Est-il interdit de souhaiter bonne fête à des non-musulmans ?

Question :

Est-il permis de souhaiter à ses amis non-musulmans de passer une joyeuse fête ?

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Réponse :

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A) Tout d'abord, on peut bien entendu invoquer Dieu en faveur de quelqu'un d'une autre religion pour des choses de la vie courante :

--- Ainsi, au cas où on présente ses condoléances à un non-musulman qui vient de perdre un de ses proches, on peut tout à fait lui dire : "Que ne t'atteigne que du bien !", ou : "Que Dieu t'accorde davantage de biens et d'enfants, et qu'Il prolonge ta vie !", etc. (Ahkâm ahl idh-dhimma, p. 205). Voir aussi MF 1/144.

--- Des ulémas shafi'ites ont dit que cela était autorisé même sans maslaha particulière vis-à-vis d'une personne précise.

--- Peut-on dès lors souhaiter une bonne année à un non-musulman, et le faire en fin ou en début d'année civile ?
A un non-musulman qui considère le début de l'année au 1er janvier, cela ne semble pas poser de problème dès lors que c'est le décompte auquel, par 'Urf, lui il adhère.
Cheikh Thânwî écrit que, oui, il est autorisé de se référer au calendrier grégorien, mais cela "est néanmoins contraire à la sunna des Salaf. Et se référer au calendrier lunaire est sans aucun doute meilleur (afdhal wa ahsan), vu que cela est fardh 'ala-l-kifâya" (Bayân ul-qur'ân 4/111).
En vertu du premier point, souhaiter une bonne année (dans le sens d'une année emplie de santé et de réussite), à un non-musulman qui adhère à ce référentiel de mesure du temps, cela semble être entièrement autorisé.
En vertu du second point, personnellement je ne vois pas pourquoi un musulman souhaiterait à un autre musulman, le 31 décembre ou les premières semaines du mois de janvier, une "bonne année"... (A un musulman, à l'occasion de la nouvelle année musulmane, on pourra par contre souhaiter une "bonne année" si on le veut ou en réponse à une parole de ce genre, de sa part ; ces nuances parce que cela ne constitue pas quelque chose de recommandé, mustahabb, et relève des simples relations humaines et est donc mubâh.)

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B) Les choses sont différentes quant au fait de présenter ses vœux à des non-musulmans l'occasion de leur fête religieuse. Ci-après deux avis différents sur le sujet...

– Après avoir cité des avis disant qu'il était autorisé à un musulman de féliciter ceux qui ne sont pas musulmans à propos des choses de la vie comme une naissance, un mariage, etc., et de leur souhaiter bonne santé, prospérité, etc., Ibn ul-Qayyim écrit : "فهذا في التهنئة بالأمور المشتركة. وأما التهنئة بشعائر الكفر المختصة به فحرام بالاتفاق؛ مثل أن يهنئهم بأعيادهم وصومهم، فيقول: عيد مبارك عليك، أو تهنأ بهذا العيد، ونحوه؛ فهذا إن سلم قائله من الكفر فهو من المحرمات، وهو بمنزلة أن يهنئه بسجوده للصليب" : "Ce qui précède concerne le fait de les féliciter à propos de choses communes (aux humains). (Mais) quant à ce qui est de les féliciter à propos des symboles de leur religion, cela est interdit à l'unanimité. Par exemple les féliciter pour leurs fêtes ou leur jeûne, et leur dire alors : "Joyeuse fête !", ou : "Que tu sois heureux de cette fête !", et chose voisine. Si celui qui dit ceci ne tombe pas lui-même dans le kufr, il commet au moins) un interdit. C'est comme si on félicitait ce non-musulman pour sa prosternation devant la croix" (Ahkâmu ahl-idh-dhimma, pp. 205-206). Cet avis de Ibn ul-Qayyim se fonde sur le fait que si le musulman considère qu'il doit tolérer les autres religions que l'islam, en revanche en son âme et conscience il ne peut être d'accord avec le fait qu'un homme se prosterne devant autre que Dieu. Il doit respecter cet homme en tant qu'homme. Il doit tolérer le fait que cet homme ait choisi une autre religion que l'islam. Mais il ne peut agréer ce qu'il fait. Il ne peut donc le féliciter pour cela. Il y a ainsi une différence entre le fait de tolérer les croyances et les pratiques religieuses d'autrui et le fait d'agréer ou de féliciter autrui pour ces croyances et pratiques.

Al-Qaradhâwî, pour sa part, a un avis nuancé par rapport à celui de Ibn ul-Qayyim. Il écrit : "Je sais que certain des Fuqahâ', tels cheikh ul-islâm Ibn Taymiyya - dans son livre précieux dans son livre de valeur : Iqtidhâ us-sirât al-mustaqîmi mukhâlafata as'hâb il-jahîm -, a été sévère quant à la question des fêtes des polythéistes et des gens du livre, pour ce qui est d'y participer. Je suis avec lui dans le fait de s'opposer à ce qu'un musulman célèbre les fêtes (religieuses) des polythéistes ou des gens du livre. Nous voyons certains musulmans fêter Noël comme ils fêtent la Eid ul-fitr et la Eid ul-adh'hâ. (…) Cela n'est pas autorisé : nous musulmans avons nos fêtes (religieuses), et eux les leurs" (Fatâwâ mu'âssira tome 3 pp. 672-673).
Al-Qaradhâwî poursuit : "Mais je ne vois pas de mal à ce qu'un musulman souhaite une bonne fête à un non-musulman lorsque tous deux sont parents, voisins ou collègues, ou autres cas de relations sociales qui demandent l'affection et le bon lien, que le bon usage approuve." Et il souligne : "cela de vive voix, ou par des cartes ne comportant pas de formule religieuse, contredisant les principes islamiques, comme par exemple la croix" (Fatâwâ mu'âssira tome 3 p. 672).
"Le caractère autorisé de souhaiter à des non-musulmans bonne fête à cette occasion se trouve accentué lorsqu'il s'agit de personnes qui, d'elles-mêmes, souhaitent bonne fête aux musulmans à l'occasion des fêtes islamiques" (Fatâwâ mu'âssira tome 3 p. 671).

Selon al-Qaradhâwî, il y a donc deux dimensions...
--- L'une est qu'il est interdit de célébrer des fêtes autres que les fêtes de l'islam. Ceci car le Prophète a dit des différentes religions qu'elles avaient chacune "leurs jours de fête" et que les musulmans avaient les leurs (rapporté par al-Bukhârî, n° 909, Muslim, n° 892, etc.). Les habitants de Yathrib (Médine) avaient, lorsqu'ils étaient encore idolâtres avant la venue de l'islam, deux jours de fête, et les voyant continuer à les célébrer après leur conversion à l'islam, le Prophète leur dit que Dieu leur avait donné en place et lieu les fêtes de la Eid ul-fitr et de la Eid ul-adh'hâ (rapporté par Abû Dâoûd, n° 1134, an-Nassâï, n° 1556). Les jours qui suivent la Eid ul-adh'hâ sont aussi des jours de fête (peut-être d'importance secondaire car dépendant de la Eid ul-adh'hâ), comme cela ressort du Hadîth rapporté par Muslim (n° 1141) et d'autres. Un autre Hadîth montre quant à lui que aussi bien le jour qui précède la Eid ul-adh'hâ, que le jour de la Eid ul-adh'hâ et les jours qui suivent la Eid ul-adh'hâ sont des jours de fête pour les musulmans (rapporté par at-Tirmidhî, n° 773, Abû Dâoûd, n° 2419, etc.).
--- La seconde dimension présente au sujet de la question, chez al-Qaradhâwî, est qu'il y a effectivement une différence entre le fait de tolérer les croyances et les pratiques religieuses d'autrui (ce qui est nécessaire en islam) et le fait de féliciter autrui pour ces croyances et pratiques (ce que le musulman doit impérativement éviter). Al-Qaradhâwî est cependant d'avis que ce principe n'est pas présent dans le cas qui nous intéresse ici. Et plutôt qu'une simple divergence de vues par rapport à l'avis de Ibn ul-Qayyim en la matière, al-Qaradhâwî opte davantage pour le fait qu'il s'agirait d'une divergence d'avis liée à un changement de contexte (pour plus de détails, voir mon article au sujet des catégories des divergences d'opinions : il s'agit de la catégorie B.B.A). En effet, al-Qaradhâwî explique son avis en disant que sur plusieurs points, la situation a changé par rapport à l'époque de Ibn Taymiyya et Ibn ul-Qayyim. Il cite notamment ce point-ci : aujourd'hui, pour une grande partie des occidentaux, Noël n'est plus vécu comme un phénomène religieux mais comme un phénomène traditionnel à l'occasion duquel ils se réunissent, se font des cadeaux et prennent ensemble un repas (Fatâwâ mu'âssira tome 3 p. 673). Chacun connaît ainsi des gens qui sont agnostiques, voire même athées, et qui pourtant fêtent Noël assidûment. La célébration de Noël consiste pour eux à se réunir en famille, à prendre un repas et à se faire des cadeaux.
Bref, selon al-Qaradhâwî, d'une part, en regard pour l'origine religieuse de Noël et pour le fait que cette connotation religieuse n'a pas complètement disparu des esprits, un musulman ne doit pas célébrer ce genre de festivités religieuses. D'autre part, cependant, en regard pour le fait que tout le monde ne fête pas Noël dans ce sens, il est permis en cas de nécessité de souhaiter à ses voisins, ses collègues et ses amis non musulmans de "bonnes fêtes de fin d'année". Cette permission, souligne al-Qaradhâwî, se révèle particulièrement utile en tant que réciproque vis-à-vis des non musulmans qui nous souhaitent une "bonne fête" lors des Eids.
Al-Qaradhâwî précise que tout ceci concerne les fêtes à connotation religieuse.
Par contre, et ce toujours selon lui, il est permis de participer aux célébrations liées à l'indépendance du pays où l'on vit, à sa libération de l'occupation, du moment que l'on reste lors de ces célébrations dans le cadre de ce qui éthiquement permis en islam (cf. Fatâwâ mu'âssira tome 3 pp. 672-673).

– Notez que je me suis contenté de citer les deux avis ainsi que leurs argumentations. Personnellement je trouve plus pertinent l'avis de Ibn ul-Qayyim.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux)

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