Dans le texte du Coran et de la Sunna, le terme "tout" (كلّ) qualifiant quelque chose induit parfois une universalité (une généralité absolue), mais, d'autres fois, une généralité relative seulement (عموم إضافي) (III - 2/2)

Quand on cherche à connaître le contenu du texte du Coran, il est impératif d'avoir quelques principes préalables nous permettant de mieux le comprendre. Le fait est qu'on voit aujourd'hui certaines personnes qui appréhendent certains passages coraniques selon uniquement le sens de leur libellé apparent (zâhir ul-lafz), sans y adjoindre la nécessaire relativisation établie par d'autres principes.

Parmi ces passages figurent ceux où se trouve le terme "kullu" (كلّ) (équivalent à l'adjectif français "tout").

On lit ainsi dans le Coran les formules :
- "toute chose" (كلّ شيء) ;
- "toute la nourriture" (كلّ الطعام) ; etc.
Et on lit par exemple dans la Sunna la formule :
- il se trouve dans telle chose une guérison pour "toute maladie" (شفاء من كل داء)...

Le propos qui, en chaque lieu du Coran ou de la Sunna où on trouve l'une de ces formules, a été appliqué à ce thème comportant l'adjectif "tout", ce propos s'applique-t-il à tout ce qui a été ainsi qualifié ?
- à toute chose ?
- à toute nourriture ?
- à toute maladie ?

En d'autres termes : Le terme "kullu" induit-il systématiquement une généralité absolue dans le Coran et la Sunna ?
Ou bien induit-il normalement : une généralité absolue, mais parfois : une généralité toute relative ?

Ibn Taymiyya écrit : "فإن لفظ "كل شيء" يعم في كل موضع بحسب ما سيقت له" : "La formule "toute chose" induit une généralité qui, à chaque passage, correspond à ce par rapport à quoi elle a été employée" (Majmû' ul-fatâwâ, tome 18 p. 232).

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La même chose peut être dite pour la formule inverse : "Telle chose n'est vraie qu'au sujet de tel être..." : cela induit parfois une restriction absolue, mais d'autres fois une restriction toute relative...

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A) La règle première est que l'adjectif "tout" a effectivement une portée universelle, et communique donc une généralité absolue de ce qu'il qualifie :

En voici quelques exemples...

Plusieurs versets du Coran disent de Dieu qu'Il est "Créateur de toute chose" ("khâliqu kulli shay'in") (Coran 6/102 etc.). Il s'agit ici de vraiment toute chose.

De même en est-il du verset où Dieu dit : "Notre parole à quelque chose (li shay'in), lorsque Nous voulons qu'elle (soit), n'est que de lui dire "Sois !", et elle est" (Coran 16/40). Une "chose" (en arabe : "shay'") est ce qui est déjà venu à l'existence, mais aussi ce qui est représenté mentalement, même si cela n'est pas encore venu à l'existence ; ce dont Dieu a prédestiné qu'il sera est (déjà) une "chose" dans la Prédestination, la Science et l'Ecriture, même si ce n'est pas une "chose" dans la réalité extérieure" (MF 8/9-10). C'est à ce dont Il a prédestiné l'existence que Dieu dit "Sois !", et cela est.

De plus nombreux versets du Coran encore disent de Dieu qu'Il "est capable de toute chose" ("'alâ kulli shay'in qadîr") (2/20 etc.) : il s'agit, ici encore, de réellement toute chose.
Ibn Taymiyya précise que ce qui est impossible en soi (comme la réunion de deux choses contraires, al-jam' bayn an-dhiddayn) n'est pas une "chose" (MF 8/8-9). Il veut dire que dans le verset "Dieu est capable de toute chose", le terme "chose" renvoie à ce qui n'est pas "impossible". Cependant, l'"impossible" est ici ce qui est "mumtani bi dhâtihî'" et non pas ce qui est seulement "ghayr 'âdî". Quelque chose de contraire aux lois physiques ou biologiques n'est pas "impossible en soi" (pas mumtani'), et cela reste "une chose" : Dieu peut la faire se réaliser s'Il le veut.

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B) Cependant, parfois l'adjectif "tout" ayant été employé dans un texte du Coran ou de la Sunna induit une généralité seulement relative, et ne désigne donc pas la totalité des choses auxquelles renvoie le nom qu'il qualifie :

Il y a ici plusieurs cas, selon ce par le biais de quoi on a connu la relativité de la généralité que cet adjectif induit. En effet, on a connu ce caractère relatif :
- soit par recoupement avec un autre texte du Coran ou de la Sunna (B.A) ;
- soit par le simple bon sens (B.B) ;
- soit par référence à la situation d'énonciation, c'est-à-dire la cause de révélation du verset (sabab un-nuzûl), ou la cause de prononciation du hadîth (sabab ul-wurûd) (B.C).

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B.A) On a connu la relativité de la portée de cet adjectif "tout" par recoupement avec un autre texte du Coran ou de la Sunna :

– Dans un verset, Dieu dit que le vent envoyé comme châtiment contre le peuple de 'Ad "détruisait toute chose par la permission de son Seigneur" (Coran 46/25). Or il ne s'agit pas de la totalité des choses qui se trouvaient dans la ou les cité(s) de 'Ad, car la suite du même verset précise que suite à cette destruction, "au matin seules leurs demeures étaient visibles" (Coran 46/25) : ces "demeures", bien qu'étant des "choses", n'ont donc pas été détruites par le vent envoyé aux 'Ad : d'où la relativité de la généralité de la formule  "toute chose" dans ce verset.

– Il est un célèbre hadîth relaté par 'Ubâda ibn us-Sâmit (et rapporté par al-Bukhârî et at-Tirmidhî), où on lit l'échange suivant, entre des gens venus du Yémen et le Prophète (que Dieu prie sur lui et le protège) (les numéros figurant seuls ci-après sont ceux de Al-Jâmi' us-Sahîh de al-Bukhârî d'après la numérotation de al-Bughâ)... Les Yéménites dirent ceci au Prophète : "Nous sommes venus à toi afin d'acquérir la compréhension (natafaqqaha) dans la religion, et afin de te questionner au sujet du début de cela, qu'était-ce ('an awwali hâdha-l-amr, mâ kâna) ?".
Le Prophète répondit : "Dieu était, et il n'y avait aucune chose autre que Lui (ghayruhû) / avec Lui (ma'ahû) / avant Lui (qab'lahû). Et Son Trône était sur l'Eau. Et Il écrivit dans le Dhikr toute chose (kulla shay'). Et (wa) / Ensuite (thumma) Il créa les cieux et la Terre" (fin du hadîth : lire notre article : Quand le Temps débuta-t-il ?).
Ibn Taymiyya pense que ce hadîth parle seulement du début de la création que les hommes "voient", c'est-à-dire les cieux et la Terre, et non pas de toute création. Pour Ibn Taymiyya, même à retenir les deux versions où on lit : "Dieu était, et il n'y avait aucune chose autre que Lui (ghayruhû) / avec Lui (ma'ahû)", cette négation de l'existence de toute chose autre que Dieu est à appréhender dans un sens relatif et non pas dans un sens absolu : cela signifie seulement qu'au moment dont le hadîth parle, "Dieu était, et il n'y avait rien des cieux et de la Terre qui existait" ; par contre, à ce moment-là l'Eau, le Trône et le Calame existaient déjà.
Ibn Taymiyya
écrit : "Et ce propos du (Prophète) : "Il a créé la création" est semblable à son propos dans l'autre hadîth : "Il a déterminé les destins des créatures cinquante mille ans avant d'avoir créé les cieux et la terre". Car, ici, "les créatures" désigne : "les créatures connues, créées après la création du Trône et après que celui-ci soit sur l'Eau"" (MF 18/232).
Un peu plus loin, dans le même ordre d'idées, commentant le propos du Prophète disant : "Il a écrit dans la Mention (ad-Dhikr) toute chose", Ibn Taymiyya écrit : "Ce qui est voulu dire par cela est qu'Il a écrit toute chose dont Il a voulu [= dont Il a prédestiné] la création, parmi cela. Car la formule "toute chose" induit, à chaque passage, une généralité qui correspond à ce par rapport à quoi elle a été employée" (MF 18/232).

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B.B) Et on a connu la relativité de la portée de cet adjectif "tout" présent dans un texte du Coran ou de la Sunna par le simple bon sens :

– Le Coran dit que la huppe vint relater à Salomon (que la paix soit sur lui) que la reine de Saba "avait reçu une part de toute chose" (Coran 27/23). La généralité de la formule "toute chose" est, ici, bien évidemment relative (comme l'a écrit Ibn Abi-l-'Izz in Shar'h ul-'aqîda at-tahâwiyya, p. 181).

– Il est un autre verset où, parlant des Tablettes qu'Il donna à Moïse sur le Mont, Dieu dit qu'Il y "écrivit de toute chose un conseil, et un exposé détaillé de toute chose" (Coran 7/145). Al-Qurtubî écrit en commentaire de ce verset que "toute chose" est ici à appréhender dans une portée relative, exactement comme dans les deux versets 27/23 [cité ci-dessus] et 46/25 [cité plus haut, en B.A] (Tafsîr ul-Qurtubî 7/281). Cheikh Thânwî a lui aussi écrit que la généralité est ici relative (Bayân ul-qur'ân).

– Dieu dit : "Et Il [= Dieu] a enseigné à Adam les noms, tous" (Coran 2/31) ; le prophète Muhammad (sur lui soit la paix) a précisé que ce que Dieu lui a enseigné fut "le nom de chaque chose" (rapporté par al-Bukhârî, 4206, kitâb ut-tafsîr, bâb 3). Il est ici possible (ce n'est donc ici que zannî) que cette "totalité" soit relative. C'est pourquoi un des commentaires dit que ce que Adam avait alors appris était seulement les noms de "tout ce qui a été créé sur Terre" (commentaire cité dans Tafsîr ul-Qurtubî, et également dans Fat'h ul-bârî 8/201). (Lire notre article : "Dieu enseigna à Adam les noms, tous").

– Le prophète Muhammad (que Dieu le bénisse et le salue) a dit : "Dans la graine noire [= la nigelle] il y a une guérison pour toute maladie (kulli dâ'), mais pas pour la mort" (rapporté par al-Bukhârî, 5363, Muslim, 2215, at-Tirmidhî, 2041, etc.). Des ulémas ont écrit que la généralité est ici relative...
Al-Khattâbî écrit ainsi : "Le propos du [Prophète, sur lui soit la paix] : "pour toute maladie" : cela relève du général qui est employé pour désigner le particulier. Car il n'est pas dans la nature de quelque chose parmi les végétaux de rassembler toutes les choses qui font face aux humeurs dans le fait de traiter les maladies par leur contraire. Ce qui a voulu être dit (ici) est qu'elle est une guérison pour toute maladie qui naît de l'humidité**" (propos cité dans Fat'h ul-bârî, 10/179-180 ; voir aussi Tuhfat ul-ahwadhî, commentaire du n° 2041).
Ibn ul-Qayyim écrit quant à lui : "La (nigelle) est emplie de bienfaits", avant de préciser : "Le propos du [Prophète, sur lui soit la paix] : "pour toute maladie" est comparable au propos de (Dieu) Elevé : "(ce vent) détruisait toute chose par la permission de Son Seigneur" [Coran 46/25], c'est-à-dire : "toute chose pouvant être détruite [par le vent]", et autres propos similaires. La (nigelle) est bénéfique pour toutes les maladies froides**. (...)" (Zâd ul-ma'âd 4/297-298).
(** Ces propos se comprennent par rapport à la théorie des humeurs des anciens médecins grecs.)

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B.C) Et on a connu la relativité de la portée de l'adjectif "tout" présent dans un verset du Coran ou un hadîth de la Sunna en se référant à la situation d'énonciation : la cause de révélation (sabab un-nuzûl) de ce verset, ou la cause de prononciation (sabab ul-wurûd) de ce hadîth :

– Dieu dit : "Avant que la Torah fut révélée, toute la nourriture (kullu-t-ta'âm) était licite pour les fils d'Israël, exception faite de ce que Israël s'interdit à lui-même. Dis : "Apportez donc la Torah et récitez-la, si vous êtes véridiques"" (Coran 3/93).
Est-ce toute la nourriture existant sur Terre (c'est-à-dire tous les aliments) qui était licite pour les fils d'Israël avant que la Torah soit révélée ?
Non. En fait ce verset est venu répondre à une objection qui avait été faite au sujet du prophète Muhammad : comment pouvait-il dire qu'il suivait la voie de Abraham, alors que d'une part il enseignait également que Moïse aussi suivait la voie abrahamique, et que, d'autre part, il déclarait licites des aliments qui étaient illicites dans la Loi de Moïse, Loi présente auprès des fils d'Israël ?
Ce verset vint répondre à cette objection. Comme ar-Râzî l'a écrit : "Le AL- qui se trouve devant le mot "nourriture" n'est pas celui ayant fonction à désigner la totalité (li-l'istighrâq) mais celui ayant fonction à renvoyer à l'antécédent (li-l-'ahd is-sâbiq) (lâ takûnu-l-alifu wa-l-lâmu fî lafz it-ta'âm li-l'istighrâq, bal li-l-'ahd is-sâbiq")" (At-Tafsîr ul-kabîr). L'article défini "AL-" ici présent est donc un représentant anaphorique (anaphore grammaticale) : "tous les aliments" pour dire en fait "tous les aliments dont on parle" : cela renvoie à un antécédent qui n'est pas mentionné explicitement dans le texte mais était alors présent dans le contexte d'énonciation : les aliments déclarés illicites dans la Torah et déclarés licites dans le Coran et la Sunna.
On le sait d'autant mieux que certains interdits alimentaires avaient été formulés depuis l'époque de Noé et repris par Abraham, et que pour Isaac, pour Jacob-Israël (sur eux soit la paix) ainsi que pour les fils de ce dernier, tous les aliments humains existant sur Terre n'étaient donc pas licites avant la révélation de la Torah, avec pour seule exception la chair de chameau, pour Israël et ses fils.
C'est pourquoi il s'agit de traduire plutôt ce verset ainsi : "Avant que la Torah fut révélée, tous CES aliments étaient licites pour les fils d'Israël – exception faite de ce que Israël s'interdit à lui-même – ; dis : "Apportez donc la Torah et récitez-la, si vous êtes véridiques"" (Coran 3/93).
Ce verset ne parle donc pas de tous les aliments, et ne veut pas dire que avant la révélation de la Torah tous les aliments étaient autorisés pour les fils d'Israël, exception faite de ce que Israël s'était lui-même interdit. Le verset ne parle que de tous les aliments au sujet desquels l'objection avait été faite au Prophète Muhammad ; il veut dire que avant la révélation de la Torah, tous ces aliments étaient autorisés pour les fils d'Israël, exception faite de ce que Israël s'était interdit, et qu'il n'est donc nullement contraire au fait qu'elle se réclame de la voie de Abraham que la Loi apportée par Muhammad déclare ces mêmes aliments licites.

– Du hadîth déjà cité dans le cas précédent : "Dans la graine noire [= la nigelle] il y a une guérison pour toute maladie (kulli dâ'), mais pas pour la mort" (rapporté par al-Bukhârî, 5363, Muslim, 2215, at-Tirmidhî, 2041, etc.), il y a un 'âlim qui pense que la généralité y relève du cas B.C. Il écrit : "Le Prophète, que Dieu le bénisse et le salue, prescrivait les traitements selon ce qu'il observait de l'état du malade. Peut-être que son propos que voici au sujet de la nigelle correspondait à la maladie de celui dont l'humeur était froide**. Son propos "une guérison pour toute maladie" signifierait alors : "pour toute maladie du même genre que celle au sujet de laquelle on parle". Particulariser (takhsîs) par la situation (al-haythiyya) est abondant, répandu" (cité dans Fat'h ul-bârî, 10/180). (** Même remarque que plus haut, au point précédent.)

– La phrase suivante pourrait constituer un autre exemple de ce cas de figure B.C :
"قُل لاَّ أَجِدُ فِي مَا أُوْحِيَ إِلَيَّ مُحَرَّمًا عَلَى طَاعِمٍ يَطْعَمُهُ إِلاَّ أَن يَكُونَ مَيْتَةً أَوْ دَمًا مَّسْفُوحًا أَوْ لَحْمَ خِنزِيرٍ فَإِنَّهُ رِجْسٌ أَوْ فِسْقًا أُهِلَّ لِغَيْرِ اللّهِ بِهِ فَمَنِ اضْطُرَّ غَيْرَ بَاغٍ وَلاَ عَادٍ فَإِنَّ رَبَّكَ غَفُورٌ رَّحِيمٌ. وَعَلَى الَّذِينَ هَادُواْ حَرَّمْنَا كُلَّ ذِي ظُفُرٍ وَمِنَ الْبَقَرِ وَالْغَنَمِ حَرَّمْنَا عَلَيْهِمْ شُحُومَهُمَا إِلاَّ مَا حَمَلَتْ ظُهُورُهُمَا أَوِ الْحَوَايَا أَوْ مَا اخْتَلَطَ بِعَظْمٍ ذَلِكَ جَزَيْنَاهُم بِبَغْيِهِمْ وِإِنَّا لَصَادِقُونَ" :
"Dis : "Je ne trouve, dans ce qui m'a été révélé, aucune chose interdite pour un mangeur (voulant) la manger, excepté que ce soit une bête morte, du sang répandu, de la chair de porc – car c'est une souillure –, ou ce par quoi, par mal, autre que Dieu a été invoqué." (...)"
(Coran 6/145).
L'une des explications possibles est que, pareillement, il est ici question des "choses au sujet desquelles la discussion était en train d'avoir cours avec les Polythéistes mecquois".
En fait, il est :
--- des choses qu'il considéraient licites, et elles l'étaient bel et bien dans le regard de Dieu ;
--- des choses qu'ils considéraient licites, alors qu'elles étaient illicites dans le regard de Dieu (comme la mayta, l'animal abattu au nom d'un autre que Dieu, le sang, l'âne domestique, les animaux carnassiers) ;
--- d'autres choses qu'ils considéraient illicites, et elles l'étaient bel et bien dans le regard de Dieu (comme le porc) ;
--- enfin d'autres choses qu'ils considéraient illicites, alors qu'elles étaient licites dans le regard de Dieu (comme certains animaux que le passage coranique précédent a évoqués).
Ce verset parla de ce qui était illicite dans le regard de Dieu :
--- non pas parmi tous les animaux (comme le dit l'un des avis présents dans l'école malikite, selon lequel "aucun interdit pour un mangeur" est alors en son sens absolu) ;
--- ni parmi les animaux que ces Polythéistes considéraient illicites (comme le dit l'une des deux interprétations citées in Tafsîr Ibn Kathîr ; car ce qui contredit cette interprétation c'est qu'ils ne considéraient pas illicite l'animal abattu au nom d'un autre que Dieu, pourtant il est cité ici dans la liste des animaux illicites) ;
--- ni parmi les animaux que eux ils considéraient licites (comme le dit ash-Shâfi'î : Fat'h ul-bârî, 9/813, Al-Itqân, pp. 94-95 ; car ce qui contredit cette interprétation c'est qu'ils ne consommaient pas de porc, qui est pourtant cité ici dans la liste des animaux illicites ; le cas des carnassiers contredit également cette interprétation, car ils les considéraient licites, pourtant ils ne sont pas cités dans cette liste des animaux illicites) ;
--- mais parmi les choses alimentaires au sujet desquelles la discussion était en train d'avoir lieu ("فإنه إنما خرج هذا الكلام على أشياء سألوا عنها فعرفوا أن المحرم منها كذا وكذا، دون غيره" : Tafsîr ur-Râzî, en commentaire du verset 3/93, parlant de ce verset 6/145) (également Bayân ul-qur'ân) : parmi ces animaux précis, seuls sont illicites les 4 figurant dans cette liste (parmi lesquels les Polythéistes ne reconnaissaient le caractère illicite que du porc).
(Certes, une autre interprétation encore existe, et qui, si on la retient, entraîne que ce verset ne peut pas être cité comme exemple de ce cas B.C : selon elle, ce verset parle de ce qui avait été déjà révélé au moment précis où la discussion était en train de se faire : "Au moment précis où je vous parle, je ne trouve, dans ce qui m'a été jusqu'à présent révélé, aucune chose illicite à manger, à part les 4 choses sus-citées". Le verset dit bien : "Je ne trouve pas, dans ce qui m'a été révélé..." ; or chacun sait que la révélation des interdits et obligations s'est faite progressivement ; cela n'empêche donc pas que le caractère illicite d'autres animaux encore ait été révélé plus tard (c'est l'autre interprétation citée in Tafsîr Ibn Kathîr).)

– Le passage suivant contient une affirmation qui peut elle aussi constituer un autre exemple du cas de figure B.C :
"وَقَالُواْ لَن يَدْخُلَ الْجَنَّةَ إِلاَّ مَن كَانَ هُوداً أَوْ نَصَارَى تِلْكَ أَمَانِيُّهُمْ قُلْ هَاتُواْ بُرْهَانَكُمْ إِن كُنتُمْ صَادِقِينَ بَلَى مَنْ أَسْلَمَ وَجْهَهُ لِلّهِ وَهُوَ مُحْسِنٌ فَلَهُ أَجْرُهُ عِندَ رَبِّهِ وَلاَ خَوْفٌ عَلَيْهِمْ وَلاَ هُمْ يَحْزَنُونَ وَقَالَتِ الْيَهُودُ لَيْسَتِ النَّصَارَى عَلَىَ شَيْءٍ وَقَالَتِ النَّصَارَى لَيْسَتِ الْيَهُودُ عَلَى شَيْءٍ وَهُمْ يَتْلُونَ الْكِتَابَ كَذَلِكَ قَالَ الَّذِينَ لاَ يَعْلَمُونَ مِثْلَ قَوْلِهِمْ فَاللّهُ يَحْكُمُ بَيْنَهُمْ يَوْمَ الْقِيَامَةِ فِيمَا كَانُواْ فِيهِ يَخْتَلِفُونَ" :
"Et ils ont dit : "N'entreront au Paradis que ceux qui auront été Juifs", ou : "Chrétiens". Voilà (bien) leurs désirs. Dis : "Apportez votre preuve, si vous êtes véridiques !" (Eh bien) si ! celui qui soumet à Dieu son être tout en faisant le bien, à lui sa rétribution auprès de son Seigneur [= le Paradis], et aucune crainte ne sera pour eux, ni ils ne seront attristés. Et les Juifs disent : "Les Chrétiens ne sont sur rien" ; et les Chrétiens disent : "Les Juifs ne sont sur rien" ; alors qu'ils lisent l'Ecriture (révélée) ! Pareillement, ceux qui ne savent pas ont dit parole semblable à la leur. Dieu rendra donc le jugement entre eux au Jour de la Résurrection quant à ce en quoi ils divergeaient"
(Coran 2/111-113).
Le premier propos ici relaté signifie : "Des juifs ont dit : "Seuls ceux qui auront adhéré au judaïsme entreront dans le Paradis", et des chrétiens ont dit : "Seuls ceux qui auront été chrétiens entreront dans le Paradis".
Or les juifs ne disent pas que seuls entreront au Paradis ceux qui, après la venue de Moïse, auront adhéré au judaïsme ; ils disent que, parmi les non-israélites, entreront au Paradis ceux qui auront adhéré aux 7 lois noahides, que ce soit avant la venue de Moïse, ou après ; selon leur croyance, adhérer au judaïsme et faire de la Torah son référentiel n'est nullement une condition pour entrer au Paradis. La relation d'une déclaration de restriction venant d'eux semble donc poser problème.
Mais c'est le contexte d'énonciation qui nous montre ce qu'il en est : En fait, au verset 2/111 est relatée une controverse qui eut lieu à Médine entre la délégation chrétienne venue de Najrân, et des juifs de Médine : cette délégation était venue à Médine parler au prophète Muhammad (sur lui soit la paix), mais y rencontra également des juifs de la ville, avec qui elle discuta en présence du Prophète. Lors de la discussion, chacun de ces deux groupes dit à l'autre : "Parmi nos deux groupes, seul notre groupe entrera au Paradis, le vôtre non" : les juifs dirent cela aux chrétiens parce que ces derniers divinisaient Jésus, et les chrétiens dirent cela aux juifs parce ces derniers ne reconnaissaient pas Jésus comme le Messie et Dieu incarné.
Or, pour affirmer cela, chaque groupe dit : "N'entreront au Paradis que les juifs" (sous-entendu : "parmi nos deux groupes") / "N'entreront au Paradis que les chrétiens" (sous-entendu : "parmi nos deux groupes"). L'attribution à ces juifs de l'affirmation de la restriction de l'adhésion au paradis à seulement ceux qui adhèrent au judaïsme devient dès lors plus claire : c'est de façon relative, par rapport aux chrétiens trinitariens alors présents, qu'ils affirmèrent cette restriction.
Cependant, Dieu fit valoir dans la suite du passage (verset 2/112) que l'adhésion au judaïsme n'est, pas plus que l'adhésion au christianisme, suffisante pour l'admission au Paradis ; celle-ci est liée à quelque chose qui est d'un côté plus général, et d'un autre côté plus restreint que cela : se soumettre à Dieu en suivant le Messager du moment, et faire le bien ; toute personne qui fait ainsi et meurt ainsi entrera au Paradis ; et cela que, pendant la période de validité de la Voie de Moïse, pareille personne soit nommée "juive", ou que, pendant la période de validité de la Voie de Jésus, pareille personne soit nommée "chrétienne", ou encore que, pendant la période de validité de la Voie de Muhammad, pareille personne soit nommée "musulmane" ; ce qui importe c'est qu'elle se soit soumise à Dieu et ait fait le bien. Cette généralité implique une restriction : les juifs de Médine ne pouvaient pas dire aux chrétiens que, parmi leurs deux groupes, seuls eux, juifs, entreraient au Paradis, vu que eux-mêmes reniaient Jésus, pourtant déjà venu, et qui est le vrai Messie qui leur avait été promis (le renier ne revenait donc pas à se soumettre à Dieu de façon suffisante). Pareillement, les chrétiens de Najrân ne pouvaient pas dire aux juifs que, parmi leurs deux groupes, seuls eux, les chrétiens, entreraient au Paradis, vu que eux-mêmes divinisaient le Messie (ce qui ne revient pas à se soumettre à Dieu de façon correcte).
"قوله تعالى: {وقالوا لن يدخل الجنة إلا من كان هودا أو نصارى}. قال ابن عباس: اختصم يهود المدينة ونصارى نجران عند النبي صلى الله عليه وسلم، فقالت اليهود: "ليست النصارى على شيء، ولا يدخل الجنة إلا من كان يهوديا"، وكفروا بالإنجيل وعيسى؛ وقالت النصارى: "ليست اليهود على شيء"، وكفروا بالتوراة وموسى. فقال الله تعالى: {تلك أمانيهم}. واعلم أن الكلام في هذه الآية مجمل ومعناه: "قالت اليهود لن يدخل الجنة إلا من كان هودا، وقالت النصارى: لن يدخل الجنة إلا من كان نصرانيا". والهود، جمع: هائد. {تلك أمانيهم}، أي: ذاك شيء يتمنونه، وظن يظنونه، هذا معنى قول ابن عباس، ومجاهد" (Zâd ul-massîr). "وقيل: نزلت في وفد نجران - و كانوا نصارى -، اجتمعوا في مجلس رسول الله صلى الله عليه وسلم مع اليهود، فكذب بعضهم بعضا، قال الله تعالى: {تلك أمانيهم}، أي: شهواتهم الباطلة التي تمنوها على الله بغير الحق. {قل} يا محمد {هاتوا}، أصله: آتوا، {برهانكم} حجتكم على ما زعمتم، {إن كنتم صادقين}؛ ثم قال ردا عليهم: {بلى من أسلم وجهه}، أي: ليس كما قالوا، بل الحكم للإسلام؛ وإنما يدخل الجنة من أسلم وجهه لله، أي: أخلص دينه لله، وقيل: أخلص عبادته لله، وقيل: خضع وتواضع لله، وأصل الإسلام الاستسلام والخضوع، وخص الوجه لأنه إذا جاد بوجهه في السجود لم يبخل بسائر جوارحه، {وهو محسن}: في عمله، وقيل: مؤمن، وقيل: مخلص، {فله أجره عند ربه ولا خوف عليهم ولا هم يحزنون}" (Tafsîr ul-Baghawî).
La preuve qu'il s'agit de comprendre leur affirmation sus-citée de façon relative, dans le cadre de leur discussion, par rapport à leurs interlocuteurs d'alors, est que la suite du passage (verset 2/113) relate que les uns dirent aussi : "Les chrétiens ne sont sur rien (du Dîn)", et les autres : "Les juifs ne sont sur rien (du Dîn)".
Quant à ceux que le verset désigne par les termes : "ceux qui ne savent pas", il s'agit des polythéistes arabes (commentaire de ar-Rabî, de as-Suddî et de Qatâda : Tafsîr ul-Qurtubî).

Pareillement, au sein du passage suivant : "قُلْ إِن كَانَتْ لَكُمُ الدَّارُ الآَخِرَةُ عِندَ اللّهِ خَالِصَةً مِّن دُونِ النَّاسِ فَتَمَنَّوُاْ الْمَوْتَ إِن كُنتُمْ صَادِقِينَ وَلَن يَتَمَنَّوْهُ أَبَدًا بِمَا قَدَّمَتْ أَيْدِيهِمْ وَاللّهُ عَلِيمٌ بِالظَّالِمينَ وَلَتَجِدَنَّهُمْ أَحْرَصَ النَّاسِ عَلَى حَيَاةٍ وَمِنَ الَّذِينَ أَشْرَكُواْ يَوَدُّ أَحَدُهُمْ لَوْ يُعَمَّرُ أَلْفَ سَنَةٍ وَمَا هُوَ بِمُزَحْزِحِهِ مِنَ الْعَذَابِ أَن يُعَمَّرَ وَاللّهُ بَصِيرٌ بِمَا يَعْمَلُونَ" (Coran 2/94-96), il y a le verset qui, s'adressant à des juifs, dit : "Dis : "Si la demeure dernière auprès de Dieu est seulement pour vous, et non pour les hommes, alors souhaitez la mort, si vous êtes véridiques"" (Coran 2/94) ; dans ce verset, "et non pour les hommes" ne désigne pas tous les hommes, mais seulement : Muhammad et ses Compagnons : c'est ainsi que Ibn Abbâs a commenté ce verset : "وأما قوله: {من دون الناس}، فإن الذي يدل عليه ظاهر التنزيل أنهم قالوا: لنا الدار الآخرة عند الله خالصة من دون جميع الناس (...)، إلا أنه روي عن ابن عباس قول غير ذلك: حدثنا أبو كريب قال، حدثنا عثمان بن سعيد قال، حدثنا بشر بن عمارة، عن أبي روق، عن الضحاك، عن ابن عباس: {من دون الناس}، يقول: "من دون محمد صلى الله عليه وسلم وأصحابه الذين استهزأتم بهم، وزعمتم أن الحق في أيديكم، وأن الدار الآخرة لكم دونهم" (Tafsîr ut-Tabarî). Il y a là donc de nouveau une affirmation de restriction relative, parmi les deux groupes de ces juifs et de Muhammad et ses Compagnons.
Quant à ce : "alors souhaitez la mort", il signifie soit : "souhaitez de mourir immédiatement pour aller rapidement dans le Paradis" ; soit : "invoquez Dieu de faire mourir celui de nos deux groupes qui ment sur ce point (procédé connu sous le nom de Mubâhala)" : "فتمنوا الموتأي: فأريدوه أو اسألوه، لأن من علم أن الجنة مأواه حن إليها، ولا سبيل إلى دخولها إلا بعد الموت، فاستعجلوه بالتمني، إن كنتم صادقين: في قولكم، وقيل: فتمنوا الموت، أي: ادعوا بالموت على الفرقة الكاذبة" (Tafsîr ul-Baghawî ; ces deux commentaires sont aussi visibles in Tafsîr ut-Tabarî). Ibn Kathîr a retenu ce second commentaire (qui est celui de Ibn Abbâs, Qatâda, Abu-l-'Âliya et ar-Rabî' ibn Anas), faisant valoir que le premier ne fait pas du verset une argumentation conséquente, vu qu'il n'y a pas de lien logique évident entre le fait de considérer être seuls sur la vérité et le fait de vouloir mourir immédiatement. Par ailleurs, dit-il, les juifs pourraient alors retourner l'argument aux musulmans : "Puisque vous musulmans affirmez que, depuis la venue de Muhammad, vous seuls êtes sur la vérité et que toute personne à qui son message parvient et qui choisit de ne pas y adhérer n'entrera pas dans le Paradis, eh bien, vous, souhaitez mourir immédiatement pour aller dans ce Paradis !" ; or, de nombreux musulmans pieux ne souhaitent eux non plus pas mourir immédiatement, et ce afin de pouvoir faire le maximum d'actions pieuses, comme cela est d'ailleurs loué dans la Sunna : "ثم هذا الذي فسر به ابن عباس الآية هو المتعين، وهو الدعاء على أي الفريقين أكذب منهم أو من المسلمين على وجه المباهلة. ونقله ابن جرير عن قتادة وأبي العالية والربيع بن أنس رحمهم الله. (...). وهذا كما دعا رسول الله صلى الله عليه وسلم وفد نجران من النصارى بعد قيام الحجة عليهم في المناظرة، وعتوهم وعنادهم إلى المباهلة، فقال تعالى: {فمن حاجك فيه من بعد ما جاءك من العلم فقل تعالوا ندع أبناءنا وأبناءكم ونساءنا ونساءكم وأنفسنا وأنفسكم ثم نبتهل فنجعل لعنة الله على الكاذبين}. (...) ومثل هذا المعنى أو قريب منه قوله تعالى لنبيه صلى الله عليه وسلم أن يقول للمشركين: {قل من كان في الضلالة فليمدد له الرحمن مدا}، أي: من كان في الضلالة منا أو منكم، فزاده الله مما هو فيه ومد له واستدرجه، كما سيأتي تقريره في موضعه إن شاء الله. فأما من فسر الآية على معنى: (...): "إن كنتم صادقين في دعواكم، فتمنوا الآن الموت"، ولم يتعرض هؤلاء للمباهلة، كما قرره طائفة من المتكلمين وغيرهم، ومال إليه ابن جرير بعد ما قارب القول الأول (...)، فهذا الكلام منه أوله حسن، وأما آخره فيه نظر؛ وذلك أنه لا تظهر الحجة عليهم على هذا التأويل، إذ يقال: إنه لا يلزم من كونهم يعتقدون أنهم صادقون في دعواهم أنهم يتمنون الموت، فإنه لا ملازمة بين وجود الصلاح وتمني الموت؛ وكم من صالح لا يتمنى الموت، بل يود أن يعمر ليزداد خيرا وترتفع درجته في الجنة، كما جاء في الحديث: "خيركم من طال عمره وحسن عمله"، وجاء في الصحيح النهي عن تمني الموت، وفي بعض ألفاظه: "لا يتمنين أحدكم الموت لضر نزل به إما محسنا فلعله أن يزداد، وإما مسيئا فلعله أن يستعتبولهم مع ذلك أن يقولوا على هذا: "فها أنتم تعتقدون - أيها المسلمون - أنكم أصحاب الجنة، وأنتم لا تتمنون في حال الصحة الموت؛ فكيف تلزمونا بما لا نلزمكم؟". وهذا كله إنما نشأ من تفسير الآية على هذا المعنى. فأما على تفسير ابن عباس، فلا يلزم عليه شيء من ذلك، بل قيل لهم كلام نصف: "إن كنتم تعتقدون أنكم أولياء الله من دون الناس، وأنكم أبناء الله وأحباؤه، وأنكم من أهل الجنة ومن عداكم من أهل النار، فباهلوا على ذلك وادعوا على الكاذبين منكم أو من غيركم؛ واعلموا أن المباهلة تستأصل الكاذب لا محالة" (Tafsîr Ibn Kathîr).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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