Quelle est l'origine de la langue arabe ?

Question :

Le texte coranique est en langue arabe. Quelle est l'origine de cette langue ? On dit que le prophète Ismaël (sur lui la paix) parlait déjà l'arabe. Or il a vécu au deuxième millénaire avant l'ère chrétienne [cliquez ici]. Ismaël parlait-il le même arabe que celui que parlait le prophète Muhammad (sur lui la paix) – qui pour sa part a vécu au septième siècle de l'ère chrétienne – ou bien parlait-il une version ancienne ?

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Réponse :

La langue arabe appartient à la famille des langues sémitiques, groupe dit méridional.

Les historiens arabes écrivent que, dans la péninsule arabique de l'Antiquité, se trouvaient deux types d'Arabes : il y avait les Arabes Yactanides ou Jectanides ("al-'arab al-qahtâniyya"), habitant surtout le Sud de la péninsule, et il y avait les Arabes Adnanites ("al-'arab al-'adnâniyya"), dont l'habitat principal était le Centre et le Nord de la péninsule.

Les historiens arabes relatent également que Agar et Ismaël furent laissés dans une vallée de la péninsule arabique par Abraham – respectivement mari et père pour eux – et qu'une source d'eau jaillit ensuite dans cette vallée. Un groupe de nomades d'ascendance yactanide, les Jur'hum, passant dans les environs et remarquant la présence d'eau, s'approcha et décida de s'installer lui aussi sur les lieux. C'est ainsi que la cité de La Mecque fut fondée. Si Abraham était mésopotamien et Agar égyptienne, Ismaël, lui, apprit "al-'arabiyya" [apparemment une sorte de proto-arabe – je vais en dire un mot plus bas] des Jurhum, au milieu desquels il vivait. C'est également chez les jur'humites qu'il se maria et c'est ainsi que naquirent ses enfants (tout ceci figure dans la parole de Ibn Abbâs rapportée par al-Bukhârî, n° 3183 : cliquez ici). Les historiens arabes classent donc les Arabes en deux catégories principales : les "'arab musta'riba" – les Arabes descendant de Ismaël –, et les "'arab 'âriba" – les Arabes descendant de peuples présents dans la péninsule avant que Ismaël ne s'y installe. (D'autres historiens arabes mentionnent trois catégories.)

Dans quelle mesure ces classifications correspondent-elles à la réalité, ceci relève d'un autre débat. Mais ce qui est certain c'est qu'au Sud, on parlait surtout des dialectes "sudarabiques" (comme le sabéen), tandis qu'au Nord on parlait des dialectes "nordarabiques". Une différence certaine existait entre la langue nordarabique – à partir de laquelle s'est formée l'actuelle langue "arabe" – et la langue sudarabique – à partir de laquelle se sont formées les actuelles langues soqotri, jibâlî. La langue arabe dans laquelle le texte coranique est écrit est issue des dialectes nordarabiques uniquement.

Pour les linguistes occidentaux contemporains, si les langues sudarabiques appartiennent, avec les langues nordarabiques, au groupe méridional des langues sémitiques, elles ne sont en revanche pas considérées comme "arabes".

En revanche, les anciens historiens arabes considéraient aussi bien les populations nordarabiques que les populations sudarabiques comme étant "arabes".

En fait il n'est pas impossible que la langue que Ismaël avait apprise des Jur'hum ait été un dialecte d'une sorte de "proto-arabe" parlé ici et là dans la péninsule, et que ce soit ce "proto-arabe" qui ait constitué le socle du groupe méridional (de la famille des langues sémitiques), certains dialectes de ce groupe devant ensuite évoluer et donner les langues nordarabiques, d'autres dialectes devant donner les langues sudarabiques. Ce "proto-arabe" parlé au temps de Ismaël partout dans la péninsule serait alors l'ancêtre non pas seulement des langues nordarabiques mais aussi des langues sudarabiques.

Il ne faudrait pas oublier que la distinction entre langue, dialecte et patois n'est pas d'ordre linguistique mais uniquement social : "Linguistiquement parlant, un dialecte est une forme d'une langue possédant un système lexical, syntaxique et phonétique propre et qui est utilisée dans un environnement plus restreint que la langue. Contrairement à la langue par rapport à laquelle il s'est développé, le dialecte n'a pas acquis le statut culturel, institutionnel et social qu'a cette langue. On distingue généralement dialecte de patois, et cette distinction n'est pas d'ordre linguistique mais social" (Le Robert Dictionnaire historique de la langue française, "dialecte").

En effet, à l'origine il y a une même langue parlée par un ensemble de personnes donné. Ce groupe étant venu à s'agrandir, certains petits groupes s'en détachent et s'installent dans des régions relativement distinctes l'une de l'autre. Là, au contact de peuples différents et à cause du relatif éloignement des uns par rapport aux autres, différents parlers de la langue mère apparaissent. Si aucun événement extérieur ne vient empêcher le processus, les parlers différents deviennent bientôt des dialectes différents, celles-ci devenant ensuite des langues différentes.
Ainsi, c'est le latin vulgaire parlé dans différentes provinces de l'empire romain qui a évolué en différents parlers ; ces parlers différents ont donné des dialectes différents, qui eux-mêmes sont devenus des langues différentes ("les langues romanes"). Dans le territoire de l'actuelle France régnait le dialecte "gallo-roman", dont plusieurs formes s'étaient développées : la langue d'oïl (parlée dans le Nord), la langue d'oc (parlé dans le Sud), et le franco-provençal (parlé dans le Centre-Est). A partir de divers dialectes d'oïl (donc de dialectes du Nord) se sont formés, aux dires de certains spécialistes, le parler dit "le roman" (qui devait lui-même donner l'ancien français), mais aussi les parlers picard, gallo, francien, lorrain, angevin, etc. Un de ces parlers, après avoir émergé, a donc été a posteriori nommé "le français", à l'exclusion des autres.
De plus, à l'intérieur même de ce parler devenu dialecte dominant ("le roman", devenu ensuite l'ancien français, le moyen français, etc.), plusieurs parlers existaient ; mais les codifications linguistiques (Malherbe, Vaugelas) et l'instruction généralisée par l'obligation scolaire (Jules Ferry) ont tout uniformisé.

Il se pourrait alors que, de la même façon, la langue que Ismaël avait apprise d'une tribu du Sud de l'Arabie ait été un "proto-arabe" ; que plusieurs parlers de ce proto-arabe aient existé dans la péninsule ; que deux formes de ces parlers aient par la suite émergé : nordarabique et sudarabique ; que ces deux parlers soient peu à peu devenus assez distincts l'un de l'autre au point d'être considérés comme deux dialectes différents, puis, développant à leur tour en leur sein différents parlers devenus dialectes – celui de Quraysh, de Assad etc. pour le nordarabique, et celui de Saba, de Himyar etc. pour le sudarabique – soient devenus deux langues différentes ; etc. Il se pourrait qu'ensuite le nordarabique se soit imposé à presque toute la péninsule, au détriment des langues sudarabiques, au point que ces dernières n'aient par la suite plus été considérées comme des langues "arabes" (exactement comme ce fut un dialecte du proto-français qui s'est imposé aux autres dialectes existant sur le territoire de France au point de mériter par la suite lui seulement le statut de langue française).

Et puis, exactement comme à l'intérieur du français plusieurs patois coexistaient, à l'intérieur du "nordarabique" différents dialectes (lughât) coexistaient dans la péninsule arabique : il y avait d'abord les différences dialectales, existant entre l'arabe de la région du Hedjaz et celui de l'Arabie orientale (Nadjd), etc. (comparables aux différences existant entre langues d'oïl et d'oc et au franco-provençal)… Et puis, à l'intérieur de ces grands dialectes, il y avait les différences existant entre les parlers des différentes villes ou tribus d'une même région (par exemple entre celui des Quraysh et celui des Hawâzin à l'intérieur de la région du Hedjaz, etc.) (différences comparables à celles existant entre les différents parlers qui existaient à l'intérieur de la langue d'oïl). Et exactement comme les codifications linguistiques et la scolarité obligatoire ont uniformisé (quasi-totalement) la langue française, la révélation du Coran, l'islamisation de la péninsule arabique et la conquête de pays voisins par les premiers musulmans – majoritairement des Arabes – ont uniformisé les différents dialectes et parlers existant à l'intérieur même du nordarabique. Ceci a donné ce qu'on appelle aujourd'hui l'arabe classique.

Le penseur Ahmad Amîn a écrit quatre points qui peuvent être relevés à propos du sujet qui nous concerne ici :
1) Les Arabes Lakhmides et Ghassanides, habitant le Nord de la péninsule, étaient originaires du Yémen, au Sud [ils étaient donc Jectanides].
2) Des historiens compétents d'hier et d'aujourd'hui affirment que la langue parlée au Yémen était différente de celle parlée au Hedjaz.
3) Pourtant, la langue parlée par les Lakhmides et les Ghassanides, bien que différente de celle du Hedjaz, ne lui était pas complètement étrangère.
4) Ceci s'explique par le fait que tous les dialectes et accents arabes avaient une même origine, et que c'est à partir de cette origine commune que ces dialectes s'étaient ramifiés (d'après Fajr ul-islâm, p. 23).

La langue qui est utilisée dans les Serments de Strasbourg (an 843) présente, par rapport à la langue française actuelle, des différences telles qu'un francophone d'aujourd'hui n'y comprend absolument rien ; de plus, la langue qui y est employée est aussi proche du français actuel que d'anciens autres dialectes "gallo-romans". Pourtant, certains spécialistes ne voient aucun mal à ce que l'on dise de ces Serments de Strasbourg qu'ils constituent le premier texte écrit en français. Pourquoi, alors, ne pourrait-on pas dire que la langue que Ismaël a apprise était elle aussi "al-'arabiyya", c'est-à-dire un proto-arabe présentant certes des différences par rapport à la langue arabe qui sera parlée VIIème siècle (à l'époque de Muhammad, sur lui la paix) mais étant un stade ancien non seulement des langues nordarabiques mais aussi des langues sudarabiques ? Pourquoi pour les Serments de Strasbourg oui, pour la langue de Ismaël non ?

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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