Dans une transaction, est-ce seulement le nom, ou bien la réalité qui est à considérer ? (هل العبرة في العقود للألفاظ والمباني، أم للمقاصد والمعاني ؟)

Wahba az-Zuhaylî écrit que 2 grandes tendances apparaissent comme réponse à cette question...

L'école shafi'ite considère le nom donné à la transaction, la forme extérieure de celle-ci, et la formule employée lors de sa conclusion.
Dès lors, si deux personnes emploient deux transactions qui en soi sont licites mais une fois mises bout à bout conduisent à détourner les dispositions de la législation musulmane, si elles ont l'intention de elles seront certes fautives devant Dieu, mais juridiquement il n'y a aucune raison de dire que la somme de ces deux transactions est invalide.

Selon az-Zuhaylî, la position de l'école hanafite sur le sujet est proche de celle des shafi'ites (Idem). Apparemment le mot "proche" indique non pas une similitude mais l'existence de certains points communs, avec quelques différences.

– Par contre, selon les écoles malikite et hanbalite, la considération va à la réalité de la transaction, indépendamment du nom qui a été donné à celle-ci, à la formule qui a été employée (verbalement ou par écrit) lors de la conclusion de l'affaire, et à la forme extérieure de ladite transaction (cf. Ussûl ul-fiqh il-islâmî pp. 928-930).

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Ceci explique la divergence suivante entre l'école shafi'ite et les autres écoles

La vente dite "as-salam" constitue un cas différent de la vente classique dans la mesure où, dans la vente classique, il est interdit de vendre ce dont on n'a pas encore la propriété (milk) ou la possession (qabdh), alors que dans la vente as-salam, on vend ce qu'on ne possède pas encore : l'argent est versé immédiatement mais la marchandise sera remise plus tard, l'objectif (hikma) étant de permettre au vendeur d'utiliser cet argent pour acquérir ou préparer la marchandise. L'interdiction de vendre ce dont on n'a pas la propriété ou la possession concerne donc la vente où la marchandise doit être remise immédiatement : on ne peut alors pas vendre ce que l'on n'a pas. Par contre, dans le "bay' us-salam", l'autorisation concerne la vente où la marchandise doit être remise plus tard, d'où son nom de "vente à terme". Ceci concerne donc la vente où la marchandise doit être livrée de façon différée.

Mais est-il permis de vendre ce dont on n'a pas la propriété ou la possession, avec livraison immédiate de la marchandise, en disant conclure là une "bay' us-salam" ?

L'école malikite est – avec les autres écoles – d'avis qu'une "bay' us-salam" ne peut concerner qu'une livraison de marchandise à terme, et c'est la raison pour laquelle elle diffère de la vente normale, où on ne peut pas vendre ce qu'on ne possède pas encore. Quant au nom que l'on donne à cette transaction, cela n'a pas d'incidence, du moment que la réalité est la même.

– Par contre l'école shafi'ite est d'avis que cela est autorisé : même avec la condition de la livraison immédiate de la marchandise il est autorisé d'avoir recours à une "bay' us-salam". Cette école précise :
--- si le vendeur utilise le terme "bay'" ("vente") et vend – avec promesse de livraison immédiate ou quasi-immédiate – ce qu'il ne possède pas encore, cela est interdit ;
--- par contre, s'il utilise le terme "bay' us-salam" et vend – avec promesse de livraison immédiate ou quasi-immédiate – ce qu'il ne possède pas encore, cela est autorisé.
La différence des formules utilisées a une influence, bien que le résultat soit strictement le même ("Wa ammâ mâ yuqâl min annahû yalzamu ma'a 'adam il-ajal an yakûna bay'an li-l-ma'dûm, wa lam yurakhkhas fîhî illâ fi-s-salam, wa lâ fâriqa baynahû wa bayn al-bay' illa-l-ajal ; fa yujâbu 'anhu bi anna-s-sîghata fâriqa, wa dhâlika kâfin" : Nayl ul-awtâr 5/317).

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Une objection :

Peut-on, lors d'une dette dû à un emprunt, fixer une date pour le remboursement, cela constituant une condition ?
--- L'école hanafite dit que cela reviendrait à fixer un délai dans un échange de monnaie contre monnaie, ce qui constitue la même chose qu'un "riba-n-nassî'a fi-l-buyû'" (Al-Hidâya 2/60). Les écoles shafi'ite et hanbalite disent que le délai mentionné n'est pas compté comme condition prise en considération (Al-Mughnî 6/8).
--- Par contre, l'école malikite dit que cela est autorisé et que la condition sera prise en considération ; ceci car le "bay' un-naqd bi-n-naqd" est différent d'un prêt ("qardh") (voir Fiqh us-sunna, 4/85).

L'objection qui se pose ici est : On dit que l'école malikite cherche à établir s'il n'y a pas, au fond, similitude entre deux opérations malgré la différence de noms. Pourquoi, ici, ne l'a-t-elle alors pas fait, à l'instar de l'école hanafite ?

Réponse :

Ici, ce ne sont pas seulement les 2 noms qui sont différents, ce sont les réalités de ces 2 transactions qui diffèrent. En effet, car elles appartiennent à 2 catégories complètement différentes :
--- le "bay' un-naqd bi-n-naqd" appartient au genre "commerce", et elle relève donc des règles commerciales,
--- tandis que le prêt ("iqrâdh") appartient au genre "entraide" et relève donc des règles liées à ce genre-là.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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