Le sens de la vie humaine : innocence et responsabilité, culte et gérance

Quel est le sens de la vie de l'homme d'après le Coran ? Quel est le sens que revêt son chemin sur terre ?

Ci-après le sens de la vie humaine en 11 points, tel que présenté par le Coran :

1) L'homme naît innocent et avec une nature prédisposée à la Transcendance, avec dans son cœur une sorte d'étincelle ne demandant qu'à s'allumer :
Dieu dit : "Nous avons certes créé l'homme dans le meilleur état. Puis Nous l'avons ramené au plus bas de ce qui est bas, à l'exception de ceux qui croient et font le bien" (Coran, 95/4-6 ; "asfala sâfilîn" : "adh-dhalâl" – d'après al-Qurtubî – ou "an-nâr" – d'après Ibn Kathîr). Si l'homme n'entretient et ne développe pas l'étincelle présente en lui, en apportant foi et en faisant le bien, il échoue donc au plus bas de ce qui est bas. Le Prophète a expliqué que "tout humain naissait sur la prédisposition originelle" et que c'était ensuite qu'il pouvait en dévier (rapporté par al-Bukhârî et Muslim).

2) Après la naissance, le développement physique et psychique de l'être humain lui confère une nature présentant plusieurs facettes, lesquelles sont différentes mais ne sont pas antinomiques en soi :
L'homme est composé d'un corps et d'une âme. Dieu raconte dans le Coran qu'Il avait dit aux anges : "Je vais créer un homme à partir de boue. Lorsque je l'aurai façonné et aurai insufflé en lui l'âme que Je (lui donnerai), prosternez-vous devant lui" (Coran 38/71-72, voir aussi 15/28-29). D'une part, les besoins physiques, qui ne sont pas le résultat d'un péché originel mais font partie intégrante de la nature humaine et constituent des forces positives, voulues par Dieu. D'autre part, l'âme, qui crée des exigences par rapport aux pures demandes de la satisfaction des besoins physiques (Hujjat ullâh il-bâligha, p. 71). La question qui se pose à l'homme est dès lors non pas d'arriver à se débarrasser de ces besoins mais d'arriver à les coordonner avec les exigences de son âme. C'est ce qui amène l'homme à devoir faire des choix éthiques. Le mal n'est pas ce qui est physique ; c'est ce qui est en excès par rapport aux exigences de son âme et / ou par rapport aux droits d'autrui (Ibid., p. 174). Le mal est le fait de "pencher grandement" (Coran 4/27), c'est-à-dire d'être en excès, de satisfaire ses penchants en étant en déséquilibre par rapport à ses devoirs.

3) Pour reconnaître le bien et le mal, l'homme possède une conscience éthique globale :
"Et par l'âme humaine et Celui qui l'a créée puis lui a inspiré sa piété et son libertinage. A réussi celui qui la purifie, a échoué celui qui la corrompt" (Coran 91/7-9). L'homme doit entretenir cette conscience et la développer : "Et par l'âme qui reproche [le mal que son possesseur fait]..." (Coran 75/2). Certes, l'homme est faible et oublie, mais sa nature est bonne par essence.

4) Par dessus tout, l'homme aspire à Dieu : c'est se rapprocher de Dieu qui constitue le plus grand "bien" qui soit pour lui :
Shâh Waliyyullâh écrit que l'âme humaine "connaît une aspiration naturelle vers Dieu" (Op. cit., tome 1 p. 204), qu'elle est "une fenêtre vers le monde spirituel" (Ibid., tome 1 p. 67). Dieu Lui-même dit : "Certes, c'est par le souvenir de Dieu que s'apaisent les cœurs" (Coran). Cette aspiration est une expression de ce que décrit ce verset coranique : "Et lorsque ton Seigneur prit des reins des fils de Adam leur descendance et les fit témoigner : "Ne suis-Je pas votre Pourvoyeur ? – Si, nous en témoignons" répondirent-ils. Ceci afin que vous ne puissiez pas, le jour du jugement, dire : "Nous étions ignorants de cela [le monothéisme]", ni dire : "Ce ne sont que nos ancêtres qui ont donné des associés (à Dieu) avant nous et nous étions une descendance venue après eux…" (Coran 7/172-173). (Voir le commentaire de ce verset émis par al-Hassan al-Basrî, et auquel a donné préférence Ibn Taymiyya et ceux qui l'ont suivi : Ibn ul-Qayyim, Ibn Kathîr, Ibn Abi-l-'izz.) L'univers tout entier avec sa marche et son harmonie, et tous ses éléments, de l'infiniment petit à l'extrêmement grand, sont des signes témoignant également de la présence de Dieu l'unique pour peu qu'on en fasse l'observation avec des yeux et un intellect ouverts : "N'ont-ils pas vu la terre, combien de nobles couples [de végétaux] y avons-nous fait pousser. Il y a en ceci un signe !" (Coran 26/7-8). "N'as-tu pas vu que Dieu a fait descendre du ciel [nuage] une eau puis l'a conduite vers des sources dans la terre. Puis Il en fait sortir une culture aux couleurs diverses, laquelle se fane ensuite de sorte que tu la vois jaunie. Ensuite Il la réduit en miettes. Il y a certainement là un rappel pour ceux qui sont doués d'intelligence" (Coran 39/21). "Et parmi Ses signes il y a le fait qu'Il a créé pour vous,  de votre genre même, des épouses, pour que viviez en tranquillité avec elles. Et Il a mis entre vous amour et miséricorde. Il y a en cela des signes pour des gens qui réfléchissent. Et parmi Ses Signes il y a la création des cieux et de la terre et la diversité de vos langues et de vos couleurs. Il y a en cela des signes pour ceux qui savent" (Coran 30/21-22). Mais il faut, avec les yeux et l'intellect ouverts, avoir aussi le cœur ouvert : "… Car ce ne sont pas les vues qui s'aveuglent, mais s'aveuglent les cœurs, qui sont dans les poitrines" (Coran 22/46).

5) Méditer et approfondir les preuves de l'existence et de l'unicité de Dieu, prendre conscience du sens de sa vie, choisir d'écouter la voix de son cœur, faire des choix entre ce qui est juste et ce qui est injuste, réaliser l'équilibre entre désirs et devoirs, décider de l'acte qu'on va faire, tout ceci demande un cœur pour qu'on connaisse ce qui est juste, mais aussi une raison pour qu'on puisse chercher, comprendre, mémoriser, analyser et réfléchir, en un mot : agir en connaissance de cause :
Dieu a donc pourvu l'homme de ces facultés intellectuelles, contrairement aux anges : "Et Il [= Dieu] enseigna à Adam les noms, tous, puis présenta ces [choses] aux Anges et dit : "Informez-moi des noms de ces [choses] si vous étiez véridiques." Ils dirent : "Pureté à Toi, nous n'avons de savoir que ce que Tu nous as enseigné. Tu es, Toi, le Savant, le Sage" (Coran 2/31-32). Il est tout à fait possible qu'au moment où Dieu a enseigné ces noms à Adam, les Anges aient été présents et aient entendu l'enseignement et que s'ils n'ont malgré tout pas pu assimiler cette science c'est parce que n'ayant pas les capacités de le faire (Bayân ul-qur'ân 1/20).

6) Toutes ces facultés font que l'homme est amené à choisir, par sa volonté, entre les différentes possibilités qui s'offrent à lui. Elles font aussi que l'homme est amené à agir sur tout ce qui l'entoure la nature, la société, son cœur. C'est la notion de gérance : Dieu a fait de l'homme un gérant sur terre :
"Et quand ton Seigneur dit aux Anges : "Je vais mettre sur la terre un khalîfa". Les Anges dirent : "Vas-Tu mettre sur terre ceux qui vont y semer le mal et verser du sang ? Alors que nous proclamons Ta pureté avec Ta louange et Te glorifions ?" Il dit : "Je sais ce que vous ne savez pas". Et Il enseigna à Adam les noms, tous, puis présenta ces [choses] aux anges et dit : "Informez-moi des noms de ces [choses] si vous étiez véridiques." Ils dirent : "Pureté à Toi, nous n'avons de savoir que ce que Tu nous as enseigné. Tu es, Toi, le Savant, le Sage" (Coran 2/30-32).

7) La vie est une occasion d'épreuve pour l'homme :
"Celui qui a créé la mort et la vie afin de vous mettre à l'épreuve : lequel d'entre vous est meilleurs en actes" (Coran 67/2).
"Nous avons fait de ce qui est sur la terre une parure pour elle afin de les mettre à l'épreuve : lequel d'entre eux est meilleur en actes" (Coran 18/7).
"Et Il est Celui qui a créé les cieux et la terre en six périodes – alors que Son Trône était sur l'eau – afin de vous mettre à l'épreuve : lequel d'entre vous est meilleur en actes" (Coran 11/6).

8) La gérance – qui s'exprime par la liberté du choix et de l'agir – n'implique pas que des droits, mais aussi des devoirs :
L'homme devra rendre compte de ses actes : reste-t-il fidèle à l'aspiration naturelle de son être vers l'unicité de Dieu ou voile-t-il ("kufr") et entrave-t-il celle-ci ? Respecte-t-il ou pas les droits de son âme et les droits d'autrui dans son action sur tout ce qui l'entoure pendant son chemin sur Terre ?
"Nous avons présenté le dépôt aux cieux, à la terre et aux montagnes. Ils ont refusé de s'en charger et en ont été effrayés. Et l'homme s'en est chargé" (Coran 33/72). Le terme "dépôt" ("amâna") ici présent désigne "l'existence de l'interdit et du devoir, et la responsabilité par rapport aux choix qu'on aura faits" : "وكل هذه الأقوال لا تنافي بينها، بل هي متفقة وراجعة إلى أنها التكليف وقبول الأوامر والنواهي بشرطها، وهو أنه إن قام بذلك أثيب وإن تركها عوقب" (Tafsîr Ibn Kathîr).
Cela a-t-il réellement été proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes, ceux-ci ayant décliné, et l'homme ayant dûment accepté ?
--- Oui d'après un commentaire"قال: إن الله عرض عليهن الأمانة أن يفترض عليهن الدين، ويجعل لهن ثوابا وعقابا، ويستأمنهن على الدين. فقلن: لا نحن مسخرات لأمرك، لا نريد ثوابا ولا عقابا" (Ibn Zayd, cité par Kathîr). Il ne s'agit pas de tout homme, mais seulement de Adam : "وقال ابن جرير: حدثنا ابن بشار، حدثنا محمد بن جعفر، عن أبي بشر، عن سعيد بن جبير، عن ابن عباس أنه قال في هذه الآية: {إنا عرضنا الأمانة على السماوات والأرض والجبال فأبين أن يحملنها وأشفقن منها} قال: "عرضت على آدم، فقال: "خذها بما فيها، فإن أطعت غفرت لك، وإن عصيت عذبتك". قال: "قبلت". فما كان إلا قدر ما بين العصر إلى الليل من ذلك اليوم حتى أصاب الخطيئة" (Tafsîr Ibn Kathîr).
--- D'après certains autres érudits, notamment Shâh Waliyyullâh, la présentation du dépôt, le refus des cieux, de la terre et des montagnes, et l'acceptation par l'homme, sont à comprendre dans un sens métaphorique : il s'est en fait agi de la mise en exergue de l'aptitude de l'homme et de l'incapacité des cieux, de la terre et des montagnes à pouvoir faire le bien et à pouvoir faire le mal et à être responsables des choix que l'on aura faits : "قال الله تعالى: {إنا عرضنا الأمانة على السماوات والأرض والجبال فأبين أن يحملنها وأشفقن منها وحملها الإنسان إنه كان ظلوما جهولا ليعذب الله المنافقين والمنافقات والمشركين والمشركات ويتوب الله على المؤمنين والمؤمنات وكان الله غفورا رحيما}؛ نبه الغزالي والبيضاوي وغيرهما على أن المراد بالأمانة: تقلد عهدة التكليف بأن تتعرض لخطر الثواب والعقاب بالطاعة والمعصية؛ وبعرضها عليهن: اعتبارها بالإضافة إلى استعدادهن، وبإبائهن: الآباء الطبيعي الذي هو عدم اللياقة والاستعداد؛ وبحمل الإنسان: قابليته واستعداده لها. أقول: وعلى هذا فقوله تعالى {إنه كان ظلوما جهولا} خرج مخرج التعليل: فإن الظلوم من لا يكون عادلا، ومن شأنه أن يعدل؛ والجهول من لا يكون عالما، ومن شأنه أن يعلم. وغير الآدمي: إما عالم عادل لا يتطرق إليه الظلم والجهل، كالملائكة، وإما ليس بعادل ولا عالم ولا من شأنه أن يكسبها، كالبهائم؛ وإنما يليق بالتكليف ويستعد له من كان له كمال بالقوة لا بالفعل. واللام في قوله تعالى {ليعذب} لام العاقبة كأنه قال: "عاقبة حمل الأمانة التعذيب والتنعيم" (Hujjat ullâh il-bâligha, 1/69-70). Quant à l'avis qui dit que cette amâna est : la raison : "والأمن والأمانة والأمان في الأصل مصادر. ويجعل الأمان تارة اسما للحالة التي يكون عليها الإنسان في الأمن، وتارة اسما لما يؤمن عليه الإنسان، نحو قوله تعالى: {وتخونوا أماناتكم}، أي: ما ائتمنتم عليه. وقوله: {إنا عرضنا الأمانة على السماوات والأرض} قيل: هي كلمة التوحيد، وقيل: العدالة، وقيل: حروف التهجي، وقيل: العقل، وهو صحيح فإن العقل هو الذي بحصوله يتحصل معرفة التوحيد، وتجري العدالة وتعلم حروف التهجي، بل بحصوله تعلم كل ما في طوق البشر تعلمه، وفعل ما في طوقهم من الجميل فعله، وبه فضل على كثير ممن خلقه" (Muf'radât ur-Râghib), il semble s'agit d'un commentaire par la cause ("la raison") de ce qui en est en fait la conséquence ("la responsabilité pour ses croyances et actes") : "والأمانة ها هنا عهد وميثاق؛ فامتناع السموات والأرض والجبال من حمل الأمانة لأجل خلوها من العقل الذى يكون به الفهم والإفهام؛ وحمل الإنسان إياها لمكان العقل فيه" (al-Jurjânî cité in Ar-Rûh, p. 158).
--- Un avis intermédiaire : à Adam cela n'a pas été proposé, mais imposé : "هذا العرض على السموات والأرض والجبال عرض تخيير لا إلزام. والعرض على الإِنسان إلزامٌ" (Tafsîr ul-Qurtubî). La suite du verset n'est donc pas une justification d'un choix fait par l'homme, mais un rappel de la faiblesse humaine (cf. At-Tahrîr wa-t-tanwîr).

9) Les ressources terrestres s'offrent à l'homme, ce gérant nommé par Dieu sur terre, pour qu'il en tire profit dans une mesure équilibrée :
"Dieu est Celui qui a fait descendre du ciel une eau puis a fait sortir grâce à elle des fruits, comme nourriture pour vous. Et Il a assujetti pour vous le navire afin qu'il vogue sur la mer par Sa Permission. Et Il a assujetti pour vous les fleuves. Et Il a assujetti pour vous le soleil et la lune, voués à un perpétuel mouvement. Et il a assujetti pour vous la nuit et le jour. Et Il vous a donné de tout ce que vous Lui avez demandé. Et si vous comptez les bienfaits de Dieu, vous ne pourrez les dénombrer…" (Coran 14/32-34).

10) "Lumière sur lumière" (Coran 24-35) :
Comme nous l'avons vu au point 3, la conscience humaine (= le cœur), prédisposée à la lumière, aspire à la Dieu, sait reconnaître globalement le bien moral et aspire à lui. Cependant, cette faculté est concurrencée par les désirs personnels. L'homme a donc besoin de la lumière de la révélation ("wah'y"), apportée par les Messagers-Prophètes, qui vient approuver, préserver et développer cette lumière du cœur humain : c'est cela, la lumière sur la lumière.

11) Tout ce qui précède fait que l'homme a la capacité de faire le bien comme celle de faire le mal et qu'Il est pré-disposé à adorer Dieu :
Dieu dit ainsi : "Je n'ai créé les djinns et les humains que pour qu'ils M'adorent" (Coran 51/56). La 'ibâda de Dieu – ou adoration de Dieu –, c'est croire en Son existence et Son caractère divin, ne rien diviniser d'autre que Lui, accepter et reconnaître qu'on est Son serviteur, L'aimer plus que toute autre chose, se souvenir de Sa présence, et rechercher, dans tous les domaines de sa vie, à mettre ses actes en accord avec les normes que Dieu a communiquées (lesquelles normes visent notamment à la préservation des droits d'autrui).

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Des philosophes modernes et contemporains rejoignent certaines de ces conceptions coraniques :

Toutes les considérations que nous venons de voir viennent des sources musulmanes. Certains philosophes occidentaux en rejoignent en partie le fond.

De la possibilité qu'a l'homme de choisir ce qui contredit sa nature : Luc Ferry dit : "Un texte de Rousseau, au début du Discours sur l'origine de l'inégalité, fait la différence entre l'être humain et l'animal. Rousseau explique qu'un pigeon pourrait mourir au bord d'un bassin empli des meilleures viandes et qu'un chat dépérirait à côté d'un tas de blé ou de graines, alors que chacun des deux pourrait essayer de survivre un moment en essayant d'absorber une nourriture qui n'est pas la sienne. Mais voilà, l'un est granivore, l'autre carnivore, et les deux ne peuvent s'évader de ce code naturel. Seul l'être humain se caractérise par le fait qu'il est en excès par rapport à tous les programmes naturels, tellement en excès qu'il peut se comporter de façon "antinaturelle", décider de survivre, de se suicider ou de commettre les pires folies. Rousseau conclut : "La volonté [humaine] parle encore quand la nature se tait". Cette "sur-naturalité" est pour moi le signe de la transcendance [de l'homme] tant par rapport à la nature que par rapport à l'histoire. C'est cette transcendance que toute la philosophie moderne, héritière de Rousseau et de Kant, va appeler "la liberté" [= la possibilité du choix et la volonté]. C'est également dans cette transcendance que s'enracine la sphère des valeurs non seulement morales mais aussi celles qui servent à la sagesse ou à la spiritualité" (Le Point n° 1331, 21 mars 1998, p. 79).

De la place de gérant que l'homme occupe sur la terre : L'astrophysicien Hubert Reeves écrit : "L'homme est la conscience de la nature." "Cette vision du monde, qui montre l'insertion de l'homme dans le vaste mouvement d'organisation universelle, peut éclairer de façon spécifique les choix moraux des gens et des sociétés. Des "étrangers à l'univers" auraient été en droit de refuser toute responsabilité sur le devenir de la biosphère. A l'inverse, les "enfants du cosmos" sont directement impliqués dans son avenir. Il leur revient de prendre en charge l'aménagement de notre planète" (Malicorne, Seuil, 1990, p. 179, cité dans Islam, le face à face des civilisations, Tariq Ramadan, éd. Tawhid, 1995, p. 328).

Du devoir de l'homme et des limites de sa seule raison : Michel Serres (de l'Académie française) écrit : "Nos conquêtes vont plus vite que nos intentions délibérées. Observez, en effet, l'accélération de croisière de nos avancées techniques : dès l'annonce que telle ou telle est possible, la voici aussitôt quelque part réalisée, suivant la pente verticale de la concurrence, du mimétisme ou de l'intérêt, puis considérée presque aussi vite comme souhaitable et même comme nécessaire le lendemain matin : on plaidera devant les tribunaux si on s'en trouve privé. (…) Oui, nous pourrons choisir le sexe de nos enfants, oui la génétique, la biochimie, la physique et les techniques associées nous donneront tous les pouvoirs. Mais nous devrons administrer ce pouvoir même, qui pour le moment paraît nous échapper parce qu'il va plus vite et ailleurs et plus loin que nos facultés de le prévoir, que nos capacités de le gérer, que nos désirs de l'infléchir, que notre volonté d'en décider, que notre liberté de le diriger. Nous avons résolu la question cartésienne : "Comment dominer le monde [, comment maîtriser la nature] ?" Saurons résoudre la suivante : "Comment dominer notre domination, comment maîtriser notre maîtrise ?"" (Eclaircissements, entretiens avec Bruno Latour, éd. François Bourin, 1992, pp. 249-251, cité dans Islam, le face à face des civilisations).

Ces philosophes sont parvenus aux concepts de la gérance de l'homme, de son innocence en soi, de sa responsabilité morale pour ses actes et de ses devoirs. Les penseurs et philosophes d'aujourd'hui sont devenus également conscients du fait que la raison humaine a besoin d'autres sources pour se trouver une éthique lui permettant d'appréhender les vertigineuses possibilités offertes par la technique moderne.

Quant à nous, musulmans, nous nommons le concept de gérance : "khilâfa", l'innocence : "fit'ra", la conscience : "qalb", la responsabilité : "amâna", le devoir : "'ibâda". Nous ajoutons aux considérations des penseurs occidentaux la notion de prédisposition spirituelle vers Dieu (incluse dans la notion de "fit'ra"), la notion de révélation venant orienter la conscience ("wah'y") et la notion d'adoration de Dieu (incluse dans la notion de "'ibâda"). Cette notion d'adoration de Dieu est très large : il s'agit aussi bien de développer un lien profond avec Dieu et de l'Aimer et se souvenir abondamment de Lui, que de se conformer aux normes que Dieu a communiquées dans les textes de la révélation ("wah'y"), ces normes concernant aussi bien les règles purement cultuelles que la sauvegarde des droits d'autrui, donc les directives à propos de la société, l'aménagement de la planète et les lois de bioéthique.

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En un mot...

Nous musulmans pensons que le sens de la vie humaine sur terre peut être résumé en quatre points essentiels : innocence et responsabilité, culte et gérance.

Prédisposition ; possibilité du choix, conscience, responsabilité ; chemin à faire sur la terre, épreuve de la vie à vivre ; avant de mourir et de retourner alors à la terre pour le corps, et à la dimension où se retrouvent alors les âmes pour l'âme ; avant d'être ressuscité et d'être jugé par Dieu pour la façon dont on aura mené son chemin sur terre, en compagnie de ses voisins et ses frères ; avant d'être rétribué par Dieu le Juge, le Juste, le Miséricordieux...

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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