L'insémination artificielle est-elle permise ?

Question :

L'islam autorise-t-il le recours aux techniques modernes d'assistance médicale à la procréation ? Un couple musulman peut-il, en cas d'infertilité, avoir recours à l'insémination artificielle ?

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Réponse :

Plusieurs techniques existent, et il nous faut dire un mot sur elles avant de pouvoir répondre à votre question.

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A) Procréation naturelle, et assistance médicale lors de cas d'infertilité :

Il faut tout d'abord rappeler qu'à l'origine d'un bébé se trouve la fécondation, c'est-à-dire la fusion d'un spermatozoïde (cellule sexuelle masculine) avec un ovule (cellule sexuelle féminine). La fécondation naturelle à lieu dans la trompe (qui se trouve dans le corps de la femme). C'est au moment de l'ovulation que l'ovule est émis par un des deux ovaires de la femme ; il passe ensuite dans la trompe située du même côté que l'ovaire. Quant aux spermatozoïdes, ils sont introduits par le biais d'un rapport sexuel puis sont conduits jusqu'aux trompes grâce à l'action de la glaire cervicale. Un seul spermatozoïde parvient à féconder l'ovule. L'embryon est né. Une fois fixé à la paroi de l'utérus, il devient un fœtus qui va se développer au cours des neuf mois de la grossesse avant de naître.
Les Assistances Médicales à la Procréation (AMP) entendent pallier à certains problèmes d'infertilité : manque de mobilité des spermatozoïdes, absence de glaire cervicale, etc. Les AMP consistent à reproduire en laboratoire la fécondation et les premières phases du développement embryonnaire.

Trois techniques principales sont proposées aujourd'hui :
1) L'Insémination Artificielle (IA) : cela se passe in vivo et consiste à introduire, à l'aide d'un instrument, des spermatozoïdes dans la cavité utérine le jour de l'ovulation. On procède, auparavant, à une "préparation" des spermatozoïdes et à une stimulation des ovaires (pour maîtriser et améliorer l'ovulation).
2) La Fécondation In Vitro (FIV) : cela se passe in vitro et consiste à mettre en contact, dans une boîte de culture, les spermatozoïdes et les ovules. Au bout de 48 heures, des embryons peuvent être obtenus, et ils sont alors replacés dans l'utérus (c'est le transfert), où ils pourront effectuer leur nidation.
3) L'Injection intra-cytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI) : cette technique tente de remédier aux cas où les spermatozoïdes ne peuvent pas féconder spontanément l'ovule ; cela se passe in vitro et consiste à injecter directement un spermatozoïde dans l'ovule. Le transfert des embryons obtenus est ensuite identique à celui d'une FIV.
Dans les techniques 2) et 3), quand, après la fécondation en laboratoire, on transfère l'embryon obtenu dans l'utérus de la patiente, il arrive que la nidification de cet embryon échoue. Pour augmenter les chances de réussite, on a donc recours à deux choses :
– lorsqu'on procède à la fécondation, on multiplie le nombre d'embryons issus des gamètes de ce couple ;
– on a tendance à implanter plusieurs de ces embryons dans l'utérus de la patiente (de 1 à 4). Or, certes les chances de réussite de la nidification augmentent avec le nombre d'embryons transférés, mais les risques de grossesses multiples augmentent également parallèlement. Et il peut arriver que trois embryons ayant réussi leur nidification, on soit obligé d'en supprimer un (réduction embryonnaire).

Les techniques de l'AMP peuvent être mises en pratique selon deux formules :
a)
avec un don de cellules (c'est ce que désigne la lettre "D" après "IA" dans "IAD" : "insémination artificielle avec sperme d'un donneur") ;
b) avec les cellules des deux conjoints exclusivement (c'est ce que désigne la lettre "C" après "IA" dans "IAC" : "insémination artificielle avec sperme du conjoint").

Quand vous avez compris ceci, voici ce que nous pourrons dire…

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B) Le recours à l'une des techniques de l'AMP avec don :

Il arrive que la stérilité du couple soit due au fait que l'homme ne puisse pas produire du tout de spermatozoïdes, ou que la femme ne puisse pas du tout produire d'ovules. La médecine propose alors le recours au don de ces cellules (par exemple que l'ovule de la femme soit fécondé avec le sperme d'un donneur anonyme, puis que l'embryon produit soit implanté dans l'utérus de la femme ; c'est le don de sperme). L'éthique musulmane ne permet pas le recours aux techniques de procréation médicalement assistée avec des cellules autres que celles des conjoints eux-mêmes. Il n'y a donc pas possibilité d'avoir recours au don de sperme, ni à celui d'ovules, ni à celui d'embryons ; ni dans le cas où le donneur est anonyme, ni dans le cas où le donneur est connu. En effet, l'islam met l'emphase sur la protection de la filiation ("an-nassab"). C'est pourquoi il a institué le délai que doit attendre la femme divorcée avant de pouvoir se remarier : trois périodes menstruelles si la femme n'est pas enceinte et est réglée, l'accouchement si la femme est enceinte au moment du divorce : l'objectif (qasd) est d'éviter les situations de flou quant à la filiation. On ne peut pas déroger à ce principe.

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C) Le recours à l'une des techniques de l'AMP avec les cellules des deux conjoints exclusivement :

Il arrive que la stérilité du couple soit due seulement à des causes mécaniques : défaut de mobilité des spermatozoïdes, anomalie de la sécrétion de la glaire cervicale chez la femme, obturation ou altération des trompes, etc. Est-il alors possible, pour pallier à ces difficultés mécaniques, d'avoir recours aux techniques de l'AMP avec les gamètes des deux conjoints exclusivement ?

En soi cela n'est pas interdit. Cependant, cinq objections sont parfois faites au sujet du recours à ces techniques qui pourraient laisser à penser qu'on ne peut pas y avoir recours. Mais des réponses ont été données par des juristes musulmans. Nous allons ci-après citer chacune de ces objections et la réponse qui y a été apportée.

"La fécondation ne se passe alors pas de la façon "naturelle"". Cela n'est cependant pas suffisant pour rendre un acte interdit. En effet, il s'agit du recours à une intervention entendant pallier des déficiences de l'organisme, ce qui ramène au principe de l'opération chirurgicale et de l'accouchement par césarienne. Ce qui compte c'est qu'aucun principe des sources ne soit transgressé.

"Le prélèvement du sperme du mari se fait par la masturbation ; or celle-ci est interdite". La règle concernant sa propre masturbation est en effet l'interdiction, et il faudra donc autant que possible avoir recours à une autre méthode : ce pourrait par exemple être l'épouse qui masturberait son mari. Si cela n'est pas possible (à cause de la configuration des lieux ou de la présence d'autres personnes, ou autre), on aura recours au prélèvement, effectué par le médecin, directement des testicules. Si cela non plus n'est pas possible, alors Khâlid Saïfullâh écrit que le mari lui-même pourra exceptionnellement recours à la masturbation, puisque cela est alors fait par nécessité ("hâja") (comme nous allons le voir dans le point suivant) (Islâm aur jadîd medical massâ'ïl, pp. 155-156).

"Dans certains cas (prélèvement à partir des testicules), le mari, et, dans tous les cas, la femme devront dévoiler leur nudité ('awra) au regard du médecin ; or cela est interdit". Il est en effet interdit de dévoiler une partie de son corps devant une personne par rapport à qui cette partie constitue une part de la 'awra. Les principes du droit musulman permettent cependant de dévoiler la partie strictement nécessaire pour une cause nécessaire, comme lors d'une opération chirurgicale nécessaire pour la santé du patient, etc. La question qui se pose ici est : le fait d'avoir un enfant constitue-t-il une cause de nécessité, de sorte que le patient puisse pour cette cause, déroger à la règle concernant la nudité ? Khâlid Saïfullâh pense que si cela n'atteint pas le degré de nécessité absolue ("dharûra"), cela atteint dans certains cas chez certaines femmes le degré de nécessité ("hâja"), quand le désir de maternité est très fort. Or, souligne Khâlid Saïfullâh, des textes de la jurisprudence musulmane (des siècles passés) ont permis le recours à des techniques de traitement qui comportent le fait de dévoiler une partie de sa nudité devant le médecin pour des raisons qui ne dépassent, elles non plus, pas le degré de "hâja". Si la stérilité est telle qu'on peut pallier aux causes qui la provoquent par une l'AMP, alors ce sera d'après Saïfullâh, un recours à la dérogation à la règle pour une nécessité reconnue comme telle ("istislâh") (Islâm aur jadîd medical massâ'ïl, pp. 156-160).
Autant que possible on aura cependant recours au dévoilement le moins grave ("akhaff") : si une femme médecin pratique l'AMP, la femme qui a recours à l'AMP aura recours aux services de cette médecin, car ce sera "akhaff". Si cela n'est pas possible, alors seulement en dernier recours elle aura recours aux services d'un homme médecin.

"Il y a le risque de devoir supprimer un embryon si plusieurs d'entre eux ont réussi leur nidification". Certes, un couple musulman ne peut pas faire supprimer un embryon qui a réussi sa nidification dans l'utérus de la femme, car cela s'apparente à un avortement, qui n'est autorisé que dans des cas de force majeure (cliquez ici pour voir lesquelles). Cependant, il faut savoir que le choix du nombre d'embryons à implanter se fait au cas par cas, afin justement d'éviter les risques de grossesses multiples. Le couple musulman qui a recours à une FIV ou à une ICSI ne doit donc pas hésiter à dire clairement au médecin qu'étant donné qu'il ne veut pas faire supprimer un embryon ayant réussi sa nidification, il ne souhaite pas en courir le risque et il ne souhaite donc pas se faire implanter plus qu'un ou deux embryons (cela dépend également de l'âge de la patiente, de la qualité des embryons...).

"Des embryons du couple, produits en surnombre, demeurent dans des banques, laissés à un sort inconnu". Il est vrai que les embryons non utilisés sont congelés – on parle d'embryons surnuméraires – ; or cela pose un vrai problème éthique, car ses géniteurs ne savent pas ce qu'il adviendra d'eux bien qu'il s'agisse d'êtres humains potentiels. Cependant le problème peut en fait être évité à sa racine, comme les juristes musulmans le disent, en évitant justement de donner naissance à un nombre d'embryons supérieur à celui qui va être implanté (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, tome 7 p. 5181). Et au cas où, malgré tout, ont été formés des embryons en surnombre par rapport aux besoins du couple, il ne faut pas les congeler ; il ne faut pas non plus faire un acte pour les détruire ; il faut les laisser sans soin jusqu'à ce qu'ils s'éteignent de façon naturelle (Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, tome 7 p. 5181).

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D) Le recours aux mères porteuses :

Le fait de donner naissance in vitro à un embryon issu exclusivement des cellules d'un couple donné, mais ensuite de l'implanter non pas dans l'utérus de la femme dont est issu l'ovule mais dans celui d'une autre femme, est-ce permis au regard des principes de l'islam ?

Non, répond al-Qardhâwî, même si cette "mère porteuse" est la co-épouse de la femme qui a fourni l'ovule (toutes deux étant mariées à un même homme, comme cela est possible dans les pays où la polygamie est pratiquée). Non, car être mère ce n'est pas seulement être la femme qui a fourni l'ovule qui a été fécondé ; être mère ce n'est pas non plus seulement avoir porté en son être le bébé pendant neuf mois avant de le mettre au monde. Etre la maman d'un bébé, c'est avoir fait ces deux choses. Or le recours aux mères porteuses fait que ces fonctions sont dissociées, on ne sait plus alors très bien qui est la maman, avec tous les risques de litiges que cela peut entraîner entre les deux femmes à propos de l'enfant et les répercussions sur l'enfant (Fatâwâ mu'âssira, tome 3 p. 513, tome 1 pp. 567-574).

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Synthèse de la réponse :

Un couple musulman ne peut pas avoir recours aux techniques d'insémination avec don. Il ne peut non plus avoir recours aux "mères porteuses".

En revanche, il peut avoir recours aux techniques d'assistance médicale à la procréation, à la condition première que les spermatozoïdes et ovules soient ceux de ses deux composants exclusivement, et à la condition seconde que les autres principes évoqués en B ci-dessus soient respectés (éviter le surnombre d'embryons, avoir recours à la solution la moins grave pour la question de la nudité, du prélèvement du sperme, etc.).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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