Combien de fois est-il institué de lever les mains pendant la prière ?

Question :

Salâm 'alaykum. Certains frères ici en France métropolitaine soutiennent que le fait de ne lever les mains qu'au début de la prière (comme l'enseignent les hanafites) est une innovation (bid'a). Ils soutiennent que le hadîth rapporté par Ibn Mas'ûd est faible, et ne vaut pas devant, disent-ils, une douzaine de témoignages de Compagnons qui auraient vu le Prophète (sur lui la paix) lever les mains avant et après le roukoû' ; se fonder sur un hadîth faible pour faire un acte cultuel étant selon eux une bid'a, ils soutiennent que je vous ai dit. J'aimerais juste connaître l'argument des hanafites sur la question. Jazâkumullâh.

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Réponse :

Wa 'alaykum us-salâm.

Les frères dont vous parlez appliquent le principe que vous avez cité d'eux parce qu'ils pensent que le hadîth qui dit que le Prophète ne levait ses mains (raf' ul-yadayn) qu'au début de la prière (salât) est faible (dha'îf). Cependant ce hadîth est prouvé, comme nous allons le voir.

En fait, l'ensemble des hadîths montre qu'il y a, au sujet du fait de lever les mains jusqu'à la hauteur des épaules ou des oreilles pendant la salât, différents hadîths authentiques rapportés du Prophète...

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1) Où il est rapporté que le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) ne levait ses mains qu'une seule fois pendant toute la salât :

Abdullâh ibn Mas'ûd, une fois, dit aux gens qui étaient en sa compagnie : "N'accomplirais-je point pour vous la prière (salât) qu'accomplissait le Prophète ?" Il accomplit alors la salât et ne leva ses mains qu'une seule fois (rapporté dans Sunan Abî Dâoûd, hadîth n° 748, Sunan un-Nassaï, hadîth n° 1025 et 1057, Sunan ut-Tirmidhî, hadîth n° 257). At-Tirmidhî dit de ce hadîth qu'il est hassan (bon). Ahmad Muhammad Shâkir et al-Albânî sont eux d'avis que ce hadîth est sahîh (authentique) (voir les notes du premier sur Sunan ut-Tirmidhî, ainsi que les ouvrages de al-Albânî, aux hadîths dont les numéros viennent d'être indiqués).

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2) Où il est rapporté que le Prophète levait ses mains avant de se courber (rukû') et après s'être relevé du rukû' également :

Les hadîths sont connus à ce sujet. Celui de Abdullâh ibn 'Umar est rapporté par al-Bukhârî notamment, et est très connu (Sahîh ul-Bukhârî, hadîth n° 702).

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3) Où il est rapporté que le Prophète levait ses mains avant de se prosterner (sujûd) également :

Le hadîth est moins connu que le précédent, et pourtant il est également authentique. Mâlik ibn ul-Huwayrith rapporte ainsi avoir vu le Prophète (que la paix soit sur lui) lever ses mains [au moment de commencer] sa salât, ainsi que lorsqu'il [allait] accomplir le rukû', ainsi que lorsqu'il se relevait du rukû', ainsi que lorsqu'il [allait] accomplir le sujûd, ainsi que lorsqu'il se relevait du sujûd (…) (Sunan un-Nassâ'ï, hadîth n° 1084, authentifié par al-Albânî).

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4) Où il est rapporté que le Prophète levait ses mains entre les deux prosternations (sujûd) également :

Abdullâh ibn Tâ'ûs levait ses deux mains à la hauteur de son visage entre les deux prosternations de sa salât. Il rapportait avoir vu son père Tâ'ûs accomplir la salât ainsi parce que lui-même l'avait appris ainsi de Abdullâh ibn Abbâs, qui lui avait dit : "J'ai vu le Prophète accomplir la salât ainsi" (Sunan un-Nassâ'ï, hadîth n° 1145, Sunan Abî Dâoûd, hadîth n° 740, authentifié par al-Albânî).

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5) Où il est rapporté que le Prophète levait ses mains au début du deuxième cycle (rak'ah) également :

Abdullâh ibn uz-Zubayr levait ses deux mains lorsqu'il se levait [pour commencer la salât], ainsi que lorsqu'il [allait] accomplir le rukû', ainsi que lorsqu'il [allait] accomplir le sujûd, ainsi que lorsqu'il se relevait pour se mettre debout. Questionné au sujet de cette façon de faire la salât, Abdullâh ibn Abbâs l'approuva comme étant conforme à la façon du Prophète (Sunan Abî Dâoûd, hadîth n° 739, authentifié par al-Albânî).

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6) Où il est rapporté que le Prophète levait ses mains au début du troisième cycle (rak'ah) également :

Les hadîths sont connus à ce sujet. Celui de Abdullâh ibn 'Umar est rapporté par al-Bukhârî notamment, et est très connu (Sahîh ul-Bukhârî, hadîth n° 706).

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7) Où il est rapporté que le Prophète levait ses deux mains au moment de chaque takbîr :

Umayr ibn Hubayb déclare ainsi : "Le Prophète levait ses deux mains au moment de chaque takbîr lors de la salât obligatoire" (Sunan Ibn Mâja, hadîth n° 868, authentifié par al-Albânî).
bdullâb ibn Abbâs affirmait lui aussi : "Le Prophète levait ses deux mains au moment de chaque takbîr" (Sunan Ibn Mâja, hadîth n° 872, authentifié par al-Albânî).

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Comment concilier ces Hadîths apparemment différents ?

Ibn Hazm et Ahmad Muhammad Shâkir sont d'avis qu'il faut lever ses mains à chaque fois où cela est mentionné dans un hadîth authentique. Donc non pas seulement au début de la salât, avant et après le rukû' et au début du troisième cycle, mais également avant le sujûd, entre les deux sujûds et au début du deuxième cycle.

L'école hanafite fonde ainsi sa réflexion : d'une part les écoles shafi'ite et hanbalite reconnaissent qu'il y a eu abrogation (naskh) à propos du fait de lever ses mains pendant la prière et disent qu'au début de la révélation, le Prophète levait ses deux mains à chaque takbîr, puis que cela a été progressivement abrogé ; c'est ainsi qu'elles expliquent pourquoi elles ne pratiquent pas les hadîths montrant le Prophète lever ses mains à chaque takbîr, ou entre les deux soujoûds, etc. D'autre part les spécialistes de hadîth reconnaissent que le hadîth disant que le Prophète ne levait plus ses mains qu'en une seule fois durant toute la prière est lui aussi authentique (sahîh même s'il n'est pas assahh).
Qu'est-ce qui est alors plus logique :
- considérer qu'abrogation il y a eu mais pratiquer le hadîth disant qu'il faut lever ses mains en trois fois pendant la prière (à quel moment placer alors la façon de faire du Prophète relatée dans le hadîth de Ibn Mas'ûd et parlant d'un seul lever des mains ?) ;
- ou bien considérer que le hadîth parlant de trois fois ne relate qu'une étape dans le processus de l'abrogation et que ce processus s'est poursuivi jusqu'à ce que, comme l'a rapporté Ibn Mas'ûd, le Prophète n'a plus levé ses mains qu'en une seule fois pendant toute la prière ?

Les écoles shâfi'ite et hanbalite disent pour leur part qu'il y a eu abrogation concernant les cas retenus par Ibn Hazm et mentionnés dans les hadîths sus-cités. Cependant, disent ces écoles, il faut quand même lever ses mains en trois fois : au début de la salât, avant le rukû', après le rukû', et au début du troisième cycle, car c'est ce qui est rapporté par un grand nombre de Compagnons, et le hadîth disant ceci est, techniquement parlant (sur le plan de la sanad), le plus authentique (assahh). Quant au hadîth attribué à Ibn Mas'ûd, celui-ci n'a pas dit cela, il s'y trouve une erreur de la part d'un maillon postérieur, qui a confondu deux propos différents.

Shâh Waliyyullâh est quant à lui d'avis qu'il n'y a pas eu abrogation, mais il y a que le Prophète a parfois accompli la salât en levant ses deux mains en de multiples moments, parfois en les levant en des moments moins nombreux, parfois en une seule fois. Selon Shâh Waliyyullâh, tout cela est donc conforme à la sunna ("fi-s-sunna wus'a") et on a le choix.

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Les écrits de at-Tirmidhî et de an-Nassaï après avoir rapporté certains de ces Hadîths :

At-Tirmidhî, après avoir rapporté le hadîth de Ibn 'Umar que nous avons cité ci-dessus, écrit : "Sont de cet avis [qu'il faut lever les mains en trois fois pendant toute la salât] certains savants parmi les Compagnons (…) et les Tâbi'ûn (…)."
Puis, dans le chapitre suivant, après avoir rapporté le hadîth de Ibn Mas'ûd que nous avions écrit au tout début, il écrit : "Sont de cet avis [qu'il ne faut lever les mains qu'en une seule fois pendant toute la salât] plusieurs savants parmi les Compagnons et les Tâbi'ûn (…)" (Sunan ut-Tirmidhî).

An-Nassâ'ï titre quant à lui : "Le fait de lever ses deux mains jusqu'aux épaules pour le rukû'", puis "Le fait de délaisser cela".
De même : "Le fait de lever ses deux mains … au moment de se relever du rukû'", puis "La permission donnée au fait de délaisser cela".
Encore : "Le fait de lever ses deux mains pour le sujûd" puis "Le fait de ne pas lever ses deux mains au moment d'accomplir le sujûd".
Egalement : "Le fait de lever ses deux mains au moment de se relever du premier sujûd", puis "Le fait de délaisser cela entre les deux sujûd". (Cf. Sunan un-Nassâ'ï.)

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Synthèse de la réponse :

Je voudrais citer comme mot de la fin ce propos de Shâh Waliyyullâh : "(Le fait de lever ses mains) fait partie des gestes que le Prophète a fait parfois et n'a pas faits d'autres fois. Tout cela est sunna, et chacune de ces manières de faire a été adoptée par un groupe de Compagnons et de Tâbi'ûn, et par ceux qui sont venus après eux. C'est un des points au sujet desquels les juristes de Médine et ceux de Koufa ont eu des divergences d'opinions. Chacun de ces groupes possède une référence sur laquelle il se base. Et la vérité selon ma recherche est que tout cela est sunna. (C'est comme le fait d'accomplir la salât ul-witr en une ou trois rak'ahs.)
Je préfère personnellement le fait de lever les mains, car les Hadîths sont plus nombreux à ce sujet.
Sauf que, pour pareil cas de figure [où les deux opinions sont correctes], il ne convient pas que l'on déclenche un tollé chez les musulmans non instruits de sa ville. Car le Prophète (que la paix soit sur lui) avait bien dit : "Si ton peuple ne venait pas de se convertir, j'aurais reconstruit la Kaaba" [rapporté par al-Bukhârî]"
(Hujjat ullâh il-bâligha, 2/24-25).

Je ne comprends pas du tout les frères qui vous ont dit que le fait de ne lever qu'une fois ses mains, au début de la prière, était une innovation (bid'a). Bien sûr, chacun considèrera plus pertinente telle façon de faire, à cause de tel argument lui ayant paru plus pertinent (Shâh Waliyyullâh lui-même a donné préférence au fait de lever les mains). Mais de là à qualifier de "bid'a" l'autre façon de faire sur une question ijtihâdî...

Une des choses dont les musulmans ont particulièrement besoin c'est l'ouverture d'esprit dans le cadre de l'orthodoxie. Or, nous musulmans sommes l'objet d'extrêmes...

Certains frères n'arrivent pas à faire la différence entre le simple fait de délaisser (takhti'a) l'opinion d'un fondateur d'un école juridique parce qu'il est devenu établi, après recherches approfondies, que cette opinion contredit un hadîth authentique, clair, non-divergent et inconditionnel, et le fait de dénigrer (ta'n) ce fondateur. Pour eux, dire qu'il s'est trompé c'est le dénigrer (alors qu'il y a une grande différence entre les deux).

A l'autre extrême, d'autres frères, sur la base d'un seul hadîth et sans recherche approfondie, se permettent de remettre en question toute opinion juridique différente de celle que dit ce hadîth (alors que parfois d'autres hadîths authentiques existent). Ou encore font des recherches approfondies mais ensuite se permettent de dénigrer les savants qui se sont trompés (alors que le Prophète a promis qu'une récompense pour le savant qui recherche, réfléchit et se trompe).

Comment et quand nous sortirons-nous de ces deux extrêmes, de ce clash of schools ? Quand donc, avec la Permission de Dieu, arriverons-nous au juste milieu ?

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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