La règle première est le caractère sacré de la vie de tout humain (musulman ou pas) - Lors d'un conflit armé, il n'est pas autorisé de viser des non-combattants ; il n'est pas autorisé non plus de trahir la parole donnée

Question :

Bonjour.

Comme l'actualité internationale n'est en ce moment pas très réjouissante (des conflits armés dont certains mettent aux prises des musulmans avec des non-musulmans), j'ai voulu en savoir un peu plus sur votre religion. Et j'ai trouvé deux paroles (vous dites, je crois, des hadiths) de votre prophète qui m'ont choqué. "Le prophète fut interrogé au sujet des femmes et des enfants des polythéistes qui sont tués dans une attaque nocturne menée par les musulmans. Il répondit : "Ils font partie d’eux."" La seconde : "Le prophète a dit : "La guerre est une tromperie.""

Ces deux paroles ne donneraient-elles pas au musulman qui se trouve dans une situation de conflit armé le sentiment d'être en droit de tuer des civils en se disant : "Ils font partie d'eux, c'est-à-dire du peuple que je combats, donc je peux les viser", ainsi que de pouvoir, la conscience tranquille, trahir les accords entre nations ainsi que les accords concernant les prisonniers, car "la guerre est une tromperie" ? Un musulman ne pourrait-il pas chercher à obtenir un titre de séjour dans un pays, puis, une fois y arrivé, se mettre à tuer, sous prétexte qu'il est en état de guerre et que la guerre est une tromperie ?

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Réponse :

Le premier hadîth que vous avez cité est celui-ci : "Le Prophète fut interrogé au sujet des femmes et des enfants des polythéistes qui sont tués dans une attaque nocturne menée par les musulmans. Il répondit : "Ils font partie d’eux" : "عن الصعب بن جثامة رضي الله عنهم، قال: مر بي النبي صلى الله عليه وسلم بالأبواء، أو بودان، وسئل عن أهل الدار يبيتون من المشركين، فيصاب من نسائهم وذراريهم قال: "هم منهم" (al-Bukhârî, 2850, Muslim, 1745).

D'une part il parle non pas de tout polythéiste, de sorte qu'il soit indiqué de les tuer tous – mais il me semble que vous l'avez bien compris, car je note que vous avez précisé "le musulman qui se trouve dans une situation de conflit armé" – ; il parle de personnes harbî, c'est-à-dire avec qui le Prophète et ses Compagnons étaient en état de belligérance (cliquez ici et ici pour découvrir les différents types de relations entre Etats, et en quelles circonstances il est légal d'entrer en état de belligérance – ce qui fait d'un pays : "un pays harbî"). La preuve en est que le Prophète a aussi dit : "Celui qui tue un mu'âhid ne sentira même pas le parfum du paradis" : "عن عبد الله بن عمرو رضي الله عنهما، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: «من قتل معاهدا لم يرح رائحة الجنة، وإن ريحها توجد من مسيرة أربعين عاما" (al-Bukhârî, 2995) (rapporté avec une variante par at-Tirmidhî, 1403, an-Nassâ'ï, 4748). Le terme "mu'âhid" désigne aussi bien le non-musulman résidant en terre musulmane que le non-musulman résidant dans la terre non-musulmane qui est liée par un traité de paix avec la terre musulmane ; et un polythéiste aussi peut être un mu'âhid (cliquez ici pour en savoir plus). Quant à "ne pas sentir le parfum du paradis", cela signifie ici : "avoir fait une faute morale grave au point d'être passible d'être envoyé pour un temps dans la géhenne".

D'autre part il faut savoir que, contrairement à ce que vous croyez, le Prophète a bien dit qu'il y a certaines catégories de personnes (notamment les femmes et les enfants, mais nous verrons en détail plus bas, en II, quelles sont toutes ces catégories) que, bien que harbî (ressortissantes du pays qui est en état de guerre avec le pays musulman), il est interdit de viser lors des combats, conformément à des hadîths existant sur le sujet. Le hadîth que vous avez cité (en premier) parle, lui, d'un cas de figure différent ; nous le verrons plus bas.

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I) La règle première est l'interdiction d'attenter à toute vie humaine (الإنسان حرام الدم / معصوم الدم، من حيث أنه إنسان) :

Et cette règle ne concerne pas seulement de la vie du musulman mais la vie de l'humain en tant que tel. C'est uniquement en des cas limités qu'il devient prescrit de tuer. Ibn Taymiyya écrit : "Le principe originel ("al-asl") est que la vie de l'humain est protégée : celui-ci ne peut être tué que pour une raison juste" : "فإن الأصل أن دم الآدمي معصوم لا يقتل إلا بالحق" (As-Sârim, p. 104). Au cas par exemple où quelqu'un est attaqué – sans raison justifiée – par une personne armée entrée chez lui, en dernier recours il lui devient permis de la tuer, pour cause de légitime défense. De même, en cas d'invasion par une armée ennemie, il devient nécessaire de défendre sa patrie face à l'envahisseur, et, sous la bannière d'une autorité légitime, les combattants font face à l'ennemi avec la claire intention de tuer ces soldats venus d'ailleurs, avec l'objectif, plus général, de les repousser du pays.

Il y a dans le Coran 3 versets qui parlent du caractère sacré de la personne humaine : "وَلَا تَقْتُلُوا النَّفْسَ الَّتِي حَرَّمَ اللَّهُ إِلَّا بِالْحَقِّ" (Coran 6/151 ; Coran 17/33) ; "وَلَا يَقْتُلُونَ النَّفْسَ الَّتِي حَرَّمَ اللَّهُ إِلَّا بِالْحَقِّ" (Coran 25/68).

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Préférant être intellectuellement honnête sur le sujet, je rappelle qu'il existe un débat entre les ulémas à propos de ce caractère sacré de l'homme
 (عصمة الإنسان), et ce par incidence (plus de détails seront donnés plus bas) :

Rappels préalables :
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Le terme "
Kâfir" désigne seulement celui qui n'adhère pas à la foi (asl ul-îmân) que Dieu agrée ; cela englobe le Kufr bi Asli-hî, ainsi que le Kufr Târi' :
--- ce dernier (le
Kufr Târi') ne constitue du kufr que s'il y a eu bulûgh ud-da'wa et refus (avant cela, la personne était Muslim) ;
--- quant au premier type (le
Kufr bi asli-hî), s'il n'y a pas eu bulûgh ud-da'wa, cela constitue quand même déjà du kufr, mais ash-Shâfi'î ne lui applique alors pas la règle qu'il a énoncée (et que nous verrons plus bas).
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Le fait d'être
Harbî vis-à-vis d'un groupe de musulmans, cela constitue quelque chose de supplémentaire au fait d'être Kâfir : cela désigne le ressortissant d'un Etat qui est en état de belligérance avérée avec ce groupe de musulmans précis.
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Il y a par ailleurs le
Mu'âhid vis-à-vis d'un groupe de musulmans : il s'agit du Kâfir qui est sous pacte avec ce groupe : soit de amân, soit de dhimma, soit qu'il est ressortissant d'un Etat qui est Dâr ul-'ahd avec cette Dâr ul-islâm.

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--- 1) Abû Hanîfa est d'avis que le caractère par essence sacré de la vie demeure et est toujours valable pour la personne kâfir, même si celle-ci n'est pas sous pacte avec des musulmans ; cela ne disparaît par incidence ('âridh) que dans le cas où cette personne kâfir se met à combattre les musulmans (تبقى العصمة الأصلية للكافر بعد بلوغه دعوة الإسلام فإصراره على الكفر، إلا إذا قاتل المسلمين، فحينئذ يصير مباح الدم لعارض القتال).

--- 2) Par contre, ash-Shâfi'î est quant à lui d'avis que le caractère, par essence sacré, de l'homme (العصمة الأصلية) laisse la place, par incidence ('âridh), dans le cas de l'individu à qui le message de l'islam est parvenu mais qui a choisi de ne pas y adhérer (kâfir balaghat-hu-d-dawa), à un caractère en soi non-sacré ; ne fait exception à cela que le cas où ce kâfir bénéficie d'un pacte conclu avec des musulmans (dhimma / mu'âhada / istîmân) (العصمة الأصلية التي يتمتع بها الإنسان من حيث أنه إنسان زالت عن الكافر بعد بلوغه دعوة الإسلام فإصراره على الكفر، فيصبح هذا الكافر مباح الدم في ذاته، إلا أن يعطي له المسلم عهدًا).
Pour ash-Shâfi'î, le kâfir à qui le message est parvenu mais qui a choisi de ne pas y adhérer, s'il n'est pas ressortissant d'une cité en état de guerre avec la Dâr ul-islâm, mais ne dispose pas non plus d'un pacte avec la Dâr ul-islâm, sa vie n'est pas sacrée.

C'est seulement par honnêteté intellectuelle et académique que j'ai exposé également l'existence de cette autre posture, la 2, et ce bien que je n'y adhère bien évidemment pas, et que j'invite à ne pas y adhérer (j'y reviendrai plus bas).

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--- Voici l'exposé de cette seconde posture (2), sous la plume de de ulémas qui s'en réclament, parmi lesquels ash-Shâfi'î :

"قال الشافعي): حقن الله الدماء ومنع الأموال - إلا بحقها -: بالإيمان بالله وبرسوله، أو عهد من المؤمنين بالله ورسوله لأهل الكتاب. وأباح دماء البالغين من الرجال بالامتناع من الإيمان إذا لم يكن لهم عهد" (Al-Umm, al-hukm fi-s-sâhir wa-s-sâhira). "قال الشافعي): فقطع الكلام وقال: ولم قلت يكون مال المرتد فيئا؟ (قلت): بأن الله تبارك وتعالى حرم دم المؤمن وماله إلا بواحدة ألزمه إياها؛ وأباح دم الكافر وماله إلا بأن يؤدي الجزية أو يستأمن إلى مدة. فكان الذي يباح به دم البالغ من المشركين هو الذي يباح به ماله، وكان المال تبعا للذي هو أعظم من المال. فلما خرج المرتد من الإسلام، صار في معنى من أبيح دمه بالكفر لا بغيره، وكان ماله تبعا لدمه، ويباح بالذي أبيح به من دمه، ولا يكون أن تنحل عنه عقدة الإسلام فيباح دمه ويمنع ماله. (قال الشافعي): فقال: فإن كنت شبهته بأهل دار الحرب فقد جمعت بينهم في شيء، وفرقته في آخر! (قلت): وما ذاك؟ (قال): أنت لا تغنم ماله حتى يموت أو تقتله، وقد يغنم مال الحربي قبل أن يموت وتقتله. (قال الشافعي): فقلت له: "الحكم في أهل دار الحرب حكمان: فأما من بلغته الدعوة فأغير عليه بغير دعوة، آخذ ماله، وإن لم أقتله؛ وأما من لم تبلغه الدعوة فلا أغير عليه حتى أدعوه، ولا أغنم من ماله شيئا حتى أدعوه فيمتنع، فيحل دمه وماله. فلما كان القول في المرتد أن يدعى، لم يغنم ماله حتى يدعى؛ فإذا امتنع، قتل وغنم ماله" (Al-Umm, mâ jâ'a fî ghasl il-mayyit).

Quant au célèbre verset qui parle non seulement de justice mais aussi de bienfaisance vis-à-vis de non-musulmans harbî n'ayant pas combattu : "لَا يَنْهَاكُمُ اللَّهُ عَنِ الَّذِينَ لَمْ يُقَاتِلُوكُمْ فِي الدِّينِ وَلَمْ يُخْرِجُوكُم مِّن دِيَارِكُمْ أَن تَبَرُّوهُمْ وَتُقْسِطُوا إِلَيْهِمْ إِنَّ اللَّهَ يُحِبُّ الْمُقْسِطِينَ" (Coran 60/8), les tenants de cette posture font valoir que ce verset parle de non-interdiction, et pas d'une obligation : envers un kâfir n'ayant pas de 'ahd mais n'ayant pas combattu les musulmans, il n'est pas interdit d'être bienveillant, mais pas obligatoire non plus (puisque, selon ces ulémas-là, sa personne ne bénéficie plus d'une protection par essence). Oui, au cas où le musulman a choisi par exemple de l'inviter chez lui (ou autres cas comparables), il lui a ainsi accordé la sécurité (amân), et il se doit alors, disent ces ulémas, de ne pas s'en prendre à lui (car cela reviendrait à trahir la parole donnée, ghadr, ce qui est interdit, comme nous le verrons plus bas en IV). Mais, sans amân lui ayant été accordé, si ce kâfir n'est pas une femme ou un enfant, il n'est pas harâm ud-dam : il n'est ni obligatoire ni interdit d'être bienveillant envers lui, comme il n'est ni obligatoire ni interdit de s'en prendre à lui (du moment qu'on ne trahit pas la parole qui lui a été donnée).

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--- Et voici l'exposé de textes de ulémas adhérant à la posture correcte, la première (1), parmi lesquels les Hanafites :

"ولأن العصمة المؤثمة: بالآدمية؛ لأن الآدمي خلق متحملا أعباء التكليف والقيام بها بحرمة التعرض؛ والأموال تابعة لها" (Al-Hidâya, 1/568). "قوله: فسقطت عصمته المقومة) هي ما توجب المال أو القصاص عند التعرض. والمؤثمة ما توجب الإثم. والأولى تثبت بالإحراز بالدار كعصمة المال لا بالإسلام عندنا، فإن الذمي مع كفره يتقوم بالإحراز. والثانية بكونه آدميا، لأنه خلق لإقامة الدين، ولا يتمكن من ذلك إلا بعصمة نفسه بأن لا يتعرض له أحد، ولا يباح قتله إلا بعارض: أفاده الزيلعي" (Radd ul-muhtâr, 6/278).
"وقوله: {ولا تقتلوا النفس التي حرم الله إلا بالحق} هذا هو المحرم الخامس وهو قتل النفس التي حرم الله قتلها، وهي كل نفس ما عدا نفس المحارب فإنها مباحة للقتل" (Ayssar ut-tafâssîr, Abû Bakr al-Jazâ'ïrî) ; "muhârib" veut dire ici : "muqâtil" (il ne s'agit pas uniquement du "muhârib" cité en Coran 5/33).
"وذكر هنا تنزههم عن الشرك وقتل النفس والزنا، وهذه القبائح الثلاث كانت غالبة على المشركين. ووصف النفس بـ{التي حرم الله} بيان لحرمة النفس التي تقررت من عهد آدم فيما حكى الله من محاورة ولدي آدم بقوله {قال لأقتلنك} الآيات، فتقرر تحريم قتل النفس من أقدم أزمان البشر ولم يجهله أحد من ذرية آدم، فذلك معنى وصف النفس بالموصول في قوله {التي حرم الله}. وكان قتل النفس متفشيا في العرب بالعداوات، والغارات، وبالوأد في كثير من القبائل بناتهم، وبالقتل لفرط الغيرة" (At-Tahrîr wa-t-tanwîr, commentaire de Coran 25/68).
"والقتل}: الإماتة بفعل فاعل، أي إزالة الحياة عن الذات. وقوله: {حرم الله} حذف العائد من الصلة إلى الموصول لأنه ضمير منصوب بفعل الصلة وحذفه كثير. والتقدير: "حرمها الله". وعلق التحريم بعين النفس، والمقصود: تحريم قتلها. ووصفت النفس بالموصول والصلة بمقتضى كون تحريم قتلها مشهورا من قبل هذا النهي: إما لأنه تقرر من قبل بآيات أخرى نزلت قبل هذه الآية وقبل آية الأنعام حكما مفرقا، وجمعت الأحكام في هذه الآية وآية الأنعام؛ وإما لتنزيل الصلة منزلة المعلوم لأنها مما لا ينبغي جهله فيكون تعريضا بأهل الجاهلية الذين كانوا يستخفون بقتل النفس بأنهم جهلوا ما كان عليهم أن يعلموه، تنويها بهذا الحكم. وذلك أن النظر في خلق هذا العالم يهدي العقول إلى أن الله أوجد الإنسان ليعمر به الأرض، كما قال تعالى: {هو أنشأكم من الأرض واستعمركم فيها}، فالإقدام على إتلاف نفس هدم لما أراد الله بناءه، على أنه قد تواتر وشاع بين الأمم في سائر العصور والشرائع من عهد آدم صون النفوس من الاعتداء عليها بالإعدام، فبذلك وصفت بأنها {التي حرم الله}، أي عرفت بمضمون هذه الصلة. واستثني من عموم النهي القتل المصاحب للحق، أي الذي يشهد الحق أن نفسا معينة استحقت الإعدام من المجتمع، (...) فالباء في قوله: {بالحق} للمصاحبة، وهي متعلقة بمعنى الاستثناء، أي إلا قتلا ملابسا للحق. و{الحق} بمعنى العدل، أو بمعنى الاستحقاق" (At-Tahrîr wa-t-tanwîr, commentaire de Coran 17/33).
"وأعقب ذلك بالنهي عن قتل النفس، وهو من الفواحش على تفسيرها بالأعم، تخصيصا له بالذكر: لأنه فساد عظيم، ولأنه كان متفشيا بين العرب. والتعريف في النفس تعريف الجنس، فيفيد الاستغراق. ووصفت بـ{التي حرم الله} تأكيدا للتحريم بأنه تحريم قديم؛ فإن الله حرم قتل النفس من عهد آدم. وتعليق التحريم بالنفس هو على وجه دلالة الاقتضاء، أي "حرم الله قتلها" على ما هو المعروف في تعليق التحريم والتحليل بأعيان الذوات أنه يراد تعليقه بالمعنى الذي تستعمل تلك الذات فيه كقوله:{أحلت لكم بهيمة الأنعام} أي، أكلها. ويجوز أن يكون معنى {حرم الله}: جعلها الله حرما أي شيئا محترما لا يعتدى عليه، كقوله تعالى: {إنما أمرت أن أعبد رب هذه البلدة الذي حرمها}؛ وفي الحديث: "وإني أحرم ما بين لابتيها". وقوله: {إلا بالحق} استثناء مفرغ من عموم أحوال ملابسة القتل، أي "لا تقتلوها في أية حالة أو بأي سبب تنتحلونه إلا بسبب الحق"؛ فالباء للملابسة أو السببية. و{الحق} ضد الباطل، وهو الأمر الذي حق، أي "ثبت أنه غير باطل في حكم الشريعة وعند أهل العقول السليمة البريئة من هوى أو شهوة خاصة" (At-Tahrîr wa-t-tanwîr, commentaire de Coran 6/151).

Les textes de la Sunna sur lesquels les avis B et C s'appuient et qui seront cités plus bas (en III) étayent cette posture 1 : en effet, dès lors que, parmi les harbî, seuls ceux qui sont des potentiels combattants (avis B) ou seuls ceux qui se sont établis en combattants (avis C) peuvent être visés, et qu'il demeure interdit de viser les autres harbî, c'est bien que le principe premier reste la sacralité du sang de tout humain tant qu'il ne combat pas (soit en puissance - avis B -, soit en acte - avis C -) ; quand cette sacralité vaut pour le kâfir harbî ghayr muqâtil, alors elle vaut a fortiori pour le kâfir qui ne dispose pas de 'ahd mais est ghayr harbî.
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C'est à la posture 1 que j'adhère, et c'est à elle que j'invite tous mes coreligionnaires à adhérer, Shafi'ites compris. Comme je l'ai exposé dans un autre article, il est, tout en conservant une école juridique de référence, nécessaire de délaisser, sur certains points, l'avis de cette école et d'adopter l'avis d'une autre école.
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Si j'ai cité quand même la posture shafi'ite sur ce point sensible, c'est parce que certains coreligionnaires la trouvent de toutes façons ailleurs sur le Net, et reprochent ensuite de "
dissimuler la vérité". J'ai donc voulu exposer cette posture shafi'ite elle aussi, et ce par honnêteté intellectuelle, mais pour, ensuite, inviter tous les coreligionnaires - y compris ceux qui suivent l'école shafi'ite - à ne pas y adhérer, et à adhérer à l'autre posture : celle (entre autres) des Hanafites. J'ai tenté aussi de démontrer la plus grande pertinence de cette dernière posture.

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Ce qui nous donne comme traduction des versets suscités : "وَلَا تَقْتُلُوا النَّفْسَ الَّتِي حَرَّمَ اللَّهُ إِلَّا بِالْحَقِّ" : "Et ne tuez pas la personne humaine, que Dieu a rendue sacrée, sauf pour la raison juste" (Coran 6/151 ; Coran 17/33). C'est, en français, la première virgule qui fait ressortir le sens de cette phrase : la personne humaine est sacrée par essence, même si elle est kâfir et même si elle n'a pas de 'ahd avec les musulmans (pourvu qu'elle ne soit pas en état de harb avec eux).
Seule "
la raison juste" fait exception à cette règle, car il devient alors soit autorisé, soit obligatoire, de mettre fin à la vie d'une personne humaine précise (cela répondant, même alors, à des règles strictes établies dans les ouvrages de fiqh), et ce parce que cela a entraîné pour cette personne la perte de son caractère sacré.
Cette "
raison juste" consiste en la conséquence d'une agression physique commise par cette personne contre la vie (cas de légitime défense), ou d'un état de guerre (harb) ; ou encore de certains délits très graves (cela valant uniquement pour les habitants de la Dâr ul-islâm).
Ces cas faisant ainsi l'objet de cette exception ne concernent pas la personne demeurant sacrée, mais entraînent bel et bien que la personne perd alors son caractère sacré, comme le dit ce hadîth : "لا تقتله، فإن قتلته فإنه بمنزلتك قبل أن تقتله، وإنك بمنزلته قبل أن يقول كلمته التي قال" (al-Bukhârî, 3794, Muslim, 95) ; "اختلف في معناه؛فأحسن ما قيل فيه وأظهره ما قاله الامام الشافعى وابن القصار المالكي وغيرهما أن معناه: فإنه معصوم الدم محرم قتله بعد قوله لا إله إلا الله، كما كنت أنت قبل أن تقتله؛ وإنك بعد قتله غير معصوم الدم ولا محرم القتل، كما كان هو قبل قوله لا إله الا الله. قال ابن القصار: يعني لولا عذرك بالتأويل المسقط للقصاص عنك" (Shar'h Muslim, 2/106).
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"وَلَا تَقْتُلُوا النَّفْسَ الَّتِي حَرَّمَ اللَّهُ إِلَّا بِالْحَقِّ" : أي ولا تقتلوا النفس، فإن الله حرّم قتلها؛ ولا يشرع قتل النفس إلا بالحق: إذا ارتكبتْ ما تصير بها غير محرّمة القتل.

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Le hadîth est bien connu : "عن عبد الله بن عمرو رضي الله عنهما، عن النبي صلى الله عليه وسلم قال: "المسلم من سلم المسلمون من لسانه ويده، والمهاجر من هجر ما نهى الله عنه" : "Le musulman (parfait) est celui dont les musulmans restent à l'abri de sa langue et de sa main (...)" (al-Bukhârî, 10 ; Muslim, 40) ; "عن جابر قال: سمعت النبي صلى الله عليه وسلم يقول: "المسلم من سلم المسلمون من لسانه ويده" (Muslim, 41) ; "عن أبي موسى، قال: قلت: يا رسول الله، أي الإسلام أفضل؟ قال: "من سلم المسلمون من لسانه ويده" (Muslim, 42).
Ibn Hajar écrit : "La mention des "musulmans" ici a été faite par égard ce qui est le plus courant, et ce parce que le fait que le musulman fasse attention à se retenir de faire du tort à son frère musulman, cela est plus accentué" [il veut dire que, au-delà de cette accentuation, le principe, أصل الحكم, vaut pour tout humain, fût-il non-musulman]. Parlant de l'époque où il vivait, où les pactes entre Etats du monde n'existaient pas de façon généralisée comme c'est le cas actuellement, il dit encore : "et parce que les non-musulmans sont susceptibles de combattre (des musulmans)" [ces derniers devant alors se défendre physiquement], "même si, parmi ces (non-musulmans), il en est par rapport à qui se retenir (de leur faire du tort) est obligatoire". Enfin, quelques lignes plus bas, Ibn Hajar rappelle que, par ailleurs, pour le musulman aussi il est certains cas qui entraînent qu'il ne bénéficie plus de la sécurité (salâma) énoncé dans le hadîth sus-cité : "تنبيه: ذكر المسلمين هنا خرج مخرج الغالب لأن محافظة المسلم على كف الأذى عن أخيه المسلم أشد تأكيدا، ولأن الكفار بصدد أن يقاتِلوا، وإن كان فيهم من يجب الكف عنه. والإتيان بجمع التذكير للتغليب: فإن المسلمات يدخلن في ذلك. وخص اللسان بالذكر لأنه المعبر عما في النفس؛ وهكذا اليد لأن أكثر الأفعال بها؛ والحديث عام بالنسبة إلى اللسان دون اليد لأن اللسان يمكنه القول في الماضين والموجودين والحادثين بعد بخلاف اليد نعم يمكن أن تشارك اللسان في ذلك بالكتابة وإن أثرها في ذلك لعظيم. ويستثنى من ذلك شرعا تعاطي الضرب باليد في إقامة الحدود والتعازير على المسلم المستحق لذلك" (FB 1/75) ("يقاتِلوا" : c'est ainsi, à la voie active, que cela est écrit dans Maktaba Shâmila).
D'ailleurs, une autre phrase, présente dans un hadîth voisin, parle pour sa part de "les hommes" vis-à-vis d'un terme voisin : "amn" : "عن أبي هريرة، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "المسلم من سلم المسلمون من لسانه ويده، والمؤمن من أمنه الناس على دمائهم وأموالهم" : "Le musulman (parfait) est celui dont les musulmans restent à l'abri de sa langue et de sa main. Et le croyant (parfait) est celui par rapport auquel les hommes sont en sécurité quant à leur sang et leurs biens" (at-Tirmidhî, 2627, Ahmad).

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Thumâma ibn Uthâl a été capturé par un groupe dépêché par le Prophète (sur lui soit la paix) vers la région du Najd (cela entre le moment de Khaybar et la conquête de la Mecque, puisque, comme le dit Ibn Kathîr, la relation que Ibn Is'hâq en fait montre que Abû Hurayra était alors présent). Cependant, cela n'étaye pas la posture 2, puisque Ibn Sa'd écrit que, avant cela, à cause de ce que Thumâma avait fait auparavant, le Prophète avait autorisé de s'en prendre à lui : "ثمامة بن أثال بن النعمان بن مسلمة بن عبيد بن ثعلبة بن يربوع بن ثعلبة بن الدول بن حنيفة الحنفي. كان مر به رسول الله صلى الله عليه وسلم فأراد ثمامة قتله فمنعه عمه من ذلك. فأهدر رسول الله صلى الله عليه وسلم دم ثمامة. ثم خرج ثمامة بعد ذلك معتمرا؛ فلما قارب المدينة، أخذته رسل رسول الله صلى الله عليه وسلم بغير عهد ولا عقد، فأتوا به رسول الله صلى الله عليه وسلم؛ فقال: إن تعاقب ذا ذنب وإن تعف تعف عن شاكر. فعفا رسول الله - صلى الله عليه وسلم - عن ذنبه فأسلم. وأذن له رسول الله - صلى الله عليه وسلم - في الخروج إلى مكة للعمرة فخرج فاعتمر ثم انصرف. فضيق على قريش فلم يدع حبة تأتيهم من اليمامة" (At-Tabaqât ul-kub'râ). D'autres récits disent qu'avant cela, Thumâma avait tué des Compagnons.

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Il semble que al-Qurtubî ait tantôt écrit ce qui rejoint la posture 2, et tantôt écrit ce qui implique la posture 1.
En effet, d'un côté il dit ceci : "الخامسة: والمسلم إذا لقي الكافر ولا عهد له، جاز له قتله، فإن قال: "لا إله إلا الله" لم يجز قتله، لأنه قد اعتصم بعصام الإسلام المانع من دمه وماله وأهله" (Tafsîr ul-Qurtubî, 5/338-339).
Mais de l'autre côté voici ce qu'il dit : "وقال ابن عباس وعمر بن عبد العزيز ومجاهد: هي محكمة؛ أي: "قاتلوا الذين هم بحالة من يقاتلونكم، ولا تعتدوا في قتل النساء والصبيان والرهبان وشبههم"، على ما يأتي بيانه. قال أبو جعفر النحاس: وهذا أصح القولين في السنة والنظر. (...) وللعلماء فيهم صور ست: الأولى: النساء (...) السادسة: العسفاء، وهم الأجراء والفلاحون: فقال مالك في كتاب محمد: "لا يقتلون". وقال الشافعي: "يقتل الفلاحون والأجراء والشيوخ الكبار إلا أن يسلموا أو يؤدوا الجزية". والأول أصح، لقوله عليه السلام في حديث رباح بن الربيع: "الحق بخالد بن الوليد فلا يقتلن ذرية ولا عسيفا". وقال عمر بن الخطاب: "اتقوا الله في الذرية والفلاحين الذي لا ينصبون لكم الحرب". وكان عمر بن عبد العزيز لا يقتل حراثا، ذكره ابن المنذر" (Tafsîr ul-Qurtubî, 2/348-349). Or il est évident qu'on parle ici du 'assîf qui est kâfir et qui, n'étant pas harbî, n'a pas de 'ahd ni de amân ; malgré cela, on voit al-Qurtubî dire ici que l'avis correct à son sujet est l'interdiction de le tuer. Voilà qui implique la posture 1.
Qu'Allah récompense al-imam al-Qurtubî pour tous ses magnifiques écrits ; seul Lui ne se contredit jamais.

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Les 2 postures suscitées se marient, chacune, davantage avec...

Les 2 postures suscitées se marient, chacune, davantage avec 2 des différentes visions que des ulémas ont développées quant à ce en quoi consiste la jizya dont le non-musulman résident permanent de la Dâr ul-islâm doit s'acquitter (quand cette jizya n'a pas été placée sur lui suite à un combat) :
--- la vision de la jizya comme "compensation pour la protection permanente accordée à sa vie" (بدل عن حقن الدم) se marie davantage avec la posture 2,
--- tandis que la vision de la jizya comme "compensation pour la non-participation à la défense du pays" (بدل عن النصرة) se marie davantage avec la posture 1.

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La divergence suscitée a par ailleurs une incidence (ta'thîr) sur la réponse qui est donnée à la question suivante...

En effet :
--- logiquement, l'avis A (qui va être cité plus bas, en III) est le fait de qui est de la posture 2 ;
--- et l'avis B ou l'avis C sont reliés avec ceux qui sont de la posture 1.

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II) Commentaire du passage coranique 4/92 :

"وَمَا كَانَ لِمُؤْمِنٍ أَن يَقْتُلَ مُؤْمِنًا إِلاَّ خَطَئًا وَمَن قَتَلَ مُؤْمِنًا خَطَئًا فَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُّؤْمِنَةٍ وَدِيَةٌ مُّسَلَّمَةٌ إِلَى أَهْلِهِ إِلاَّ أَن يَصَّدَّقُواْ فَإِن كَانَ مِن قَوْمٍ عَدُوٍّ لَّكُمْ وَهُوَ مْؤْمِنٌ فَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُّؤْمِنَةٍ وَإِن كَانَ مِن قَوْمٍ بَيْنَكُمْ وَبَيْنَهُمْ مِّيثَاقٌ فَدِيَةٌ مُّسَلَّمَةٌ إِلَى أَهْلِهِ وَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُّؤْمِنَةً فَمَن لَّمْ يَجِدْ فَصِيَامُ شَهْرَيْنِ مُتَتَابِعَيْنِ تَوْبَةً مِّنَ اللّهِ وَكَانَ اللّهُ عَلِيمًا حَكِيمًا" :
"Et un croyant n'a pas à tuer un croyant ; cela ne peut advenir que par erreur.
--- Et celui qui a tué un croyant par erreur, alors : libération d'un esclave croyant, et dédommagement remis à la famille de (la victime), sauf si celle-ci en fait la charité.
--- Ensuite si (la victime) fait partie d'un groupe qui est ennemi pour vous, et qu'il est croyant, alors libération d'un esclave croyant.
--- Et si (la victime) fait partie d'un groupe entre vous et lequel existe un pacte, alors dédommagement remis à la famille de (la victime) et libération d'un esclave croyant.
Celui qui n'(en) trouve pas, alors jeûne de deux mois consécutifs, par repentir (accordé) par Dieu. Et Dieu est Savant, Sage" (Coran 4/92).

Deux choses ont été ici exposées :
--- la kaffâra, ou expiation par rapport au péché d'avoir tué même involontairement un être humain ;
--- la diya ou dédommagement remis à la famille de cet être humain ayant été tué.

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--- Et, selon un commentaire : dans ce passage coranique, 2 grands cas de figure sont évoqués : i) la victime est musulmane ; ii) la victime n'est pas musulmane mais n'est pas non plus harbî ;

--- i) la victime est musulmane : "وَمَن قَتَلَ مُؤْمِنًا خَطَئًا فَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُّؤْمِنَةٍ وَدِيَةٌ مُّسَلَّمَةٌ إِلَى أَهْلِهِ إِلاَّ أَن يَصَّدَّقُواْ فَإِن كَانَ مِن قَوْمٍ عَدُوٍّ لَّكُمْ وَهُوَ مْؤْمِنٌ فَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُّؤْمِنَةٍ" : ici deux choses ont été évoquées :
----- i.i) la règle générale et normale a été évoquée ainsi : "وَمَن قَتَلَ مُؤْمِنًا خَطَئًا فَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُّؤْمِنَةٍ وَدِيَةٌ مُّسَلَّمَةٌ إِلَى أَهْلِهِ إِلاَّ أَن يَصَّدَّقُواْ". Ici, obligation de s'acquitter de la Kaffâra, ainsi que de remettre la Diya à la famille de la victime. Cette règle s'applique à :
------- d'après Abû Hanîfa : seulement la victime musulmane habitant la Dâr ul-islâm ;
------- d'après ash-Shâfi'î : la victime musulmane habitant la Dâr ul-islâm ainsi que la victime musulmane habitant la Dâr ul-'ahd ;
----- i.ii) un sous-cas particulier a été évoqué ainsi : "فَإِن كَانَ مِن قَوْمٍ عَدُوٍّ لَّكُمْ وَهُوَ مْؤْمِنٌ فَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُّؤْمِنَةٍ" : il s'agit de la victime musulmane qui habitait en Dâr ul-harb ; ici, obligation de s'acquitter de la Kaffâra, mais en revanche pas de Diya à remettre à la famille ;

--- ii) la victime est un non-musulman qui est sous pacte avec la Dâr ul-islâm : "وَإِن كَانَ مِن قَوْمٍ بَيْنَكُمْ وَبَيْنَهُمْ مِّيثَاقٌ فَدِيَةٌ مُّسَلَّمَةٌ إِلَى أَهْلِهِ وَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُّؤْمِنَةً" : ici, Kaffâra, et Diya remise à la famille. Cela s'applique à :
----- d'après Abû Hanîfa : le Dhimmî (ce qui correspond à l'interprétation que Ibn Abbâs a faite du terme "mîthâq" ici présent), ainsi que le Musta'min ;
----- d'après ash-Shâfi'î : le Dhimmî et le Musta'min, ainsi que le non-musulman habitant la Dâr ul-'ahd (ce qui correspond à l'interprétation que al-Hassan al-Basrî a faite du terme "mîthâq" ici présent : cf. Tafsîr ur-Râzî).

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En fait, d'après ash-Shâfi'î, le caractère sacré de la vie (العصمة) est établi pour l'être humain en tant que tel. Cependant, dès lors que le message de l'islam lui est parvenu, toute personne qui a choisi de ne pas y croire et qui n'est pas non plus sous pacte des musulmans, une telle personne ne bénéficie pas du caractère sacré de la vie (nous avons vu cela plus haut, au point I).
Par contre, celui pour qui la "عصمة" est établie, si un musulman l'a tué (soit par erreur, soit volontairement mais sans raison valable telle que le serait un cas de légitime défense), cela entraîne le péché, ainsi que le devoir du paiement de la Diya à sa famille. Cela est également valable lorsque la victime est un non-musulman Dhimmî, ou un non-musulman habitant de la Dâr ul-'ahd, ou même un non-musulman ni Harbî ni Mu'âhid mais à qui le message de l'islam n'était pas parvenu : avoir tué n'importe quelle personne de ce type entraîne l'obligation de la Kaffâra ainsi que de la Diya : "تجب الدية بقتل المسلم لقوله تعالى: {وَمَنْ قَتَلَ مُؤْمِناً خَطَأً فَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُؤْمِنَةٍ وَدِيَةٌ مُسَلَّمَةٌ إِلَى أَهْلِهِ}. وتجب بقتل الذمي والمستأمن ومن بيننا وبينهم هدنة لقوله تعالى: {وَإِنْ كَانَ مِنْ قَوْمٍ بَيْنَكُمْ وَبَيْنَهُمْ مِيثَاقٌ فَدِيَةٌ مُسَلَّمَةٌ إِلَى أَهْلِهِ وَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُؤْمِنَةٍ}. وتجب بقتل من لم تبلغه الدعوة لأنه محقون الدم مع كونه من أهل القتال فكان مضموناً بالقتل كالذمي" (Al-Muhadhdhab).
Une exception par rapport à cette règle : ce qui a été évoqué en i.ii : "فَإِن كَانَ مِن قَوْمٍ عَدُوٍّ لَّكُمْ وَهُوَ مْؤْمِنٌ فَتَحْرِيرُ رَقَبَةٍ مُّؤْمِنَةٍ" : il s'agit de la victime musulmane qui habitait en Dâr ul-harb ; ici, seulement la Kaffâra est due, mais pas la Diya (cf. Tafsîr ur-Râzî, 10/186).
Une autre exception : le fait d'avoir tué une femme ou en enfant qui est non-musulman et qui est Harbî est interdit, mais n'entraîne ni Diya ni Kaffâra : "إذا ثبت هذا، فإنه إذا قتل من يحرم قتله لحق الله تعالى، عمدا أو خطأ أو عمد خطأ، وجبت عليه بقتله الكفارة. (...) فإن قتل نساء أهل الحرب وذراريهم، لم تجب عليه الكفارة، لان قتلهم انما حرم لحق المسلمين، لا لحق الله، فلم تجب به الكفارة (...). وكذلك لو قتل عبدا لنفسه أو لغيره، أو قتل ذميا أو معاهدا، وجبت عليه الكفارة" (écrit shafi'ite).

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Par contre, chez Abû Hanîfa, le caractère sacré de la vie est établi pour tout être humain, en tant que tel : tout humain bénéficie en conséquence de la protection de la vie, "العصمة", fût-il non-musulman n'ayant pas de pacte avec les musulmans. Et attenter à cela constitue un péché grave. Cependant, il y a distinction entre :
--- la sacralité (de la vie) dont la transgression constitue un grave péché et entraîne également le devoir de paiement de la Diya (العصمة المقومة) ;
--- et la sacralité (de la vie) dont la transgression constitue un grave péché mais n'entraîne pas le devoir de paiement de la Diya (العصمة المؤثمة) (voir par exemple Ad-Durr ul-mukhtâr, 6/278 ; Radd ul-muhtâr, 10/162).
Le paiement de la Diya est lié au fait que cette personne habitait la Dâr ul-islâm : "قوله: فسقطت عصمته المقومة) هي ما توجب المال أو القصاص عند التعرض. والمؤثمة ما توجب الإثم. والأولى تثبت بالإحراز بالدار، كعصمة المال، لا بالإسلام عندنا؛ فإن الذمي مع كفره يتقوم بالإحراز. والثانية بكونه آدميا، لأنه خلق لإقامة الدين، ولا يتمكن من ذلك إلا بعصمة نفسه بأن لا يتعرض له أحد، ولا يباح قتله إلا بعارض: أفاده الزيلعي" (Radd ul-muhtâr, 6/278).
Dès lors :
----- avoir tué par erreur un Dhimmî ou un Musta'min, cela constitue un péché, et entraîne la Kaffâra, ainsi que le paiement de la Diya à sa famille ;
----- par contre, avoir tué par erreur un musulman vivant de son plein gré en Dâr ul-Harb, cela constitue un péché et entraîne la Kaffâra, mais cela n'entraîne pas le paiement de la Diya (cf. Ahkâm ul-qur'ân, al-Jassâs, 3/215-220 ; Al-Hidâya, 1/568) ;
----- quant au fait d'avoir tué un Kâfir habitant la Dâr ul-'ahd : cela entraîne un péché, mais pas le paiement de la Diya ; cependant, est-ce que cela entraîne l'obligation de la Kaffâra, je ne sais pas (لا أدري) ;
----- reste le fait d'avoir tué un Kâfir Harbî Ghayr Muqâtil : cela entraîne un péché, mais n'entraîne ni la Kaffâra ni le paiement de la Diya : "ولو قتل واحد ممن ذكرنا أنه لا يحل قتله، فلا شيء فيه من دية ولا كفارة، إلا التوبة والاستغفار؛ لأن دم الكافر لا يتقوم إلا بالأمان، ولم يوجد" (Badâ'i' us-sanâ'i', 9/400).

Dès lors, quand, dans certains écrits de ulémas, on trouve la formule "دمه هدر", ou : "دمه غير مضمون", cela ne signifie pas forcément qu'il est autorisé de s'en prendre à cette personne (pas : "دمه مباح") ; cela signifie seulement qu'au cas où un musulman a tué cette personne, il n'y aura, en ce monde (fi-l-hukm id-dunyawî), pas de talion (qissâs), ni de dédommagement (diya).
Il y a ainsi une différence entre ces deux formules ("دمه هدر" et "دمه غير مضمون"), et la posture 2 ("دمه مباح") : ces deux formules ("دمه هدر" et "دمه غير مضمون") n'impliquent pas la posture 2 ("دمه مباح").

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III) Qui ne peut pas être visé, parmi les ressortissants ennemis (الحربيّون), lors du déroulement des combats ?

Pour comprendre ce que le Prophète a dit à ce sujet, il faut se souvenir – comme l'a écrit Ahmad Amîn – que, parmi les harbî (les ressortissants du camp ennemi), il y avait d'une part les gens qui étaient présents sur le champ de bataille (ou dans la cité qui était investie par l'armée), et d'autre part les gens qui n'étaient pas présents sur le champ de bataille mais qui résidaient dans la région qu'une éventuelle victoire allait faire passer sous la direction de la Dâr al-islâm ("ahl ul-balad il-maftûh alladhîna lam yakûnû fi-l-jaysh il-muhârib") (Fajr ul-islâm, Ahmad Amîn, pp. 86-87). C'est la première catégorie de gens qui nous intéresse dans un premier temps (II.I) ; nous parlerons de la seconde plus bas (II.II).

II.I) Ceux qui étaient présents sur le champ de bataille ou dans la cité investie :

En Arabie, à l'époque du Prophète, se trouvaient sur le champ de bataille non seulement les combattants mais aussi des gens non-combattants : il y avait ainsi des femmes, des personnes employées par des combattants pour les servir pendant leur déplacement ('assîf), et même des marchands (aswâq) s'étant joints à l'armée pour vendre leurs produits (voir par exemple le célèbre hadîth relaté par Aïcha : "wa fîhim aswâquhum" : "عن عائشة رضي الله عنها، قالت: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "يغزو جيش الكعبة، فإذا كانوا ببيداء من الأرض، يخسف بأولهم وآخرهم". قالت: قلت: "يا رسول الله، كيف يخسف بأولهم وآخرهم، وفيهم أسواقهم، ومن ليس منهم؟" قال: "يخسف بأولهم وآخرهم، ثم يبعثون على نياتهم" : al-Bukhârî, 2012) : tout ce monde était présent sur le champ de bataille. Pareillement, au cas où c'était une cité ennemie que l'armée musulmane attaquait (ce fut le cas lors de l'attaque contre Banu-l-Mustaliq, en l'an 5 de l'hégire, attaque qui relevait du cas B.3), elle se trouvait face à non seulement des hommes qui combattaient mais aussi des femmes, des enfants, des paysans, des moines, etc.

Or le Prophète a spécifié que les femmes et les enfants ne doivent pas être tués lors d'un conflit armé : "عن ابن عمر رضي الله عنهما، قال: وجدت امرأة مقتولة في بعض مغازي رسول الله صلى الله عليه وسلم؛ فنهى رسول الله صلى الله عليه وسلم عن قتل النساء والصبيان" (al-Bukhârî, 2851, Muslim, 1744). Il y a unanimité quant à l'interdiction de viser délibérément, parmi les ressortissants du pays ennemi, des femmes et enfants lors des attaques contre l'ennemi (Al-Mughnî 12/673) (sauf si de facto ils se mettent à combattre), conformément à ces hadîths du Prophète sur le sujet.

A part les femmes et les enfants, d'autres ressortissants du pays ennemi sont-ils aussi concernés par l'interdiction d'être pris pour cibles ?

----- Selon l'avis A (c'est l'un des deux avis relatés de ash-Shâfi'î (Al-Mughnî 12/722, Bidâyat ul-mujtahid 1/714)) : parmi les harbî, seuls les femmes et enfants ne doivent pas être tués. Les grands vieillards harbî peuvent eux aussi être tués, car un hadîth dit : "عن سمرة بن جندب، قال: قال رسول الله صلى الله عليه وسلم: "اقتلوا شيوخ المشركين واستبقوا شرخهم" : "Parmi les polythéistes, tuez les shuyûkh et laissez vivants les sharkh" (Abû Dâoûd 2670, at-Tirmidhî 1583, dha'îf d'après al-Albânî) : les sharkh sont les enfants ; et les shuyûkh sont les vieillards. Ce hadith concerne, rappelons-le, les ressortissants ennemis, et qui n'ont pas de sauf-conduit (amân).
Selon cet avis, si les femmes et enfants ennemis ne doivent pas être visés, c'est uniquement parce qu'ils sont susceptibles de constituer un avantage pour les combattants musulmans s'ils sont fait prisonniers à la faveur de la bataille.

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----- Selon un autre avis, B : en sus des hadîths interdisant de tuer, lors des combats, les femmes et enfants ressortissants du pays ennemi, il est d'autres hadîths qui interdisent de tuer également certains hommes ressortissants du pays ennemi. Ainsi, il est un hadîth (son authenticité fait cependant débat) qui interdit de tuer (parmi les ressortissants ennemis et alors qu'il y a combat, car nous rappelons que c'est de ce cas que nous parlons ici) le grand vieillard ("shaykh fânî") : "عن أنس بن مالك، أن رسول الله صلى الله عليه وسلم قال: "انطلقوا باسم الله وبالله وعلى ملة رسول الله، ولا تقتلوا شيخا فانيا ولا طفلا ولا صغيرا ولا امرأة، ولا تغلوا، وضموا غنائمكم، وأصلحوا وأحسنوا إن الله يحب المحسنين" (Abû Dâoûd, 2614, dha'îf d'après al-Albânî). Il y a de même une parole de Omar qui interdit de tuer "shaykhan himman", et une de Ibn Abbâs qui dit la même chose à propos de "ash-shaykh ul-kabîr" (Al-Mughnî 12/722-723).
Quant au hadîth cité par les tenants de l'avis A : "Parmi les polythéistes, tuez les shuyûkh, et laissez vivants les sharkh" (Abû Dâoûd 2670, at-Tirmidhî 1583), le terme "shuyûkh" n'y désigne pas les grands vieillards mais les hommes adultes, a contrario de "sharkh", qui désigne les enfants ('Awn ul-ma'bûd et Tuhfat ul-ahwadhî).
De même que les femmes et les enfants, les grands vieillards qui sont harbî ne doivent donc pas être tués.

D'après ash-Shawkânî, la raison en est que le pays musulman est, de façon perpétuelle ('ala-d-dawâm), à l'abri qu'une telle personne puisse l'attaquer ; ash-Shawkânî en a donc déduit que la règle est applicable à toute personne du pays ennemi dont, de façon perpétuelle ('ala-d-dawâm), on est à l'abri qu'il puisse attaquer : c'est le cas de l'homme handicapé et de l'homme aveugle : ils ne doivent jamais être visés (Nayl ul-awtâr 8/69).

Al-Kâssânî est du même avis (Badâ'i' us-sanâ'i', 9/398-400).

Ibn Taymiyya a relaté l'avis de ash-Shâfi'î [cité plus haut comme "A"], puis a exprimé que c'est l'autre avis qui est correct : "وأما الشافعي فعنده نفس الكفر هو المبيح للدم، إلا أن النساء والصبيان تركوا لكونهم مالا للمسلمين" (MF 20/102) ; "وأما من لم يكن من أهل الممانعة والمقاتلة كالنساء والصبيان والراهب والشيخ الكبير والأعمى والزمن ونحوهم، فلا يقتل عند جمهور العلماء، إلا أن يقاتل بقوله* أو فعله. وإن كان بعضهم يرى إباحة قتل الجميع لمجرد الكفر؛ إلا النساء والصبيان، لكونهم مالا للمسلمين. والأول هو الصواب" (MF 28/354) (* il veut apparemment parler là de celui qui fait partie de l'Etat-major ennemi).

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----- Une autre synthèse, C, existe : cette synthèse part du constat qu'il existe un autre hadîth encore qui interdit de tuer [parmi les ressortissants du pays ennemi] le 'assîf. Or ce terme désigne l'employé, comme le montre le récit bien connu où un Compagnon vint voir le Prophète et lui dit : "قال: إن ابني كان عسيفا على هذا - قال مالك: والعسيف الأجير -، زنى بامرأته" (al-Bukhârî, 6440 etc., Muslim, 1698) ; dans le hadîth interdisant de viser le 'assîf, il s'agit de l'homme employé par le combattant pour le servir, moyennant salaire, durant ses déplacements (ajîr ul-khidma).
-------- Voici le texte de ce hadîth : "عن رباح بن ربيع، قال: كنا مع رسول الله صلى الله عليه وسلم في غزوة فرأى الناس مجتمعين على شيء فبعث رجلا، فقال: "انظر علام اجتمع هؤلاء؟" فجاء فقال: على امرأة قتيل. فقال: "ما كانت هذه لتقاتل". قال: وعلى المقدمة خالد بن الوليد فبعث رجلا. فقال: "قل لخالد لا يقتلن امرأة ولا عسيفا" : Rabâh ibn Rabî' raconte : "Nous étions dans une campagne avec le Messager de Dieu (que Dieu le bénisse et le salue). Il vit les gens rassemblés autour de quelque chose. Il envoya quelqu'un, lui disant : "Va voir autour de quoi ces gens se sont rassemblés." Celui-ci revint et dit : "Sur une femme qui a été tuée". Il dit : "Celle-ci n'en était pas à combattre !" (Rabâh) dit : "C'était Khâlid ibn ul-Walîd qui dirigeait l'avant-garde). (Le Prophète) envoya alors un homme en lui disant : "Dis à Khâlid qu'il ne tue absolument pas de femme ni de 'assîf"" (Abû Dâoûd, 2669, authentifié par al-Albânî).
-------- "عن حنظلة الكاتب، قال: غزونا مع رسول الله صلى الله عليه وسلم، فمررنا على امرأة مقتولة، قد اجتمع عليها الناس، فأفرجوا له، فقال: "ما كانت هذه تقاتل فيمن يقاتل". ثم قال لرجل: " انطلق إلى خالد بن الوليد، فقل له: إن رسول الله صلى الله عليه وسلم يأمرك يقول: "لا تقتلن ذرية ولا عسيفا" : "que tu ne tues absolument pas de dhurriya ni de 'assîf" (Ibn Mâja, 2842).
-------- De même, il est une parole de 'Omar qui interdit de tuer le paysan ("fallâh") (Al-Mughnî 12/726).
-------- Enfin, il est une parole de Abû Bakr qui interdit de tuer les "gens des monastères" ("as'hâb us-sawâmi'") (Al-Mughnî 12/723-724) (ce propos est également attribué au Prophète dans un hadîth rapporté par Ahmad, n° 2592, mais sa chaîne contient un transmetteur dh'aïf) ; des ulémas ont appliqué cette interdiction au moine en général ("râhib") (Al-Mughnî 12/723).

Dès lors, les ulémas tenants de cette synthèse disent que la règle d'interdiction de tuer concerne, parmi les ressortissants du pays ennemi (harbî), non pas seulement les femmes et les enfants, non pas seulement les hommes dont on est à jamais à l'abri qu'ils puissent attaquer (comme le sont le vieillard, l'handicapé et l'aveugle), mais également les hommes qui ne sont pas posés en combattants de leur ennemi (ghayr muqâtil) : c'est le cas du 'assîf (= ajîr ul-khidma) : même à la vue de l'ennemi, cet homme n'en est pas à prendre les armes pour se joindre à la bataille, car il est venu là uniquement pour servir le combattant durant ses déplacements (veillant à ses affaires etc.), moyennant salaire de la part de ce dernier. C'est également le cas, lorsque c'est une cité ennemie qui est investie, du moine (râhib) et du paysan (fallâh).

Ibn Rushd, exposant la cause de cette divergence d'opinions, écrit ainsi que selon certains mujtahids, ne doivent pas être tués : "celui qui n'est pas capable de combattre, et celui qui ne s'est pas établi pour cela, comme le paysan et l'employé" : "والسبب الموجب بالجملة لاختلافهم اختلافهم في العلة الموجبة للقتل. فمن زعم أن العلة الموجبة لذلك هي الكفر، لم يستثن أحدا من المشركين. ومن زعم أن العلة في ذلك إطاقة القتال - للنهي عن قتل النساء مع أنهن كفار -، استثنى من لم يطق القتال ومن لم ينصب نفسه إليه كالفلاح والعسيف" (Bidâyat ul-mujtahid 1/716). Relèvent de "qui n'est pas capable de combattre" : le grand vieillard et l'handicapé, ce à quoi se restreint l'avis B. Et relèvent de "qui ne s'est pas établi pour le combat" : l'employé et le paysan, qu'inclut également l'avis C.
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C'est cet avis C qui a été retenu par Khâlid Saïfullâh, de même que par Wahba az-Zuhaylî.
C'est à cet avis C que j'adhère, et c'est à lui que j'invite tous mes coreligionnaires à adhérer, y compris ceux qui sont shafi'ites.

Il faut savoir qu'il y a par contre des cas exceptionnels où les types de personnes susmentionnées peuvent être visés : c'est quand ils prennent part aux combats (Al-Mughnî 12/726, 674). Diriger les opérations militaires par ses conseils est aussi une forme de participation aux combats, comme ce fut le cas de Durayd ibn us-Simma lors de la bataille de Hunayn.

Wahba az-Zuhaylî a déduit de tout cela qu'aujourd'hui, sont concernés par cette règle "ceux qu'on appelle maintenant les civils" (Al-'Alâqât ad-duwaliyya fi-l-islâm, p. 66).

Aujourd'hui on peut d'ailleurs aisément différencier, parmi ceux qui sont ressortissants du pays ennemi, les combattants de ceux qui ne le sont pas : les premiers portent une tenue spécifique, qui les distingue des seconds.

Quel est le lieu dont parle cette règle disant qu'ils ne doivent pas être visés : lorsque les deux armées se font face sur un champ de bataille et qu'alors de telles personnes sont présentes dans le camp de l'armée ennemie ? ou lorsque l'armée musulmane attaque une cité et que s'y trouvent aussi bien des combattants que de telles personnes ? Les deux cas, wallâhu a'lam.

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Et qu'en est-il une fois le combat lancé ?
Une fois le combat lancé sur le champ de bataille, le seul cas où le combattant musulman doit retenir sa main par rapport à celui qui est un combattant (muqâtil) du camp ennemi, c'est celui où celui-ci prononce la formule d'adhésion à l'islam. Dans ce cas de figure précis (une fois le combat lancé, sur le champ de bataille), accorder la vie sauve à cet ancien ennemi est obligatoire.

Par contre, l'ennemi qui rend les armes sur le champ de bataille est considéré prisonnier.

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Et les combattants faits prisonniers sur le champ de bataille ?

Les prisonniers sont les individus capturés vivants sur le champ de bataille ou dans la cité investie. Comme l'a dit Ahmad ibn Hanbal, il est obligatoire de faire ce qui correspond le plus à l'intérêt de l'Islam (al-aslah) (Al-Mughnî 12/548).
En vertu de ce qui semble servir le plus l'intérêt aujourd'hui, les non-combattants seront relâchés et les combattants seront gardés et pourront servir de rançon contre d'autres prisonniers.

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II.II) Les ressortissants ennemis dont la cité était "ouverte" par le combat :

A l'époque, il n'y avait pas les actuels accords internationaux de non-agrandissement des pays par conquête, et il arrivait qu'une cité n'ait pas été investie mais fasse partie de l'espace qui avait été "ouvert" à la conquête d'une victoire lors d'une bataille s'étant déroulée dans la région (c'est d'ailleurs ainsi que le territoire du royaume de France a été agrandi au nord-est par Louis XIV).

Les habitants d'une telle cité n'étaient pas des prisonniers faits sur le champ de bataille.

Que devenaient-ils alors ?

Ahmad Amîn écrit que Omar ibn ul-Khattâb, "qui constitue la référence à propos de ce genre de questions", les a laissés sur place en Irak (lequel avait été ouvert à la faveur de la bataille de Qâdissiyya) avec leurs propriétés foncières, en tant que personnes protégées (Fajr ul-islâm, Ahmad Amîn, p. 87).

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IV) Pour en revenir à votre question :

Viser des non-combattants ennemis est interdit, comme nous l'avons vu.

Dès lors, viser un lieu habité ou occupé par de telles personnes est également interdit.

Le hadîth que vous avez cité ("Le Prophète fut interrogé au sujet des femmes et des enfants des polythéistes qui sont tués dans une attaque nocturne menée par les musulmans. Il répondit : "Ils font partie d’eux."") parle quant à lui du cas de figure où une attaque est lancée contre un lieu de combattants ennemis (par exemple un camp armé ennemi), mais, ce faisant, des personnes non-combattantes aussi, se trouvant à ce moment précis parmi ces combattants, sont involontairement touchées.

Il n'y a à ce sujet pas de différence avec ce qu'aujourd'hui les puissances occidentales nomment : "des victimes collatérales". C'est d'ailleurs chose que ces puissances pratiquent jusqu'à nos jours, comme par exemple récemment en Afghanistan et en Irak.

Plus fort encore : lors de la récente agression d'Israël contre le Liban se produisit la fameuse attaque israélienne contre Cana, où un bâtiment civil libanais fut touché et où de nombreux civils perdirent la vie. L'état-major israélien a affirmé que c'est parce que s'y trouvait des batteries du Hezbollah que la ville avait été visée. Les Libanais ont affirmé qu'il ne s'y trouvait nulle batterie. Une enquête avait été ordonnée, et c'est à elle de dire ce qu'il en fut réellement, mais voici un autre point de vue sur la question, qui pourrait expliquer bien des choses :

"Yesha Rabbinical Council : During time of war, enemy has no innocents

The Yesha Rabbinical Council announced in response to an IDF attack in Kfar Qanna that "according to Jewish law, during a time of battle and war, there is no such term as 'innocents' of the enemy."
All of the discussions on Christian morality are weakening the spirit of the army and the nation and are costing us in the blood of our soldiers and civilians," the statement said. (Efrat Weiss)
"

Source : Ynetnews.

Sans même parler ici de la légalité – au vu des accords internationaux de non-agression (en arabe : 'ahd) – de la récente offensive israélienne contre le Liban, on voit que de toute façon, pendant l'état de belligérance, ce conseil rabbinique conseille à l'armée de ne pas pratiquer la distinction qui existe ailleurs entre le fait de viser délibérément des non-combattants et le fait de les atteindre involontairement lors d'une attaque contre un lieu de combattants ennemis. Non, il n'y a tout simplement "pas d'innocents en pays ennemi" – car une telle conception relèverait de "la morale chrétienne" [alors que nous venons de voir qu'elle existe aussi chez des érudits musulmans], les discussions de ce genre "affaiblissant l'esprit de l'armée et de la nation" –, et c'est ce qui fait que des non-combattants arabes peuvent être visés sans aucun problème de conscience… Est-ce la même raison qui a poussé au bombardement de civils en train de charger des fruits à la frontière libano-syrienne ?

Avez-vous, contre tout cela, entendu l'élévation de nombreuses voix, ou plutôt des molles protestations ici, voire même des justifications là ?

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V) Peut-on mentir à l'ennemi ? l'induire en erreur ? trahir la parole qu'on lui a donnée ? ne pas respecter l'accord qu'on a passé avec lui ?

Concernant le fait de tromper l'ennemi : le hadîth où le Prophète a dit : "La guerre est une tromperie" est rapporté par al-Bukhârî, Muslim.

Cependant, il faut savoir qu'en arabe il est deux termes différents, qui sont tous deux traduits en français par "tromperie" alors qu'ils désignent deux choses différentes :
– il y a "ghad'r", qui est parfois traduit lui aussi par "tromperie", alors qu'il désigne en fait la "trahison" : il s'agit du fait de violer l'engagement pris (l'accord de paix, ou l'annonce d'une trêve bilatérale) ;
– et puis il y a "khud'ah" (également prononcé : "khad'ah"), qui désigne la "khidâ'", le fait d'induire l'ennemi en erreur.

Or, quand le Prophète a dit sa célèbre parole : "La guerre est une tromperie", il a utilisé le terme "khud'ah" et non pas celui de "ghad'r" : "induire l'ennemi en erreur", mais non pas "trahison de la parole donnée".

Tout au contraire, il a, dans d'autres propos, interdit le "ghadr" ; quand, après avoir conclu l'accord de al-Hudaybiya selon lequel tout mecquois devenu musulman ne pourrait trouver refuge à Médine, Abû Bassîr, un Mecquois converti à l'islam et ayant pu s'échapper de sa ville, vint jusqu'à lui à Médine dans sa mosquée ; il le remit aux Mecquois idolâtres venus le réclamer en disant : "Dans notre religion, la trahison ("al-ghadr") n'est pas permise" (cité dans Al-Mughnî 12/632).

An-Nawawî, commentant le hadîth "La guerre est une tromperie", écrit justement qu'il ne peut en aucun cas consister à violer l'accord ('ahd) ou la promesse de vie sauve (amân) (cité dans Fat'h ul-bârî 6/191). Il ne s'agit donc en aucun cas de violer l'engagement de non-agression qu'on a pris à l'égard d'une nation, ni de trahir la parole qu'on a donnée à l'ennemi.

En fait la "khud'a" consiste à induire l'ennemi en erreur. Ce qui est très différent, et relève de l'art de la gestion intelligente d'un conflit. Un bon exemple de "khud'a" est celui que Nu'aym ibn Mas'ûd employa pour provoquer la rupture entre d'une part les armées coalisés – dont les Mecquois et les Ghatafân – venues assiéger Médine et d'autre part la tribu médinoise juive Banû Qurayza ayant rompu le pacte avec les musulmans et représentant une menace, dans le même temps, de l'intérieur même de Médine. S'étant converti à l'islam à l'insu de ses anciens alliés, et étant venu trouver le Prophète et lui demander de lui permettre de faire quelque chose contre l'ennemi, le Prophète lui répondit de faire ce qu'il pouvait, en précisant justement : "La guerre est une khud'a". Nu'aym se rendit auprès des Banû Qurayza – dont il avait été l'ami –, et leur tint en substance le discours suivant : "Vous avez mal fait de rompre le pacte avec Muhammad et les siens. Car si le siège de ces derniers devait échouer, les Mecquois et les Ghatafân partiraient loin d'ici, chez eux, et vous vous retrouverez face à ceux que vous avez trahis. Alors laissez-moi vous conseiller de leur demander de laisser parmi vous certains des leurs, en garantie qu'ils ne partiront pas en vous abandonnant à votre sort". Puis il se rendit auprès des Quraysh (les Mecquois) et leur dit en substance : "Sachez que les Banû Qurayza ont regretté vous avoir écoutés et avoir rompu le pacte avec Muhammad, lui ont proposé de renouer ce pacte, et, pour se faire pardonner de leur rupture, lui ont offert de lui livrer des prisonniers parmi vous." Puis il alla chez les Ghatafân et leur dit la même chose.
Quand les Banû Qurayza demandèrent de telles personnes en garantie, ceci suscita la méfiance des Mecquois et des Ghatafân, qui se dirent que Nu'aym avait dit vrai et que les Banû Qurayza allaient sans doute remettre ces personnes au Prophète.
Ils envoyèrent comme réponse aux Banû Qurayza qu'il était hors de question qu'ils leur remettent qui que ce soit. Lorsque cette réponse leur parvint, les Banû Qurayza pensèrent que Nu'aym avait eu raison de les mettre en garde.
S'ensuivit une cassure entre les deux parties alliées, ce qui contribua – avec d'autres difficultés climatiques ayant surgi dans le même temps – au départ des Mecquois et des Ghatafân et à la levée du siège (voir le récit avec les termes exacts dans par exemple Ar-Rahîq ul-makhtûm, pp. 349-351).

Un musulman d'un pays musulman (Dâr ul-islâm) a obtenu des autorités d'un pays non-musulman avec lequel son pays est en guerre (Dâr ul-harb) l'autorisation d'y séjourner (amân, sauf-conduit, ce qui, à certains égards, s'apparente à l'actuel titre de séjour, ou visa). Les ulémas ont écrit qu'il n'est pas autorisé à ce musulman de profiter de son séjour dans ce pays ennemi pour y dérober quoi que ce soit, car cela violerait l'engagement qu'il a pris avec ces autorités non-musulmanes (Al-Mughnî 12/689). S'il est interdit de profiter d'un tel séjour pour y dérober quoi que ce soit, comment pourrait-il être autorisé d'en profiter pour tuer un homme ?

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V) Conclusion :

Il y a donc les mu'âhid, les ressortissants du pays non-musulman qui est Dâr ul-'ahd (c'est-à-dire qui a conclu un traité de non-agression avec le pays musulman) (en son sens général, "les mu'âhid" englobent aussi les muhâyid : ceux qui sont neutres).

Et puis il y a les harbî, les ressortissants du pays non-musulman qui est Dâr ul-harb (c'est-à-dire qui est en état de belligérance avec le pays musulman). Parmi les gens qui sont harbî, il y a ensuite les muqâtil (ceux qui sont combattants) et les ghayr-muqâtil (ceux qui ne se sont pas posés en combattants).

Ces derniers, il n'est pas autorisé que des combattants musulmans les visent. Comme je l'ai dit plus haut, c'est là l'avis que je suis, et auquel j'invite tous mes coreligionnaires, sans exception.

Seuls les harbî muqâtil sont mubâh ud-dam : leur vie n'est pas sacrée (ce qui entraîne que, une fois sur le champ de bataille, et une fois les combats commencés, il seront visés : c'est alors la guerre).
Tous les autres kâfir demeurent harâm ud-dam : leur vie est sacrée.

Pour être complet : sans même parler ici de la légalité – au vu des accords internationaux de non-agression (en arabe : 'ahd) – sans même ici parler, donc, de la légalité de leur offensive, on aimerait entendre davantage de condamnations contre le fait que certaines puissances non-musulmanes visent si souvent aujourd'hui, lors de leurs fameuses "frappes chirurgicales", des bâtiments où se trouvent des musulmans non-combattants.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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