Saba et Himyar ; Aksoum ; les Nabatéens…

Ci-après quelques informations sur les antiques peuples de Saba et Himyar, sur Aksoum et sur les Nabatéens... peuples qui habitaient une région de la péninsule arabique ou de ses alentours immédiats, et dont on trouve le nom ou l'allusion dans les sources musulmanes : le Coran ou la Sunna...

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A) Saba et Himyar :

Saba est en réalité le nom d'un homme, dont le peuple dit de "Saba" est issu. De cet homme descendent tout autant les Himyarites, mais c'est au premier peuple que l'usage réserva le nom de l'ancêtre commun ("Saba"), tandis que les seconds, les Himyarites, furent nommés d'après l'un des fils de celui-ci, Himyar ibn Saba. C'est là un phénomène récurrent dans l'histoire des peuples : alors qu'il existe deux ramifications descendant d'un même ancêtre, c'est seulement l'une d'entre elles qui prend le nom de cet ancêtre (cf. Jazîrat ul-'arab, p. 218). Les Himyar existaient depuis l'époque du peuple dit de Saba et étaient installés à l'ouest de ceux-ci ; cependant, ils étaient marginalisés par leurs brillants cousins et vivaient sous la tutelle de ceux-ci (Jazîrat ul-'arab, p. 206). Par contre, après le déclin de ceux-ci, ils connurent à leur tour l'émergence, et bientôt ce furent eux qui dominèrent politiquement et culturellement la région.

La domination de Saba dura d'environ le début du premier millénaire avant J.-C. jusqu'à l'an 115 avant J.-C.
Et la période qui va de l'an 115 avant J.-C. jusqu'à l'an 525 après J.-C. vit la domination de Himyar.

En fait au sein de chacune de ces deux périodes, on distingue deux phases ...

A l'intérieur de la période de la souveraineté de Saba :
--- la première phase va des débuts jusqu'à l'an 550 avant J.-C. : en ces temps les souverains de Saba sont désignés sous le nom de "Makaribu Saba" ;
--- la seconde phase va de cette date à l'an 115 avant J.-C. : ici les souverains sont nommés "Rois de Saba" (Ardh ul-qur'ân, pp. 193-196).

La domination de Himyar connaît, elle, les deux subdivisions suivantes :
--- la première va de l'an 115 avant J.-C. jusqu'à l'an 300 après J.-C. : c'est celle où les souverains himyarites sont nommés : "Rois de Himyar" ;
--- pendant la seconde, qui part de l'an 300 jusqu'à l'an 525, leur nom devient : "Tubba' de Himyar" (Ardh ul-qur'ân, p. 191, p. 222) ou encore "Rois de Saba et de Raydan". Il est à noter que cette seconde période s'ouvre suite aux conflits qui opposent Himyar à Saba et qui durent de 280 à 295.

Deux réalisations sont liées au nom de Saba : la route de l'encens et le système d'irrigation antique.

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A.1) La route de l'encens :

Pascal Maréchaux, auteur avec Maria Maréchaux d'un ouvrage intitulé "La route de l'encens", écrit : "L'encens est la résine naturelle du Boswellia sacra. La seule région du monde où il pousse à l'état natif est le Dhofar, aux confins de l'Oman" (Géo n° 197, Juillet 1995, p. 145). L'encens est en fait également produit dans l'Hadramaout – toujours dans le Sud de l'Arabie, à l'ouest du Dhofar –, ainsi que sur les côtes de la Somalie voisine.

Or, durant tout le 1er millénaire avant J.-C., à la rareté du produit s'ajoute le besoin qu'en ont de nombreux peuples du bassin méditerranéen, ce qui lui confère un statut de "produit plus précieux que l'or" (p. 142). Maréchaux écrit que la résine était alors "vouée à l'une ou l'autre de ces destinations prestigieuses : à la momification de Toutankhamon ; aux prêtres des temples assyriens du dieu Baal ("seigneur de l'autel des parfums") qui réclament sans cesse de ces fumées messagères auprès des divinités et dont l'usage les protège des miasmes des fidèles venus chercher la guérison ; aux coffres que la reine de Saba s'en va offrir à Salomon qui en parfume abondamment sa salle du trône ; aux funérailles de Popée, pour le bûcher de laquelle Néron consume plus d'une année de production de l'Arabie ; aux rois mages en route pour Bethléem ; à la Curie romaine, où les sénateurs prêtent serment de fidélité à l'empereur au-dessus d'un brasera d'encens ; au roi Hérode d'Egypte qui ordonne des fumigations d'encens pour lutter contre la grande peste…" (Ibid. pp. 147-148). La fortune de l'Arabie du Sud est ainsi assurée.

"3000 tonnes" de ce précieux produit suivaient chaque année le tracé de "la route de l'encens" : un itinéraire qui va "des rives de l'océan Indien jusqu'à la Palestine", qui "rallie les montagnes de l'Oman aux rives de la Méditerranée", "longeant les hauts plateaux yéménites, traversant toute l'Arabie" en passant par des cités alternant avec de "vastes étendues désertiques" et au nombre desquelles on compte : "Sumharam, Qana, Shibam, Shabwah, Timna, Marib, Baraqish, Najran, La Mecque, Médine, Madain Salih, Pétra, Gaza" (Ibid., p. 140-141) (certains de ces noms sont ceux en vigueur aujourd'hui, et sont donc différents de ceux que les cités en question portaient autrefois). "Pline avait recensé soixante-cinq étapes de chameau avant que l'encens arrive à destination" (Ibid., p. 142, note sur une illustration). Maréchaux poursuit : "Le monopole du trafic assure alors aux royaumes sudarabiques de Ma'in, Qataban, Awsan, Hadramaout et Saba une prospérité" conséquente (Ibid. p. 143).

Jean-Claude Grenier écrit quant à lui : "L'Arabie heureuse a constitué l'essentiel de sa richesse sur le commerce de l'encens et de la myrrhe, marchandises extrêmement précieuses à l'époque. Elles étaient utilisées dans les rites religieux par presque tous les peuples de la Méditerranée qui étaient prêtes à payer des fortunes pour les acquérir. La route de l'encens reliait donc le port de Qana, sur l'océan Indien, où arrivait une grande partie de la production, à celui de Gaza, sur la Méditerranée. Les bateaux y prenaient le relais des caravanes" (Géo n° 225, Novembre 1997, p. 216). Il y avait, sur le parcours, "des cités qui prélevaient un droit de passage sur les caravaniers" (Ibid.).

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A.2) L'irrigation du Yémen antique :

Jean-Claude Grenier écrit à propos de la civilisation sudarabique : "Légendes et récits évoquent à son propos de longues caravanes de chameaux chamarrés et lourdement chargés d'aromates. Mais, aujourd'hui, historiens et archéologues en découvrent les mystères. Ils apprennent que cette civilisation caravanière, née sur la route de l'encens, fut d'abord agricole. En fouillant les sites de Ma'rib, capitale du royaume de Saba, mais aussi ceux de Shabwa, Yathill (aujourd'hui Baraqish) et d'autres cités disparues, ils découvrent que ces sociétés furent les championnes de l'irrigation" (Géo n° 225, p. 210). "En fait, les montagnes du Yémen reçoivent les pluies de la mousson. Deux fois par an dans les périodes fastes : en avril-mai et en juillet-août. Ces averses violentes dévalent les flancs des montagnes et provoquent une crue brutale, à la fois bénie et redoutée. Après chaque pluie, un torrent furieux chargé de limons surgit au coude de la vallée, emportant tout sur son passage. La débâcle ne dure que quelques heures. Après, le lit de cette rivière temporaire qu'est le wadi retrouve sa sécheresse minérale. L'art des anciens Yéménites a consisté à transformer cette violence en richesse. Le principe consiste à dresser de solides môles dans le lit du wadi en assemblant d'énormes blocs de pierre capables de résister au courant pour en dévier une partie vers des canaux peu profonds. L'eau est ensuite dirigée vers les champs en terrasse. Marche après marche, le liquide chargé de limons inonde les parcelles à cultiver. (…) Année après année, le niveau des sols irrigués s'élève. Au cours des siècles, de chaque côté du lit des wadis, ils ont fini par former les impressionnantes terrasses qui occupent aujourd'hui le fond des vallées" (pp. 210-211). "A Ma'rib, Ma'in, Shabwa, Timna ou Yathill mais aussi dans presque toutes les vallées du Yémen intérieur, à la jonction de la montagne et du désert, on retrouve la trace d'un tel système d'équipement" (p. 211). L'équipe de "l'Institut archéologique allemand de Sanna" "fait remonter les premiers programmes d'irrigation à grande échelle dans le Yémen au IIIème millénaire avant notre ère" (pp. 211-212). De toutes ces cités, c'est dans celle de Ma'rib que, "plus qu'ailleurs, les hommes ont su être des jardiniers du paysage" (p. 210). Dans l'antique capitale de l'Arabie du Sud, qui est "située à 170 kilomètres à l'est de la ville de Sanaa", on trouve en effet "les vestiges du plus impressionnant barrage du monde antique : deux constructions monumentales autrefois reliées en partie par une gigantesque levée de terre. On y voit aussi, sur tout le fond de la vallée, d'étranges entablements constitués par une alternance de minces bandes ocre et jeunes qui s'empilent parfois sur une trentaine de mètres. Ce sont les traces d'un alluvionnement millénaire" (p. 210).
Selon "la thèse la plus couramment développée"
, la digue de Ma'rib consistait en "un véritable barrage dressé en travers de la vallée du wadi Danah". "Ce barrage est construit de manière à élever le niveau de l'eau pour qu'elle atteigne les grands répartiteurs chargés de la redistribuer sur les surfaces à irriguer. Aux deux extrémités nord et sud, un bassin de tranquillisation calme le flot avant qu'il ne s'engage dans un canal dit primaire menant au répartiteur principal. De là, un réseau de canalisations conduit l'eau aux lopins de terre. De chaque côté du wadi Danah, l'oasis se présente sous la forme de deux jardins de 4 300 et 5 300 hectares, capables de nourrir cinquante mille personnes" (p. 212). Selon une autre thèse, "la digue était une simple levée de terre, de forme concave pour absorber le choc si le flot devenait trop impétueux et céder sans risquer de détruire les ouvrages en pierre élevés sur les berges en amont" (p. 213).

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A.3) La chute de Saba :

Le Coran parle de Saba et de la rupture de la digue qu'ils avaient construite (Coran 34/15-19).
Or, la digue de Ma'rib, disent les spécialistes occidentaux, a connu plusieurs destructions : en 360 après J.-C. ; en 456 ; en 572. Il faut cependant savoir qu'elle a aussi connu des destructions bien avant le début de l'ère chrétienne et qu'elle fut ensuite reconstruite.
A laquelle de ces destructions le Coran fait-il allusion ?

Il est, à ce sujet, intéressant de noter que, d'après ce passage coranique, le déclin commercial de Saba fait suite à la destruction de leur digue : comme l'a souligné as-Syôhârwî, les deux événements sont donc proches dans le temps (Qassas ul-qur'ân 3/305).
Or on sait que la chute de Saba eut lieu dans la seconde moitié du deuxième siècle avant J.-C.
La destruction de la digue à laquelle le Coran fait allusion est donc celle qui a eu lieu vers la même époque.

Relevons par ailleurs que Sulaymân an-Nadwî affirme que ce ne fut pas, contrairement à ce qu'affirment un certain nombre de commentateurs du Coran, la destruction de la digue qui causa la chute de Saba en tant que puissance, mais la perte de leur mainmise sur le commerce (Ardh ul-qur'ân, pp. 215-217). En effet, le secret des moussons ayant été levé au IIè siècle avant J.-C. par Hippalus, les Lagides – les souverains hellénistes de l'Egypte – parvinrent à établir une voie commerciale directe entre leur pays et l'Inde, ce qui leur permit de pouvoir se passer de la route terrestre, celle-là même sur laquelle Saba avait la main haute. Le coup fut rude pour ces derniers, et ils ne devaient pas s'en relever. Leur fin en tant que puissance commerciale et politique eut lieu vers 115 avant J.-C., et ce furent les Himyarites qui prirent leur relève.

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B) Les Abyssiniens de Aksoum :

Les Aksoum, habitants de l'Abyssinie, étaient apparentés aux Sabéens et aux Himyarites. On dit qu'ils étaient sémites, de par leur culture mais aussi de part leurs liens de parenté avec le voisin pays de Saba. Les Abyssiniens descendaient en fait de hamites et de sémites.

Les gens de Saba avaient, à la faveur de leur commerce, établi des comptoirs en Abyssinie. Les Himyarites, au tournant des IIè-Ier siècles avant J.-C., agissent de même, et deviennent de plus en plus entreprenants dans les affaires du pays (Ardh ul-qur'ân p. 239). Le remplacement de Saba par Himyar produit des échos chez les Aksoum, qui se mettent à chercher à concurrencer les Himyar (Ibid.).

Bientôt les Abyssiniens conquièrent même le Yémen, leur roi se faisant reconnaître comme souverain "d'Aksoum, du Yémen, de Reidan…" : cela se passe au IVè siècle après J.-C. (de 370 environ à 378) (Ibid, p. 240). Les Himyarites recouvrent cependant leur indépendance en l'an 378.

Dans cette même moitié du IVè siècle, les Abyssiniens conquièrent par ailleurs la Nubie, qu se trouve au nord par rapport à leur pays.

D'autre part, si au début les Aksoum étaient des polythéistes (astrolâtres ?), peu à peu ils se convertissent au christianisme. Au IVè siècle (en 330), sous l'action d'un prédicateur chrétien originaire d'Alexandrie, le souverain d'Ethiopie, Ezana, se convertit au christianisme.
Or, vers la même époque (en 360), au Yémen la dynastie himyarite se convertit au judaïsme.
Et au Vè siècle, le christianisme s'implante au Yémen (surtout dans la ville de Nadjran).

La rivalité politique va dès lors s'exprimer également sur le plan religieux :
– d'un côté les Abyssiniens, de même religion que Byzance : le christianisme ;
– de l'autre les Himyarites, d'une religion qui a les faveurs de la Perse : le judaïsme.
Le conflit connaîtra son paroxysme au cours du VIè siècle, avec le massacre de chrétiens par le roi himyarite à Najran, en l'an 523.

La porte est ouverte pour les représailles, et les Abyssiniens conquièrent une nouvelle fois le Yémen (en 525).
Ils y demeureront jusqu'à la dernière partie de ce VIè siècle, quand les Perses les y supplanteront.
La présence de ceux-ci durera quant à elle jusqu'à la conquête musulmane, dans la première partie du VIIè siècle.

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C) Les Nabatéens :

Les Nabatéens sont des Arabes ismaélites, mais, par leur adoption d'un mode de vie particulier, ils se sont peu à peu différenciés des autres Arabes qui descendent eux aussi du patriarche (cf. Ardh ul-qur'ân, pp. 292-294). Tout d'abord purement nomades, ils furent amenés à s'organiser politiquement sous la pression de conflits avec des peuples voisins. C'est ainsi qu'en – 700 ils se dotèrent d'un souverain.

Peu à peu enrichis par le commerce caravanier inauguré par Saba et qui passe par leur territoire, ils prennent progressivement possession des régions qu'occupaient autrefois les peuples de Thamud, de Madian, de Edom, de Moab et de Ammon, et font de Pétra leur capitale (aujourd'hui en Jordanie). Celle-ci ne tombera qu'en l'an 24 après J.-C., sous l'assaut romain.

Les Nabatéens se replient alors au sud, dans le désert.

C'est en l'an 106 après J.-C. qu'ils perdront totalement leur souveraineté, quand ils seront définitivement vaincus par les Romains.

Maréchaux écrit : "Strabon décrivait ce curieux peuple de purs nomades qui "se font une loi de ne pas semer le blé, de ne pas planter d'arbre fruitier, de ne pas user de vin, de ne pas construire de maison, tout cela sous peine de mort." Est-ce donc seulement pour leurs morts qu'ils font surgir du roc ces palais-tombeaux somptueux ? Enrichis par le contrôle du commerce caravanier, ils goûtèrent néanmoins au confort de la vie citadine. Un peu à l'écart du nœud de routes reliant la Méditerranée orientale, l'Afrique, l'Arabie et l'Asie intérieure, ils établirent leur cité-refuge dans la roche : Pétra, aujourd'hui en Jordanie" (Géo n° p. 150).

Dans les antiques cités de Thamûd, "on trouve des inscriptions en graphie araméenne et en graphie thamudéenne. Mais on dit de la plupart des inscriptions en graphie araméenne qu'elles sont l'œuvre des Nabatéens, dont les historiens disent qu'ils ont dominé la région avant et après l'époque de Jésus" (Jazîrat ul-'arab, p. 117, voir aussi Ardh ul-qur'ân, p. 151).
"Les peuples de Thamûd, de Madian et de [Edom] avaient déjà vécu en différentes parties de la région où ils [= les Nabatéens] habitaient. Les cités [ou les ruines des cités] de ces peuples se trouvaient là"
(Jazîrat ul-'arab, p. 132, Ardh ul-qur'ân, p. 295 ; voir aussi à ce sujet Qassas ul-qur'ân 1/126).

Il faut savoir que :
– le peuple de Madian résidait non loin du golfe d'Eilat ;
– celui de Edom (peuple qui sera plus tard désigné sous le nom d'Iduméens) résidait plus au nord ;
– et, allant encore vers le nord (en fait le nord-nord-est), on trouvait Moab, puis Ammon.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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