Jeûner : quel en est le sens ?

Les musulmans et les musulmanes jeûnent pendant un mois lunaire chaque année : cela fait partie de ce qu'ils considèrent comme faisant partie de leurs devoirs vis-à-vis de Dieu. Le jeûne qu'ils observent est un jeûne complet, qui consiste à ne pas manger, ne pas boire, ne pas avoir de relations intimes, depuis le moment de l'aube jusqu'au coucher du soleil. Ce jeûne de la journée est obligatoire durant le mois de ramadan, le 9ème mois de l'année musulmane.

Pourquoi jeûner ? Quel en est le sens ?
Quel est l'objectif que poursuivent les musulmans et les musulmanes en se privant ainsi de tout ce qui fait les plaisirs du corps pendant 29 ou 30 journées ?

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L'objectif du jeûne :

Avant tout c'est un acte purement cultuel (min al-'ibâdât), par lequel l'homme cherche à se rapprocher de Dieu. Le prophète Muhammad (que Dieu le bénisse et le salue) a relaté que Dieu a dit : "Le jeûne est fait pour Moi, et Je le récompenserai personnellement. (Le jeûneur) délaisse sa nourriture, sa boisson, et (le fait de satisfaire) son désir pour Moi" : "يترك طعامه وشرابه وشهوته من أجلي" (al-Bukhârî, 1795, Muslim, 1151) : ici "شهوته" signifie : "قضاء شهوته", c'est-à-dire : "جماعه". Dans une autre version on lit : "il délaisse sa nourriture pour Moi, sa boisson pour Moi, son plaisir pour Moi" : "يدع الطعام من أجلي، ويدع الشراب من أجلي، ويدع لذته من أجلي، ويدع زوجته من أجلي" (Ibn Khuzayma, 1897 : FB 4/138).

Il s'agit du délaissement de certains plaisirs pendant un moment précis pour Dieu, par mesure de rapprochement avec Dieu. C'est cela qui confère au jeûne le statut d'action purement cultuelle, d'action de la catégorie des "'Ibâdât" (cliquez ici et ici pour en savoir plus).

Maintenant, au sein de l'ensemble des actions purement cultuelles (al-'ibâdât) (prière rituelle, pèlerinage, évocation de Dieu, invocation de Dieu, etc.), qu'est-ce qui fait la spécificité du jeûne ?

C'est ce que nous allons voir ci-après...

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La spécificité du jeûne :

Pour l'islam, manger, boire, vivre sa sexualité sont des actes tout à fait naturels pour les humains, et, plus même, ce sont des actes sacrés dès qu'ils sont faits avec la conscience de la Présence de Dieu et dans le cadre éthique prévu par les sources musulmanes. Dans le Coran, Dieu dit : "Mangez et buvez, sans excès" (Coran 7/31) ; "Vos femmes sont un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles" (2/187). L'idée de devoir parvenir à l'extinction du désir et du plaisir n'est pas islamique.

Si l'islam ne donne ainsi aucune place à la mortification du corps au nom de l'élévation de l'âme, il dit bien, cependant, que les hommes, constitués d'une âme et d'un corps, doivent éviter l'excès.

Mortifier son corps au nom de l'élévation de son âme est un excès qui, lorsqu'il est pratiqué par toute une société, ne peut manquer avoir des effets négatifs sur le développement de celle-ci : les corps sont marqués négativement, les droits du corps sont regardés comme une mauvaise chose, un frein est mis à toute recherche scientifique, etc... Mais, de l'autre côté, donner aux plaisirs du corps l'emprise sur son être constitue un autre excès, l'autre extrême en quelque sorte, et lorsque ceci est pratiqué par toute une société, ses effets ne tardent pas à se faire ressentir : l'homme utilise alors toute son intelligence et toutes les facultés personnelles dont il dispose pour trouver le moyen de gagner toujours plus d'argent pour pouvoir vivre toujours plus de plaisirs, de plus en plus variés : atteint-il un objectif qu'il s'était fixé que d'autres de ses semblables en créent aussitôt d'autres, en sorte qu'il se remet lui-même à chercher à atteindre de nouveaux objectifs. L'homme devient l'esclave de ses désirs et de ses plaisirs. Il devient l'esclave de ce qu'il croyait maîtriser. Et il se met alors à être sans pitié aucune pour ses semblables dès que ses possibilités de satisfaire ses désirs et plaisirs sont en jeu. La réalité de nos sociétés d'aujourd'hui le montre hélas de façon quotidienne... C'est pour parer à cet autre extrême que Dieu a institué le jeûne. Loin d'être un exercice de privation gratuite, c'est un exercice de maîtrise, de rééquilibrage, de recentrage sur l'objectif de la vie : vivre une vie normale, mais vivre une vie d'équilibre. Le jeûne est un acte par lequel l'homme se rappelle que l'objet de son adoration (donc l'objectif suprême de sa vie) est Dieu et non pas l'estomac et le sexe. Si, comme nous le disions plus haut, l'extinction du désir et du plaisir n'est pas une idée musulmane, en revanche la recherche de la modération et de la maîtrise de ses désirs et de ses plaisirs est un objectif que l'islam offre à l'homme, afin que celui-ci puisse se rapprocher davantage de Dieu.

C'est ainsi que le mois du jeûne est un mois pour se ressourcer : pour revenir à la source, pour faire dominer sa spiritualité sur son animalité.

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Quelques avantages du jeûne :

– Le jeûne enseigne le fait de se préserver, de faire preuve de patience : on a la capacité de faire telle chose, mais on se contrôle et on ne la fait pas.

– Le jeûne permet de plus de vivre pendant une journée ce que les pauvres vivent eux toute l'année, de prendre conscience de leur dénuement, et de raviver en soi l'idée qu'il est du devoir de ceux qui ont quelque chose d'aider ceux qui n'ont rien. Le Prophète, déjà très généreux en temps habituel, l'était plus encore pendant le mois de ramadan (rapporté par al-Bukhârî).

– Le jeûne permet de même de prendre de nouveau conscience des bienfaits que Dieu a octroyés à l'homme. Faites-en l'expérience : après une journée de jeûne, les fruits les plus simples et l'eau la plus plate vous paraîtront avoir une saveur fantastique. Et plus que jamais, après les avoir consommés, vous direz : "Louange à Dieu qui nous a donné à manger et à boire…" (comme l'a enseigné le Prophète, rapporté par at-Tirmidhî, 3457). Le Prophète disait, au moment de rompre son jeûne : "La soif a disparu, les veines se sont rafraîchies, et la récompense est établie si Dieu le veut" (rapporté par Abû Dâoûd, 2357).

– Le jeûne a également des bienfaits physiques, connus depuis l'antiquité. De nombreux chercheurs contemporains ont mis en évidence le fait qu'un jeûne régulier améliorait la santé (il allège l'estomac, le foie, épure le sang, etc.). Cependant, pour les musulmans les bienfaits physiques du jeûne sont considérés comme des avantages secondaires, et non comme un objectif en soi, ce dernier restant d'ordre spirituel.

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Idéal et réel :

Il serait faux de dire que chaque musulman et chaque musulmane parviennent à 100% à l'objectif recherché après un mois de jeûne. Nous avons conscience d'être des humains, donc d'être imparfaits. Mais nous luttons contre nous-mêmes pour nous efforcer de nous rapprocher de cet idéal que constitue le jeûne tel que pratiqué et enseigné par le Prophète Muhammad (sur lui la paix).

Et nous désirons nous souvenir que le Prophète Muhammad (sur lui la paix) a dit : "Celui qui ne délaisse pas les paroles et les actes mauvais, Dieu n'a pas besoin qu'il délaisse sa nourriture et sa boisson [= n'accepte pas ce délaissement]" : "عن أبي هريرة رضي الله عنه، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "من لم يدع قول الزور والعمل به، فليس لله حاجة في أن يدع طعامه وشرابه" (rapporté par al-Bukhârî, 1804).

Il a également dit : "Toute bonne action que fait l'homme lui sera récompensée selon un barème allant de 10 à 700 fois, sauf le jeûne, a dit Dieu : "Le jeûne est fait pour Moi, et Je le récompenserai personnellement. Le jeûneur délaisse son désir et sa nourriture pour Moi". Le jeûneur a deux moments de joie (particulière) : lorsqu'il rompt son jeûne [le soir], il est heureux de rompre son jeûne, et lorsqu'il rencontrera Dieu, il sera heureux d'avoir jeûné. Le jeûne est un bouclier. Lorsque l'un d'entre vous jeûne, qu'il se préserve des paroles déplacées (rafath) et des cris. Si quelqu'un le provoque ou cherche à se battre avec lui, qu'il lui dise : "Je jeûne"." : "عن أبي هريرة رضي الله عنه، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "كل عمل ابن آدم يضاعف الحسنة عشر أمثالها إلى سبعمائة ضعف، قال الله عز وجل: إلا الصوم، فإنه لي وأنا أجزي به، يدع شهوته وطعامه من أجلي. للصائم فرحتان: فرحة عند فطره، وفرحة عند لقاء ربه" (rapporté par Muslim, 1151/164 ; al-Bukhârî partiellement) ; "عن أبي هريرة، رضي الله عنه رواية، قال: إذا أصبح أحدكم يوما صائما، فلا يرفث ولا يجهل، فإن امرؤ شاتمه أو قاتله، فليقل: إني صائم، إني صائم" (Muslim, 1151/160) (an-Nassâ'ï, 2215). Ibn Hajar écrit que ce sont en fait 2 hadîths distincts, comme on le voit dans Al-Muwatta' (numéros 707 et 706 respectivement).
Le contentement que celui qui a jeûné éprouve au moment de rompre son jeûne est soit d'ordre tab'î : retrouver la boisson et la nourriture (cela est alors mubâh) ; soit d'ordre 'aqlî : avoir complété son unité d'adoration (et cela est alors mustahabb). Quant au contentement qu'il éprouvera lorsqu'il rencontrera Dieu, ce sera à cause de la récompense pour ses jeûnes : "قال القرطبي: معناه فرح بزوال جوعه وعطشه حيث أبيح له الفطر؛ وهذا الفرح طبيعي، وهو السابق للفهم. وقيل: إن فرحه بفطره إنما هو من حيث إنه تمام صومه وخاتمة عبادته وتخفيف من ربه ومعونة على مستقبل صومه" (FB 4). "وأما عند فطره فسببها تمام عبادته وسلامتها من المفسدات وما يرجوه من ثوابها" (ShM 8/31-32). "قلت: ولا مانع من الحمل على ما هو أعم مما ذكر، ففرح كل أحد بحسبه لاختلاف مقامات الناس في ذلك: فمنهم من يكون فرحه مباحا، وهو الطبيعي؛ ومنهم من يكون مستحبا وهو من يكون سببه شيء مما ذكره" (FB 4). "قوله "وإذا لقي ربه فرح بصومه" أي بجزائه وثوابه" (FB 4/).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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