Qu'est-ce que le jeu de hasard ('maysir') ? Pourquoi est-il interdit en islam ?

Question :

On m'a dit que nous musulmans nous ne devons pas jouer aux jeux de hasard tels que la loterie etc. Qu'est-ce exactement que le jeu de hasard ? Pourquoi l'islam l'a-t-il interdit ?

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Réponse :

Le jeu de hasard consiste en le fait suivant : deux personnes (ou plus) font une mise d'argent pour un jeu auquel elles participent, et chacune de ces deux personnes peut recevoir ou perdre la somme ainsi constituée.

Jouant aux dés, par exemple, les deux personnes mettent cinq euros sur le tapis, la somme totale (dix euros) devant être attribuée au gagnant.

Un autre exemple : la course de chevaux est en soi autorisée, mais si les deux compétiteurs mettent en jeu vingt euros et disent que la somme totale reviendra au vainqueur, cela devient un jeu de hasard et est interdit.

Par contre, si un seul des deux compétiteurs de la course fait la mise et l'autre pas, et que cette mise doit revenir au vainqueur, alors cela est différent, car il ne s'agit plus d'un "échange" : en effet, si c'est celui qui n'a pas mis la somme en jeu qui l'emporte, il prend possession du prix offert par l'autre ; par contre, si c'est celui qui a mis cette somme en jeu qui l'emporte, il ne fait que reprendre ce qu'il avait mis en jeu, sans "surplus" ; dans les deux cas, il y en a un qui ne perd rien. Or, l'interdiction concerne le cas où il y a une sorte d'échange – les deux misant quelque chose (même si chacun ne mise pas la même somme) – et où chacun peut perdre ou gagner ce qu'il a mis en jeu (Al-Mughnî, tome 13 p. 181).

Les paris "bilatéraux" sont interdits pour la même raison : les deux parieurs mettent en jeu une somme d'argent et chacun peut perdre la somme qu'il a mise en jeu ou gagner la somme que l'autre a mise en jeu.

Quant aux paris "unilatéraux", ils constituent un ju'l, mais ne sont pas autorisés pour peu que leur objet est autorisé ; en effet, seuls certains types de ce genre de "promesses" sont autorisés : lire à ce sujet notre article : Est-il autorisé de toucher un prix lors d'une compétition ?.

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Le verset coranique qui parle du jeu de hasard :

Au temps du Prophète (sur lui la paix), pendant que la révélation du Coran se faisait, Dieu n'avait, jusqu'à un certain temps, pas interdit le jeu de hasard. Il avait seulement rappelé que ses inconvénients sont plus grands que ses avantages, exactement comme l'alcool. Il avait alors dit : "Ils te questionnent [ô Muhammad] au sujet de l'alcool et du jeu de hasard. Dis : Il y a en ces deux choses un grand mal et aussi quelques avantages pour les hommes, mais leur mal est plus grand que leur utilité" (Coran 2/219). Par la suite, les musulmans ayant acquis le niveau voulu de foi et de pratique, Dieu a interdit ces deux choses : "O vous qui croyez, l'alcool, le jeu de hasard, les pierres dressées et les flèches divinatoires ne sont qu'impureté, relevant du fait du diable. Préservez-vous en, afin de réussir. Le diable ne veut, par le biais de l'alcool et du jeu de hasard, que jeter l'inimitié et la haine entre vous, et vous détourner du souvenir de Dieu et de la prière…" (Coran 5/90-91). Les termes "jeter l'inimitié et la haine" désignent les forts risques de disputes qui surgissent entre les joueurs : cela se voit fréquemment dans les parties de cartes où de l'argent est en jeu. Cette "inimité" et cette "haine" sont dues au fait que le jeu de hasard permet l'acquisition de l'argent d'une façon déséquilibrée (Majmû' ul-fatâwâ, tome 32 p. 237). C'est d'ailleurs pour éviter ce déséquilibre et les disputes qu'il entraîne que la loi française interdit les jeux de hasard autres que ceux organisés par l'organisme national habilité et ceux organisés dans les casinos et assimilés (cela reste malgré tout interdit pour le musulman). Quant aux termes "détourner du souvenir de Dieu et de la prière", ils désignent le fait qu'une fois qu'on se met à pratiquer un jeu de hasard, on en devient très souvent dépendant au point de ne plus pouvoir s'en passer et de voir sa spiritualité baisser au point que la prière, les invocations et les formules du rappel de Dieu perdent leur goût spirituel et deviennent lourdes.

Quand on voit, à l'échelle d'un département comme l'île de La Réunion, quelles sommes faramineuses sont englouties chaque mois dans les jeux de loterie, on comprend ce que décrit ce verset coranique. Combien sont-ils, ces quelques joueurs qui touchent plus que ce qu'ils ont misé, et combien sont-ils ces autres joueurs qui, attirés par le mirage de l'argent facile, jettent régulièrement leur argent ? Combien d'argent jettent-ils ainsi par an ? La course à la fortune facile fait que celui qui réalise un gain modeste est pour sa part encouragé à poursuivre dans cette voie (alors que souvent il perd rapidement ce qu'il avait ainsi acquis) ; quant à ceux qui perdent sans cesse, ils ne cessent de jouer dans l'espoir jamais abandonné de réaliser quelque gain. C'est la passion du jeu.

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Deux dimensions :

Deux dimensions existent dans le jeu de hasard : la dimension de l'aléa et celle du jeu qui rend dépendant. Dieu a interdit le jeu de hasard, où ces deux dimensions sont présentes : d'une part, l'attribution de la somme des contributions de chaque joueur dépend d'un événement aléatoire ; d'autre part, le jeu "occupe l'esprit et le cœur" de ceux qui le pratiquent au point où ils ne peuvent ensuite pas s'en passer. Le Prophète (sur lui la paix) a ensuite interdit chacune de ces deux dimensions, même séparées l'une de l'autre : l'aléa et le flou ont été interdits même si ce n'est plus lors d'un jeu mais lors d'une transaction ("Nahâ 'an bay' il-gharar"), et le jeu qui présente les mêmes caractéristiques que le jeu de hasard a été interdit même s'il n'y a pas de mise d'argent ("Man la'iba bi-n-nard faqad 'asa-llâha wa rassûlah") (cette explication est extraite de Majmû' ul-fatâwâ, tome 32 p. 221, p. 237, p. 227). Nous allons donc, ci-après, aborder ces deux dimensions séparément.

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A) La transaction aléatoire ou floue ("bay' ul-gharar") :

L'islam encourage à acquérir de l'argent pour vivre (simplement et sainement) et ne pas dépendre d'autrui. Mais il demande que les musulmans le fassent par des moyens sains. Or certaines formes de transaction ressemblent à la configuration des jeux de hasard : elles se sont "à la loterie". Le Prophète a donc interdit la vente qui comporte du gharar (rapporté par Muslim, n° 1513), terme qui recouvre aussi bien l'aléa (khatar) que le flou (jahâla) (Zâd ul-ma'âd, tome 5 p. 822) :
soit il y a un aléa (khatar) à propos de ce qu'on achète (par exemple on a acheté quelque chose dont l'existence même est incertaine) ; ou bien on a fait dépendre la vente de quelque chose d'aléatoire (par exemple je te vends ma voiture si demain Untel me rend visite) ;
soit il y a un important flou (jahâla) à propos de ce qu'on achète (par exemple on a acheté "une de deux choses" sans préciser laquelle).
Le fait de hasarder ainsi dans la transaction ressemble fortement au fait de hasarder dans les jeux de hasard, et produit les mêmes effets en matière de forts risques de litige. On retrouve bien là l'une des deux dimensions pour lesquelles le jeu de hasard était interdit : "…jeter l'inimitié et la haine entre vous". Dix formes relèvent ainsi du gharar (cliquez ici pour découvrir ces formes). Ces formes du gharar relèvent toutes de ce qu'on pourrait appeler, par analogie avec "jeu de hasard", une sorte de "transaction du hasard", "où une des deux personnes est assurée de toucher le bien que l'autre présente, alors que cette autre peut en toucher ou ne pas en toucher la contrepartie" ("mu'âwadha yahsul al-mâlu li ahad il-muta'âwidhayn, wa qad yahsul wa qad lâ yahsul lil-âkhar"; voir Zâd ul-ma'âd, tome 5 p. 824) ; c'est là une première forme de ce qu'on appelle la "mukhâtara" (qui relève, comme l'a dit Ibn Abbâs, du "qimâr"). Une seconde forme en est celle-ci : il s'agit d'une transaction "où aucune des deux personnes n'est assurée de toucher ou ne pas toucher ce qu'elle entend obtenir à travers la transaction" ("mu'âwadha lâ yakhlû fihâ kullu wâhidin min'humâ min an yaghnama aw yaghrama" ; voir Al-Mughnî, tome 13 p. 181).

Attention, il s'agit du risque qui est présent à propos du fait même de toucher la contrepartie du bien qu'on donne.

Ceci est différent du risque inhérent à tout commerce – risque qui n'est bien entendu pas concerné par cette règle – et qui consiste à ne pas être certain de pouvoir écouler la marchandise achetée, parce que le prix de revient pourrait être trop élevé, ou le marché saturé, ou la marchandise démodée (voir Zâd ul-ma'âd, tome 5 p. 816).

De même, s'il ne s'agit pas d'une transaction – donc d'un échange entre deux personnes – mais d'une somme proposée par une seule personne à celui qui réaliserait un acte précis, cela relève de la ja'âla (offrir une prime – ju'l) et non de la mukhâtara, et reste autorisé d'après les écoles malikite, shafi'ite et hanbalite ; ainsi, passer une annonce du genre "Notre voiture a été volée ; celui qui nous permettra de la retrouver recevra 200 €" est autorisé bien que la personne qui se lance à la recherche de la voiture peut la trouver, peut ne pas la trouver, et peut la trouver après une autre personne et rater ainsi la prime offerte ; la raison en est qu'ici il ne s'agit pas d'une transaction car cette personne n'a pour sa part rien vendu en échange, et elle n'est pas non plus obligée de partir à la recherche de la voiture.

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B) Le jeu qui rend dépendant, ou qui est abêtissant :

Le divertissement fait partie de l'existence humaine et l'islam ne l'interdit bien sûr pas. Cependant il demande que les musulmans le fassent dans une mesure saine et équilibrée. Or, les jeux et divertissements ont ceci de particulier par rapport à d'autres activités que, ne causant que du plaisir et de la détente, ils peuvent rendre peu à peu le joueur à devenir insouciant de ses devoirs, et paresseux. On peut ainsi remarquer qu'il est certains jeux qui, une fois qu'une personne se met à les pratiquer, se mettent – pour reprendre la métaphore de Ben Halima – à occuper une bonne partie de sa "mémoire vive" : même après le temps passé à jouer, il lui devient très difficile de se concentrer dans la prière, les invocations, la lecture du Coran, ces activités spirituelles perdant leur goût et devenant "lourdes" (voir Six leçons pour les jeunes, inspirées de Sourate Youssef, Ben Halima Abderraouf, Le Figuier, p. 8). C'est bien là le risque que, à propos des jeux de hasard, le verset coranique évoquait ainsi : "… vous empêcher de vous souvenir de Dieu et de faire la prière". De plus, ces jeux absorbent également une bonne partie du temps de la personne, détournant celle-ci d'activités infiniment plus profitables – telles qu'une promenade, la pratique d'un sport, des visites, des activités associatives – voire même d'activités essentielles – devoirs scolaires, service de la famille, etc.

C'est pour lui éviter cela que l'islam a offert au musulman un cadre orientant son activité ludique. Les deux règles suivantes vont nous le montrer...

--- Première règle)

Le Prophète a interdit que l'on joue au trictrac (en arabe : "nard") (rapporté par Abû Dâoûd, n° 4938, voir aussi ce qu'a rapporté Muslim, n° 2260). Quelle est la cause de cette interdiction ?
Les avis sont divergents sur le sujet.
D'après l'interprétation des écoles hanafite, malikite et hanbalite, c'est parce qu'il s'agit d'un jeu qui mène très souvent celui qui se met à y jouer à en devenir dépendant au point de négliger ensuite ses devoirs vis-à-vis de Dieu, de sa famille, des autres, voire même de sa propre personne. Le Prophète l'a donc interdit, et le musulman se doit d'éviter systématiquement de tels jeux. Par analogie, les échecs, étant sur ce point semblables au trictrac, sont aussi à éviter systématiquement. Ces jeux sont tels qu'ils deviennent rapidement un passe-temps qui suscite la passion de qui y joue – as-sadd 'an dhikr-illâh wa 'ani-s-salât – : c'est ce qui explique que l'islam l'ait interdit ; selon ces ulémas, le trictrac est donc interdit parce qu'il est un passe-temps qui rend rapidement la personne : passionnée, dépendante, addict (en langage familier : "accro"). Même si des personnes précises ne le jouent que quelques instants, et même si elles parviennent à ne pas en devenir passionnées, y jouer demeure mak'rûh tahrîmî : en fait l'interdiction est motivée par le fait que ce jeu est présomption (mazinna) de susciter pareille passion. Tout jeu qui n'est pas ainsi reste permis à condition qu'on le joue en tenant compte de la seconde règle (voir ci-dessous)...
Par contre, d'après l'interprétation de certains ulémas shafi'ites, si le trictrac a été systématiquement interdit par le Prophète, c'est parce que, se jouant selon le hasard des dés uniquement, il n'apporte rien et est donc "abêtissant". Tout jeu qui est ainsi doit systématiquement être évité par le musulman. Par contre, toujours selon ces ulémas shafi'ites, les échecs, se jouant sur la réflexion, ne ressemblent pas au trictrac sur ce point et restent donc en soi autorisés (quoique légèrement déconseillés), à condition qu'on y joue en tenant compte, comme pour tout jeu, de la Seconde règle, que nous allons voir plus bas...
Tous les divertissements qui ne recèlent pas le principe qui a motivé le caractère interdit du trictrac – que ce principe corresponde à la première ou à la seconde de ces interprétations – restent autorisés (sauf s'ils permettent d'atteindre un des objectifs de l'islam, auquel cas ils sont recommandés ; ou sauf s'ils présentent un danger, auquel cas ils sont interdits). Ainsi, même si le Prophète et ses Compagnons ne la pratiquaient pas, est autorisée – du moment que sa pratique ne contredit aucun autre principe de l'islam – toute activité favorisant l'épanouissement intellectuel, physique, familial, social. Plutôt que vers des jeux vidéos, on orientera donc ses enfants vers des activités sportives, de la marche en montagne, des moments dans l'intimité familiale pour discuter, plaisanter, échanger des idées, partager des réflexions, etc. Lire mon article au sujet des jeux et divertissements.

(D'après certains autres ulémas shafi'ites – et cela semble être l'avis de az-Zuhaylî aussi : Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh, tome 4 p. 2663 –, cette Première règle n'existe tout simplement pas : ce n'est pas le jeu du trictrac en tant que tel qui a été interdit ; l'interdiction formulée par le Prophète ne concerne le trictrac que lorsqu'il est pratiqué comme jeu de hasard, c'est-à-dire avec une mise de la part des deux joueurs ; par contre, joué sans mise d'argent, il reste en soi autorisé (quoique légèrement déconseillé), à condition qu'on y joue en tenant compte, comme pour tout jeu, de la Seconde règle...).

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--- Seconde règle)

D'après la totalité des ulémas, le musulman se doit, lorsqu'il pratique un jeu en soi autorisé, de le faire d'une façon qui ne le conduit pas à négliger ses devoirs vis-à-vis de Dieu, des hommes ou de sa propre personne. Il ne doit donc pas laisser le jeu "envahir son esprit et son cœur", au point d'en devenir "dépendant" ou de manquer à ses obligations vis-à-vis de Dieu et des gens.
L'islam enseigne qu'il s'agit de se détendre avec l'objectif de pouvoir à nouveau se consacrer avec énergie à l'objectif de sa vie (rendre un culte à Dieu et aider les hommes dans la justice et la fraternité). Et non pas de vivre et de travailler avec l'objectif de se détendre et se prélasser, et d'instituer ainsi peu à peu une société du divertissement et du plaisir.
"Dis [ô Muhammad] : "Ma prière et mes actes de dévotion, ma vie et ma mort sont pour Dieu le Seigneur de l'univers, qui n'a pas d'associé. C'est ce qui m'a été ordonné et je suis le premier de ceux qui se soumettent"" (Coran 6/162-163).
Al-Bukhârî écrit ainsi : "Tout divertissement qui détourne de l'obéissance à Dieu est mauvais" (Sahîh ul-Bukhârî, kitâb ul-isti'dhân). "Du fait qu'il est mauvais que la poésie domine [= occupe excessivement] l'homme au point de l'empêcher de penser à Dieu, d'acquérir la connaissance et de lire le Coran" (kitâb ul-adab).
Lorsqu'une personne laisse un divertissement prendre en elle une telle place, ce divertissement se met à occuper une partie importante de son esprit, au point qu'elle n'éprouve ensuite plus de goût dans la prière (salât), la lecture du Coran (tilâwat ul-qur'ân), l'invocation (du'â) et l'évocation (dhikr), et qu'elle néglige son travail et délaisse une bonne partie de ses devoirs vis-à-vis de sa famille. C'est pour éviter cela que le musulman et la musulmane entendent intégrer les jeux et divertissements qu'ils pratiquent à la vision globale qu'ils ont de la vie.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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