Comment comprendre la distinction faite entre "droits de Dieu" et "droits de la personne" ? quelles implications a-t-elle ? - ما معنى التمييز بين حقوق الله وحقوق العباد ؟

Question :

Je ne parviens pas à comprendre que dans certains ouvrages il soit dit que telle chose relève des "droits de Dieu" ("haqqullâh") tandis que telle autre appartient aux droits de la personne ("haqq ul-'abd") et non aux droits de Dieu...
N'est-ce pas Dieu Lui-même qui a interdit de s'en prendre aux droits de la personne humaine tels qu'Il les a établis ? S'en prendre à ces droits d'une personne, n'est-ce donc pas désobéir à Dieu aussi, et n'est-ce pas manquer aux droits de Dieu aussi ?

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Réponse :

En fait il existe 2 sens à la formule "droit de Dieu" :

un sens large, en vertu duquel tout ce que Dieu a demandé d'adopter, tout ce qu'Il a demandé de faire et tout ce dont Il a demandé de se préserver, tout cela relève des "droits de Dieu", même s'il s'agit de subvenir aux besoins de créatures et de se préserver de faire du tort à autrui ;
et un sens plus restreint.

Un hadîth où on lit cette formule avec son sens large :

"عن معاذ رضي الله عنه، قال: كنت ردف النبي صلى الله عليه وسلم على حمار يقال له عفير، فقال: "يا معاذ، هل تدري حق الله على عباده، وما حق العباد على الله؟" قلت: الله ورسوله أعلم. قال: "فإن حق الله على العباد أن يعبدوه ولا يشركوا به شيئا، وحق العباد على الله أن لا يعذب من لا يشرك به شيئا." فقلت: يا رسول الله أفلا أبشر به الناس؟ قال: "لا تبشرهم، فيتكلوا". Dans ce célèbre hadîth, le Prophète (sur lui soit la paix) a dit à Mu'âdh que le droit de Dieu sur les hommes est que ceux-ci fassent Sa 'ibâda et ne Lui associent rien (rapporté par al-Bukhârî, 2701 etc., Muslim, 30). Or la 'ibâda complète de Dieu, et le fait de ne rien Lui associer, cela se fait par :
- primo par le fait de diviniser Dieu, et de ne rien diviniser d'autre que Lui,
- et secundo par le fait d'obéir concrètement à Ses Ordres, c'est-à-dire de pratiquer toute action intérieure et extérieure qu'Il agrée chez l'homme, que cette action relève du domaine spirituel, du domaine cultuel, physique ou familial, ou encore du domaine des relations de l'homme avec ses semblables ou les autres créatures ; de le faire en ne donnant donc pas préférence à ses penchants et ses intérêts personnels sur les ordres de Dieu ; et de le faire avec sincérité pour Dieu.
Dès lors, le fait pour l'homme d'agir en bien avec les autres hommes, de même qu'avec les animaux, relève également de la 'ibâda, donc également du droit que Dieu a sur lui.

C'est d'ailleurs pourquoi des ulémas précisent que si on a lésé le droit établi d'un homme (sur le plan physique – par le fait de l'avoir blessé –, ou moral – par le fait de l'avoir calomnié, par exemple –, ou matériel – par le fait d'avoir détruit un bien lui appartenant –), on doit d'abord se faire pardonner par cet homme (ce qui peut exiger de le dédommager avant de recevoir son pardon), mais on doit aussi, ensuite, demander pardon à Dieu pour avoir enfreint l'interdiction qu'Il a faite de faire ce genre de tort à autrui.

Tout cela relève du "droit de Dieu" en son sens large. Le concept "droit de la personne" est alors particulier, de sorte que le premier englobe le second et le dépasse (baynahumâ 'umûm wa khussûs mutlaqan). C'est seulement par rapport à ce sens général de "droits de Dieu" que votre objection prend place.

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Cependant, il existe aussi des hadîths où la formule "droit de Dieu" a été utilisée avec un sens plus restreint :

- "عن أبي جحيفة قال: آخى النبي صلى الله عليه وسلم بين سلمان، وأبي الدرداء، فزار سلمان أبا الدرداء، فرأى أم الدرداء متبذلة، فقال لها: ما شأنك؟ قالت: أخوك أبو الدرداء ليس له حاجة في الدنيا. فجاء أبو الدرداء فصنع له طعاما، فقال: كل. قال: فإني صائم. قال: ما أنا بآكل حتى تأكل. قال: فأكل. فلما كان الليل، ذهب أبو الدرداء يقوم، قال: نم. فنام. ثم ذهب يقوم، فقال: نم. فلما كان من آخر الليل، قال سلمان: قم الآن، فصليا. فقال له سلمان: "إن لربك عليك حقا، ولنفسك عليك حقا، ولأهلك عليك حقا، فأعط كل ذي حق حقه." فأتى النبي صلى الله عليه وسلم، فذكر ذلك له، فقال النبي صلى الله عليه وسلم: صدق سلمان"
Ayant constaté, de la part de Abu-d-Dardâ', dans l'accomplissement des actions cultuelles facultatives, des excès au point où il en venait à négliger certains devoirs vis-à-vis de son corps et de sa famille, Salmân lui dit : "Ton Seigneur a des droits sur toi. Ta personne a des droits sur toi. Et ta famille a des droits sur toi. Donne donc son droit à chaque ayant-droit.". Le Prophète, mis plus tard au courant de cela, dit : "Salmân a dit vrai"" (al-Bukhârî 1867, at-Tirmidhî 2413).

- "عن أبي بردة، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "ثلاثة لهم أجران: رجل من أهل الكتاب، آمن بنبيه وآمن بمحمد صلى الله عليه وسلم، والعبد المملوك إذا أدى حق الله وحق مواليه، ورجل كانت عنده أمة فأدبها فأحسن تأديبها، وعلمها فأحسن تعليمها، ثم أعتقها فتزوجها فله أجران"" : Ici, le Prophète a dit que parmi ceux qui auront double récompense, il y a : "l'esclave qui s'acquitte des droits de Dieu et des droits de ses maîtres" (al-Bukhârî, 97, Muslim, 1666).

Dans ces deux hadîths, on voit bien que le "droit de la personne" est distinct du "droit de Dieu" (baynahumâ tabâyun) : ce qui est "droit de Dieu" n'est pas "droit de la personne", et ce qui y est "droit de la personne" n'y est pas "droit de Dieu".

Le "droit de Dieu" n'est pas quelque chose dont Dieu aurait besoin, ni même dont Il tirerait profit.
Le "droit de Dieu" désigne :

--- ce que l'on fait vis-à-vis de Dieu directement (par exemple la pratique de la prière, du jeûne, etc., relève des "droits de Dieu") ;
--- et ce qui doit être fait sans que cela soit lié au bienfait d'une tierce personne (par exemple le fait de respecter personnellement les interdits alimentaires,  l'interdit de la fornication, celui du mensonge ; le fait de pratiquer les obligations liées à sa personne telles que garder la barbe pour un homme, ou porter le foulard pour une femme : tout cela relève de ce qui est appelé : "droits de Dieu").

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Allusion à ces deux sens de la formule "droit de Dieu" – l'un large, et l'autre restreint – par al-Qarâfî :

Al-Qarafî écrit :

"الفرق الثاني والعشرون بين قاعدة حقوق الله تعالى وقاعدة حقوق الآدميين

فحق الله أمره ونهيه؛ وحق العبد مصالحه.

والتكاليف على ثلاثة أقسام: حق الله تعالى فقط، كالإيمان وتحريم الكفر؛ وحق العباد فقط، كالديون والأثمان؛ وقسم اختلف فيه هل يغلب فيه حق الله أو حق العبد، كحد القذف.

ونعني بحق العبد المحض أنه لو أسقطه لسقط.

وإلا، فما من حق للعبد إلا وفيه حق لله تعالى، وهو أمره بإيصال ذلك الحق إلى مستحقه. فيوجد حق الله تعالى دون حق العبد، ولا يوجد حق العبد إلا وفيه حق الله تعالى.

وإنما يعرف ذلك بصحة الإسقاط: فكل ما للعبد إسقاطه فهو الذي نعني به حق العبد؛ وكل ما ليس له إسقاطه فهو الذي نعني بأنه حق الله تعالى"

(Al-Furûq, 1/161-163.)

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An-Nawawî écrit :

"التوبة واجبة من كل ذنب.

فإن كانت المعصية بين العبد وبين الله تعالى، لا تتعلق بحق آدمي، فلها ثلاثة شروط: أحدها: أن يقلع عن المعصية. والثاني: أن يندم على فعلها. والثالث: أن يعزم أن لا يعود إليها أبدا. فإن فقد أحد الثلاثة لم تصح توبته.

وإن كانت المعصية تتعلق بآدمي، فشروطها أربعة: هذه الثلاثة، وأن يبرأ من حق صاحبها: فإن كانت مالا أو نحوه رده إليه، وإن كانت حد قذف ونحوه مكنه منه أو طلب عفوه، وإن كانت غيبة استحله منها" (Riyâdh us-sâlihîn, chapitre 2).

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C'est avec le second sens que se comprend la distinction opérée entre d'un côté des "droits de Dieu" ("haqqullâh") et de l'autre des "droits de la personne" ("haqq ul-'abd") :

D'après ce second sens, plus restreint, de la formule "droit de Dieu", nous avons donc :
A) à un extrême ce qui relève purement du droit de Dieu ;
D) à l'autre extrême ce qui relèvement purement du droit de la personne.

Voici quelques-unes des implications de cette distinction…

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A) Ce qui relève purement du droit de Dieu :

--- ne devient pas mubâh ul-isti'mâl (autorisé d'utilisation) pour une personne par le seul fait que son propriétaire / détenteur (sâhib ul-yad) humain lui donne l'autorisation de l'utiliser. Il faut, en sus de cette autorisation du propriétaire / détenteur, que cette personne précise ne se trouve pas dans l'un des cas où Dieu a interdit l'utilisation de cela ;
--- en cas de violation de ce droit de Dieu, la sanction terrestre prévue devient caduque d'après certaines écoles (il s'agit de l'avis retenu au sein de l'école hanbalite et d'un avis présent au sein de l'école shafi'ite) par le fait que l'auteur du forfait s'est repenti à Dieu avant d'avoir été interpelé.

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D) Ce qui relève purement du droit de la personne :

--- devient autorisé d'utilisation (mubâh ul-isti'mâl) (à condition bien sûr que cette chose ne soit pas interdite en soi, harâm ul-'ayn, comme l'est par exemple le porc) par le simple fait que son propriétaire / détenteur humain en donne l'autorisation (il faut bien entendu que son utilisation se fasse dans le respect des autres règles de l'éthique islamique) ;
--- en cas d'utilisation sans accord, la sanction terrestre prévue ne devient pas caduque par le seul repentir fait vis-à-vis de Dieu ; par contre elle devient caduque par le pardon accordé par le détenteur du droit.

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Un exemple très aisé à comprendre de la catégorie A (ce qui est pur droit de Dieu) est le statut de l'utilisation (au sens de "tirer profit") de ses parties intimes.
Que ce statut d'interdiction relève du droit de Dieu ne signifie pas que Dieu ait quelque chose à y gagner (puisque Dieu ne tire aucun profit de ce que les hommes font ou ne font pas), mais que, hormis dans le cadre où Dieu l'a autorisé (c'est le cas du mariage), il demeure interdit à une tierce personne d'en tirer profit (dans le sens d'une relation sexuelle), même si le détenteur lui en donne l'autorisation. (Si le détenteur ne lui en a même pas donné l'autorisation et qu'une personne en tire profit, alors il y a viol, ce qui est plus grave encore, car il y a alors eu violation à la fois du droit de Dieu et du droit du détenteur ; mais ici nous ne parlons que des relations intimes consenties.) Quant au fait de toucher les parties intimes de quelqu'un, même avec son autorisation, cela est également interdit à une autre personne, sauf cadre autorisé par Dieu (mariage), ou encore situation de nécessité (dharûra) (comme une consultation médicale relevant de la nécessité – dharûra –).

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La catégorie D, "droit de la personne", est différente, et on peut ici en donner comme exemple le statut des biens matériels qui sont la propriété d'une personne.
Que cela relève des droits de la personne signifie que si le détenteur du droit – autrement dit le propriétaire humain – autorise un tiers à utiliser un de ses biens, il devient autorisé pour ce tiers de le faire (il doit bien sûr le faire en respectant les autres règles islamiques) ; de même, si ce propriétaire humain le lui offre, alors il en devient propriétaire. Mais si ce tiers prend de force ce bien (ghasb) et l'utilise sans l'autorisation du propriétaire, alors il lèse le droit de ce dernier, et, de plus, manque à ses devoirs de 'ibâda vis-à-vis de Dieu, qui a interdit pareille chose (mais ce n'est pas dans ce sens que l'on utilise ici la formule "droit de Dieu", nous l'avions dit au début de cet article, et ce n'est donc pas dans ce sens que l'on dit que les droits relevant de cette catégorie D ne contiennent pas de "droit de Dieu"). Il a donc l'obligation de rendre ce bien à son propriétaire – et si besoin en est de lui remettre une compensation pour son utilisation, voire un remboursement s'il avait détruit le bien –, de lui demander pardon, puis de demander pardon à Dieu.

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Ici il nous faut ajouter (suivant en cela ce que al-Qarâfî a exposé) qu'il y a encore 2 autres catégories, où "droit de Dieu" (au sens second de la formule) et "droit de la personne" sont mêlés, et où c'est soit le premier, soit le second, qui domine :

B) Ce où droit de Dieu et droit de la personne sont présents mais où c'est le droit de Dieu qui domine ;
C) Ce où droit de Dieu et droit de la personne sont présents mais où c'est le droit de la personne qui domine.

Voici le détail de ces deux autres catégories :

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B) Ce où droit de Dieu et droit de la personne sont présents mais où c'est le droit de Dieu qui domine :

--- ne devient pas autorisé d'utilisation (mubâh ul-isti'mâl) par le seul fait que son détenteur humain le permet (puisqu'il s'y trouve du "droit de Dieu") ;
--- en cas de violation de ce droit, la sanction terrestre prévue ne devient applicable que s'il y a plainte de la part du détenteur du droit (yushtaratu mutâlabat ul-majnî 'alayh) (et ce à cause du fait que c'est un droit de la personne qui a été violé). Ensuite, cette sanction ne devient pas caduque par le repentir (et ce à cause de la présence du droit de la personne) ; et elle ne devient pas caduque non plus par le pardon accordé par le détenteur du droit (et ce à cause du fait que c'est le droit de Dieu qui domine).

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C) Ce où droit de Dieu et droit de la personne sont présents mais où c'est le droit de la personne qui domine :

--- ne devient pas autorisé d'utilisation (mubâh ul-isti'mâl) par le seul fait que son détenteur humain le permet (puisqu'il s'y trouve du "droit de Dieu") ;
--- en cas de violation de ce droit, la sanction terrestre prévue ne devient applicable que s'il y a plainte de la part du détenteur du droit (yushtaratu mutâlabat ul-majnî 'alayh) (et ce à cause du fait que c'est un droit de la personne qui a été violé). Ensuite, cette sanction ne devient pas caduque par le repentir ; par contre elle devient caduque par le pardon accordé par le détenteur du droit (ces deux faits sont dus au fait que, ici, c'est le droit de la personne qui domine).

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Le droit à ne pas avoir sa dignité ("al-'irdh") salie relève – si on l'appréhende d'après les règles de l'école hanafite – de la catégorie B. Dès lors :
--- d'un côté, même si une personne autorise une autre personne à la calomnier, cette seconde personne n'en a pas le droit, car elle a le devoir, vis-à-vis de Dieu, d'utiliser sa langue dans la vérité ;
--- d'un autre côté, si calomnie (qadhf) il y a eu, alors, pour que la sanction puisse être appliquée par l'autorité, la personne lésée doit en faire la demande (Al-Mughnî 12/276-277) : c'est l'indice que c'est un droit de la personne qui a été lésé. Par ailleurs, si l'auteur de la calomnie (qadhf) demande à la personne qu'il a calomniée de lui pardonner, et ce avant que celle-ci porte plainte pour calomnie auprès des autorités, alors, si elle lui pardonne, tant mieux pour lui, et elle sera récompensée dans l'au-delà ; mais elle a le droit de refuser la demande de pardon et de porter quand même plainte. Si ensuite, après instruction du dossier par les autorités judiciaires, la victime pardonne et retire sa plainte, alors d'après l'école hanafite, la sanction reste applicable (Al-Mughnî 12/277) : voilà l'indice que l'on est dans un cas où c'est le droit de Dieu qui domine (catégorie B).

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Par contre, d'après les écoles shafi'ite et hanbalite, après instruction du dossier, en cas de pardon de la personne lésée, la sanction est inapplicable. Selon ces écoles, le droit à ne pas avoir sa dignité ("al-'irdh") salie relève donc de la catégorie C.
Ici aussi vaut ce qu'on a vu ci-dessus : si l'auteur de la calomnie (qadhf) demande à la personne qu'il a calomniée de lui pardonner, et ce, même avant que celle-ci porte plainte pour calomnie auprès des autorités, alors : si elle lui pardonne, tant mieux pour lui, et elle sera récompensée dans l'au-delà ; mais elle a le droit de refuser la demande de pardon et de porter quand même plainte.

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Le droit à l'intégrité physique ("an-nafs") relève de la catégorie C. Ceci fait que :
--- d'un côté, même si une personne autorise – ou même demande à – une autre personne de la blesser [hors cas de nécessité chirurgicale], cette seconde personne n'en a pas le droit (Al-Mughnî 11/478), puisque cela relève des "droits de Dieu" : c'est bien pourquoi la personne n'a d'ailleurs pas le droit de mutiler son corps ni de se suicider (Ibid. 11/478) ;
--- de l'autre côté, si blessure injuste et volontaire il y a eu, il est nécessaire, pour application du talion, que la victime adresse aux autorités une demande de réparation, puisque c'est un "droit de la personne" qui a été bafoué. Si ensuite, après instruction du dossier par les autorités judiciaires, la victime pardonne et retire sa plainte, la sanction devient inapplicable (Al-Mughnî 11/508) : voilà l'indice que l'on est dans un cas où c'est le droit de la personne qui domine.
(Cependant, d'après l'école malikite, après instruction du dossier, en cas de pardon de la victime, la sanction du talion est certes inapplicable, mais les autorités ont le devoir d'appliquer une autre sanction, ta'zîr.)

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Pour ce qui est du droit du prophète Muhammad (sur lui soit la paix) au respect :

Durant son vivant, ce droit relevait de la catégorie B :
--- à supposer (de façon purement théorique, car cela est inimaginable) que le Prophète ait autorisé quelqu'un à le dénigrer (sabb) (سبّ), cela n'en serait pas devenu autorisé, car chaque personne a le devoir, vis-à-vis de Dieu, d'utiliser sa langue dans la vérité. Plus encore, vu que Muhammad (sur lui soit la paix) est le messager de Dieu, le dénigrer revient à manquer de respect à Dieu, Celui qui l'a dépêché. Tout cela est l'indice de la présence du droit de Dieu ;
--- et, à maintes reprises le prophète Muhammad (sur lui soit la paix) a pardonné à des personnes qui l'avaient dénigré ; dans certains cas, il a accordé son pardon alors qu'il a exprimé qu'il aurait toujours pu la sanctionner, et ce, bien que celle-ci se fût entretemps repentie ("تاب السابّ قبل القدرة عليه") ; ce fut le cas de Abdullâh ibn Sa'd ibn Abî Sar'h : As-Sârim, pp. 109-126, p. 409, p. 448 ; de Anas ibn Zunaym : p. 448 ; de Abû Sufyân ibn ul-Hârith : pp. 137-141, p. 409, p. 448 ; et de Ibn Abî Umayya : p. 409, p. 448). Tout cela est l'indice que, dans ce délit, c'était le droit personnel du Prophète qui dominait alors ; or la conversion à l'islam, et, de façon plus générale, le repentir, effacent les lésions aux droits de Dieu, mais pas les lésions aux droits d'autrui qui, du point de vue de ce non-musulman aussi, étaient injustices (ce qui n'est pas le cas des attaques de la part de celui qui était alors non-musulman harbî) ou étaient injustifiées (c'est le cas du qadhf fait par celui qui était non-musulman harbî).

Depuis le décès du Prophète (sur lui soit la paix), l'avis auquel j'adhère est que manquer de respect à sa mémoire est désormais un délit qui relève des purs droits de Dieu (catégorie A) : "وذلك أنه إذا كان صلى الله عليه وسلم قد أباح الله له أن يعفو عنه كان المغلب في هذا الحد حقه بمنزلة سب غيره من البشر؛ إلا أن حد سابه القتل* وحد ساب غيره الجلد. وإذا كان المغلب حقه وكان الأمر في حياته مفوضا إلى اختياره لينال بالعفو علي الدرجات تارة، ويقيم بالعقوبة من الحدود ما ينال به أيضا على الدرجات. (...) وإذا كان يجوز له [في حياته] أن يقتل* هذا الساب بعد مجيئه مسلما، وله أن يعفو عنه؛ فبعد موته تعذر العفو عنه، وتمحضت العقوبة حقا لله سبحانه" (As-Sârim, p. 417) ; dès lors :
--- si la personne qui avait manqué de respect à sa mémoire s'était déjà repentie avant d'être interpelée (tâba qab'la an yurf'a'a ila-s-sultân), aucune sanction ne lui est applicable d'après ce qu'implique l'avis de certains ulémas, hanbalites et autres : "وأما من سوى بين من سب الله ومن سب رسوله، وقال: "إن الحدود تسقط بالتوبة قبل القدرة"، فإنه يسقط القتل هنا، لأنه حد من الحدود الواجبة لله تعالى تاب صاحبه قبل القدرة عليه. وهذا موجب قول من قال: "إن توبته تنفعه فيما بينه وبين الله، ويسقط عنه حق الرسول في الآخرة"؛ وبه صرح غير واحد من أصحابنا وغيرهم. لأن التوبة المسقطة لحق الله وحق العبد وجدت قبل أخذه لإقامة الحد عليه؛ وذلك أن هذا الحد ليس له عافٍ عنه [بعد موته صلى الله عليه وسلم]؛ فإن لم تكن التوبة مسقطة له، لزم أن يكون من الحدود ما لا تسقطه توبة قبل القدرة، ولا عفو؛ وليس لهذا نظير. نعم، لو كان الرسول صلى الله عليه وسلم حيا، لتوجه أن يقال: لا يسقط الحد إلا عفوه بكل حال" (As-Sârim, pp. 511-512) ;
--- par contre, si c'est après avoir été interpelée que la personne se repent (tâba qab'la an rufi'a ila-s-sultân), alors, d'après les écoles malikite et hanbalite, la sanction lui reste applicable (cela, bien sûr, jamais en pays non-musulman, mais en pays musulman, et encore, dans le pays musulman qui a atteint le niveau voulu par rapport à sa société), comme c'est la règle pour toute atteinte aux purs droits de Dieu.

* – Si c'est un musulman résident de la Dâr ul-islâm qui l'a fait, alors cela devient un cas d'apostasie. Lire notre article au sujet de la sanction pour apostasie en pays musulman.

Si c'est un non-musulman résident de la Dâr ul-islâm qui l'a fait, alors, selon les anciens de l'école hanafite il y a seulement, pour ce délit en lui-même, une ta'zîr, une sanction laissée à l'appréciation du juge : As-Sârim, p. 10 ; cet avis a été également cité (avec un autre) dans Radd ul-muhtâr 6/345. C'est à cet avis que j'adhère.

Lire notre article détaillé : Face à un cas de dénigrement (Sabb) de Dieu, ou de l'un de Ses prophètes, cela nous fait de la peine au cœur, mais il faut savoir raison garder. Ainsi, en pays non-musulman, aucune sanction n'est applicable à qui a fait ainsi.

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Pardon et talion :

Si quelqu'un a tué volontairement et sans raison valable un humain, alors il y a la possibilité du talion ; il est recommandé (yustahabbu) que la famille de la victime pardonne ; cependant, elle a l'autorisation (yajûzu lahû) de demander le talion. Dieu dit dans le Coran : "Le talion vous a été prescrit à propos des personnes assassinées : l'homme libre pour l'homme libre, l'esclave pour l'esclave, la femme pour la femme. Celui à qui son frère aura pardonné quelque chose, alors (on lui fera) une requête convenable [le paiement du dédommagement], et (il s'en) acquittera de bonne grâce. Ceci est un allègement et une miséricorde de la part de votre Seigneur. Celui qui transgresse après cela aura un châtiment douloureux" (Coran 2/178).

Il faut cependant noter que c'est aux autorités judiciaires et exécutives, et non pas à la famille de la victime, que revient le droit d'appliquer concrètement le talion en cas de meurtre (quand cette application est en soi possible, cliquez ici) (Al-Mughnî 11/421).

La même chose peut être dite à propos des coups volontaires ayant entraîné des blessures ou des dommages physiques. Ici encore, d'après un avis (qui semble être l'avis pertinent sur le sujet), c'est aux autorités judiciaires et exécutives, et non à la victime ou à sa famille, que le droit d'appliquer le talion revient (Al-Mughnî 11/445). On ne peut pas se faire justice soi-même pour ce genre de cas. Dès lors, si quelqu'un a blessé une personne au doigt volontairement et sans raison valable, en pays musulman elle peut demander aux autorités que, par talion, il soit lui aussi blessé de la même façon au doigt, car cela relève de la catégorie C.

Cependant, si quelqu'un a violé une femme, celle-ci ne peut évidemment pas demander que, par talion, le coupable subisse quelque chose de comparable, car le caractère sacré des parties intimes relève du "droit de Dieu" (harâm li 'aynih) (catégorie A), ce qui ne peut être rendu autorisé par talion ; le coupable sera, ici, sanctionné d'une autre façon.

De même, si quelqu'un a fait du tort à quelqu'un par le biais de la sorcellerie, la famille de la victime ne peut pas, par vengeance, faire jeter un sort au coupable, vu que l'interdit de la sorcellerie relève des "droits de Dieu" (catégorie A).

Pour davantage de détails sur ces points, lire notre article : En ce Monde, pardonner à celui qui a commis une injustice à notre égard (ظُلْم, lésion de droit) relève du Fadhl (faveur). Demander réparation, voire lui rendre la pareille, relève du 'Adl (être juste) - أخذ حقك عن الغير عدل؛ والتنازل عن حقك فضل.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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