Qu'est-ce le Désir (al-Hawâ, "الهوى", ash-Shahwa, "الشهوة"), qui est évoqué comme étant différent du Cœur (al-Qalb, "القلب") et de la Raison (al-'Aql, "العقل") ?

Introduction) Il existe (entre autres) 3 facultés humaines :

Il y a :
--- le Désir (الهوى), qui concerne les choses dont l'homme a naturellement besoin pour sa vie sur Terre en société ;
--- le Cœur (القلب), qui est la faculté d'aimer, de craindre, de ressentir des émotions, d'être attiré naturellement par Dieu, et de distinguer le bien du mal ;
--- la Raison (العقل), qui est la faculté d'extrapoler des généralités à partir des connaissances communiquées par les 5 sens, d'analyser, de déduire, d'arbitrer entre deux possibilités ; en un mot : de réfléchir.

Shâh Waliyyullâh expose cela en ces termes : "ويعلم من تتبع مواضع الاستعمال أن العقل هو الشيء الذي يدرك به الإنسان ما لا يدرك بالحواس؛ وأن القلب هو الشيء الذي به يحب الإنسان ويبغض، ويختار ويعزم؛ وأن النفس* هو الشيء الذي به يشتهي الإنسان ما يستلذه من المطاعم والمشارب والمناكح" (Hujjat-ullâh il-bâligha, 2/235 ; * il s'agit de : "الهوى").

Il ne faut pas oublier que ces 3 facultés humaines sont en interaction : "ثم إن فعل كل واحد من هذه الثلاثة لا يتم إلا بمعونة من الآخرين" (Hujjat-ullâh il-bâligha, 2/235).

Shâh Waliyyullâh décrit les attributs et faits de chacune de ces 3 facultés :
"فـالقلب من صفاته وأفعاله: الغضب والجراءة والحب والجبن والرضا والسخط والوفاء بالمحبة القديمة والتلون في الحب والبغض وحب الجاه والجود والبخل والرخاء والخوف.
والعقل من صفاته وأفعاله: اليقين والشك والتوهم وطلب الأسباب لكل حادث والتفكر في حيل جلب المنافع ودفع المصار.
والنفس منتهى صفاتها: الشره في المطاعم والمشارب اللذيذة وعشق** النساء ونحو ذلك"
(Hujjat-ullâh il-bâligha, 2/226-237) (** il s'agit du "الاشتهاء إلى النساء" global : c'est lui qui fait l'objet du désir (al-Hawâ) ; car sinon, le fait d'aimer son épouse pour ses qualités et les années de vie passées ensemble, cela relève pour sa part du Cœur, "القلب", et non pas du Hawâ).
Par "cœur", ici, nous n'entendons pas : "le for intérieur" dans sa globalité (comme c'est parfois le cas)...

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I) Qu'est-ce que le Cœur (al-Qalb) ?

Par "cœur", ici, nous entendons seulement : "la conscience humaine spirituelle et morale", qui est une faculté naturellement bonne. Cette "conscience", cette "âme", est lié à l'organe physique portant le nom "cœur" et se trouvant dans la poitrine (lire : Quelle différence y a-t-il entre Rûh et Qalb ?).

Le "cœur" est de façon naturelle attiré par Dieu et par le fait de faire le bien : "وَفِي الْأَرْضِ آيَاتٌ لِّلْمُوقِنِينَ وَفِي أَنفُسِكُمْ أَفَلَا تُبْصِرُونَ" : "Et sur la Terre il est des signes pour ceux qui sont (aptes à être) convaincus, ainsi qu'en vous-mêmes. Ne voyez-vous donc pas ?" (Coran 51/20-21). L'un des commentaires est que ces signes qui se trouvent en l'homme, ici évoqués, ne sont pas le fonctionnement de son corps, mais ce que son cœur contient : "وقال قتادة: المعنى من سار في الأرض رأى آيات وعبرا؛ ومن تفكر في نفسه علم أنه خلق ليعبد الله" (Tafsîr ul-Qurtubî).

Dieu nous dit que tout humain possède un "cœur", même ceux qui refusent et renient ce que celui-ci leur souffle : "وَلَقَدْ ذَرَأْنَا لِجَهَنَّمَ كَثِيرًا مِّنَ الْجِنِّ وَالإِنسِ لَهُمْ قُلُوبٌ لاَّ يَفْقَهُونَ بِهَا وَلَهُمْ أَعْيُنٌ لاَّ يُبْصِرُونَ بِهَا وَلَهُمْ آذَانٌ لاَّ يَسْمَعُونَ بِهَا أُوْلَئِكَ كَالأَنْعَامِ بَلْ هُمْ أَضَلُّ أُوْلَئِكَ هُمُ الْغَافِلُون" : "Ils ont un cœur mais ne réfléchissent pas par lui" (Coran 7/179).

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II) Et qu'est-ce que la Raison (al-'Aql) ?

C'est la faculté qui permet à l'homme de :
--- procéder à des déductions et des inductions (extrapolations) à partir de ce que les sens transmettent (ma'lûmât juzi'yya hissiyya),
--- catégoriser ses connaissances (ma'lûmât),
--- et arbitrer (muwâzana) entre les deux possibilités qui se présentent à lui.

Voici les 3 définitions que Ibn Taymiyya en a relatées : "والعقل المشروط في التكليف لا بد أن يكون علوما يميز بها الإنسان بين ما ينفعه وما يضره. فالمجنون الذي لا يميز بين الدراهم والفلوس ولا بين أيام الأسبوع ولا يفقه ما يقال له من الكلام ليس بعاقل. أما من فهم الكلام وميز بين ما ينفعه وما يضره فهو عاقل. ثم من الناس من يقول: العقل هو علوم ضرورية؛ ومنهم من يقول: العقل هو العمل بموجب تلك العلوم؛ والصحيح أن اسم العقل يتناول هذا وهذا. وقد يراد بالعقل نفس الغريزة التي في الإنسان التي بها يعلم ويميز ويقصد المنافع دون المضار، كما قال أحمد بن حنبل والحارث المحاسبي وغيرهما: "إن العقل غريزة". وهذه الغريزة ثابتة عند جمهور العقلاء، كما أن في العين قوة بها يبصر، وفي اللسان قوة بها يذوق، وفي الجلد قوة بها يلمس عند جمهور العقلاء" (MF 9/287-288).

Par élargissement à partir du dernier élément suscité ("arbitrer entre deux possibilités"), on nomme aussi "raison" ('Aql) cette aptitude que l'homme doit développer en lui de ne pas se laisser mener par ce que lui dictent ses pulsions physiques ou ses émotions naturelles (Tab'), mais de canaliser et contrôler ses désirs et ses émotions.
On dit ainsi : "C'est la Raison qui doit dominer les Pulsions, ainsi que les Emotions et les Sentiments".

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III) Reste à définir ce qu'est le Hawâ / la Shahwa / le Nafs (ce terme n'a ce sens que dans le langage soufi)...

Le terme "Shahwa" signifie : "l'attirance du for intérieur humain vis-à-vis de ce qu'il recherche". Al-Asfahânî écrit ainsi : "أصل الشهوة: نزوع النفس إلى ما تريده. وذلك في الدنيا ضربان: صادقة، وكاذبة؛ فالصادقة: ما يختل البدن من دونه كشهوة الطعام عند الجوع، والكاذبة: ما لا يختل من دونه" (Al-Muf'radât).
Il s'agit du désir pour la bonne nourriture (afin de pouvoir la manger), la bonne boisson (afin de pouvoir la boire), et toutes choses de ce genre.

On trouve cette racine dans le Coran, au sujet du Paradis : "وَفِيهَا مَا تَشْتَهِيهِ الْأَنفُسُ وَتَلَذُّ الْأَعْيُنُ" : "Dans le (Paradis) se trouve ce que les fors intérieurs désirent et ce de quoi les yeux se délectent" (Coran 43/71), de même qu'on y lit qu'il sera dit aux habitants de ce Paradis : "وَلَكُمْ فِيهَا مَا تَشْتَهِي أَنفُسُكُمْ وَلَكُمْ فِيهَا مَا تَدَّعُونَ نُزُلًا مِّنْ غَفُورٍ رَّحِيمٍ" : "Et pour vous, dans ce (paradis), ce que vos fors intérieurs désirent (...)" (Coran 41/31-32).

Le terme "Shahwa" désigne :
--- a) tantôt l'action intérieure de l'homme, qui consiste à désirer ce qui lui convient - en tant qu'objet -, avec l'objectif de faire avec cet objet l'action à laquelle cet objet est destiné - ; c'est le sens que le terme a dans les versets suivants : "وَاللّهُ يُرِيدُ أَن يَتُوبَ عَلَيْكُمْ. وَيُرِيدُ الَّذِينَ يَتَّبِعُونَ الشَّهَوَاتِ أَن تَمِيلُواْ مَيْلاً عَظِيمًا" (Coran 4/27) ; "فَخَلَفَ مِن بَعْدِهِمْ خَلْفٌ أَضَاعُوا الصَّلَاةَ وَاتَّبَعُوا الشَّهَوَاتِ فَسَوْفَ يَلْقَوْنَ غَيًّا" (Coran 19/59) : dans ces deux versets, il est question de gens qui suivaient leurs désirs intérieurs (et qui le faisaient sans retenue) ;
--- b) et tantôt l'objet ainsi désiré par l'homme ("shahwa" a alors le sens de "mushtahâ"), comme dans : "زُيِّنَ لِلنَّاسِ حُبُّ الشَّهَوَاتِ مِنَ النِّسَاء وَالْبَنِينَ وَالْقَنَاطِيرِ الْمُقَنطَرَةِ مِنَ الذَّهَبِ وَالْفِضَّةِ وَالْخَيْلِ الْمُسَوَّمَةِ وَالأَنْعَامِ وَالْحَرْثِ ذَلِكَ مَتَاعُ الْحَيَاةِ الدُّنْيَا وَاللّهُ عِندَهُ حُسْنُ الْمَآبِ" (Coran 3/14) : "أي المشتهيات" (Tafsîr ul-Baydhâwî) : ici il n'est plus question des désirs des hommes, mais : des objets des désirs des hommes ; des choses désirées par les hommes. Cet objet du désir est constitué à la fois :
----- b.a) de l'action par laquelle on satisfait ce désir a et on obtient le plaisir (par exemple le fait de mastiquer des aliments) ;
----- b.b) et de l'être extérieur ('ayn) qui est l'objet par lequel on satisfait ce désir a et qui procure ledit plaisir (par exemple les aliments dans la mesure où ils sont, ou bien vont être, mastiqués).

Al-Asfahânî expose l'existence de ces deux sens en ces termes : قد يسمى المشتهى: شهوة؛ وقد يقال للقوة التي تشتهي الشيء: شهوة" (Al-Muf'radât).
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Aux Shahawât est lié le "Hawâ".

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"Hawâ" (الهَوَى) est le nom d'action du verbe "Hawiya - Yahwâ" (هَوِيَ - يَهْوَى), pour : "affectionner", "aimer" ; il s'agit d'aimer ce qu'on désire par élan physique ou social naturel.

Voilà une première définition (1) du terme (plus bas en viendra une seconde, 2, qui existe par extension par rapport à la première).

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1) Premier sens du terme "Hawâ" :

Al-Asfahânî écrit : "الهوى: ميل النفس إلى الشهوة" : "Le Hawâ est le penchant du for intérieur humain pour ce qui est désiré (par lui)" (Al-Muf'radât).

Ni ce penchant, ni l'objet de ce penchant, ne sont systématiquement mauvais ; on le voit dans cette parole que Aïcha (que Dieu l'agrée) avait adressée au Prophète (que Dieu l'élève et le salue), où elle lui parle de son Hawâ à lui : "ما أرى ربك إلا يسارع في هواك" (al-Bukhârî, 4510, Muslim, 1464).
C'est l'excès dans le fait de suivre son Hawâ ou encore le manque de contrôle dans le fait de le suivre, qui constitue quelque chose de mauvais.

Ibn ul-Qayyim a exposé cela en ces termes : "الهوى: ميل الطبع إلى ما يلائمه. وهذا الميل خلق في الإنسان لضرورة بقائه؛ فإنه لولا ميله إلى المطعم والمشرب والمنكح، ما أكل ولا شرب ولا نكح؛ فالهوى مستحث لها لما يريده، كما أن الغضب دافع عنه ما يؤذيه. فلا ينبغي ذم الهوى مطلقا، ولا مدحه مطلقا، كما أن الغضب لا يذم مطلقا ولا يحمد مطلقا؛ وإنما يذم المفرط من النوعين وهو ما زاد على جلب المنافع ودفع المضار. ولما كان الغالب من مطيع هواه وشهوته وغضبه أنه لا يقف فيه على حد المنتفع به، أطلق ذم الهوى والشهوة والغضب لعموم غلبة الضرر، لأنه يندر من يقصد العدل في ذلك ويقف عنده، كما أنه يندر في الأمزجة المزاج المعتدل من كل وجه بل لا بد من غلبة أحد الأخلاط والكيفيات عليه؛ فحرص الناصح على تعديل قوى الشهوة والغضب من كل وجه. وهذا أمر يتعذر وجوده إلا في حق أفراد من العالم. فلذلك لم يذكر الله تعالى الهوى في كتابه إلا ذمه. وكذلك في السنة لم يجئ إلا مذموما، إلا ما جاء منه مقيدا كقوله: "لا يؤمن أحدكم حتى يكون هواه تبعا لما جئت به" (Rawdhat ul-muhibbîn, p. 413).

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"Hawâ" (en ce sens 1) désigne :
--- 1.a) tantôt l'action intérieure que l'homme fait, à savoir : désirer et affectionner quelque chose ; pencher vers cette chose ;
--- 1.b) et tantôt l'objet ainsi désiré par l'homme ("hawâ" a alors le sens de "mahwî", et désigne la même chose que "mushtahayât" évoqué plus haut) ; c'est le sens que le terme peut avoir dans cet autre verset : "وَأَمَّا مَنْ خَافَ مَقَامَ رَبِّهِ وَنَهَى النَّفْسَ عَنِ الْهَوَىٰ" (Coran 79/40) : "عن المحارم التي تشتهيها" (Tafsîr ul-Baghawî) : il s'agit alors d'empêcher sa personne de commettre l'action interdite vis-à-vis de l'objet interdit pour cette action, même si son for intérieur l'avait désirée. Cet objet du désir est constitué à la fois :
----- 1.b.a) de l'action par laquelle on satisfait ce désir a et on obtient le plaisir (par exemple le fait de mastiquer des aliments) ;
----- 1.b.b) et de l'être extérieur ('ayn) qui est l'objet par lequel on satisfait ce désir a et qui procure ledit plaisir (par exemple les aliments dans la mesure où ils sont, ou bien vont être, mastiqués).

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La Shahwa et le Hawâ désignent (dans le sens a évoqué à chaque fois) : le désir (lequel constitue une tension intérieure).
Pour sa part, la satisfaction de ce désir apporte le plaisir, Ladhdha (لذَة), et l'apaisement par rapport à ladite tension.

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Jusqu'ici, la définition du Hawâ que nous avons vue est la première définition (1) : c'est celle du Hawâ qui est lié aux Shahawât. Le terme "المَهوِيَّات" désigne alors les mêmes choses que ce que le mot "المُشتهَيات" désigne.

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2) Un second sens du terme "Hawâ" :

Le terme Hawâ a été ensuite appliqué à : "ما تميل إليه نفس الإنسان، سواء لاءمها أم لا" : "ce vers quoi le for intérieur de l'homme penche, fût-ce non plus du seul domaine du plaisir des sens corporels, mais du domaine plus général".

C'est lorsque ce "Hawâ" se veut libre au point de ne pas chercher à correspondre à ce que Dieu agrée, qu'il en est blâmable.

– C'est avec ce second sens (2) que se comprend ce terme ici : "أَفَكُلَّمَا جَاءكُمْ رَسُولٌ بِمَا لاَ تَهْوَى أَنفُسُكُمُ اسْتَكْبَرْتُمْ" (Coran 2/87).

– Et c'est, de façon plus évidente encore, avec ce second sens (2) que se comprend ce terme lorsque employé dans ce verset du Coran : "أَفَرَأَيْتُمُ اللَّاتَ وَالْعُزَّى وَمَنَاةَ الثَّالِثَةَ الْأُخْرَى أَلَكُمُ الذَّكَرُ وَلَهُ الْأُنثَى تِلْكَ إِذًا قِسْمَةٌ ضِيزَى إِنْ هِيَ إِلَّا أَسْمَاء سَمَّيْتُمُوهَا أَنتُمْ وَآبَاؤُكُم مَّا أَنزَلَ اللَّهُ بِهَا مِن سُلْطَانٍ إِن يَتَّبِعُونَ إِلَّا الظَّنَّ وَمَا تَهْوَى الْأَنفُسُ وَلَقَدْ جَاءهُم مِّن رَّبِّهِمُ الْهُدَى" : ""Avez-vous vu al-Lât et al-'Uzzâ, ainsi que Manât, la troisième, l'autre ? Pour vous des fils, et pour Lui des filles ? Ce serait une répartition injuste. Ce ne sont que des noms que vous avez prononcés, vous et vos pères ; Dieu n'a fait descendre aucun argument au sujet du [caractère divin de ces êtres que vous avez divinisés]." (Ces gens) ne suivent que (leur) conjecture et ce dont (leurs) fors intérieurs ont envie. Alors que la guidance leur est venue de la part de leur Seigneur" (Coran 53/19-23). D'après Ibn 'Âshûr, "suivre ce que les fors intérieurs désirent" est la motivation de "suivre ce qui n'est pas prouvé" : "وعطف {وما تهوى الأنفس} على {الظن} عطف العلة على المعلول" (At-Tahrîr wa-t-tanwîr) : c'est parce qu'ils font ce dont ils ont envie qu'ils suivent leur imagination.

– C'est encore pourquoi les Groupes Déviants de l'islam sont nommés : "أهل الأهواء" ; cela en référence au hadîth qui dit : ""ألا إن من قبلكم من أهل الكتاب افترقوا على ثنتين وسبعين ملة، وإن هذه الملة ستفترق على ثلاث وسبعين: ثنتان وسبعون في النار، وواحدة في الجنة، وهي الجماعة." زاد ابن يحيى وعمرو في حديثيهما: "وإنه سيخرج من أمتي أقوام تجارى بهم تلك الأهواء، كما يتجارى الكلب لصاحبه" (Abû Dâoûd, 4597). Ces musulmans-là suivent sur certains points leur propre façon de voir, sans avoir complètement orienté celle-ci par la lumière de ce que la révélation dit réellement.

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– Dans le verset suivant, on trouve l'opposition entre Hawâ et Qalb : "وَلَا تُطِعْ مَنْ أَغْفَلْنَا قَلْبَهُ عَن ذِكْرِنَا وَاتَّبَعَ هَوَاهُ وَكَانَ أَمْرُهُ فُرُطًا" : "... celui dont Nous avons rendu le Cœur insouciant par rapport à Notre souvenir, qui suit son Hawâ et dont l'affaire est en excès" (Coran 18/28) : il s'agit de celui qui suit son Hawâ sans prendre en considération ce que son Cœur lui souffle.

– Et au verset suivant, l'opposition a été faite entre Hawâ d'une part et Hudâ (donc Wah'y) d'autre part : "وَمَنْ أَضَلُّ مِمَّنِ اتَّبَعَ هَوَاهُ بِغَيْرِ هُدًى مِّنَ اللَّهِ" : "Et qui serait plus égaré que celui qui suit son Hawâ sans Guidance de la part de Dieu ?" (Coran 28/50).

Sachant que la Révélation (Wah'y) apporte ce qui préserve et enrichit ce que le Cœur (Qalb) contient d'élan vers Dieu et de distinction entre ce qui est bien et ce qui est mal ainsi qu'entre la façon par laquelle il faut procéder pour réaliser tel objectif et celle par laquelle il ne faut pas procéder ; sachant cela, on comprend que ces deux versets se rejoignent en fait, blâmant le fait que l'homme suive son Hawâ seulement, sans que sa Raison se réfère à son Cœur et à la Révélation.

Lire notre article : Le Raisonnement fait avec l'accompagnement du Cœur (العقل بالقلب) & la Révélation qu'on Entend (سمع الوحي بالأذن) : Lumière sur Lumière (نور على نور).

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– Il y a encore ce hadîth : "لا يؤمن أحدكم حتى يكون هواه تبعا لـما جئت به" : "Aucun d'entre vous n'aura la foi jusqu'à ce que son Hawâ se conforme à ce que j'ai apporté" (Shar'h us-sunna li-l-Baghawî ; sahîh d'après an-Nawawî, dha'îf d'après al-Albânî).
"Ce que le Messager de Dieu a apporté", c'est la révélation (mat'lû et ghayr matlû).
Dans ce hadîth, il est question :
----- soit du premier type (1) de Hawâ : le hadîth parle alors de la nécessité de conformer ses Actions Concrètes avec les Normes enseignées par le Wah'y, au lieu de laisser cours à ses désirs sans égard pour les interdits et les obligations ; dans ce cas, le hadîth veut dire : "n'aura pas la foi complète" ;
----- soit du second type (2) de Hawâ : le hadîth parle alors de la necessité de conformer ses Croyances et ses Façons de percevoir avec le Wah'y, et le hadîth veut bien parler de : "ne pas avoir le minimum de la foi" (si ces croyances relèvent des Dharûriyyât ud-Dîn, et si Iqâmat ul-Hujja a été réalisé).

– Pareillement, dans le verset : "أَرَأَيْتَ مَنِ اتَّخَذَ إِلَهَهُ هَوَاهُ" : "As-tu celui qui a pris pour sa divinité son Hawâ ?" (Coran 25/43) (voir aussi Coran 45/23), le terme "Hawâ" peut désigner :
----- soit le premier type (1) de Hawâ ; auquel cas le verset parle de l'objet du désir humain, et peut évoquer un Ilâh bi Ulûhiyya Sughrâ : l'excès dans le fait de suivre ses désirs, sans tenir compte - dans le concret - des normes de la révélation - auxquelles on croit bien, pourtant -, cela constitue un Shirk Asghar ;
----- soit le second type (2) de Hawâ ; auquel cas le verset désigne le résultat du Hawâ, à savoir l'objet auquel l'imaginaire et le conjectural ont conduit : l'idole, décrétée "divinité" par Hawâ, le verset parlant alors d'un Ilâh bi Ulûhiyya Kub'râ : il s'agit d'un Shirk Akbar.

– Il y a encore ce hadîth, qui parle du fait que le Cœur peut être affecté par les troubles (soit les troubles à l'échelle individuelle, au quotidien, soit les grands troubles extérieurs touchant la Umma), et dit qu'au bout d'un moment, chez les hommes, deux types de Fors Intérieurs émergent :
--- un For Intérieur qui est blanc,
--- et un autre For Intérieur qui est "noir (...), ne reconnaissant plus ce qui est Ma'rûf comme "Ma'rûf", ni ce qui est Munkar comme "Munkar", ne reconnaissant que (la norme) dont il s'est imbibé en tant que Hawâ pour lui"
"قال حذيفة: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول: "تعرض الفتن على القلوب كالحصير عودا عودا، فأي قلب أشربها، نكت فيه نكتة سوداء، وأي قلب أنكرها، نكت فيه نكتة بيضاء. حتى تصير على قلبين: على أبيض مثل الصفا فلا تضره فتنة ما دامت السماوات والأرض؛ والآخر أسود مربادا كالكوز، مجخيا لا يعرف معروفا، ولا ينكر منكرا، إلا ما أشرب من هواه" (Muslim, 144).

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Cette dichotomie "Hawâ" / "Qalb-Wahy" est comparable à la distinction : "Ray'" / "Dîn" :

– Un jour, Omar ibn ul-Khattâb (que Dieu l'agrée), relatant sa propre incompréhension passée, lors de l'épisode de al-Hudaybiya (quand le Prophète conclut avec les Mecquois un traité de paix comportant certaines dispositions défavorables aux musulmans), donna ce conseil aux musulmans : "Remettez en cause (votre) façon de voir (Ra'y) par rapport à (ce que le) Dîn enseigne. Je me suis vu repousser l'ordre du Messager de Dieu - que Dieu le bénisse et le salue - par ma façon de voir (Ra'y), ne faisant aucun manquement pour chercher la vérité" : "اتهموا الرأي على الدين فلقد رأيتني أرد أمر رسول الله صلى الله عليه وسلم برأي وما آلوت عن الحق" (FB 5/424 et 13/353). Il voulait dire que, malgré cette recherche de la vérité, il avait eu tort de remettre en cause, ce jour-là, la décision du Prophète (sur lui soit la paix).

– De même, à Siffîn, à ceux qui refusaient l'arrêt des hostilités entre le groupe de 'Alî et celui de Mu'âwiya, Sahl ibn Hunayf (que Dieu les agrée tous) tint un propos similaire, illustrant cela par sa propre incompréhension passée lors de l'épisode de al-Hudaybiya : "Remettez en cause votre façon de voir (Ra'y) par rapport à (ce que) votre Dîn enseigne. Le jour avec Abû Jandal, je me suis vu être tel que si j'avais alors pu repousser l'ordre du Messager de Dieu - que Dieu le bénisse et le salue -, je l'aurais fait. (...)" : "يا أيها الناس اتهموا رأيكم على دينكم، لقد رأيتني يوم أبي جندل، ولو أستطيع أن أرد أمر رسول الله صلى الله عليه وسلم عليه لرددته. وما وضعنا سيوفنا على عواتقنا إلى أمر يفظعنا إلا أسهلن بنا إلى أمر نعرفه، غير هذا الأمر" (al-Bukhârî, 3953, 3010, 3011). "فكأنه قال: اتهموا الرأي إذا خالف السنة، كما وقع لنا حيث أمرنا رسول الله صلى الله عليه وسلم بالتحلل فاحببنا الاستمرار إلى الإحرام وأردنا القتال لنكمل نسكنا ونقهر عدونا؛ وخفي عنا حينئذ ما ظهر للنبي صلى الله عليه وسلم مما حمدت عقباه" (FB 13/352).

Lire notre article : Que signifie le qualificatif "'Aqlî" ?.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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