L'émigration de Compagnons en Abyssinie à l'époque du Prophète (sur lui soit la paix) - Ja'far, Ibn Mas'ûd et Abû Mûssâ en Abyssinie eux aussi

En l'an 5 du prophétat (an - 8 de l'hégire), alors qu'il est en butte à une oppression de la part des Mecquois, le Prophète (sur lui la paix) demande à ses disciples d'émigrer : "Il y a en Abyssinie un roi auprès de qui personne ne subit d'oppression. Si vous émigriez dans ce pays jusqu'à ce que Dieu vous facilite les choses (ici) ?" (FB 7/237). Environ 15 musulmans (dont 4 femmes) (nous désignerons leur groupe par la lettre "B") embarquent alors de Jeddah, port de la Mer Rouge, pour l'Abyssinie voisine.
Les autres musulmans ("A") demeurent auprès du Prophète à la Mecque.

Les Quraysh envoient bientôt deux émissaires essayer de monter le Négus contre leurs compatriotes musulmans, pour qu'il les renvoie à la Mecque. Cependant, le Négus, ayant entendu les deux parties, déboute les deux émissaires, qui rentrent bredouilles (ZM 3/28-29).

Les musulmans installés en Abyssinie recevront bientôt une fausse nouvelle disant que les Mecquois se sont adoucis vis-à-vis de l'islam. Cette fausse nouvelle est due à la prosternation de notables qurayshites entendant la récitation d'un verset du Coran (FB 7/211). Cet événement se déroule au mois de ramadan de l'an 5 (d'après al-Wâqidî : FB 7/210). Suite à cette (fausse) nouvelle :
– certains des émigrés demeurent quand même en Abyssinie ("B.A") ;
– d'autres rentrent en Arabie (BN 3/76) (il s'agit du groupe que nous appellerons "B.B").

Ceux qui rentrent d'Abyssinie au pays ("B.B") apprennent très rapidement que la rumeur était fausse et que les choses ont, au contraire, empiré pour les musulmans :
-- certains d'entre eux ("B.B.A") retournent immédiatement en Abyssinie, sans entrer à la Mecque (ZM 3/24) ;
-- d'autres ("B.B.B") entrent quand même à la Mecque ; ceci se passe en l'an 5 (Ar-Rahîq ul-makhtûm).

Parmi ceux qui sont alors entrés à la Mecque ("B.B.B") :
--- il en est ("B.B.B.A") qui y demeurent très peu de temps et qui reprennent rapidement le chemin de l'Abyssinie (BN 3/76) ;
--- et il en est ("B.B.B.B") qui demeurent à La Mecque, du moins pour le moment.

En l'an 7 du prophétat (an - 6 de l'hégire) a lieu la seconde émigration vers l'Abyssinie (Fat'h ul-bârî 7/238). Y participent :
- des musulmans qui n'avaient pas émigré la première fois mais étaient demeurés à la Mecque (et que l'on peut désigner comme étant : "A.B") ;
- des musulmans qui avaient émigré en Abyssinie mais étaient retournés à La Mecque en l'an 5 ("B.B.B.B"). Je ne sais cependant pas (لا أدري) si tous les musulmans de ce groupe "B.B.B.B" participeront à la seconde émigration, ou si seulement certains parmi eux le feront (ceux-ci formeraient alors "B.B.B.B.B", tandis que ceux d'entre eux qui resteraient à la Mecque seraient les "B.B.B.B.A").

Après cette seconde émigration, il existe donc :
- des musulmans se trouvant à la Mecque
(A.A) (et peut-être B.B.B.B.A, comme nous venons de le dire) ;

- et des musulmans se trouvant en Abyssinie (B.A ; B.B.A ; B.B.B.A ; B.B.B.B.B ; A.B (il s'agit de ceux qui n'avaient pas émigré la première fois)).

Quand on dit que les musulmans de la seconde émigration pour l'Abyssinie sont au nombre de 83 hommes, parle-t-on :
--- de l'ensemble des musulmans se trouvant en Abyssinie ?
--- ou bien seulement de ceux qui effectuent le second voyage, soit les A.B et les B.B.B.B.B ?
Je ne sais pas (لا أدري).

-

Les musulmans émigrés en Abyssinie :

En l'an 14 du prophétat (début de l'ère hégirienne), le Prophète quitte la Mecque et émigre à Médine. Aïcha raconte que "la plupart des musulmans émigrés en Abyssinie" retournent alors en Arabie pour se rendre à Médine (al-Bukhârî, n° 3692 ; voir aussi Fat'h ul-bârî 7/292).

Un groupe de ces musulmans émigrés au pays du Négus, dont Ja'far ibn Abî Tâlib lui-même, demeurent en Abyssinie ; ils ne quitteront celle-ci pour l'Arabie que bien plus tard. Abû Mûssâ al-Ash'arî raconte : "Nous avions appris la nouvelle de la sortie du Prophète quand nous habitions le Yémen. Nous émigrâmes et partîmes alors, deux de mes frères et moi, dans un groupe de 52 personnes des miens. Nous partîmes sur un bateau. Notre bateau nous déposa auprès du Négus en Abyssinie. Nous rencontrâmes là-bas Ja'far ibn Abî Talib et ses compagnons. Ja'far nous dit : "Le Prophète nous a envoyés ici et nous a dit d'y demeurer. Restez donc avec nous." Nous restâmes donc avec lui (…)" (al-Bukhârî, n° 2967).

Abû Mûssâ al-Asha'rî poursuit : "Nous restâmes donc avec lui jusqu'au moment où nous partîmes tous ensemble. Nous rencontrâmes le Prophète quand il conquit Khaybar..." (al-Bukhârî, n° 2967). Ce fut le Prophète qui envoya 'Amr ibn Umayya auprès du Négus pour lui demander s'il pouvait faire retourner ses Compagnons qui se trouvaient à ses côtés ; et c'est à ce moment qu'ils rentrèrent (Fat'h ul-bârî 7/607). Ils arrivèrent auprès du Prophète au moment de la victoire sur Khaybar, comme l'a dit Abû Mûssâ. Or Khaybar a eu lieu au début de l'an 7 après l'hégire, donc bien après l'émigration du Prophète à Médine.

Qu'est-ce que Abû Mûssâ voulait-il dire quand il parlait de "la sortie du Prophète" ?

- Soit il s'agit de "sa déclaration d'être prophète de Dieu" (FB 7/238, 606). Dans ce cas :

-- soit Abû Mûssâ a appris cela assez rapidement après qu'elle s'est produite [par exemple en l'an 5 du prophétat], et il a quitté le Yémen dès qu'il l'a appris, son intention était de rejoindre un port du Hedjaz pour rejoindre ensuite le Prophète à la Mecque ; simplement le bateau, pris dans une tempête (FB 7/239), a dû accoster sur la côte opposée, en Afrique ; y ayant rencontré Ja'far et les autres musulmans, celui-ci lui a dit de rester avec eux (comme il l'a relaté) ; il est alors demeuré de nombreuses années en Abyssinie (près de 10 ans) ;
-- soit Abû Mûssâ a appris cela longtemps après que le Prophète l'ait déclaré [par exemple en l'an 12 du prophétat] ; et il a alors pris le bateau, s'est retrouvé au Yémen, où il est resté seulement quelque temps ;

- Soit il s'agit de "l'émigration du Prophète à Médine" (FB 7/238). Dans ce cas :

-- il se peut que ce soit bien avant que Abû Mûssâ ait entendu parler de la déclaration faite par Muhammad d'être prophète, et qu'il se soit alors rapidement converti à l'islam, mais soit resté dans son pays et ait attendu que le Prophète émigre de la Mecque pour le rejoindre (FB 7/606).
Par ailleurs :
-- soit il a appris la nouvelle de l'émigration peu de temps après qu'elle s'est déroulée, et il a alors immédiatement pris le bateau pour le rejoindre ; arrivé sans le vouloir en Abyssinie, il y a rencontré Ja'far, qui lui a dit de rester avec eux (comme il l'a relaté) ; il est alors demeuré en Abyssinie près de 6 années ;
-- soit il a appris la nouvelle de l'émigration longtemps après que le Prophète ait émigré ; et il a alors pris le bateau, s'est retrouvé au Yémen, où il est resté seulement quelque temps.

On trouve, chez certains chroniqueurs, le nom de Abû Mûssa parmi ceux qui ont quitté la Mecque pour l'Abyssinie (FB 7/237). Comment comprendre cela quand on voit ici que Abû Mûssa dit au contraire que c'est suite à son départ du Yémen qu'il s'est retrouvé en Abyssinie ?
- Soit ce qui est relaté par al-Bukhârî n'est qu'une partie de son histoire : en fait il avait quitté le Yémen, s'est rendu à la Mecque, puis, de La Mecque, a émigré en Abyssinie. Puis il est reparti auprès des siens au Yémen. Puis il a entendu parler de l'émigration du Prophète à Médine, a alors pris le bateau, etc. (FB 7/237-238) ;
- Soit le chroniqueur voulait seulement parler des musulmans qui étaient présents en Abyssinie. Abû Mûssâ était lui aussi en Abyssinie, mais lui n'y était pas allé depuis la Mecque.

En tous cas Abû Mûssa al-Ash'arî fait partie des musulmans qui furent en Abyssinie et qui rentrèrent à Médine en l'an 7 de l'hégire.

-

C'est donc par trois groupes que les Compagnons sont rentrés définitivement d'Abyssinie :

– Il y eut un groupe qui rentra à la Mecque alors que le Prophète y habitait encore et n'avait pas encore émigré à Médine, et ils demeurèrent donc à La Mecque jusqu'à émigrer plus tard à Médine ("B.B.B.B.A"), tout comme les Compagnons qui purent émigrer à Médine parmi ceux qui n'avaient jamais émigré en Abyssinie ("A").

– Il y eut, d'après Ibn Sa'd (Zâd ul-ma'âd 3/26), un second groupe, composé de 41 personnes, qui retourna en Arabie quand ils surent que le Prophète avait émigré à Médine. Parmi eux :
-- certains furent retenus contre leur gré à la Mecque et ne purent pas émigrer à Médine immédiatement ;
-- 32 d'entre eux purent rejoindre le Prophète à Médine (parmi ces 32 personnes, 24 devaient plus tard participer à Badr).

– Il y eut, enfin, un troisième groupe qui, sous la direction de Ja'far, ne rentrèrent que l'année de Khaybar, c'est-à-dire 6 années après l'émigration à Médine. D'après Ibn Is'hâq, ce furent 16 des personnes ayant quitté la Mecque pour l'Abyssinie qui retournèrent à cette occasion avec Ja'far (Fat'h ul-bârî 7/607).

Même si on tient compte du nombre des Compagnons qui sont morts au pays du Négus, on ne trouve cependant pas le compte des 80 personnes de la seconde émigration pour la Corne d'Afrique. Peut-être que le second groupe était un peu plus important, numériquement, que ce que Ibn Sa'd a trouvé : Aïcha a parlé de "la plupart de ceux qui avaient émigré en Abyssinie"

-

Le cas de Ibn Mas'ûd : a-t-il fait partie de la première vague d'émigrés en Abyssinie ? de la seconde vague ? des deux à la fois ?

Ce qui est prouvé c'est que :
- d'une part Ibn Mas'ûd a, lui aussi, émigré en Abyssinie ; Ibn Mas'ûd a ainsi raconté qu'au début de l'islam il était autorisé, pendant la prière rituelle, de parler, pour répondre par exemple à une salutation, mais qu'après son retour d'Abyssinie, alors qu'une fois il salua le Prophète occupé à prier, celui-ci ne lui répondit pas ; ayant terminé sa prière, le Prophète lui expliqua que la permission de parler pendant la prière, à laquelle il était habitué, avait été abrogée par Dieu : "عن عبد الله رضي الله عنه، قال: كنا نسلم على النبي صلى الله عليه وسلم وهو في الصلاة، فيرد علينا. فلما رجعنا من عند النجاشي سلمنا عليه، فلم يرد علينا، وقال: "إن في الصلاة شغلا" (al-Bukhârî, 1141, Muslim, 538) ; "عن عبد الله، قال: كنا نسلم في الصلاة ونأمر بحاجتنا. فقدمت على رسول الله صلى الله عليه وسلم وهو يصلي، فسلمت عليه، فلم يرد علي السلام، فأخذني ما قدم وما حدث. فلما قضى رسول الله صلى الله عليه وسلم الصلاة قال: "إن الله يحدث من أمره ما يشاء، وإن الله جل وعز قد أحدث من أمره أن لا تكلموا في الصلاة"، فرد علي السلام" (Abû Dâoûd, 924) ;
- d'autre part il a participé à la bataille de Badr (puisque c'est lui qui trouva Abû Jahl mourant après la bataille : al-Bukhârî, 3745).

La question qui se pose ici est de savoir si Ibn Mas'ûd :
– faisait partie de la première vague des émigrants pour l'Abyssinie, partie en l'an 5 du prophétat (possibilité 1, retenue par al-Wâqidî et Ibn Sa'd : Fat'h ul-bârî 7/237) ;
– ou faisait partie de la seconde vague, partie en l'an 7 du prophétat (possibilité 2, retenue par Ibn Is'hâq : Fat'h ul-bârî 7/237).

S'il faisait partie de la seconde vague uniquement (possibilité 2, retenue par Ibn Is'hâq), alors il n'est forcément rentré d'Abyssinie en Arabie qu'une seule fois.

Par contre, s'il faisait partie de la première vague (possibilité 1, retenue par al-Wâqidî et Ibn Sa'd), alors il y a ensuite deux autres possibilités :
–--- 1.a) soit il a fait partie uniquement de cette première vague vers l'Abyssinie, et pas de la seconde. Dans ce cas il n'est retourné d'Abyssinie en Arabie qu'une seule fois. Et il y a alors deux options :
------- 1.a.a) soit il est retourné d'Abyssinie suite à la rumeur de l'adoucissement des Mecquois et est ensuite demeuré à la Mecque ("B.B.B"), puis n'est plus reparti en Abyssinie ("B.B.B.B.A") ;
------- 1.a.b) soit il n'est pas du tout retourné d'Abyssinie suite à la rumeur de l'adoucissement des Mecquois et est demeuré au pays du Négus ("B.A"), puis, quand il a entendu que le Prophète avait émigré à Médine, il est revenu en Arabie ;
–--- 1.b) soit il a émigré deux fois pour l'Abyssinie : il a fait partie la première vague comme de la seconde. Dans ce cas il est retourné en Arabie deux fois : il est retourné de l'Abyssinie à la Mecque en l'an 5, suite à la rumeur ; puis il est reparti en Abyssinie avec les gens de la seconde vague ("B.B.B.B.B") ; enfin, plus tard il est revenu en Arabie quand il a entendu que le Prophète avait émigré à Médine.

A part le cas 1.a.a, dans tous les autres cas, il y a encore deux possibilités quant au retour définitif de Ibn Mas'ûd en Arabie :
soit il est passé d'abord par la Mecque avant de se rendre à Médine ;
soit il est allé directement à Médine, sans passer par la Mecque.

-
Laquelle, ou lesquelles, de ces possibilités retenir ?

Nous avons pour cela deux indices...

- Le premier indice est que...

... comme nous l'avons vu plus haut, Ibn Mas'ûd a raconté qu'au début de l'islam il était autorisé, pendant la prière rituelle, de parler, pour répondre par exemple à une salutation, mais qu'après son retour d'Abyssinie, alors qu'une fois il salua le Prophète occupé à prier, celui-ci ne lui répondit pas. Ayant terminé sa prière, le Prophète lui expliqua que la permission de parler pendant la prière, à laquelle il était habitué, avait été abrogée par Dieu (al-Bukhârî, Muslim, Abû Dâoûd).
La question qui se pose ici est de savoir quand cette discussion entre Prophète et Ibn Mas'ûd a-t-elle eu lieu : avant l'hégire, à la Mecque ? ou bien après l'hégire, à Médine ?

Ibn Hibbân pense que cette discussion entre le Prophète et Ibn Mas'ûd a eu lieu à la Mecque, avant l'hégire (Fat'h ul-bârî 3/97). Cet avis se marie avec toutes les possibilités plus haut évoquées :
--- 2 ou 1.a.b (un seul retour de Ibn Mas'ûd en Arabie, mais Ibn Mas'ûd s'est rendu d'abord à la Mecque avant de se rendre à Médine) ;
--- 1.b (deux retours, et alors soit la discussion a eu lieu après le premier retour, soit elle a eu lieu après le second retour mais Ibn Mas'ûd s'est rendu d'abord à la Mecque avant de se rendre à Médine) (si on retient cette double émigration-retour de Ibn Mas'ûd, alors c'est l'avis de Abu-t-Tîb, at-Tabarî (Fat'h ul-bârî 3/97) que de dire que la discussion entre le Prophète et Ibn Mas'ûd peut avoir eu lieu à la Mecque, après son premier retour en Arabie ;
--- 1.a.a (Ibn Mas'ûd est rentré suite à la fausse rumeur et est ensuite demeuré à la Mecque) ;

Ibn Hajar et d'autres ulémas sont quant à eux d'avis que cette discussion a eu lieu à Médine ; ce deuxième avis se marie quant à lui avec trois des possibilités plus haut évoquées :
--- 2 ou 1.a.b : un seul retour de Ibn Mas'ûd en Arabie, et cela, que celui-ci se soit d'abord rendu à la Mecque avant de se rendre à Médine, ou pas ;
--- 1.b : deux retours, et cela, que Ibn Mas'ûd se soit rendu d'abord à la Mecque avant de se rendre à Médine, ou pas. Cependant, si on retient la possibilité selon laquelle Ibn Mas'ûd s'est rendu d'abord à la Mecque avant de se rendre à Médine, il faudra dire que, quand il dit (dans le hadîth rapporté par Abû Dâoûd, 924, al-Bukhârî 1141, Muslim 538) qu'après son retour d'Abyssinie il a rencontré le Prophète et l'a salué pendant sa prière, et qu'alors le Prophète lui a expliqué que le fait de pouvoir parler durant la prière a été abrogé, cette discussion a eu lieu à Médine et non pas à la Mecque...
Par contre cet avis ne peut aller avec l'option 1.a.a, puisqu'il ne serait alors plus correct de dire que la discussion a eu lieu à Médine et qu'elle a eu lieu "après le retour" de Ibn Mas'ûd d'Abyssinie. Cette option 1.a.a doit donc être délaissée : Ibn Mas'ûd n'a pas pu faire partie de la première vague d'émigrés en Abyssinie seulement, qui sont ensuite retournés en l'an 5 suite à la fausse rumeur et sont restés à la Mecque (B.B.B.B.A).

- Le second indice est une autre parole de Ibn Mas'ûd : "Nous n'avons cessé d'avoir une force ("a'izzatan") depuis que Omar s'est converti à l'islam" (al-Bukhârî 3650, 3481).

Ce propos de Ibn Mas'ûd montre qu'il était présent quand Omar s'est converti à l'islam à la Mecque et dans les temps qui ont suivi cette conversion. En quelle année du prophétat Omar s'est-il donc converti à l'islam à la Mecque ?

Pour le savoir il faut se référer à ce que dit son fils Abdullâh, racontant que des gens, ayant appris la récente conversion de Omar, s'étaient massés devant chez eux, pour faire du mal à celui-ci, mais un notable qurayshite survint qui déclara lui avoir accordé sa protection. Abdullâh ibn Omar dit qu'à ce moment il était "un garçon" ("ghulâm") et qu'il questionna alors des personnes au sujet du notable : "Qui est-ce ?" et s'entendit répondre : "C'est al-As ibn Wâ'ïl" (al-Bukharî 3652). Dans une autre version il est dit que Abdullâh était alors âgé de 5 ans (Fat'h ul-bârî 7/224).
Plus tard, à Uhud Abdullâh ibn Omar sera âgé de 14 ans (al-Bukhârî 3871). En fait son âge était alors de plus de 13 ans et moins de 14 ans, comme l'a démontré al-Bayhaqî (Fat'h ul-bârî 7/491). Et Uhud s'est produit en l'an 3 de l'hégire, soit 16 années après le prophétat. Abdullâh est donc né en l'an 2 du prophétat (Fat'h ul-bârî 7/224).

Si au moment de la conversion de son père Omar, il avait 5 ans, cela signifie que la conversion de Omar a donc eu lieu en l'an 6 ou 7 du prophétat (Fat'h ul-bârî 7/224).

Ceci nous permet de passer en revue les différentes possibilités plus haut évoquées à propos de Ibn Mas'ûd...

Nous avions dit que :

possibilité 1) soit il a fait partie de la première vague d'émigrés en Abyssinie (possibilité retenue par al-Wâqidî et Ibn Sa'd). Dans ce cas il y a ensuite deux autres possibilités :
–--- 1.a) soit il a fait partie uniquement de cette première vague vers l'Abyssinie, et pas de la seconde. Dans ce cas il n'est retourné d'Abyssinie en Arabie qu'une seule fois. Et il y a alors deux options :
------ 1.a.a) soit il est retourné d'Abyssinie suite à la rumeur de l'adoucissement des Mecquois et est ensuite demeuré à la Mecque ("B.B.B"), puis n'est plus reparti en Abyssinie ("B.B.B.B.A") ;
------ 1.a.b) soit il n'est pas du tout retourné d'Abyssinie suite à la rumeur de l'adoucissement des Mecquois, et est demeuré au pays du Négus ("B.A"), puis, quand il a entendu que le Prophète avait émigré à Médine, il est revenu en Arabie ;
–--- 1.b) soit il a émigré deux fois pour l'Abyssinie : il a fait partie la première vague comme de la seconde. Dans ce cas il est retourné en Arabie deux fois : il est retourné de l'Abyssinie à la Mecque en l'an 5, suite à la rumeur ; puis il est reparti en Abyssinie avec les gens de la seconde vague ("B.B.B.B.B") ; enfin, plus tard, quand il a entendu que le Prophète avait émigré à Médine, il est revenu en Arabie :

possibilité 2) soit Ibn Mas'ûd a fait partie de seulement la seconde vague d'émigrés en Abyssinie (possibilité retenue par Ibn Is'hâq) ; et, dans ce cas il n'est forcément rentré d'Abyssinie en Arabie qu'une seule fois.

-
L'option 1.a.a est à délaisser. En effet, une parole de Zayd ibn Arqam montre que lui aussi a connu la période où il était permis de parler pendant la prière ainsi que l'abrogation de cette permission : "عن أبي عمرو الشيباني، قال: قال لي زيد بن أرقم: "إن كنا لنتكلم في الصلاة على عهد النبي صلى الله عليه وسلم يكلم أحدنا صاحبه بحاجته، حتى نزلت: {حافظوا على الصلوات والصلاة الوسطى، وقوموا لله قانتين}. فأمرنا بالسكوت" (al-Bukhârî 1142, Muslim 539). "عن أبي عمرو الشيباني، عن زيد بن أرقم، قال: "كنا نتكلم خلف رسول الله صلى الله عليه وسلم في الصلاة، يكلم الرجل منا صاحبه إلى جنبه، حتى نزلت: {وقوموا لله قانتين}، فأمرنا بالسكوت ونهينا عن الكلام" (at-Tirmidhî, 405 ; Abû Dâoûd, 949). Or Zayd est un médinois, et s'il a connu la période où il était encore autorisé de parler durant la prière, cela signifie que l'abrogation n'avait pas encore eu lieu au moment où le Prophète s'est installé à Médine ; ce n'est donc pas à la Mecque et avant l'émigration que le Prophète aurait pu parler de cette abrogation à Ibn Mas'ûd (Fat'h ul-bârî 3/97). Par ailleurs, il n'est pas non plus possible que Ibn Mas'ûd soit retourné à la Mecque avant que le Prophète émigre à Médine, puis ait émigré à Médine, et que ce soit plus tard, à Médine, que l'abrogation eut lieu et que le Prophète lui en parle, car alors Ibn Mas'ûd n'aurait pas dit que c'est "suite à son retour d'Abyssinie" qu'il a appris du Prophète que l'autorisation de parler pendant la prière a été abrogée. L'avis de Ibn Hibbân et d'autres ulémas susmentionné est donc erroné.

L'option 1.a.b aussi est à délaisser, car si Ibn Mas'ûd avait fait partie de seulement la première vague d'immigrés en Abyssinie (survenue en l'an 5 du prophétat) puis n'était rentré d'Abyssinie que pour se rendre à Médine, il n'aurait pas pu être témoin du renforcement des musulmans par la conversion de Omar (survenue en l'an 6 ou 7 du prophétat).

- Restent donc 2 possibilités :

- soit Ibn Mas'ûd a émigré deux fois pour l'Abyssinie : il a fait partie de la première vague comme de la seconde. En effet, après avoir émigré une première fois en Abyssinie, il est rentré à la Mecque suite à la fausse nouvelle. Il y a séjourné quelque temps, puis est reparti en Abyssinie (possibilité 1.b). Et c'est au moment où il se trouvait à la Mecque entre ses deux émigrations en Abyssinie qu'il a été témoin du renforcement des musulmans par la conversion de Omar. Plus tard, après que le Prophète ait émigré à Médine, il est retourné en Arabie. C'est alors, "suite à son retour d'Abyssinie", que, à Médine, il a entendu le Prophète lui dire que l'autorisation de parler pendant la prière avait été abrogée ;
- soit Ibn Mas'ûd a fait partie seulement de la seconde vague d'émigrés en Abyssinie (possibilité 2) ; il a donc vu le renforcement des musulmans par la conversion de Omar avant d'émigrer pour le pays du Négus. Puis il a émigré en Abyssinie. Plus tard, après que le Prophète ait émigré à Médine, il est retourné en Arabie. Et c'est à Médine, "suite à son retour d'Abyssinie", qu'il a entendu le Prophète lui dire que l'autorisation de parler pendant la prière avait été abrogée.

- En Fat'h ul-bârî 3/96, Ibn Hajar a retenu la possibilité 1.b.
- Mais en Fat'h ul-bârî 7/239, il a retenu la possibilité 2.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

Wa sallallâhu 'alâ âkhiri anbiyâ'ïhî, wa radhiya 'an sahâbatihî ajma'în.

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