Quand l'épouse est fatiguée et n'en a pas envie...

Certains hommes exigent que leur épouse soit systématiquement à leur disposition sur le plan intime, qu'elle soit fatiguée ou pas. Ils se fondent pour cela sur quelques Hadîths qu'ils ont considérés de façon isolée.

Ces Hadîths sont entre autres : "Lorsque l'homme invite sa femme pour ce dont il a besoin, qu'elle réponde à son invitation même si elle se trouvait occupée au fourneau" : "عن طلق بن علي قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "إذا الرجل دعا زوجته لحاجته فلتأته، وإن كانت على التنور" (at-Tirmidhî, n° 1160). Une parole voisine est rapportée par Ibn Mâja : "ولو سألها نفسها وهي على قتب لم تمنعه" (n° 1853).

Or, ces Hadîths sont authentiques, mais on ne peut isoler leur contenu des principes généraux qui concernent le même sujet. On ne peut oublier ainsi le principe édicté par le célèbre Hadîth : "Pas de tort [fait à quelqu'un] et pas de tort [gratuit] [fait à quelqu'un]" : "مالك، عن عمرو بن يحيى المازني، عن أبيه، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "لا ضرر ولا ضرار" (rapporté par Mâlik, n° 1503).

C'est bien pourquoi Ibn Taymiyya a écrit que l'épouse a le devoir d'accorder à son mari la satisfaction sur le plan intime dans la mesure des points suivants :
a) quand le mari en exprime le désir ;
b) mais dans la mesure de ses possibilités (physiques) à elle,
c) et tant que cela ne l'empêche pas d'effectuer d'autres choses nécessaires qu'elle a à faire.
(Voici exactement le texte qu'il a écrit : "وللرجل عليها أن يتمتع بها متى شاء، ما لم يضر بها أو يشغلها عن واجب؛ فيجب عليها أن تمكنه كذلك" : As-Siyâssa ash-shar'iyya, p. 133.) (Voir un propos voisin dans Ash-Shar'h ul-kabîr, 9/696.)

Ensuite on ne peut oublier que la réciproque existe, puisqu'il y a un autre Hadîth qui dit quelque chose de très voisin au mari : l'épouse de Abdullâh ibn 'Amr ibn il-'As s'était plainte du fait que son mari enchaînait prières et jeûnes facultatifs et la délaissait sur tous les plans, intime y compris (rapporté par al-Bukhârî, n° 4765). Mis au courant de ce fait, le Prophète (sur lui la paix) parla donc à Abdullâh ibn Amr ibn il-'As. Il lui rappela que son corps et ses yeux avaient des droits sur lui et qu'il devait les ménager ; et il lui rappela aussi ceci : "Et ton épouse a des droits sur toi" (rapporté par al-Bukhârî, n° 1873, Muslim, n° 1159). D'après les dires de ulémas, il s'agit du droit de l'épouse à avoir une présence du mari à ses côtés, à la satisfaction sur le plan intime aussi…
Ceci fait que Ibn Taymiyya, dans le même chapitre, a également écrit que l'époux aussi a le devoir d'accorder à son épouse la satisfaction sur le plan intime :
a) dans la mesure des désirs de son épouse,
b) et de ses possibilités (physiques) à lui.
(Son écrit se lit ainsi : "فإن للمرأة على الرجل حقا في ماله، وهو الصداق والنفقة بالمعروف، وحقا في بدنه، وهو العشرة والمتعة، بحيث لو آلى منها استحقت الفرقة بإجماع المسلمين، وكذلك لو كان مجبوبا أو عنينا لا يمكنه جماعها فلها الفرقة. ووطؤها واجب عليه عند أكثر العلماء. وقد قيل: إنه لا يجب اكتفاء بالتباعث الطبيعي، والصواب: أنه واجب كما دل عليه الكتاب والسنة والأصول. وقد قال النبي صلى الله عليه وسلم لعبد الله بن عمرو رضي الله عنه لما رآه يكثر الصوم والصلاة: إن لزوجك عليك حقا. ثم قيل: يجب عليه وطؤها كل أربعة أشهر مرة، وقيل: يجب وطؤها بالمعروف على قدر قوته وحاجتها، كما تجب النفقة بالمعروف كذلك، وهذا أشبه" : As-Siyâssa ash-shar'iyya, p. 133.)

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S'il y a des Hadîths des deux côtés, pourquoi, alors, les Hadîths cités au tout début ont été formulés de la façon que l'on a vue ?

Parce que, répond Cheikh Khâlid Saïfullâh, c'est en général l'homme qui exprime explicitement son désir d'avoir des relations intimes, la femme ne le disant généralement pas de façon explicite (d'après Islâm aur jadîd mu'âsharatî massâ'ïl, p. 190).
Et parce que si l'homme est en général plus rationnel que la femme (elle est plus portée sur les sentiments, voire les émotions), par contre pour ce qui est de la résistance à la tentation sexuelle il est moins raisonnable qu'elle ; c'est cet aspect des choses qui a été rappelé à l'épouse dans le Hadîth cité en début d'article : le Prophète (sur lui soit la paix) l'a donc exhortée à satisfaire son mari sur le plan intime (Ibn Hajar a reproduit ces explications de Ibn Abî Jamra : "وَفِيهِ أَنَّ صَبْر الرَّجُل عَلَى تَرْك الْجِمَاع أَضْعَف مِنْ صَبْر الْمَرْأَة . قَالَ : وَفِيهِ أَنَّ أَقْوَى التَّشْوِيشَات عَلَى الرَّجُل دَاعِيَة النِّكَاح وَلِذَلِكَ حَضَّ الشَّارِع النِّسَاء عَلَى مُسَاعَدَة الرِّجَال فِي ذَلِكَ" : Fat'h ul-bârî 9/366).

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Pour qu'une relation intime soit possible physiquement (ne parlons même pas du plaisir), il faut qu'on en ait envie. Or, sans même parler de ses dispositions physiques, il est impossible à la femme d'avoir envie d'une relation avec son mari si celui-ci ne s'est pas montré affectueux et attentionné à son égard.
Quant à l'homme, il ne faut pas qu'il oublie que le plaisir dans une relation intime ne se limite pas à son plaisir personnel mais est aussi lié au plaisir qu'il a su offrir à son épouse. Ibn Hajar a écrit : "La relation intime n'est agréable que si l'âme en a envie et si on a le désir de vivre ensemble" ("وَالْمُجَامَعَة أَوْ الْمُضَاجَعَة إِنَّمَا تُسْتَحْسَن مَعَ مَيْل النَّفْس وَالرَّغْبَة فِي الْعِشْرَة" : Fath' ul-bârî 9/377). Un des mes coreligionnaires et amis disait : "L'amour ça se fait à deux, dit-on. Eh bien, justement, ça se fait à deux !" (fin de citation). Ibn Abbâs disait : "J'aime m'embellir pour mon épouse comme j'aime qu'elle s'embellisse pour moi, car Dieu a dit : "Et elles ont des droits comparables à leurs devoirs, dans la bienséance" [Coran 2/228]" (Tafsîr ut-Tabarî). Le mari doit garder à l'esprit que son épouse n'est pas une machine mais un être encore plus sensible que lui. A lui d'être intelligent, de se montrer affectueux et attentionné, de faire preuve de justice avec lui-même si son épouse est fatiguée ou a une autre raison (comme nous l'avons vu plus haut), enfin de ne pas être mécontent simplement parce qu'il est arrivé que son épouse a un jour décliné son invitation sans raison apparente ("بِخِلاَفِ مَا إِذَا لَمْ يَغْضَب مِنْ ذَلِكَ فَإِنَّهُ يَكُون إِمَّا لِأَنَّهُ عَذَرَهَا، وَإِمَّا لِأَنَّهُ تَرَك حَقّه مِنْ ذَلِكَ" : Fat'h ul-bârî 9/365).
Un des commentaires du passage coranique "Et les hommes ont un degré sur elles [= les femmes]" (Coran 2/228) n'est-il pas, justement, que ce "degré de l'homme" est qu'il est normalement porté sur le fait de savoir fermer les yeux sur certains de ses droits par rapport à son épouse, tout en veillant à accomplir ses devoirs vis-à-vis d'elle (Tafsîr ut-Tabarî) ?

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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