Qu'est-ce qu'un "bien commercial" ("مال"), pouvant être vendu et acheté ?

Question :

Imaginez que je veuille vendre le droit de passer sur mon terrain à certaines personnes. Ou que je veuille vendre mon sang. Ou que je veuille vendre un chat. Puis-je le faire ?

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Réponse :

Vos questions relèvent d'une question plus générale, qui est : Qu'est-ce qui constitue, au regard de l'islam, un "bien", une "marchandise" ?

Cheikh Khâlid Saïfullâh a fait à ce sujet une recherche très argumentée. Je ne reproduirai pas ici tous ses arguments ni les détails de sa recherche, mais me contenterai d'en rapporter l'essence.

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Trois conditions à remplir pour constituer un "bien commercial" (mâl) :

Selon l'avis de Khâlid Saïfullah, une chose peut être considérée comme étant un bien commercial (mâl) – et peut donc être vendue ou achetée – si elle remplit les trois conditions suivantes.

1) Il faut que l'usage humain considère cette chose comme un bien commercial (mâl) :
As-Suyûtî et ash-Shâmî ont donné des définitions du "bien commercial" qui vont dans ce sens.
Cette condition s'applique par exemple à certains droits de certains types, qui sont aujourd'hui considérés comme des marchandises bien qu'hier ils ne l'étaient pas. Nous allons y revenir.

2) Il faut aussi qu'il soit possible d'utiliser cette chose :
L'ouvrage Majma' ul-anhur mentionne cette condition.
Ainsi, étant donné qu'on peut utiliser des abeilles pour faire du miel, il est permis de les vendre et de les acheter. Par contre, ce qui ne peut en aucune façon être utilisé n'est pas un bien commercial.

3) Il faut enfin que le droit musulman ne considère cette chose ni comme étant interdite en soi ni comme étant interdite d'utilisation :
Ce principe est extrait de nombreux Hadîths. Pour plus de détails sur le lien entre licité d'utilisation et licité de vente, cliquez ici.
Ainsi, le vin est interdit en soi, et un musulman ne peut pas le vendre ("nahâ 'an bay' il-khamr") ; de même, le musulman ne peut ni utiliser ni vendre une idole.
Un exemple de services interdits : monnayer un prêt d'argent en percevant des interdits. Un autre exemple : les relations intimes hors mariage sont interdites en soi, monnayer le service que des personnes offrent dans le cadre de la prostitution ("mahr ul-baghiy") est donc a fortiori interdit ; de même, la divination étant interdite en islam, monnayer ce service est a fortiori interdit ("hulwân ul-kâhin").
Enfin, voici un droit qui n'est pas un bien commercial : le Prophète avait interdit, à son époque, que l'on vende ou même que l'on cède gratuitement à autrui le droit du walâ (rapporté par al-Bukhârî, n° 2398, Muslim, n° 1506, etc.). ("Walâ'" : à l'époque où existait l'esclavage, quand mourrait une personne qui, au cours de sa vie, avait été esclave puis avait été affranchie, ce qu'elle laissait en héritage revenait, en cas d'absence de parents, à celui qui l'avait affranchie. Cela constituait une exhortation de plus à affranchir les esclaves. Le Prophète avait donc interdit de vendre ou même d'offrir ce droit d'héritage à quelqu'un d'autre.)

Toute chose remplissant ces trois conditions est considérée comme un bien commercial (mâl) et peut donc être vendue ou achetée d'après la recherche de Cheikh Khâlid Saïfullâh.

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Différents types de "biens commerciaux" :

Selon la définition que nous avons vue, sont des biens (mâl) pouvant être vendus ou achetés : trois catégories de choses ; il y a : des choses matérielles, des services et des droits.

A) Des choses matérielles (ce sont des 'ayn), telles que l'or, l'argent, le tissu, les vêtements, la nourriture, les richesses minières, les bêtes de cheptel, etc.
Par contre, ne peuvent pas être vendus ni achetés par le musulman ou la musulmane : les idoles, la bête morte, le sang, les organes humains (chez les hanafites), le porc (sauf que chez les hanafites : huwa mâl, wa lâkin ghayr mutaqqawam), l'alcool (sauf que chez les hanafites : huwa mâl, wa lâkin ghayr mutaqqawam), les choses devenues impures rituellement (par exemple l'huile dans laquelle une impureté rituelle est tombée) (d'après l'école hanafite il est permis de les vendre et de les acheter, tandis que d'après les écoles shâfi'ite et hanbalite cela n'est pas permis), le chien de chasse ou de berger (même divergence que la précédente), le chat (d'après les hanafites il est permis de le vendre et de l'acheter, mais pas d'après l'école hanbalite).

B) Des services (manfa'a) (ils sont des 'aradh), comme celui d'enseigner, d'être consultant, de plaider pour une juste cause, de balayer.
Par contre, sont interdits les services suivants ; celui de se prostituer, celui d'être devin, celui d'être un prêteur à intérêt, etc. Et puis, il y a divergences d'avis entre les juristes à propos du service de l'enseignement le Coran.

C) Certains droits (haqq). Les droits qui constituent des biens sont ceux qui, même s'ils ne sont pas prouvés par un texte des sources musulmanes, remplissent les conditions suivantes :
----- a) ne contredisent en soi aucun texte ni aucun principe islamique ;
----- b) sont établis pour l'individu de façon originelle (assâlatan) et non seulement pour lui éviter de subir un tort ;
----- c) leur transfert à quelqu'un d'autre n'est interdit par aucun principe islamique ;
----- d) il est d'usage de toucher une contrepartie financière pour leur transfert.
Aussi, le droit d'auteur, la marque commerciale, le droit de passage sur son terrain, sont des droits qui peuvent être vendus car remplissant ces quatre conditions.
Par contre, parce qu'il fait défaut à la condition b, le droit de préemption (haqq ush-shuf'a) n'est pas un bien et ne peut être vendu (il s'agit du droit de préemption lors de la vente, par son associé, de sa part dans le bien immobilier qu'on possède en indivis ; d'après certains juristes, ce droit est aussi applicable lors de la vente, par le voisin, de son bien immobilier. De même, la vente du walâ (nous en avions parlé plus haut) est interdite parce manquant à la condition c. Ainsi encore, le droit d'être éduqué par ses parents n'est pas un bien et ne peut être vendu.

Pour savoir quels sont, dans le détail, les droits qui peuvent être vendus et quels sont ceux qui ne peuvent pas l'être, il vous faut vous référer aux muftis de votre localité.

Ces principes sont tous extrais de Islâm aur jadîd ma'âshî massâ'ïl ("L'islam et les nouvelles questions juridiques financières et économiques"), par Cheikh Khâlid Saïfullâh, pp.155-190.

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Autres règles à respecter également :

Bien sûr, il est également nécessaire que lorsqu'on échange un bien ("mâl"), on respecte les autres principes de l'islam. Il est ainsi interdit de vendre le bien matériel – 'ayn – dont on n'est pas encore propriétaire, ou dont on est déjà propriétaire mais dont on n'a pas encore pris possession. Il est de même interdit de vendre un bien en se faisant payer par crédit à intérêt. Etc. De même, si le pays dans lequel on vit a pris certaines mesures destinées à protéger les droits d'industriels locaux, ou le droits de la nature (écologie), ou autre, il faut respecter ces mesures. Tout cela concerne les formes de vente et font l'objet d'autres articles sur ce site ; dans cette page nous n'avons évoqué que des choses qui peuvent en soi faire l'objet d'un échange commercial parce que constituant des "biens".

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Réponse concrète aux éléments évoqués dans votre question :

Vous pouvez vendre le droit de passage sur votre terrain (c'est ce qu'a écrit Cheikh Khâlid Saïfullâh).
Par contre vous ne pouvez pas vendre votre sang.
Quant au fait de vendre un chat, vous pouvez le faire d'après l'école hanafite, mais pas d'après l'école hanbalite.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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