Le texte coranique, écrit différemment selon les époques et les lieux ?

Quatre niveaux existent quant à l'écriture du texte coranique dans les copies coraniques. Ne pas les connaître c'est mélanger différents niveaux et croire – peut-être en toute bonne foi, mais en tous cas de façon erronée – que des musulmans font des changements dans le texte coranique.

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Premièrement, la charpente (al-hijâ') :

Elle est constituée du socle des lettres (sans les marques diacritiques, sans les voyelles courtes, et sans la totalité des voyelles longues). Cette charpente textuelle ne doit pas être changée.

Elle a d'ailleurs, si on fait exception de Ibn Mas'ûd et de ses élèves, hier et aujourd'hui partout été recopiée de façon conforme à l'ensemble des copies (ou à au moins l'une* des copies) que la commission nommée par Uthman avait préparées ("ar-rasm ul-'uthmânî"), d'après ce qu'en ont rapporté ad-Dânî et d'autres.
(* Car il existe quelques variantes minimes entre certaines des copies uthmaniennes. Cela est connu et répertorié dans les ouvrages classiques traitant du Tafsîr, de 'Ilm ul-qirâ'ât ou de 'Ilm ur-rasm. L'exemple le plus connu de telles variantes est celui de la présence du terme "مِنْ", pour le passage de Coran 9/100 dans la copie destinée à La Mecque, alors qu'il est absent dans les autres copies. Ibn Kathîr lit ce terme dans ce passage, et pas les autres. D'autres exemples existent. Voir Al-Itqân, p. 238, où est reproduit le propos de Ibn ul-Jazârî sur le sujet, et où sont cités deux autres exemples encore.)

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Deuxièmement, l'inscription des marques diacritiques, des voyelles courtes et des voyelles longues (dhabt un-nuqat wa-l-harakât wa-s-sakanât wa hurûf il-madd) :

Cette inscription est changeable en fonction des variantes de récitation authentiques que l'on veut faire transparaître. Au moment d'écrire cet article, j'ai sous les yeux :
-- une copie du Coran où les points diacritiques et les voyelles sont inscrits de manière à faire transparaître les variantes rapportées par Hafs,
-- et une autre copie où ces marques sont inscrites en sorte de faire transparaître les variantes rapportées par Warsh.

-- La première copie indique en préambule "avoir été écrite conformément à la graphie de Uthman, et en faisant transparaître les variantes rapportées par Hafs".
-- La deuxième indique "avoir été imprimée conformément à la graphie de Uthman, et en faisant transparaître les variantes rapportées par l'imam Warsh". Nous sommes ici dans le droit prolongement de ce que Uthman avait voulu : préparer une plate-forme écrite capable d'englober de multiples variantes de récitation prouvées du Prophète.

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Troisièmement : les signes utilisés conventionnellement comme points diacritiques et pour désigner les voyelles courtes et les voyelles longues ('alâmât udh-dhabt) :

Par quels signes différencier par exemple la lettre qâf de la lettre fâ', lettres dont le socle est très voisin ?
Deux écoles existent à ce sujet :
-- l'école de al-Khalîl ibn Ahmad et du Machreq utilise deux points diacritiques supérieurs pour désigner le qâf, un point supérieur pour la lettre fâ' ;
-- l'école de l'Andalousie et du Maghreb, elle, utilise un point supérieur pour le qâf, un point inférieur pour le fâ'.

D'autres différences existent également.

Ici encore, si la plupart des copies coraniques imprimées aujourd'hui ont recours aux signes conventionnels de la première école, certaines utilisent pour leur part ceux de la seconde école. Au moment d'écrire cet article, j'ai sous les yeux un exemplaire du premier type de copie (imprimé en Arabie Saoudite), ainsi qu'un exemplaire du second type (imprimé en Tunisie). Tout ceci est purement conventionnel et n'entraîne aucun changement par rapport à la "charpente" préparée par la commission de Uthman.

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Enfin, quatrièmement, les formes calligraphiques (équivalent des "polices de caractères") (khatt ul-hurûf) utilisées pour écrire les lettres qui constituent le texte coranique :

Ces polices sont également changeables sans que cela ait d'incidence sur le texte coranique. Ainsi, alors que les copies du Coran étaient souvent écrites auparavant selon la forme calligraphique "kûfî", le simple fait qu'on les écrive plus tard selon la forme "naskh" ou "thuluth" ne change absolument rien au texte coranique, puisque ce ne sont que différentes formes calligraphiques, les lettres restant les mêmes. Nous sommes ici dans le même cas qu'en ce qui concerne par exemple les polices "Times New Roman" et "Arial" par rapport aux lettres latines.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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