, son islam devient invalide ; car avant cela il faut qu'il y ait eu iqâmat ul-hujja. En fait, ici an-Nawawî est en train de dire que si celui qui était devenu apostat l'avait été pour telle raison, alors, pour être compté comme "redevenu musulman", il faut telle ou telle chose, dans tel ou tel cas de figure.
Le propos de an-Nawawî se lit ainsi :
"وإذا تاب المرتد قبلت توبته، سواء كانت ردته إلى كفر ظاهر به أهله، أو إلى كفر يستتر به أهله كالتعطيل والزندقة؛ لما روى أنس رضي الله عنه قال قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "أمرت أن أقاتل الناس حتى يقولوا لا إله إلا الله وأن محمدا رسول الله، فإذا شهدوا أن لا إله إلا الله وأن محمدا رسول الله واستقبلوا قبلتنا وصلوا صلاتنا، وأكلوا ذبيحتنا فقد حرمت علينا دماؤهم وأموالهم إلا بحقها ولهم ما للمسلمين وعليهم ما على المسلمين"؛ ولان النبي صلى الله عليه وسلم كف عن المنافقين لما أظهروا من الاسلام مع ما كانوا يبطنون من خلافه، فوجب أن يكف عن المعطل والزنديق لما يظهرونه من الاسلام.
فإن كان المرتد ممن لا تأويل له في كفره فأتى بالشهادتين، حكم بإسلامه، لحديث أنس رضى الله عنه. فإن صلى في دار الحرب حكم بإسلامه، وان صلى في دار الاسلام لم يحكم بإسلامه، لانه يحتمل أن تكون صلاته في دار الاسلام للمرأة والتقية، وفى دار الحرب لا يحتمل ذلك، فدل على إسلامه.
وان كان ممن يزعم أن النبي صلى الله عليه وسلم بعث إلى العرب وحدها أو ممن يقول إن محمدا نبى يبعث وهو غير الذى بعث، لم يصح إسلامه حتى يتبرأ مع الشهادتين من كل دين خالف الاسلام، لانه إذا اقتصر على الشهادتين احتمل أن يكون أراد ما يعتقده.
وان ارتد بجحود فرض أو استباحة محرم، لم يصح اسلامه حتى يرجع عما اعتقده ويعيد الشهادتين، لانه كذّب الله وكذّب رسوله بما اعتقده في خبره، فلا يصح اسلامه حتى يأتي بالشهادتين" (Al-Majmû', 19/231).
Le propos de an-Nawawî se traduit en fait correctement ainsi : "Et s'il avait apostasié par le fait d'avoir réfuté (le caractère obligatoire d') une chose qui est obligatoire ou par le fait d'avoir déclaré "autorisée" une chose qui est interdite, alors (quand il revient à l'islam), son islam ne sera valide que quand il sera revenu sur ce qu'il professait et refera les deux Shahadah".

Par ailleurs, "réfuter ce qui est obligatoire ou déclarer licite ce qui est illicite" – ce dont parle an-Nawawî dans la citation faite par l'objecteur –, cela relève du tashrî' / iftâ' (E dans mon article). Cela consiste à dire (ou à écrire) : "Accomplir les cinq prières quotidiennes n'est pas obligatoire", ou : "La consommation de vin est licite". Cela constitue effectivement un propos de Kufr Akbar.

Ce propos de an-Nawawî ne concerne ni le qadhâ bayna rajulayn (F dans mon article) ni le infâdh ul-amr (G dans mon article).

Or le propos que j'ai relaté de Ibn Abi-l-'Izz de prendre en considération la croyance (et de donc dire que l'action 'adam ul-hukm bi mâ anzalallâh n'est pas suffisante en elle-même pour constituer un acte de kufr akbar et que seul un istihlâl fait d'elle une action de kufr akbar), cela concerne les cas de qadhâ bayna-th'nayn (soit F dans mon article en question) et de tanfîdh ul-amr (G), et non pas de tashrî' / iftâ' (E) !

L'écrit de Ibn Abi-l-'Izz, je l'ai cité en F (il s'applique aussi à G), mais non pas en E. En E, à propos du tashrî' j'ai moi aussi écrit que contredire clairement quelque chose qui fait partie des dharûriyyât ud-dîn relève du kufr akbar (relire attentivement mon article) ; je n'ai jamais écrit que dans ce cas aussi, il s'agirait de considérer ce que la personne peut prétendre qu'il y a ou non comme croyance dans son cœur.

L'objecteur semble donc ne pas savoir distinguer – et ce tant par rapport aux propos de an-Nawawî et de Ibn Taymiyya qu'il a cités, que par rapport au propos de Ibn Abi-l-'Izz que j'ai cité – entre d'une part le tashrî' / iftâ' (E) et d'autre part le qadhâ bayna rajulayn (F) et infâdh ul-amr (G).
Il confond les deux !

C'est bien pourquoi il a opposé ce propos de an-Nawawî au propos de Ibn Abi-l-'Izz (comme nous l'avons vu plus haut). Alors que les deux sont différents : an-Nawawî parle là de "réfuter le caractère obligatoire de ce qui est obligatoire ou déclarer licite ce qui est illicite", tandis que Ibn Abi-l'-Izz traite du "hukm" bayna rajulayn.

Sinon ce même Ibn Abi-l-'Izz a, dans le même ouvrage, lui aussi écrit la même chose :
"فلا خلاف بين المسلمين أن الرجل لو أظهر إنكار الواجبات الظاهرة المتواترة والمحرمات الظاهرة المتواترة، ونحو ذلك، فإنه يستتاب، فإن تاب، وإلا [عدّ] كافرا مرتدا"
:
"Il n'y a aucune divergence entre les musulmans à propos du fait que si l'homme dit clairement ("az'hara") qu'il réfute [le caractère obligatoire] des actions qui sont, clairement et de façon mutawâtir, obligatoires, (ou) [le caractère illicite] des actions qui sont, clairement et de façon mutawâtir, illicites, ou chose semblable, alors on fera sa istitâba ; s'il revient [tant mieux] ; sinon il [sera compté] comme kâfir murtadd"
(Shar'h ul-'aqîda at-tahâwiyya, tome 2 p. 433 : dans l'original, entre les crochets que j'ai rajoutés figure un autre mot, que j'ai remplacé par "عدّ").

On voit bien que "hukm bayna rajulayn" et "tahlîlu mâ harramahu-llâh / tahrîmu mâ ahallahu-llâh" sont 2 choses différentes.

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Troisième point :

L'objecteur écrit : "Et l'artifice issu de sa rhétorique est de dire que puisque qu'il est impossible de connaître ce qu'il y a dans le cœur, alors il est impossible de dire quelque chose de ceux qui se trouvent dans ce cas".

Pure calomnie !

Je n'ai jamais dit ni laissé entendre que, "étant donné qu'il est impossible de connaître les croyances qu'il y a dans le cœur, il est impossible de dire quelque chose de ceux qui sont dans ce cas".
J'ai, tout au contraire, écrit dans d'autres articles (cliquez ici pour en lire un) qu'il existe des paroles qui sont des paroles de kufr akbar. En effet, s'il est impossible de connaître ce qu'il y a dans le cœur, il est possible de prendre connaissance des propos que la personne exprime : nous ne sommes responsables que de ce qu'il paraît de paroles, que ce soit des paroles verbales ou écrites. C'est pourquoi on dit qu'il y a des paroles de kufr akbar.
Et il existe aussi des actions qui sont des actions de kufr akbar.
Cependant, comme Ibn Taymiyya l'a également relaté par ailleurs, il ne nous est pas demandé de fouiller ce qui ne va pas, ou de rester à l'affût pour sauter sur ce qui n'irait pas. C'est seulement quand quelque chose nous apparaît que nous en prenons acte.

Par contre, oui, j'ai affirmé et je l'affirme : L'action "hukm bi ghayri mâ anzalallâh" n'est pas, en soi, acte de kufr akbar ; il faudrait quelque chose de supplémentaire pour prouver clairement le kufr akbar.
Ibn Taymiyya lui-même a, parmi les actes interdits au sujet desquels il n'y a qu'une sanction de type ta'zîr décidée et administrée par l'exécutif, à côté du fait de tricher dans les poids et mesures, etc., cité : le fait de "rendre le jugement d'après autre que ce que Dieu a révélé". On pourra aller vérifier autant qu'on le voudra : c'est écrit, clair et net :
"فصل: وأما المعاصي التي ليس فيها حد مقدر ولا كفارة، كالذي يقبل الصبي والمرأة الأجنبية أو يباشر بلا جماع أو يأكل ما لا يحل كالدم والميتة أو يقذف الناس بغير الزنا أو يسرق من غير حرز ولو شيئا يسيرا أو يخون أمانته كولاة أموال بيت المال أو الوقوف ومال اليتيم ونحو ذلك إذا خانوا فيها وكالوكلاء والشركاء إذا خانوا أو يغش في معاملته كالذين يغشون في الأطعمة والثياب ونحو ذلك أو يطفف المكيال والميزان أو يشهد بالزور أو يلقن شهادة الزور أو يرتشي في حكمه أو يحكم بغير ما أنزل الله أو يعتدي على رعيته أو يتعزى بعزاء الجاهلية أو يلبي داعي الجاهلية إلى غير ذلك من أنواع المحرمات: فهؤلاء يعاقبون تعزيرا وتنكيلا وتأديبا بقدر ما يراه الوالي على حسب كثرة ذلك الذنب في الناس وقلته (...)، وعلى حسب حال المذنب (...)، وعلى حسب كبر الذنب وصغره" (MF 28/343 ; il s'agit d'un passage de As-Siyâssa ash-shar'iyya).

On voit ici que d'après Ibn Taymiyya, l'action "hukm bi ghayri mâ anzalallâh" n'est pas, en soi, acte de kufr akbar.

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Quatrième point :

L'objecteur écrit : "Voici, concernant le cas du Alim (Savant) qui rentre dans le moule de la proposition ["Et si elle a comme croyance qu'elle est tenue de juger selon ce que Dieu a révélé et qu'elle connaît ce que Dieu a révélé à propos du cas dont il est question, mais se détourne de ce que Dieu a révélé tout en reconnaissant qu'elle s'expose à la sanction divine (dans l'au-delà), alors elle commet un péché [F.2] ; c'est là un kufr au sens figuré ou un petit kufr"], l'avis tranché de Ibn Taymiyya (radhiyallahu anh) :
"Lorsqu'un Alim (Savant) délaisse ce qu'il sait du Livre d'Allah et de la Sunna de Son Messager et suit le hukm du hâkim qui contredit le hukm d'Allah et de Son Messager, alors il est un murtadd kafir
(…)"
.
L'objecteur commente : "C'est sans blabla, contorsions, etc."

On voit ici que pour l'objecteur, cet écrit de Ibn Taymiyya parle de la même chose que ce à quoi l'écrit de Ibn Abi-l-'Izz fait référence ("rentre dans le moule", a-t-il affirmé). Dès lors, veut dire l'objecteur, vu que cet écrit de Ibn Taymiyya ne fait pas de distinction entre istihlâl et 'adam ul-istihlâl, l'écrit de Ibn Abi-l-'Izz, qui fait pareille distinction, est erroné.

Le problème c'est que cet écrit de Ibn Taymiyya ne traite pas du même cas de figure que celui dont parle l'écrit de Ibn Abi-l-'Izz suscité.

En effet, quand Ibn Taymiyya dit ce que l'objecteur a cité : "ومتى ترك العالم ما علمه من كتاب الله وسنة رسوله واتبع حكم الحاكم المخالف لحكم الله ورسوله، كان مرتدا كافرا" (MF 35/372-373), de quelle action veut-il parler ?

a) "ومتى ترك العالم ما علمه من كتاب الله وسنة رسوله واتبع حكم الحاكم المخالف لحكم الله ورسوله [فعمل هو حسبًا لذلك الحكم، مع اعتقاده أنه يخالف ما قال الله ورسوله]" : le fait qu'un âlim suive, en acte, un jugement qui contredit la Loi de Dieu et de Son Messager, alors qu'en son cœur il sait bien que ce jugement est faux et qu'en le suivant il fait quelque chose d'interdit, est-ce cela que Ibn Taymiyya dit être du kufr akbar ?

b) "ومتى ترك العالم ما علمه من كتاب الله وسنة رسوله واتبع حكم الحاكم المخالف لحكم الله ورسوله [فحكم هو أيضًا بذلك الحكم]" : le fait qu'un 'âlim rende le même faux jugement que celui qui avait été rendu par un qâdhî et qui contredit la Loi de Dieu et de Son Messager, est-ce cela que Ibn Taymiyya dit être du kufr akbar (comme l'affirme l'objecteur) ?

c) " ومتى ترك العالم ما علمه من كتاب الله وسنة رسوله واتبع حكم الحاكم المخالف لحكم الله ورسوله [فأفتى للناس بفتوى توافق هذا الحكم مع أنه يعلم أنها تخالف ما قال الله ورسوله، أو قال: "إن هذا الحكم موافق لشرع الله]" : le fait qu'un âlim donne aux gens une fatwa similaire à ce que le qâdhî lui impose, par son jugement, de dire, bien qu'il sache que cet avis est complètement  faux ? ou encore qu'il dise d'un tel jugement (lequel contredit la Loi de Dieu et de Son Messager) que "ce jugement est conforme à la Loi de Dieu et de Son Messager" ? : est-ce cela que Ibn Taymiyya dit être du kufr akbar ?

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Est-ce le a dont Ibn Taymiyya a voulu parler ?

Ibn Taymiyya a-t-il voulu dire que le 'âlim qui suit en actes le jugement qui contredit la Loi de Dieu devient kâfir bi kufr akbar même s'il considère au fond de lui que c'est un faux jugement et s'il ne dit pas que c'est un jugement conforme à la Loi de Dieu ?

Impossible, car cela contredirait ce que le même Ibn Taymiyya a écrit par ailleurs.
En effet, Ibn Taymiyya précise :
"وهؤلاء الذين اتخذوا أحبارهم ورهبانهم أربابا حيث أطاعوهم في تحليل ما حرم الله وتحريم ما أحل الله: يكونون على وجهين:
أحدهما: أن يعلموا أنهم بدلوا دين الله فيتبعونهم على التبديل فيعتقدون تحليل ما حرم الله وتحريم ما أحل الله اتباعا لرؤسائهم، مع علمهم أنهم خالفوا دين الرسل؛ فهذا كفر؛ وقد جعله الله ورسوله شركا، وإن لم يكونوا يصلون لهم ويسجدون لهم؛ فكان من اتبع غيره في خلاف الدين مع علمه أنه خلاف الدين واعتقد ما قاله ذلك دون ما قاله الله ورسوله، مشركا مثل هؤلاء.
و الثاني: أن يكون اعتقادهم وإيمانهم بتحريم الحرام وتحليل الحلال ثابتا، لكنهم أطاعوهم في معصية الله كما يفعل المسلم ما يفعله من المعاصي التي يعتقد أنها معاص؛ فهؤلاء لهم حكم أمثالهم من أهل الذنوب"

"Et ces gens là qui ont pris leurs savants et leurs moines comme divinités, étant donné qu'ils les ont suivis dans le fait de déclarer licite ce que Dieu a rendu illicite et de déclarer illicite ce que Dieu a rendu licite, [le font] selon deux manières
L'une est qu'ils savent que [ces savants et moines] ont changé le dîn de Dieu puis qu'ils les suivent en ce changement, ayant alors comme croyance ("ya'taqidun") que ce Dieu a décrété illicite est devenu licite et que ce que Dieu a décrété licite est devenu illicite, par fait de suivre leurs chefs, tout en sachant qu'ils ont contredit le dîn des Messagers. Ceci est du kufr. Et Dieu et Son Messager l'ont déclaré du shirk, même s'ils ne prient pas et ne se prosternent pas devant eux. Aussi, celui qui suit autrui dans ce qui contredit le dîn tout en sachant que ceci est contraire au dîn, et a comme croyance ("i'taqada") ce que [cet autrui] a dit et non ce que Dieu et Son Messager ont dit, celui-là est mushrik comme ceux-là.
La seconde est que leur croyance et leur foi soient établies quant au fait de considérer licite ce que [Dieu a décrété] licite et illicite ce que [Dieu a décrété] illicite, mais qu'ils suivent ces [prêtres et moines] dans la désobéissance à Dieu, comme le musulman commet ce qu'il commet de péchés dont il a la croyance que ce sont des péchés. Ceux-là ont le statut de leurs semblables parmi les gens du péché (…)" (Majmû' ul-fatâwâ 7/70).
On note que ce point précis concerne non pas seulement le fait de suivre en actes le faux hukm bayna rajulayn mais également la fausse tashrî' !

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Est-ce le b dont Ibn Taymiyya a voulu parler ?

Pour l'objecteur, ce que Ibn Taymiyya a écrit concerne en effet le b...

En vertu de quoi, si un qâdhî rend un jugement d'après autre chose que ce que Dieu agrée, alors, du moment qu'il sait (ya'lamu) que cela est autre que ce que Dieu agrée, il fait là un acte de kufr akbar, même s'il considère que le jugement qu'il rend est faux et ne dit pas que ce jugement est conforme à la Loi de Dieu.

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Est-ce le c dont Ibn Taymiyya a voulu parler ?

Je soutiens que c'est en effet le c dont Ibn Taymiyya a voulu parler.

Je m'explique...

Si, au lieu d'extraire cette phrase de Ibn Taymiyya, on lit ce qu'il y a avant et après, on comprendra plus facilement ce dont Ibn Taymiyya parle ici.

Cet écrit de Ibn Taymiyya prend place à l'intérieur de tout un : "فصل:
فيما جعل الله للحاكم أن يحكم فيه وما لم يجعل لواحد من المخلوقين الحكم فيه، بل الحكم فيه على جميع الخلق: لله تعالى ولرسوله صلى الله عليه وسلم، ليس لأحد من الحكام أن يحكم فيه على غيره ولو كان ذلك الشخص من آحاد العامة
: "Section concernant ce au sujet de quoi Dieu a donné au qâdhî [la prérogative] de rendre un jugement et ce au sujet de quoi Il n'a donné à aucune créature [la prérogative] de rendre un jugement, mais au contraire, le jugement à rendre à son sujet à propos de toutes les créatures [humaines] revient à Dieu et à Son Messager, aucun qâdhî n'ayant [la prérogative] de rendre un jugement à son sujet à propos d'une tierce personne, celle-ci fût-elle du nombre des individus de la masse" (MF 35/357 et suivantes).
L'écrit débute un peu plus tôt, avec l'exposé de l'objectif de l'institution judiciaire et des jugements rendus par les qâdhî (MF 35/355).

Il semble que Ibn Taymiyya fasse allusion ici au fait qu'on l'a empêché, en l'an 726, de diffuser l'avis auquel il adhère : "Entreprendre un voyage pour aller visiter une tombe, cela n'est pas mashrû'" : on l'a empêché de dire cela par le biais d'un jugement rendu par qâdhî, appuyé par un édit du roi.
Cela car il parle en 2 fois
de cet avis dans ce long écrit.

Ibn Taymiyya écrit que le qâdhî peut et doit rendre un jugement lorsqu'il y a une affaire précise ("fi-l-mu'ayyana"). Pour peu que ce jugement ne contredit aucune règle formelle du Coran et de la Sunna, il est,  moralement parlant, contraignant pour ceux au sujet de qui il a été rendu. Ainsi, si des héritiers portent leur litige devant le qâdhî et que, à propos d'un point de droit donné, celui-ci rend le jugement en suivant un des avis fondés et existant entre les mujtahidûn sur le sujet, aucun héritier ne peut dire : "Je ne suis pas d'accord avec ce jugement, il faut que le juge applique l'autre avis".

Par contre, écrit Ibn Taymiyya, le qâdhî ne dispose d'aucune prérogative l'habilitant à rendre un jugement à propos des affaires générales du 'ilm ("al-umûr al-'âmma al­-kulliyya") (comme les divergences d'interprétation du verset "aw lâmastum in-nissâ'" ou encore les divergences d'avis à propos de savoir si les ablutions sont annulées quand le sang coule, ou bien à propos de certains points du partage du legs) : le qâdhî n'a pas à émettre contre un 'âlim un jugement qui se voudrait contraignant de sorte qu'il ne serait plus possible à ce 'âlim de pratiquer ou de citer devant les gens l'autre avis juridique.
Le juge ne peut que débattre avec le 'âlim-non-qâdhî, avec des arguments extraits du Coran et de la Sunna et des avis des Pieux Prédécesseurs ; si, à l'issue du débat, l'avis qui est correct émerge, tant mieux ; sinon chacun a le droit de garder l'avis au sujet duquel il est convaincu (MF 35/360 ; 379). Et le 'âlim a le droit d'émettre un avis qui existe, et de l'étayer sur la base de quelque chose du Coran et de la Sunna.

"وليس المراد بالشرع اللازم لجميع الخلق: حكم الحاكم، ولو كان الحاكم أفضل أهل زمانه. بل حكم الحاكم العالم العادل يلزم قوما معينين تحاكموا إليه في قضية معينة، لا يلزم جميع الخلق" :
"Par "ash-shar' al-lâzim li jamî' il-khalq", on n'entend pas le jugement du qâdhî, ce qâdhî fût-il le meilleur des gens de son époque. Le jugement du qâdhî qui est 'âlim et 'âdil n'est contraignant que pour les gens précis qui se sont référés à lui dans une affaire précise. Il n'est pas contraignant pour tout le monde"
(MF 35/372).
"فهذه الأمور الكلية ليس لحاكم من الحكام كائنا من كان - ولو كان من الصحابة - أن يحكم فيها بقوله على من نازعه في قوله فيقول: "ألزمته أن لا يفعل ولا يفتي إلا بالقول الذي يوافق لمذهبي". بل الحكم في هذه المسائل لله ورسوله، والحاكم واحد من المسلمين: فإن كان عنده علم تكلم بما عنده؛ وإذا كان عند منازعه علم تكلم به؛ فإن ظهر الحق في ذلك وعرف حكم الله ورسوله وجب على الجميع اتباع حكم الله ورسوله؛ وإن خفي ذلك أقر كل واحد على قوله: أقر قائل هذا القول على مذهبه، وقائل هذا القول على مذهبه؛ ولم يكن لأحدهما أن يمنع الآخر؛ إلا بلسان العلم والحجة والبيان، فيقول ما عنده من العلم.
وأما باليد والقهر فليس له أن يحكم، إلا في المعينة التي يتحاكم فيها إليه؛ مثل ميت مات وقد تنازع ورثته في قسم تركته فيقسمها بينهم إذا تحاكموا إليه؛ وإذا حكم هنا بأحد قولي العلماء ألزم الخصم بحكمه، ولم يكن له أن يقول: "أنا لا أرضى حتى يحكم بالقول الآخر". وكذلك إذا تحاكم إليه اثنان في دعوى يدعيها أحدهما، فصل بينهما كما أمر الله ورسوله وألزم المحكوم عليه بما حكم به، وليس له أن يقول: "أنت حكمتَ عليّ بالقول الذي لا أختاره"
(MF 35/360).
" وهذا مثل الأمور العامة الكلية التي أمر الله جميع الخلق أن يؤمنوا بها ويعملوا بها، وقد بينها في كتابه وسنة رسوله صلى الله عليه وسلم بما أجمعت عليه الأمة أو تنازعت الأمة فيه.
إذا وقع فيه نزاع بين الحكام وبين آحاد المسلمين، من العلماء أو الجند أو العامة أو غيرهم، لم يكن للحاكم أن يحكم فيها على من ينازعه، ويلزمه بقوله، ويمنعه من القول الآخر، فضلا عن أن يؤذيه أو يعاقبه.
مثل أن يتنازع حاكم أو غير حاكم في قوله: {أو لامستم النساء} هل المراد به الجماع، كما فسره ابن عباس وغيره وقالوا: إن مس المرأة لا ينقض الوضوء لا لشهوة ولا لغير شهوة؛ أو المراد به اللمس بجميع البشرة إما لشهوة، وإما مطلقا؛ كما نقل الأول عن ابن عمر، والثالث قاله بعض العلماء"
(MF 35/357).
Ailleurs Ibn Taymiyya a écrit que cela concerne les points d'ordre général, relatifs au Tafsîr, au sens des Hadîths, au fait de parler de Fiqh ou des Ussûl ud-Dîn (MF 3/236).

Ce qui vient d'être dit, c'est dans le cas de figure où les deux avis existent depuis le temps des Compagnons ou de leurs élèves ! Le qâdhî n'a alors pas à rendre de sentence contraignante telle que celle susmentionnée, et si un qâdhî en rendait une, le 'âlim n'aurait pas l'obligation morale de s'y plier et donc à ne donner comme avis (fatwâ) aux gens que celui que le qâdhî a choisi.

Que dire du cas de figure où
l'avis auquel le juge adhère est complètement faux ?
Le qâdhî n'a, ici, a fortiori pas le droit d'imposer à un 'âlim, par jugement, d'adopter son avis erroné.

Et, dans ce cas, le 'âlim n'est pas dans une situation où il aurait le devoir de se plier à ce jugement et de donner comme avis (fatwâ) aux gens l'avis que le qâdhî a choisi ; s'il sait que cet avis est complètement erroné, le 'âlim est dans une situation où il n'a même pas le droit de délivrer cet avis (fatwa) aux gens ; sinon il dit parole de kufr.

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Ce propos de Ibn Taymiyya ("il dit alors parole de kufr akbar") ne concerne que le cas où l'autre avis, divergent, est complètement faux
: car, alors, même s'il y a eu des avis divergents sur la question, il n'existe en fait qu'un texte, et il est qat'iyy uth-thubût et qat'iyy ud-dalâla, mais il n'était pas parvenu à ceux qui ont émis l'autre avis.
Ce propos de Ibn Taymiyya ne peut pas concerner les cas où la divergence est telle que la détermination de l'avis correct et de l'avis erroné n'est possible qu'à un niveau zannî, vu que Ibn Taymiyya lui-même a par ailleurs distingué les 2 catégories :
"وأصل هذا ما قد ذكرْتُه في غير هذا الموضع: أن المسائل الخبرية قد تكون بمنزلة المسائل العملية
(...)
وقولنا "إنها قد تكون بمنزلتها" يتضمن أشياء
ـ منها: أنها تنقسم إلى قطعيّ وظنّيّ؛
ـ ومنها: أن المصيب وإن كان واحدًا، فالمخطئ قد يكون معفوًا عنه، وقد يكون مذنبًا، وقد يكون فاسقًا، وقد يكون كالمخطئ في الأحكام العملية سواء
(...)"
(MF 6/56-58).
"وأحمد يُفرِّق في هذا الباب:
فإذا كان في المسألة حديث صحيح لا معارض له، كان من أخذ بحديث ضعيف أو قول بعض الصحابة: مخطئا.
وإذا كان فيها حديثان صحيحان، نظر في الراجح فأخذ به، ولا يقول لمن أخذ بالآخر: إنه مخطئ.
وإذا لم يكن فيها نص، اجتهد فيها برأيه قال: ولا أدري أصبت الحق أم أخطأته؟
ففرَّق بين أن يكون فيها نص يجب العمل به وبين أن لا يكون كذلك. وإذا عمل الرجل بنص وفيها نص آخر خفيّ عليه، لم يسمه مخطئا؛ لأنه فعل ما وجب عليه. لكن هذا التفصيل: في تعيين الخطأ. فإنّ مِن الناس مَن يقول: "لا أقطع بخطأ منازعي في مسائل الاجتهاد"؛ ومنهم من يقول: "أقطع بخطئه"؛ وأحمد فصَّل؛ وهو الصواب. وهو إذا قطع بخطئه بمعنى عدم العلم، لم يقطع بإثمه؛ هذا لا يكون إلا في من علم أنه لم يجتهد"
(MF 20/25).

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Voici d'autres passages du même écrit (et dont l'objecteur n'a malheureusement cité qu'une phrase) :

"فالكتاب والعدل متلازمان والكتاب هو المبين للشرع؛ فالشرع هو العدل، والعدل هو الشرع. ومن حكم بالعدل فقد حكم بالشرع.
ولكن كثيرا من الناس ينسبون ما يقولونه إلى الشرع، وليس من الشرع؛ بل يقولون ذلك إما جهلا، وإما غلطا، وإما عمدا وافتراء، وهذا هو الشرع المبدل الذي يستحق أصحابه العقوبة؛ ليس هو الشرع المنزل الذي جاء به جبريل من عند الله إلى خاتم المرسلين. فإن هذا الشرع المنزل كله عدل ليس فيه ظلم ولا جهل. قال تعالى: {وإن حكمت فاحكم بينهم بالقسط إن الله يحب المقسطين} وقال تعالى: {وأن احكم بينهم بما أنزل الله}. فالذي أنزل الله هو القسط، والقسط هو الذي أنزل الله. وقال تعالى: {إن الله يأمركم أن تؤدوا الأمانات إلى أهلها وإذا حكمتم بين الناس أن تحكموا بالعدل} وقال تعالى: {إنا أنزلنا إليك الكتاب بالحق لتحكم بين الناس بما أراك الله} فالذي أراه الله في كتابه هو العدل.
وقد يقول كثير من علماء المسلمين أهل العلم والدين، من الصحابة والتابعين وسائر أئمة المسلمين كالأربعة وغيرهم، أقوالا باجتهادهم؛ فهذه يسوغ القول بها، ولا يجب على كل مسلم أن يلتزم إلا قول رسول الله صلى الله عليه وسلم. فهذا شرع دخل فيه التأويل والاجتهاد؛ وقد يكون في نفس الأمر موافقا للشرع المنزل، فيكون لصاحبه أجران؛ وقد لا يكون موافقا له، لكن لا يكلف الله نفسا إلا وسعها، فإذا اتقى العبد الله ما استطاع آجره الله على ذلك وغفر له خطأه. ومن كان هكذا لم يكن لأحد أن يذمه ولا يعيبه ولا يعاقبه؛ ولكن إذا عرف الحق بخلاف قوله لم يجز ترك الحق الذي بعث الله به رسوله لقول أحد من الخلق؛ وذلك هو الشرع المنزل من عند الله وهو الكتاب والسنة وهو دين الله ورسوله"
(MF 35/366-367).

"وليس للحاكم أن يحكم بأن هذا أمر به رسول الله صلى الله عليه وسلم وأن هذا العمل طاعة أو قربة، أو ليس بطاعة ولا قربة، ولا بأن السفر إلى المساجد والقبور وقبر النبي صلى الله عليه وسلم يشرع، أو لا يشرع! ليس للحكام في هذا مدخل إلا كما يدخل فيه غيرهم من المسلمين؛ بل الكلام في هذا لجميع أمة محمد صلى الله عليه وسلم. فمن كان عنده علم تكلم بما عنده من العلم؛ وليس لأحد أن يحكم على عالم، بإجماع المسلمين، بل يبين له أنه قد أخطأ.
فإن بين له بالأدلة الشرعية التي يجب قبولها أنه قد أخطأ وظهر خطؤه للناس، ولم يرجع بل أصر على إظهار ما يخالف الكتاب والسنة والدعاء إلى ذلك، وجب أن يمنع من ذلك ويعاقب إن لم يمتنع.
وأما إذا لم يبين له ذلك بالأدلة الشرعية، لم تجز عقوبته باتفاق المسلمين ولا منعه من ذلك القول ولا الحكم عليه بأنه لا يقوله إذا كان يقول إن هذا هو الذي دل عليه الكتاب والسنة كما قاله فلان وفلان من علماء المسلمين؛ فهذا إذا اجتهد فأخطأ لم يحكم عليه إلا بالكتاب والسنة؛ والمنازع له يتكلم بلا علم؛ والحكم الذي حكم به لم يقله أحد من علماء المسلمين. فعلماء المسلمين الكبار لو قالوا بمثل قول الحكام، لم يكن لهم إلزام الناس بذلك إلا بحجة شرعية لا بمجرد حكمهم"
(MF 35/382-383).

"ولهذا كان من أصول السنة والجماعة أن من تولى بعد رسول الله صلى الله عليه وسلم كالخلفاء الراشدين وغيرهم لا يجب أن ينفرد واحد منهم بعلم لا يعلمه غيره؛ بل علم الدين الذي سنه الرسول صلى الله عليه وسلم يشترك المسلمون في معرفته؛ وإذا كان عند بعضهم من الحديث ما ليس عند بعض، بلغه هؤلاء لأولئك؛ ولهذا كان الخلفاء يسألون الصحابة في بعض الأمور: هل عندكم علم عن النبي صلى الله عليه وسلم؟ فإذا تبين لهم سنة الرسول صلى الله عليه وسلم حكموا بها.
كما سألهم أبو بكر الصديق عن ميراث الجدة (...).
وكذلك عمر بن الخطاب لما سألهم عن الجنين إذا قُتِلَ، قام بعض الصحابة فأخبره أن النبي صلى الله عليه وسلم قضى فيه بغرة عبد أو أمة؛ أي من قتل جنينا ضمنه بمملوك أو جارية لورثته. فقضى بذلك. قالوا: وتكون قيمته بقدر عشر دية أمه. وعمر بن الخطاب قد قال النبي صلى الله عليه وسلم فيه: {إنه قد كان في الأمم قبلكم محدثون فإن يكن في أمتي أحد فعمر} وروي {أنه ضرب الحق على لسانه وقلبه} وقال {لو لم أبعث فيكم لبعث فيكم عمر}. ومع هذا فما كان يلزم أحدا بقوله ولا يحكم في الأمور العامة، بل كان يشاور الصحابة ويراجع؛ فتارة يقول قولا فترده عليه امرأة، فيرجع إليها؛ كما أراد أن يجعل الصداق محدودا لا يزاد على صداقات أزواج النبي صلى الله عليه وسلم وقال: من زاد جعلت الزيادة في بيت المال - وكان المسلمون يعجلون الصداق قبل الدخول؛ لم يكونوا يؤخرونه إلا أمرا نادرا - فقالت امرأة: يا أمير المؤمنين لم تحرمنا شيئا أعطانا الله إياه في كتابه؟ فقال: وأين؟ فقالت في قوله تعالى {وإن أردتم استبدال زوج مكان زوج وآتيتم إحداهن قنطارا فلا تأخذوا منه شيئا} فرجع عمر إلى قولها وقال: امرأة أصابت ورجل أخطأ.
وكان، في مسائل النزاع مثل مسائل الفرائض والطلاق، يرى رأيا ويرى علي بن أبي طالب رأيا ويرى عبد الله بن مسعود رأيا ويرى زيد بن ثابت رأيا؛ فلم يلزم أحدا أن يأخذ بقوله؛ بل كل منهم يفتي بقوله، وعمر رضي الله عنه إمام الأمة كلها وأعلمهم وأدينهم وأفضلهم. فكيف يكون واحد من الحكام خيرا من عمر؟
هذا إذا كان قد حكم في مسألة اجتهاد!
فكيف إذا كان ما قاله لم يقله أحد من أئمة المسلمين لا الأربعة ولا من قبلهم من الصحابة والتابعين؟ وإنما يقوله مثله وأمثاله ممن لا علم لهم بالكتاب والسنة وأقوال السلف والأئمة؛ وإنما يحكمون بالعادات التي تربوا عليها"
(MF 35/384-386).

"ولو حكم الحاكم لشخص بخلاف الحق في الباطن، لم يجز له أخذه، ولو كان الحاكم سيد الأولين والآخرين. كما في الصحيحين عن أم سلمة قالت قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: {إنكم تختصمون إلي ولعل بعضكم ألحن بحجته من بعض فأقضي له بنحو مما أسمع فمن قضيت له من حق أخيه شيئا فلا يأخذه فإنما أقطع له قطعة من النار}؛ فهذا سيد الحكام والأمراء والملوك يقول إذا حكمت لشخص بشيء يعلم أنه لا يستحقه فلا يأخذه. وقد أجمع المسلمون على أن حكم الحاكم بالأملاك المرسلة لا ينفذ في الباطن؛ فلو حكم لزيد بمال عمرو وكان مجتهدا متحريا للحق، لم يجز له أخذه. وأما في العقود والفسوخ (مثل أن يحكم بنكاح أو طلاق أو بيع أو فسخ بيع) ففيه نزاع معروف: وجمهورهم يقولون لا ينفذ أيضا وهي مسألة معروفة. وهذا إذا كان الحاكم عالما عادلا وقد حكم في أمر دنيوي. (...). فالقاضي الذي هو من أهل الجنة إذا حكم للإنسان بما يعلم أنه غير حق، لم يحل له أخذه، لسنة رسول الله صلى الله عليه وسلم وإجماع المسلمين.
فكيف إذا حكم في الدين الذي ليس له أن يحكم فيه، بل هو فيه واحد من المسلمين: إن كان له علم تكلم، وإلا سكت! مثل أن يحكم بأن السفر إلى غير المساجد الثلاثة مشروع مستحب يثاب فاعله، وأن من قال "إنه لا يستحب" يؤذى ويعاقب أو يحبس. فهذا الحكم باطل بإجماع المسلمين! لا يحل لمن عرف دين الإسلام أن يتبعه، ولا لولي أمر أن ينفذه. ومن نفذ مثل هذا الحكم ونصره كان له حكم أمثاله إن قامت عليه الحجة التي بعث الله بها رسوله وخالفها استحقوا العقاب؛ وكذلك إن ألزم بمثل هذا جهلا وألزم الناس بما لا يعلم فإنه مستحق للعقاب؛ فإن كان مجتهدا مخطئا عفي عنه"
(MF 35/376-378).

"وولي الأمر إن عرف ما جاء به الكتاب والسنة، حكم بين الناس به.
وإن لم يعرفه وأمكنه أن يعلم ما يقول هذا وما يقول هذا حتى يعرف الحق، حكم به.
وإن لم يمكنه لا هذا ولا هذا
، ترك المسلمين على ما هم عليه، كل يعبد الله على حسب اجتهاده؛ وليس له أن يلزم أحدا بقبول قول غيره وإن كان حاكما.
وإذا خرج ولاة الأمور عن هذا فقد حكموا بغير ما أنزل الله، ووقع بأسهم بينهم. قال النبي صلى الله عليه وسلم {ما حكم قوم بغير ما أنزل الله إلا وقع بأسهم بينهم}. وهذا من أعظم أسباب تغيير الدول، كما قد جرى مثل هذا مرة بعد مرة في زماننا وغير زماننا"
(MF 35/387-388).

"وقد فرض الله على ولاة أمر المسلمين اتباع الشرع الذي هو الكتاب والسنة.
وإذا تنازع بعض المسلمين في شيء من مسائل الدين ولو كان المنازع من آحاد طلبة العلم، لم يكن لولاة الأمور أن يلزموه باتباع حكم حاكم؛ بل عليهم أن يبينوا له الحق كما يبين الحق للجاهل المتعلم.
فإن تبين له الحق الذي بعث الله به رسوله وظهر، وعانده بعد هذا، استحق العقاب.
وأما من يقول: "إن الذي قلته هو قولي، أو قول طائفة من العلماء المسلمين، وقد قلته اجتهادا أو تقليدا"، فهذا باتفاق المسلمين لا تجوز عقوبته ولو كان قد أخطأ خطأ مخالفا للكتاب والسنة. ولو عوقب هذا لعوقب جميع المسلمين! فإنه ما منهم من أحد إلا وله أقوال اجتهد فيها أو قلد فيها وهو مخطئ فيها؛ فلو عاقب الله المخطئ لعاقب جميع الخلق (...). فالمفتي والجندي والعامي إذا تكلموا بالشيء بحسب اجتهادهم اجتهادا أو تقليدا قاصدين لاتباع الرسول بمبلغ علمهم لا يستحقون العقوبة بإجماع المسلمين وإن كانوا قد أخطئوا خطأ مجمعا عليه.

وإذا قالوا: "إنا قلنا الحق" واحتجوا بالأدلة الشرعية، لم يكن لأحد من الحكام أن يلزمهم بمجرد قوله ولا يحكم بأن الذي قاله هو الحق دون قولهم؛ بل يحكم بينه وبينهم: الكتاب والسنة. والحق الذي بعث الله به رسوله لا يغطى بل يظهر؛ فإن ظهر رجع الجميع إليه؛ وإن لم يظهر سكت هذا عن هذا وسكت هذا عن هذا.
كالمسائل التي تقع يتنازع فيها أهل المذاهب لا يقول أحد إنه يجب على صاحب مذهب أن يتبع مذهب غيره لكونه حاكما؛ فإن هذا ينقلب: فقد يصير الآخر حاكما فيحكم بأن قوله هو الصواب! فهذا لا يمكن أن يكون كل واحد من القولين المتضادين يلزم جميع المسلمين اتباعه! بخلاف ما جاء به الرسول صلى الله عليه وسلم فإنه من عند الله؛ حق وهدى وبيان ليس فيه خطأ قط ولا اختلاف ولا تناقض قال تعالى: {أفلا يتدبرون القرآن ولو كان من عند غير الله لوجدوا فيه اختلافا كثيرا}.

وعلى ولاة الأمر أن يمنعوهم من التظالم فإذا تعدى بعضهم على بعض منعوهم العدوان. وهم قد ألزموا بمنع ظلم أهل الذمة، وأن يكون اليهودي والنصراني في بلادهم إذا قام بالشروط المشروطة عليهم لا يلزمه أحد بترك دينه، مع العلم بأن دينه يوجب العذاب. فكيف يسوغ لولاة الأمور أن يمكنوا طوائف المسلمين من اعتداء بعضهم على بعض، وحكم بعضهم على بعض بقوله ومذهبه؟ هذا مما يوجب تغير الدول وانتقاضها. فإنه لا صلاح للعباد على مثل هذا. وهذا إذا كان الحكام قد حكموا في مسألة فيها اجتهاد ونزاع معروف.
فإذا كان القول الذي قد حكموا به لم يقل به أحد من أئمة المسلمين ولا هو مذهب أئمتهم الذين ينتسبون إليهم، ولا قاله أحد من الصحابة والتابعين، ولا فيه آية من كتاب الله وسنة رسوله صلى الله عليه وسلم بل قولهم يخالف الكتاب والسنة وإجماع الأئمة، فكيف يحل مع هذا أن يلزم علماء المسلمين باتباع هذا القول وينفذ فيه هذا الحكم المخالف للكتاب والسنة والإجماع، وأن يقال: "القول الذي دل عليه الكتاب والسنة وأقوال السلف لا يقال ولا يفتى به، بل يعاقب ويؤذى من أفتى به ومن تكلم به وغيرهم"، ويُؤذَى المسلمون في أنفسهم وأهليهم وأموالهم، لكونهم اتبعوا ما علموه من دين الإسلام، وإن كان قد خفي على غيرهم؛ وهم يَعذِرون من خفي عليه ذلك، ولا يلزمون باتباعهم ولا يعتدون عليه! فكيف يعان من لا يعرف الحق بل يحكم بالجهل والظلم، ويلزم من عرف ما عرفه من شريعة الرسول أن يترك ما علمه من شرع الرسول صلى الله عليه وسلم لأجل هذا؟ لا ريب أن هذا أمر عظيم عند الله تعالى وعند ملائكته وأنبيائه وعباده! والله لا يغفل عن مثل هذا"
(MF 35/378-381).

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C'est dans ce contexte que s'intègre le propos cité par l'objecteur :

Ibn Taymiyya veut dire qu'un 'âlim n'a pas le droit de délivrer aux gens un avis qui est complètement faux (en disant : "Oui, en effet, telle action est mashrû' / bid'a / obligatoire / pas obligatoire / autorisée / interdite / licite / illicite / etc."), et cela parce qu'un qâdhî lui a (de façon déplacée) intimé par jugement de ne diffuser aux gens que cet avis-là (qui est complètement faux et que ce 'âlim sait pertinemment être complètement faux).
Et Ibn Taymiyya dit que si le 'âlim diffuse alors aux gens cet avis qu'il sait être complètement faux (et dit : "Oui, en effet, telle action est mashrû' / bid'a / obligatoire / pas obligatoire / autorisée / interdite / licite / illicite / etc."), il prononce une parole de kufr akbar...

"ولا يجب على عالم من علماء المسلمين أن يقلد حاكما لا في قليل ولا في كثير، إذا كان قد عرف ما أمر الله به ورسوله. بل لا يجب على آحاد العامة تقليد الحاكم في شيء؛ بل له أن يستفتي من يجوز له استفتاؤه وإن لم يكن حاكما. ومتى ترك العالم ما علمه من كتاب الله وسنة رسوله، واتبع حكم الحاكم المخالف لحكم الله ورسوله، كان مرتدا كافرا" :
"Et il n'est pas obligatoire pour le 'âlim de suivre un qâdhî, ni dans une petite (chose) ni dans une grande [parmi les affaires générales de 'ilm], lorsque ce ('âlim) connaît ce que Dieu et Son Messager ont ordonné [sur le sujet]. (Il n'est même pas obligatoire aux individus de la masse de suivre le qâdhî dans quelque chose ; il leur est au contraire permis de demander l'avis à qui il leur est permis de le demander, même s'il ne s'agit pas d'un qâdhî.) Et lorsque le 'âlim délaisse ce qu'il sait du Livre d'Allah et de la Sunna de Son Messager et suit le jugement du qâdhî qui contredit la règle (édictée par) Allah et Son Messager, alors il devient murtadd kafir"
(MF 35/372-373).

Et il a écrit juste après :
"وهذا إذا كان الحاكم قد حكم في مسألة اجتهادية قد تنازع فيها الصحابة والتابعون، فحكم الحاكم بقول بعضهم، وعند بعضهم سنة لرسول الله صلى الله عليه وسلم تخالف ما حكم به، فعلى هذا أن يتبع ما علم من سنة رسول الله صلى الله عليه وسلم، ويأمر بذلك ويفتي به ويدعو إليه، ولا يقلد الحاكم. هذا كله باتفاق المسلمين"

"Ceci lorsque le qâdhî a rendu un jugement à propos d'un point au sujet duquel les Compagnons et leurs élèves ont eu des avis divergents, et que le qâdhî a donc rendu le jugement selon l'avis de l'un parmi eux, alors qu'auprès d'un autre parmi eux se trouve une sunna du Messager de Dieu qui contredit le jugement (rendu) : ce ('âlim-)là doit alors suivre ce qu'il sait de la Sunna du Messager de Dieu, l'ordonner, donner la fatwa en conséquence et y appeler, et ne pas suivre le qâdhî. Ceci à l'unanimité des musulmans"
(MF 35/373-374).

Ibn Taymiyya parle en fait de "suivre" le jugement complètement erroné rendu par un qâdhî, ou "ne pas le suivre" : dans le fait de donner fatwa aux gens. Donc le c.

Ibn Taymiyya ne parle pas là de la question de savoir si le fait de rendre un jugement qui contredit le Coran et la Sunna est acte de kufr akbar, ou pas.

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Attention :

Comme nous l'avions dit plus haut, pour que le propos de Ibn Taymiyya susmentionné ("il prononce là une parole de kufr akbar") soit avéré, il faut que l'avis en question soit vraiment complètement faux et tel que le prononcer est une parole de kufr akbar (par exemple dire aux gens : "Donner la zakât n'est pas une obligation en islam, même si on est un musulman possédant richesse"). 

Sinon, s'il y a, en soi, et dans l'esprit de ce 'âlim, la possibilité (ihtimâl) que cet avis soit correct, alors ce propos de Ibn Taymiyya ne s'applique évidemment pas : bien des points font ainsi l'objet d'interprétations différentes et d'une divergence de type sâ'ïgh. Ibn Taymiyya lui-même l'a exposé en maints autres écrits.

Je dois cependant dire que, par rapport à cela, il y a un point qui subsiste dans mon esprit eu égard à la situation de Ibn Taymiyya quand il a apparemment rédigé cet écrit et aux allusions qu'il y fait... L'autre avis, celui qui dit que le voyage est alors mashrû', n'est pas d'un niveau qui constituerait du kufr akbar ! La divergence sur cette question n'est que d'un niveau ijtihâdî (personnellement je pense même que, sur cette question, distinguer l'avis correct de l'avis erroné n'est possible qu'à un niveau zannî) !
Pourquoi, alors, Ibn Taymiyya laisse entendre que si lui-même délivrait aux gens cet avis-là, se conformant à l'ordre du qâdhî, il prononcerait une parole de kufr akbar ?

Est-ce que Ibn Taymiyya voudrait dire que le 'âlim qui est personnellement entièrement convaincu de la pertinence de l'avis qui dit qu'un tel voyage n'est pas mashrû', ce 'âlim-là ne peut pas diffuser aux gens l'autre avis comme étant la vérité, puisqu'il est convaincu qu'il est erroné ; et, s'il le fait quand même, il prononce alors une parole de kufr akbar ?

Je ne sais pas (لا أدري).

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Voici tout le passage en question :

" وليس المراد بالشرع اللازم لجميع الخلق: حكم الحاكم، ولو كان الحاكم أفضل أهل زمانه. بل حكم الحاكم العالم العادل يلزم قوما معينين تحاكموا إليه في قضية معينة، لا يلزم جميع الخلق. ولا يجب على عالم من علماء المسلمين أن يقلد حاكما لا في قليل ولا في كثير، إذا كان قد عرف ما أمر الله به ورسوله. بل لا يجب على آحاد العامة تقليد الحاكم في شيء؛ بل له أن يستفتي من يجوز له استفتاؤه وإن لم يكن حاكما.
ومتى ترك العالم ما علمه من كتاب الله وسنة رسوله، واتبع حكم الحاكم المخالف لحكم الله ورسوله،
كان مرتدا كافرا، يستحق العقوبة في الدنيا والآخرة قال تعالى: {المص} {كتاب أنزل إليك فلا يكن في صدرك حرج منه لتنذر به وذكرى للمؤمنين} {اتبعوا ما أنزل إليكم من ربكم ولا تتبعوا من دونه أولياء قليلا ما تذكرون}.
ولو ضرب وحبس وأوذي بأنواع الأذى ليدع ما علمه من شرع الله ورسوله الذي يجب اتباعه واتبع حكم غيره، كان مستحقا لعذاب الله. بل عليه أن يصبر. وإن أوذي في الله، فهذه سنة الله في الأنبياء وأتباعهم. قال الله تعالى: {الم} {أحسب الناس أن يتركوا أن يقولوا آمنا وهم لا يفتنون} {ولقد فتنا الذين من قبلهم فليعلمن الله الذين صدقوا وليعلمن الكاذبين} وقال تعالى: {ولنبلونكم حتى نعلم المجاهدين منكم والصابرين ونبلو أخباركم} وقال تعالى: {أم حسبتم أن تدخلوا الجنة ولما يأتكم مثل الذين خلوا من قبلكم مستهم البأساء والضراء وزلزلوا حتى يقول الرسول والذين آمنوا معه متى نصر الله ألا إن نصر الله قريب}.
وهذا إذا كان الحاكم قد حكم في مسألة اجتهادية قد تنازع فيها الصحابة والتابعون، فحكم الحاكم بقول بعضهم، وعند بعضهم سنة لرسول الله صلى الله عليه وسلم تخالف ما حكم به؛ فعلى هذا أن يتبع ما علم من سنة رسول الله صلى الله عليه وسلم ويأمر بذلك ويفتي به ويدعو إليه، ولا يقلد الحاكم. هذا كله باتفاق المسلمين"
(MF 35/272-274).

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D'ailleurs ces écrits de MF 35 (datant apparemment de l'an 726) sont à mettre en parallèle avec les écrits qu'il a rédigés en prison sous la forme de deux lettres, en l'an 706 (MF 3/211-247, et 3/248-278).

Il s'agit des deux lettres que Yahya Michot nomme "Lettre I" et "Lettre II" (et qu'il date toutes deux d'une période allant de shawwâl de l'an 706 à dhu-l-hijja 706 : Textes Spirituels d'Ibn Taymiyya, IX, note n° 7). Ibn Taymiyya y parle du jugement rendu à son encontre par Ibn Makhlûf, cadi des cadis malikite du Caire, et suite auquel il a été emprisonné.

Ayant été soupçonné de professer et de diffuser des croyances anthropomorphistes, Ibn Taymiyya est, en rajab de l'an 705, convoqué, sur ordre du sultan (roi) mamelouk, devant des juges et des muftis, pour s'expliquer quant à ses croyances. A la faveur des trois assemblées ainsi tenues, il est d'abord blanchi du soupçon qui pesait sur lui. Cependant, de nouveau, en ramadan 705 (avril 1306), il est sommé sur ordre du sultan de se rendre au Caire, capitale du sultanat mamelouk. Là, Ibn Makhlûf, "juge des juges" malikite, l'accuse d'affirmer que Dieu est réellement Etabli sur Son Trône et qu'Il parle par une Voix.
Ibn Taymiyya raconte lui-même :
"Je lui dis : "Toi seul rendras le jugement, ou toi et ceux-là ?". Il dit : "Moi seul". Je lui dis alors : "Tu es mon adversaire, comment pourrais-tu rendre un jugement contre moi ?" Il dit alors : "De la sorte !", il éleva la voix et se tourna vers le coin et dit : "Lève-toi ! Lève-toi !" On me fit alors me lever, et ils ordonnèrent que je sois emprisonné. Ensuite moi et mes frères dîmes plus d'une fois : "Je reviens et réponds, même si c'est toi seul qui juge". Ceci ne fut pas accepté de moi. Alors lorsqu'ils m'emmenèrent à la prison, il rendit le jugement qu'il rendit, affirma ce qu'il affirma et ordonna que soit écrit dans l'édit sultanien ce qu'il ordonna.
Est-ce que quelqu'un parmi les juifs ou les chrétiens – laisse de côté les musulmans – dirait : "Celui-ci a été emprisonné en conformité avec la Loi", n'en parlons plus qu'il dise : "avec la Loi de Muhammad ibn Abdillâh" ? Et cela relève de ce que les petits enfants connaissant nécessairement comme étant contraire à la Loi de Muhammad ibn Abdillâh.
Et ce juge et les siens disent sans cesse : "Nous avons fait ce que nous avons fait en conformité avec la Loi de Muhammad ibn Abdillâh !" Alors que ce jugement est contraire à la Loi de Dieu sur laquelle les musulmans sont unanimes, par plus de 20 aspects ! (...) Dès lors, est-ce que quelqu'un qui croit en Dieu et au jour dernier dirait : "Le Messager de Dieu a ordonné cela" ? Pour quelle faute mes frères en religion d'islam ont-ils été emprisonnés ? Rien d'autre que le mensonge et la calomnie. Et celui qui dit : "Cela a été fait en conformité avec la Loi [du Prophète Muhammad], celui-là a [dit propos de] kufr à l'unanimité des musulmans"
: "وقلت له أنت وحدك تحكم أو أنت وهؤلاء. فقال: بل أنا وحدي فقلت له: أنت خصمي، فكيف تحكم علي؟ فقال: كذا ومد صوته وانزوى إلى الزاوية. وقال: قم، قم. فأقاموني وأمروا بي إلى الحبس ثم جعلت أقول: أنا وإخوتي غير مرة: أنا أرجع وأجيب وإن كنت أنت الحاكم وحدك. فلم يقبل ذلك مني. فلما ذهبوا بي إلى الحبس حكم بما حكم به وأثبت ما أثبت وأمر في الكتاب السلطاني بما أمر به. فهل يقول أحد من اليهود أو النصارى - دع المسلمين - "إن هذا حبس بالشرع"، فضلا عن أن يقال: "شرع محمد بن عبد الله"؟ وهذا مما يعلم الصبيان الصغار بالاضطرار من دين الإسلام أنه مخالف لشرع محمد بن عبد الله. وهذا الحاكم هو وذووه دائما يقولون: "فعلنا ما فعلنا بشرع محمد بن عبد الله"، وهذا الحكم مخالف لشرع الله - الذي أجمع المسلمون عليه - من أكثر من عشرين وجها. (...). فهل يقول من يؤمن بالله واليوم الآخر: "إن رسول الله صلى الله عليه وسلم أمر بهذا"؟ وبأي ذنب حبس إخوتي في دين الإسلام غير الكذب والبهتان! ومن قال: "إن ذلك فعل بالشرع" فقد كفر بإجماع المسلمين"" (MF 3/253-254).
Ailleurs, sur le même sujet il a écrit ceci : "Et celui qui insiste sur le fait de dire que le jugement que Ibn Makhlûf a rendu, cela est le jugement de la Loi de Muhammad, celui-là est, après qiyâm ul-hujja, kâfir" : "وهذه المرجع فيها إلى من كان من أهل العلم بها والتقوى لله فيها، وإن كان السلطان والحاكم من أهل ذلك، تكلم فيها من هذه الجهة؛ وإذ عزل الحاكم لم ينعزل ما يستحقه من ذلك كالإفتاء ونحوه؛ ولم يقيد الكلام في ذلك بالولاية. وإن كان السلطان والحاكم ليس من أهل العلم بذلك ولا التقوى فيه، لم يحل له الكلام فيه فضلا عن أن يكون حاكما. وابن مخلوف ليس من أهل العلم بذلك ولا التقوى فيه. قلت: فأما القاضي بدر الدين فحاشا لله! ذاك فيه من الفضيلة والديانة ما يمنعه أن يدخل في هذا الحكم المخالف لإجماع المسلمين من بضعة وعشرين وجها. قلت: ومن أصر على أن هذا الحكم الذي حكم به ابن مخلوف هو حكم شرع محمد، فهو بعد قيام الحجة عليه: كافر. فإن صبيان المسلمين يعلمون بالاضطرار من دين الإسلام أن هذا الحكم لا يرضى به اليهود ولا النصارى، فضلا عن المسلمين. وذكرت له بعض الوجوه الذي يعلم بها فساد هذا الحكم، وهي مكتوبة مع "الشرف محمد" (MF 3/235-236).

Dans la "Lettre II", Ibn Taymiyya écrit à propos du comportement de "plusieurs personnes qui se trouvent en Egypte" que lorsqu'un juge ne dispose plus du statut élevé qui était le sien auparavant, et que parmi ceux qui disposent d'un tel statut, il y en ait qui ait un intérêt à annuler ses jugements, "cela relève des choses les plus faciles pour lui : soit on le déclare apostat – et les jugements (rendus par) l'apostat ne sont pas applicables –, vu que gens particuliers et gens de la masse savent que ce (juge) a déclaré (telle) affaire comme étant : "la Shar' de Muhammad ibn 'Abdillâh".والإنسان متى حلل الحرام المجمع عليه، أو حرم الحلال المجمع عليه، أو بدل"  الشرع المجمع عليه، كان كافرا مرتدا باتفاق الفقهاء، وفي مثل هذا نزل قول الله تعالى: وَمَنْ لَمْ يَحْكُمْ بِمَا أَنْزَلَ اللَّهُ فَأُولَئِكَ هُمُ الْكَافِرُونَ أي: هو المستحِلُّ للحكم بغير ما أنزل الله" : Or lorsque l'être humain déclare licite ce qui à l'unanimité est illicite, ou déclare illicite ce qui à l'unanimité est licite, ou change la loi qui fait unanimité, il devint kâfir murtadd à l'unanimité des juristes. C'est à propos de pareil cas qu'a été – selon un des deux avis – révélé Son Propos : "Et celui qui ne juge pas selon ce que Dieu a révélé, voilà les kâfirûn". C'est-à-dire : il s'agit de celui qui déclare licite ("al-mustahill") de juger par autre chose que ce que Dieu a révélé.
Le terme "shar'" est utilisé dans l'usage des hommes selon trois sens.
I
l y a la shar' munazzal : il s'agit de ce que le Messager a apporté : ceci, il est nécessaire de le suivre, et celui qui le contredit, il est nécessaire de le sanctionner.
Le second est la shar' mu'awwal : il s'agit des avis des ulémas mujtahidîn à propos de la [shar'] ; par exemple l'école de Mâlik, et semblable. Ceci, il est autorisé de le suivre, ce n'est ni obligatoire ni interdit. Personne ne peut l'imposer à l'ensemble des gens, ni l'interdire à l'ensemble des gens.
Et le troisième est la shar' mubaddal : il s'agit de ce qui est mensongèrement (attribué) à Dieu et Son Messager, ou aux gens par des faux témoignages, ou chose semblable, ou injustice évidente.
Celui qui dit donc : "Cela relève de la Shar' de Dieu", celui-là est devenu kâfir sans divergence aucune. Tout comme celui qui dit : "Le sang et la bête morte (mayta) sont licites", même s'il dit (aussi) : "Cela est mon école", ou chose semblable.
Si le jugement qu'avait rendu Ibn Makhlûf était donc (conforme) à l'école de Mâlik ou de al-Ash'arî, à l'unanimité de la Oumma il ne pourrait pas l'imposer à la totalité des gens et punir ceux qui ne sont pas d'accord avec lui sur le sujet. Que dire lorsque la parole qu'il a dite et a imposée est contraire au propos explicite de Mâlik, des imams parmi ses élèves, contraire au propos explicite de al-Ash'arî et des imams parmi ses élèves, comme le qâdhî Abû Bakr [ibn ul-Bâqillânî], Abu-l-Hassan at-Tabarî, Abû Bakr ibn Fûrak, Abu-l-Qâssim al-Qushayrî et Abû Bakr al-Bayhaqî ?"
(MF 3/267-269).

Voyez : Ibn Taymiyya n'a pas écrit que le fait même que Ibn Makhlûf ait rendu un jugement qui contredit ce que disent le Coran et la Sunna (jugement rendu à propos d'une affaire générale du 'ilm ; interdiction faite par jugement de diffuser l'avis qui est pourtant le seul avis correct ; le fait que le juge soit aussi partie adverse ; le fait que celui qui comparaît ne puisse même pas se défendre, etc.), le fait qu'il ait rendu un tel jugement est acte de kufr akbar. Ibn Taymiyya n'a pas écrit cela.
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Il a écrit que le fait de dire de ce jugement rendu par Ibn Makhlûf (jugement étant de façon très évidente inique) qu'il est conforme à la Shar' de Muhammad, le fait de dire cela est parole de kufr akbar.

Nuance !

Il a écrit aussi que le fait de dire d'une chose unaniment illicite (comme le sang et la bête morte sans avoir été abattue selon le rite) qu'elle est licite, c'est aussi une parole de kufr akbar.
Normal, ceci relève d'une iftâ / tashrî' (E).

Le passage de Ibn Taymiyya cité par l'objecteur concerne donc le cas c : Ibn Taymiyya a voulu ici parler du 'âlim qui sait quelle est la règle de la Loi de Dieu et de Son Messager à propos d'un point donné et sait que le jugement contredit cette règle, mais qui délaisse cette dernière et :
--- soit donne fatwa aux gens selon un avis qu'il sait être faux (et dont il est flagrant qu'il contredit la Loi de Dieu et de Son Messager), et ce parce qu'un juge l'a intimé de ne plus délivrer que cet avis aux gens ;
--- soit dit aux gens à propos du jugement complètement faux d'un juge : "Ce jugement est conforme à la Loi de Dieu et de Son Messager".
Qui douterait que ce sont là deux paroles de kufr akbar ?

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Par rapport à un jugement complètement erroné ayant été rendu par un qâdhî, constituent donc des paroles de kufr akbar :

le fait de dire qu'il est licite de rendre un jugement qui contredit la Loi de Dieu ("ومن لم يحكم بما أنزل الله فأولئك هم الكافرون} أي هو المستحل للحكم بغير ما أنزل الله" : MF 3/268) ;

le fait de dire d'un jugement qui contredit de façon flagrante la Loi de Dieu
(c'est-à-dire qu'il le contredit à l'unanimité des musulmans, et de façon évidente pour tous, dharûratan) qu'il est "conforme à la Loi de Dieu" ("وهذا الحكم مخالف لشرع الله - الذي أجمع المسلمون عليه - من أكثر من عشرين وجها. ثم النصارى في حبس حسن، يشركون فيه بالله ويتخذون فيه الكنائس. فيا ليت حبسنا كان من جنس حبس النصارى! ويا ليتنا سوينا بالمشركين وعباد الأوثان! بل لأولئك الكرامة ولنا الهوان. فهل يقول من يؤمن بالله واليوم الآخر: "إن رسول الله صلى الله عليه وسلم أمر بهذا"؟ وبأي ذنب حبس إخوتي في دين الإسلام غير الكذب والبهتان؟ ومن قال: "إن ذلك فعل بالشرع" فقد كفر بإجماع المسلمين" : MF 3/254). Cela revient à dire de ce dont il est connu que cela n'est pas conforme à la Loi de Dieu : que cela est conforme à la Loi de Dieu (
"ghayr kukm-é shar'î kô qasdan hukm-é shar'î batlâ kar us ké muwâfiq hukm karé" : Bayân ul-qur'ân 3/35) ;

le fait de dire d'une règle connue comme faisant partie de la Loi de Dieu qu'elle n'en fait pas partie
(
"inkâru kawn ish-shar' shar'an, wa law bi-l-lissân : kufr" : Bayân ul-qur'ân 3/34, note de bas de page). Réfuter le caractère obligatoire de ce qui est nécessairement connu comme ayant été déclaré obligatoire par Dieu, ou réfuter le caractère illicite de ce qui est nécessairement connu comme ayant été déclaré illicite par Dieu, cela relève du même cas de figure (dire par exemple que l'accomplissement des cinq prières quotidiennes n'est pas obligatoire, que la consommation du vin est licite, etc.). C'est ce point qui est concerné par les propos de an-Nawawî et de Ibn Abi-l-'Izz déjà cités plus haut.

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Un Cinquième point reste à élucider :

Lorsque Ibn Taymiyya a dit que le 'âlim qui subit pareil faux jugement visant à l'obliger à diffuser aux gens une fausse croyance ne doit pas obéir, il a écrit ceci : "ومتى ترك العالم ما علمه من كتاب الله وسنة رسوله، واتبع حكم الحاكم المخالف لحكم الله ورسوله، كان مرتدا كافرا، يستحق العقوبة في الدنيا والآخرة قال تعالى: {المص} {كتاب أنزل إليك فلا يكن في صدرك حرج منه لتنذر به وذكرى للمؤمنين} {اتبعوا ما أنزل إليكم من ربكم ولا تتبعوا من دونه أولياء قليلا ما تذكرون}. ولو ضرب وحبس وأوذي بأنواع الأذى ليدع ما علمه من شرع الله ورسوله الذي يجب اتباعه واتبع حكم غيره كان مستحقا لعذاب الله. بل عليه أن يصبر" : "S'il est battu et est emprisonné et qu'on lui fait subir différents types de torts afin de lui faire délaisser ce qu'il sait de la Loi d'Allah et de Son Messager qu'il est obligatoire de suivre –, [et qu'il délaisse alors cette Loi] et suit le hukm d'un autre que Dieu, il s'expose à la punition de Dieu (dans l'au-delà). Il doit au contraire faire preuve de patience (…)." (MF 35/373).

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La question qui se pose ici est :

Certes, pour un 'âlim se trouvant dans ce cas, le mieux ('azîma / afdhal) serait bien sûr qu'il ne cède pas et demeure stoïque, refusant de prononcer la parole de kufr qu'on lui demande.
Mais ce 'âlim n'aurait-il même pas l'autorisation (rukhsa / jâ'ïz) de prononcer le propos de kufr qu'on lui demande, vu qu'il se trouve dans une situation de contrainte avérée (ik'râh) ?
Pourquoi Ibn Taymiyya dit-il donc que même, sous les coups, l'emprisonnement et d'autres torts, ce 'âlim n'a pas le droit de donner la fatwa conformément au mauvais jugement du juge, sinon il s'expose à la punition de Dieu (dans l'au-delà) ?

A) Une première tentative d'explication :

On note qu'Ibn Taymiyya a évoqué "les coups", "l'emprisonnement" et "différents types de torts", mais n'a pas parlé d'une menace de mort. Imaginons l'hypothèse selon laquelle Ibn Taymiyya serait d'avis que, dans le cas d'une menace de mort, il deviendrait (l'emploi du conditionnel s'impose) autorisé au 'âlim de céder à la contrainte exercée par l'autorité.
Ceci parce que, certes, selon certains ulémas, des coups ou un emprisonnement constituent un cas de contrainte autorisant à prononcer du bout des lèvres – sans l'assentiment du cœur – une parole de kufr pour en échapper (ensuite, d'après la majorité des juristes (fuqahâ'), ce qui constitue un cas de contrainte est aussi valable s'il y a menace sérieuse ("wa'îd bi muf'radihî") de son application). (Cliquez ici pour en savoir plus.)
Mais d'autres ulémas – dont Ibn Taymiyya – sont d'avis que la contrainte est prise en considération selon évaluation d'une part de la gravité de la menace et d'autre part de la gravité de ce à quoi on contraint la personne.
Dès lors, si un moyen de contrainte donné est pris en considération par rapport à la prononciation de la formule de divorce, cela n'implique pas que ce même moyen soit suffisant pour autoriser la prononciation d'une parole de kufr akbar ; pour la nullité de la prononciation de la formule du divorce, est pris en considération un moyen de contrainte plus faible que pour l'autorisation de la prononciation d'une parole de kufr akbar : là seul un moyen de contrainte beaucoup plus élevé sera pris en considération ; entre les deux, il existe d'autres niveaux de contrainte qui rendront autorisés de commettre – sans l'assentiment du cœur – un acte plus grave qu'un divorce mais moins grave que la prononciation d'une propos de kufr.
Ibn Taymiyya écrit :
"وقال أبو العباس: تأملت المذهب فوجدت الإكراه يختلف باختلاف المكره عليه؛ فليس الإكراه المعتبر في كلمة الكفر كالإكراه المعتبر في الهبة ونحوها. فإن أحمد قد نص في غير موضع على أن الإكراه على الكفر لا يكون إلا بتعذيب من ضرب أو قيد؛ ولا يكون الكلام إكراها.
وقد نص على أن المرأة لو وهبت زوجها صداقها أو مسكنها فلها أن ترجع بناء على أنها لا تهب له إلا إذا خافت أن يطلقها أو يسيء عشرتها فجعل خوف الطلاق أو سوء العشرة إكراها في الهبة. ولفظه في موضع آخر: لأنه أكرهها. ومثل هذا لا يكون إكراها على الكفر؛ فإن الأسير إذا خشي من الكفار أن لا يزوجوه وأن يحولوا بينه وبين امرأته لم يبح له التكلم بكلمة الكفر"
:
"J'ai réfléchi à (ce qui se trouve mentionné dans) l'école [hanbalite], et j'ai trouvé que la (reconnaissance d'un cas de) contrainte varie selon la nature de ce par quoi la contrainte est exercée : le [degré de] contrainte qui est pris en compte pour (l'autorisation de prononcer) une parole de kufr n'est pas le même que celui qui est pris en compte pour (qu')un don etc. [puisse être annulé pour cause de conclusion sous la contrainte]."
Plus loin : "Il [= Ahmad ibn Hanbal] a stipulé que si l'épouse donne à son époux son douaire ou son logis, elle a ensuite le droit de le récupérer, car elle ne lui donne pareille chose que lorsqu'elle craint qu'il divorce d'elle ou agisse en mal avec elle ; il [= Ahmad ibn Hanbal] a donc considéré la crainte d'être divorcée ou de subir un comportement désagréable comme un cas de contrainte à propos du don. Les termes qu'il a utilisés dans un autre endroit de la réponse sont : "car il l'a contrainte". Pareille chose ne constitue pas un cas de contrainte (autorisant de prononcer) une parole de kufr" (Al-Fatâwâ al-kubrâ, tome 4 pp. 568-569).

Ceci expliquerait donc ce que Ibn Taymiyya a écrit ici… Pour lui, des coups ou un emprisonnement ne constitueraient pas un cas de contrainte suffisante pour que le 'âlim rende la fatwa selon le mauvais jugement du juge ; par contre, une menace de mort autoriserait le 'âlim à le faire…

Cette explication est tentante.

Le problème c'est que, dans ce même passage de Al-Fatâwâ al-kub'râ, certes, Ibn Taymiyya a écrit que : "ولا يكون الكلام إكراها" : "la parole [insultante] n'est pas un cas de contrainte [suffisant pour autoriser la prononciation d'une parole de kufr]", mais il a aussi écrit que : "فإن أحمد قد نص في غير موضع على أن الإكراه على الكفر لا يكون إلا بتعذيب من ضرب أو قيد" : "Ahmad (ibn Hanbal) a stipulé en plus d'un endroit que la contrainte qui est prise en compte pour (autoriser la prononciation d') une parole de kufr ne se constitue que d'un châtiment – des coups ("dharb") ou le fait d'être entravé ("qayd")". Voyez : des coups ou un emprisonnement constituent bien des cas de contrainte autorisant de prononcer une parole de kufr akbar.

Cependant, à cela on pourrait avancer les deux tentatives de réponses suivantes…

A.a) Peut-être que Ibn Taymiyya a changé d'avis entre le moment où il a écrit ce passage de Al-Fatâwâ al-kub'râ, et celui où il a rédigé le passage présent dans le tome 35 de Majmû' ul-fatâwâ et que nous citons ici :
--- si c'est l'écrit de Majmû' ul-fatâwâ qu'il a écrit en second lieu, celui-ci "annulerait" le contenu de l'écrit de Al-Fatâwâ al-kub'râ, et Ibn Taymiyya serait donc désormais d'avis que des coups ou un emprisonnement ne sont pas suffisants pour autoriser de prononcer une parole de kufr ;
--- à l'inverse, si c'est l'écrit de Al-Fatâwâ al-kub'râ qu'il a écrit en dernier, Ibn Taymiyya serait donc désormais d'avis que des coups ou un emprisonnement sont suffisants pour autoriser de prononcer une parole de kufr, et c'est le contenu de l'écrit de Majmû' ul-fatâwâ 35/372-373 qui est annulé.

A.b) Ou peut-être que Ibn Taymiyya aurait, sur ce point, adopté un autre avis que celui de Ahmad ibn Hanbal.
Comme il l'a relaté dans le passage suscité de Al-Fatâwâ al-kub'râ, Ahmad ibn Hanbal "a stipulé en plus d'un endroit que la contrainte qui est prise en compte pour (autoriser la prononciation d') une parole de kufr ne se constitue que d'un châtiment – des coups ("dharb") ou le fait d'être entravé ("qayd")".
En revanche, un avis attribué à des ulémas malikites est que prononcer une parole de kufr ne devient autorisé qu'en cas de menace de mort, et rien d'autre (des menaces d'emprisonnement, de coups ou même d'amputation d'un membre n'étant pas suffisants) (Al-Fiqh ul-islâmî, p. 4439).
Peut-être que, partageant cet avis mâlikite – s'il est avéré –, Ibn Taymiyya se serait contenté, dans le passage présent en Al-Fatâwâ al-kub'râ, de relater l'avis de Ahmad ibn Hanbal. Tandis que, dans le passage du tome 35 de Majmû' ul-fatâwâ, il aurait écrit l'avis qu'il a adopté (et qui est différent de celui de Ahmad ibn Hanbal), selon lequel le 'âlim ne peut céder qu'en cas de menace de mort, mais pas de coups ou d'emprisonnement, comme toute personne menacée de la sorte et de qui on exige qu'elle prononce n'importe quelle parole de kufr.

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B) Une autre tentative d'explication :

Soit Ibn Taymiyya n'a ni changé d'avis entre le moment où il a écrit le passage suscité présent dans Al-Fatâwâ al-kub'râ et celui où il a écrit le texte présent dans le tome 35 de Majmû' ul-fatâwâ, ni adopté un autre avis que celui de Ahmad ibn Hanbal en la matière.
Il fait simplement une distinction entre les différentes circonstances dans lesquelles le musulman peut se trouver quand il subit une contrainte (reconnue comme telle) destinée à le faire prononcer un propos de kufr.

Dans certaines circonstances, une contrainte par des coups ou un emprisonnement autoriserait la prononciation d'une parole de kufr (comme l'a dit Ahmad ibn Hanbal et que Ibn Taymiyya a relaté de lui dans le texte présent dans Al-Fatâwâ al-kub'râ), tandis que dans d'autres circonstances, le même type de contrainte (par des coups ou un emprisonnement) n'autoriserait pas la prononciation d'une telle parole.

Cette distinction peut paraître étrange, et pourtant c'est ce qu'a dit Ahmad ibn Hanbal :
"وروى الأثرم عن أبي عبد الله أنه سئل عن الرجل يؤسر فيعرض على الكفر ويكره عليه، أله أن يرتد؟ فكرهه كراهة شديدة، وقال: "ما يشبه هذا عندي الذين أنزلت فيهم الآية من أصحاب النبي صلى الله عليه وسلم: أولئك كانوا يرادون على الكلمة ثم يتركون يعملون ما شاءوا؛ وهؤلاء يريدونهم على الإقامة على الكفر، وترك دينهم".
وذلك لأن الذي يكره على كلمة يقولها ثم يخلى، لا ضرر فيها؛ وهذا المقيم بينهم، يلتزم بإجابتهم إلى الكفر: المقام عليه واستحلال المحرمات، وترك الفرائض والواجبات، وفعل المحظورات والمنكرات، وإن كان امرأة تزوجوها واستولدوها أولادا كفارا؛ وكذلك الرجل؛ وظاهر حالهم المصير إلى الكفر الحقيقي، والانسلاخ من الدين الحنيفي"

Al-Athram rapporte de Ahmad qu'il a été questionné "au sujet de l'homme qui est fait prisonnier [par l'ennemi non-musulman] et à qui on demande, sous la contrainte, de devenir kâfir : a-t-il le droit d'apostasier ? Ahmad détesta cela fortement et dit : "D'après moi, ce cas ne ressemble pas à celui des Compagnons du Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, à propos de qui a été descendu le verset [autorisant de prononcer une parole de kufr sans l'assentiment du cœur]. Eux, on leur demandait de prononcer la parole puis on les laissait faire ce qu'ils voulaient. [Par contre] ces gens-ci veulent de [ceux qui sont semblables au cas mentionné dans la question] qu'ils demeurent sur le kufr et quittent leur religion".
[Le texte qui suit est, d'après mon humble compréhension, le commentaire que Ibn Qudâma fait de ce propos de Ahmad ibn Hanbal…] "Cela parce que celui qui est contraint à prononcer une parole puis est relâché, il n'y a pas de tort [à prononcer] cette parole. [Par contre] celui qui demeure [en tant que prisonnier] parmi eux [l'ennemi non-musulman] s'engage, en répondant à leur demande concernant le kufr, à demeurer dans ce (kufr), à considérer licite ce qui est illicite, à délaisser les obligations et à faire les interdits. S'il s'agit d'une femme, il [l'ennemi non-musulman] pourra l'épouser, et lui fera des enfants qui seront kâfirs. Il en est de même de l'homme. Apparemment leur situation sera de devenir dans le kufr réel et de se défaire de la religion islamique" (Al-Mughnî 12/147-148).

Certes, ce propos de Ahmad ibn Hanbal concerne le fait de prononcer une parole de conversion à une autre religion que l'islam. Il ne concerne pas le fait, pour le musulman qui subit la contrainte, de seulement prononcer une parole de kufr dans la mesure où elle contredit la Shar'.
Cependant, on voit que Ahmad ibn Hanbal a fait une distinction entre la situation des Compagnons, que les Polythéistes de la Mecque contraignaient à prononcer une parole de shirk et de kufr puis les laissaient tranquilles, et le musulman fait prisonnier et emmené par l'ennemi non-musulman, et que ce dernier ne se suffisait pas de contraindre à prononcer une parole de kufr mais contraignait à devenir comme lui et à demeurer parmi lui.

Dès lors, est-ce que Ibn Taymiyya serait d'avis que lorsqu'un 'âlim subit la contrainte – par emprisonnement ou coups – pour qu'il présente comme étant conforme au Coran et à la Sunna un avis qui ne l'est absolument pas – ce qui constitue une parole de kufr, nous l'avons vu plus haut –, il est moralement très mauvais ("mak'rûh bi karâha shadîda") qu'il cède, car cela entraînera des suites qui n'en finiront pas : il sera probablement ensuite "mis à contribution" systématique pour apporter une légitimation islamique à d'autres avis ou actions de même nature ?
Est-ce que, selon Ibn Taymiyya, à cette personne, il serait interdit moralement ("mak'rûh bi karâha shadîda") de céder à ce type de contrainte, de la même façon que, comme l'a dit Ahmad ibn Hanbal, cela l'est ("mak'rûh bi karâha shadîda") à la personne qui est prisonnière d'un ennemi non-musulman qui ne le relâchera pas après lui avoir fait prononcer une parole mais le gardera parmi lui comme étant un membre de sa communauté religieuse ?
A la différence de la personne dont le tyran veut qu'elle prononce en public une parole de kufr mais qu'il relâchera et dont il se détournera si elle le prononce : à elle il est autorisé (rukhsa) de prononcer pareille parole...

Je ne suis certain de rien à propos de ce Cinquième point. Prière aux frères et sœurs compétents de me faire part de leurs connaissances sur le sujet.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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