Comment comprendre le verset qui dit : "Lorsque les mois d'interdiction seront écoulés, tuez les Polycultistes là où vous les trouvez, attrapez-les, cernez-les, et guettez-les dans toute embuscade" : "فَإِذَا انسَلَخَ الأَشْهُرُ الْحُرُمُ فَاقْتُلُواْ الْمُشْرِكِينَ حَيْثُ وَجَدتُّمُوهُمْ وَخُذُوهُمْ وَاحْصُرُوهُمْ وَاقْعُدُواْ لَهُمْ كُلَّ مَرْصَدٍ" (Coran 9/5) : ne pas considérer ce verset hors de son contexte : il ne parle pas de tous les Polycultistes ; et même ceux d'Arabie, son objectif était de les en faire sortir, pas de les exterminer (Commentaire de Coran 9/1-5)

Question d'un internaute :

J'aimerais savoir quelles seront vos explications à propos de ce verset du Coran : "Lorsque les mois sacrés seront terminés, tuez les polycultistes là où vous les trouvez ; capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade" (sourate 9, verset n° 5). Ne pensez-vous pas que le Coran prêche la violence... D'ailleurs Muhammad n'a jamais accepté que des polycultistes résident en terre d'Islam.

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Réponse :

Dans certains versets du Coran, l'article défini  "le..." ou "les..." a une portée universelle : il s'agit de "chaque..." ou de "tous les...". Ainsi, le Coran interdit au musulman la consommation de "le porc" : il s'agit effectivement de tout porc, partout et toujours, quelles que soient les conditions de son élevage, ce qu'il mange, etc.

Par contre, dans d'autres versets du Coran, l'article défini  "le..." ou "les..." n'a pas une portée universelle. Et c'est le cas notamment pour le passage que vous avez cité. Les mots "les polycultistes" n'y désignent pas tous les polycultistes. Ce passage (révélé en shawwâl de l'an 9 de l'hégire, soit 1 an et 5 mois avant le décès du Prophète) parle des polycultistes du Hedjaz seulement (les preuves seront données ci-après). Ici, l'article défini "les" précédant le terme "polycultistes" correspond au "représentant anaphorique" en français : cet article défini renvoie à un représenté (l'antécédent), connu de l'interlocuteur.

Lire : Dans le Coran et la Sunna, le nom pluriel précédé de l'article défini "Al-" induit normalement une généralité absolue, mais parfois une généralité seulement relative : "Les hommes" (النَّاس) ; "Les polycultistes" (الْمُشْرِكُونَ) ; "Les juifs" (الْيَهُود) ; "Les chrétiens" (النَّصَارَى) (III - 1/2) : voir le point D.B.

Par ailleurs, même ces Polycultistes du Hedjaz, il ne s'est alors pas agi de les exterminer, mais seulement de leur dire qu'ils ne pouvaient désormais plus habiter cette région, et qu'ils devaient la quitter ; c'est à défaut de cela qu'ils seraient combattus. La preuve en est que quelques jours avant de décéder, en l'an 11 de l'hégire, le Prophète dit : "Faites sortir les polycultistes de Jazîrat ul-'arab" (rapporté par al-Bukhârî, n° 2888, Muslim, n° 1637)

Enfin, contrairement à ce que certains pensent, les Polycultistes (al-mushrikûn) peuvent tout à fait être résidents de la terre d'Islam : c'est l'un des avis existant : celui de Mâlik et de Abû Hanîfa ; Ibn Taymiyya et Ibn ul-Qayyim l'ont retenu (lire mon article au sujet de la dhimma), de même que Ibn ul-'Uthaymîn (Al-Qawl ul-mufîd, p. 1078).

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Les passages du Coran de ce genre, qui parlent de combat, il ne faut pas les appréhender sans référence aucune au contexte dans lequel ces textes ont pris place.
Le fait est que, contrairement par exemple à la question de manger du porc (lequel est interdit en tout temps et tout lieu), la question de demeurer en paix ou de devoir prendre les armes a été liée au contexte du déroulement de la mission du Prophète, comme l'a écrit as-Suyûtî : c'est ce qu'on appelle le Nas'.

Sinon un citoyen d'un pays d'Asie pourrait lui aussi prendre un passage d'un texte aussi essentiel pour la France que La Marseillaise, en extraire ces phrases :
"Aux armes, citoyens !
Formez vos bataillons !
Marchons ! Marchons !
Qu'un sang impur abreuve nos sillons"
,
et en conclure :
"La France pousse les Français à prendre les armes, et à marcher contre tous ceux dont ils jugeraient qu'ils ont du sang impur"
.

Chacun sait que ces phrases de la Marseillaise ont été écrites par Rouget Delisle en 1792 dans un contexte précis (la guerre entre la France révolutionnaire et l'Autriche royale et catholique), et que tous les petits Français qui les apprennent à l'école, tous les athlètes Français qui les chantent dans les stades n'en deviennent pas pour autant des gens belliqueux, sanguinaires et prêts à verser le sang des Autrichiens ou autres !

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Comment explique-t-on que le Prophète (sur lui soit la paix) n'ait pas pris de jizya avec les Polycultistes ?

Avant de répondre à cette question, il faut rappeler ici :
--- que le verset de la jizya (Coran 9/29) a été révélé en l'an 8 ou en l'an 9 de l'hégire (Fat'h ul-bârî 6/311). Avant la révélation de ce verset, les contrats de type dhimma pouvaient être conclus, mais il n'y avait de pas de jizya : c'est ce qui s'est passé avec les habitants de Khaybar (Zâd ul-ma'âd 3/151-152 ; 348) ;
--- et que les versets évoqués dans l'objection (Coran 9/1-4) ont été révélés en shawwâl de l'an 9 (Fat'h ul-bârî, commentaire du Hadîth n° 4379).

A la question suscitée, Ibn ul-Qayyim répond : A l'époque où le verset de la jizya (Coran 9/29) est révélé, "il ne reste en Arabie plus de polycultiste" (Zâd ul-ma'âd, 3/154, 5/91) ; "la jizya n'a donc pas été prise d'eux parce qu'il n'y avait alors pas des gens relevant de ce cas, et non pas parce qu'elle ne pourrait pas être prise d'eux" (Zâd ul-ma'âd, 3/154). Selon cette explication de Ibn ul-Qayyim, les polycultistes peuvent aussi être dhimmis ; mais si le Prophète (sur lui la paix) n'a concrètement pas pris de jizya avec des polycultistes, c'est parce que les polycultistes d'Arabie s'étaient déjà convertis à l'islam lors de la révélation du verset de la jizya.

Je ne suis qu'un étudiant en sciences musulmanes, et je suis très loin de ce grand savant. Néanmoins, l'explication qu'il a avancée ici n'a cessé de m'intriguer : si, comme il l'a écrit, lors de la révélation du verset de la jizya en l'an 8 ou 9, tous les polycultistes d'Arabie s'étaient déjà convertis à l'islam, alors comment expliquer les versets du début de la sourate at-Tawba, révélés à la fin de l'an 9 et devant entrer en application au début de l'an 10, qui parlent d'un délai donné aux polythéistes ? et surtout comment expliquer cette parole du Prophète, prononcée lors de sa dernière maladie en l'an 11 : "Faites quitter les polycultistes la Péninsule arabique" (al-Bukhârî, n° 2888, Muslim, n° 1637) ?

Je propose donc plutôt – humblement – l'explication qui suit... Le Prophète (sur lui soit la paix) avait bel et bien accepté que des Polycultistes soient résidents (dhimmis) de la Dâr ul-islâm en Arabie et même qu'ils s'acquittent de la jizya (ce qui implique que, en shawwâl de l'an 9 date de la révélation des versets du début de sourate at-Tawba, qui mettent fin aux contrats de dhimma conclus avec les Polycultistes d'Arabie, nous allons le voir , la jizya avait déjà été instituée).
Burayda rapporte ainsi que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit :
"(…) Lorsque tu rencontreras ton ennemi parmi les Polycultistes, invite-les à trois choses : quelle que soit celle à laquelle ils te répondent favorablement, accepte-la d'eux et retiens-toi d'eux :
Invite-le à accepter l'islam. S'ils te répondent favorablement, accepte (cela) d'eux et retiens-toi d'eux. Ensuite :
--- invite-les à quitter leur cité pour la cité des Emigrants (Dâr ul-muhâjirîn), et informe-les que s'ils font cela, ils auront les mêmes droits que les Emigrants et les mêmes devoirs que les Emigrants ;
--- s'ils refusent de quitter leur cité, informe-les qu'ils seront alors comme les bédouins musulmans : la règle de Dieu qui s'applique aux musulmans s'appliquera à eux, (mais) ils n'auront aucune part dans les biens du butin et du fa'y ; (car n'en bénéficient) que ceux qui (participent aux) batailles ;
S'ils refusent (l'islam), demande-leur la jizya. S'ils te répondent favorablement, accepte (cela) d'eux et retiens-toi d'eux ;
S'ils refusent (de payer la jizya), demande l'aide de Dieu et combats-les. (…)"
(Muslim 1731, at-Tirmidhî 1617).
La mention de la demande d'émigrer indique que cela se passait avant ramadan de l'an 8 – date de la conquête de la Mecque, qui met fin au caractère obligatoire ou recommandé d'émigrer vers Médine pour prêter assistance au Prophète : "Plus d'émigration après la conquête (de La Mecque)".
Ceci implique que, en ramadan de l'an 8, la jizya avait déjà été instituée).

Cependant, par la suite ont été révélés les versets du début de sourate at-Tawba, qui stipulent que les Polycultistes ne pouvaient désormais plus vivre en Arabie (ou au Hedjaz) ; mais, ailleurs qu'en Arabie, les Polycultistes purent toujours être résidents de la Dâr ul-islâm.

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Voici ces versets du début de la sourate at-Tawba :

"بَرَاءةٌ مِّنَ اللّهِ وَرَسُولِهِ إِلَى الَّذِينَ عَاهَدتُّم مِّنَ الْمُشْرِكِينَ {9/1} فَسِيحُواْ فِي الأَرْضِ أَرْبَعَةَ أَشْهُرٍ وَاعْلَمُواْ أَنَّكُمْ غَيْرُ مُعْجِزِي اللّهِ وَأَنَّ اللّهَ مُخْزِي الْكَافِرِينَ {9/2} وَأَذَانٌ مِّنَ اللّهِ وَرَسُولِهِ إِلَى النَّاسِ يَوْمَ الْحَجِّ الأَكْبَرِ أَنَّ اللّهَ بَرِيءٌ مِّنَ الْمُشْرِكِينَ وَرَسُولُهُ فَإِن تُبْتُمْ فَهُوَ خَيْرٌ لَّكُمْ وَإِن تَوَلَّيْتُمْ فَاعْلَمُواْ أَنَّكُمْ غَيْرُ مُعْجِزِي اللّهِ وَبَشِّرِ الَّذِينَ كَفَرُواْ بِعَذَابٍ أَلِيمٍ {9/3} إِلاَّ الَّذِينَ عَاهَدتُّم مِّنَ الْمُشْرِكِينَ ثُمَّ لَمْ يَنقُصُوكُمْ شَيْئًا وَلَمْ يُظَاهِرُواْ عَلَيْكُمْ أَحَدًا فَأَتِمُّواْ إِلَيْهِمْ عَهْدَهُمْ إِلَى مُدَّتِهِمْ إِنَّ اللّهَ يُحِبُّ الْمُتَّقِينَ {9/4} فَإِذَا انسَلَخَ الأَشْهُرُ الْحُرُمُ فَاقْتُلُواْ الْمُشْرِكِينَ حَيْثُ وَجَدتُّمُوهُمْ وَخُذُوهُمْ وَاحْصُرُوهُمْ وَاقْعُدُواْ لَهُمْ كُلَّ مَرْصَدٍ فَإِن تَابُواْ وَأَقَامُواْ الصَّلاَةَ وَآتَوُاْ الزَّكَاةَ فَخَلُّواْ سَبِيلَهُمْ إِنَّ اللّهَ غَفُورٌ رَّحِيمٌ {9/5"
"Désaveu de la part de Dieu et de Son Messager à l'égard des Polycultistes avec qui vous aviez conclu des traités.
Circulez donc sur (cette) terre [d'Arabie] pendant quatre mois. Et sachez que vous ne pourrez empêcher Dieu, et que Dieu va couvrir d'ignominie les Incroyants.
Et proclamation aux gens, de la part de Dieu et de Son Messager, le jour du grand pèlerinage, que Dieu et Son Messager désavouent les Polycultistes. (...)
Sauf ceux des Polycultistes avec qui vous aviez conclu un traité et qui n'ont manqué en rien à (respecter ce traité vis-à-vis de) vous et n'ont soutenu personne à vous (combattre) : complétez (le respect de) leur traité jusqu'à leur terme. [Respecter le traité relève de votre part de la piété ; or] Dieu aime ceux qui sont pieux.
Puis, quand les mois du délai se seront écoulés, tuez les Polythéistes [du premier groupe] là où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade"
(Coran 9/1-5).

Nous verrons, au fil du développement de cette explication, qui va suivre, quel est le sens de ces versets, auxquels vous avez brièvement fait allusion dans votre question…

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1) Ramadan de l'an 8 : victoire sur les Mecquois – Shawwâl de l'an 8 : batailles de Hunayn et de at-Tâ'if :

Au mois de ramadan de l'an 8 et suite à une violation, par les Quraysh polythéistes, d'une clause du traité de paix conclu en l'an 6 à al-Hudaybiya, le Prophète et ses Compagnons conquièrent la Mecque. Le Prophète rend la Kaaba à sa vocation originelle, celle pour laquelle Abraham et Ismaël l'avaient édifiée : être consacrée à Dieu l'Unique. Il débarrasse donc la cour de la Kaaba des dizaines et des dizaines d'idoles qui s'y trouvaient (rapporté par al-Bukhârî, n° 4036, Muslim, n° 1781) et il fait également enlever les idoles qui se trouvent à l'intérieur de la Maison de Dieu (rapporté par al-Bukhârî, n° 4038) (Zâd ul-ma'âd, tome 5 pp. 406-407).

Au mois de shawwâl de cette même année 8 ont lieu deux batailles, l'une à Hunayn, l'autre à at-Tâ'ïf contre des clans de la tribu arabe Hawâzin ; c'était, après Quraysh, la plus grande force polythéiste de la région, et, ayant appris la conquête de la Mecque, elle rassemble ses forces contre le monothéisme musulman ; ayant été informé de leur rassemblement, le Prophète envoie Abdullâh ibn Abî Had'rad aller enquêter sur place. Suite à la confirmation de la nouvelle, le Prophète marche lui aussi vers eux et c'est ainsi que les deux batailles sus-citées ont lieu (Zâd ul-ma'âd, tome 3 pp. 465-467). Ce sont les dernières forces que le polythéisme arabe aura jetées contre le monothéisme apporté par l'islam.

Les Arabes, bien que devenus polythéistes au fil des siècles, avaient gardé la mémoire du pèlerinage d'Abraham ; et chaque année ils venaient à la Mecque y accomplir le pèlerinage… un pèlerinage accompli nominalement en souvenir d'Abraham et pour honorer "la Maison de Dieu", même si factuellement il était davantage dédié aux idoles qu'à Dieu et même si les rites païens y avaient bonne place à côté des rites que les Arabes avaient hérités de la tradition abrahamique monothéiste. L'établissement de l'islam sur la Mecque a donc un retentissement considérable dans toute l'Arabie.
'Amr ibn Salima, contemporain de l'événement, explique : "Les Arabes (n'ayant pas encore accepté l'islam) attendaient l'issue pour adhérer à l'islam. Ils disaient : "Laissez-les, lui [Muhammad] et sa tribu [les Quraysh, de la Mecque] ; s'il est victorieux, il est un prophète véridique". Alors, lorsque eut lieu l'événement de la victoire de la Mecque, chaque tribu s'empressa d'embrasser l'islam. Mon père s'empressa de venir témoigner de l'adhésion de mon peuple à l'islam. Lorsqu'il revint, il dit : "Par Dieu, je reviens d'auprès de celui qui est vraiment le Messager de Dieu…" (rapporté par al-Bukhârî, n° 4051).

Des tribus commencent donc à envoyer des délégations auprès du Prophète, à Médine, pour témoigner de leur entrée en islam. En fait le "temps des délégations auprès du Prophète" dure deux années : les 9 et 10 de l'hégire ; il commence à la fin de l'an 8 – comme l'a dit 'Amr ibn Salima – et se termine au premier mois de l'an 11. Et on peut distinguer deux périodes dans la venue des délégations à Médine :
– la première période débute à la fin de l'an 8 et va jusqu'au mois de rajab de l'an 9 (lors du départ du Prophète pour Tabûk) ;
– la seconde va du mois de ramadan de l'an 9 (quand le Prophète, de retour de Tabûk, rentre à Médine) jusqu'au début de l'an 11.
Et c'est peut-être parce que l'affluence des délégations va augmenter après le retour du Prophète de Tabûk en ramadan de l'an 9 (nous allons revenir sur ce fait plus bas, dans le point 6) qu'on insiste plus sur le laps de temps qui suit ramadan 9 (c'est-à-dire la seconde période) en tant que "temps des délégations" ("'âm ul-wufûd").

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2) Entre ramadan de l'an 8 et rajab de l'an 9 : les premières délégations auprès du Prophète :

Parmi les délégations venues à Médine durant la première période, on peut compter celle de Sudâ', du Yémen, qui vient à Médine en l'an 8 (Zâd ul-ma'âd, tome 3 pp. 664) ; il y a aussi celle de 'Udhra, en safar 9 (p. 657), celle de Balî, en rabî al-awwal 9 (p. 657) et celle de Banû Tamîm (p. 510).

Dans le même temps, le Prophète fait détruire des sanctuaires de l'idolâtrie en Arabie : après la conquête de la Mecque, Khâlid ibn ul-Walîd est ainsi envoyé détruire le sanctuaire de al-'Uzzâ, situé près de la Mecque et géré par les Mecquois (Al-Iqtidhâ, p. 289)…

Il serait cependant erroné de penser que tous les polythéistes d'Arabie se convertissent alors à l'islam.

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3) Tous les Polythéistes d'Arabie ne se convertissent néanmoins pas :

De la fin de l'an 8 jusqu'à rajab de l'an 9, voici comment semble se présenter la situation des polythéistes en Arabie :

3.A) Au niveau des cités :

- A.1) Certaines cités qui avaient anciennement le polythéisme comme religion officielle sont devenues des cités musulmanes, et font désormais partie de la Dâr ul-islâm :
--- A.1.1) soit elles ont été conquises par les musulmans (comme la Mecque depuis ramadan de l'an huit) ;
--- A.1.2) soit elles ont envoyé une délégation auprès du Prophète, à Médine, pour lui annoncer leur conversion à l'islam.

- A.2) D'un autre côté, il existe d'autres cités qui disposent toujours de leur souveraineté et ont toujours comme religion officielle le polythéisme ; cependant, après la victoire musulmane sur la Mecque en ramadan 8 et après la bataille de at-Tâ'ïf en shawwâl 8 (exception faite de l'espace contrôlé par les Ghassanides aux confins septentrionaux de l'Arabie : nous allons y revenir plus bas), aucune cité d'Arabie ne combat plus le Prophète et la Dâr ul-islâm. Cependant, plusieurs cas existent :
--- A.2.1) il est des cités qui, après avoir combattu le Prophète, ont désormais conclu un accord de paix avec la Dâr al-islâm ; elles constituent donc des Dâr ul-'ahd ;
--- A.2.2) il en est d'autres qui avaient déjà conclu un accord de paix et y étaient restées fidèles ; elles constituent elles aussi des Dâr ul-'ahd :
----- A.2.2.1) soit leur pacte de paix était sans précision de durée ;
----- A.2.2.2) soit leur pacte de paix était à durée déterminée ;
--- A.2.3) il en est d'autres encore qui, sans avoir conclu de traité de paix, avaient fait preuve de neutralité vis-à-vis de la Dâr al-islâm et qui ne changent pas de comportement ; elles constituent des Dâr ul-hiyâd, qui ont le même statut que la Dâr ul-'ahd.

(Voir Sunan un-Nassâ'ï, n° 2958, Fat'h ul-bârî, commentaire du Hadîth n° 4379, Bayân ul-qur'ân, commentaire du début de la sourate at-Tawba.)

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3.B) Au niveau des individus :

A l'intérieur même de la Dâr ul-islâm vivent probablement des individus qui sont toujours polythéistes.

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4) Entre rajab de l'an 9 et ramadan du même an 9 : la campagne de Tabûk :

Après avoir reçu la révélation du verset qui sera classé ensuite sous le n° 29 de cette sourate n° 9, verset dit de la jizya, le Prophète se rend à Tabûk pour faire face aux arabes chrétiens alliés des Byzantins, dont il a appris qu'ils projetaient de venir le combattre (voir Zâd ul-ma'âd, tome 3 pp. 527-528).

Omar raconte le contexte ayant précédé la compagne de Tabûk : "Les gens qui étaient dans la région alentour du Prophète s'étaient apaisés vis-à-vis du Prophète ("qad-istaqâma lahû") ; il ne restait qu'un roi, celui des Ghassanides en Syrie, dont nous craignions qu'il nous attaque" (rapporté par al-Bukhârî, n° 5505, voir aussi n° 4629 ; rapporté également par Muslim, etc.). Ce récit a bien pour cadre l'année 9 : c'est en effet en cette année 9 que se déroulent les causes qui vont amener une mésentente passagère entre le Prophète et ses épouses (Fat'h ul-bârî, 9/354). Or Omar raconte dans ce même récit que c'est pendant qu'ils craignaient une invasion du Ghassanide que la mésentente eut lieu (lire tout le récit susmentionné).

C'est face à ce danger de la part des Ghassanides que le Prophète décide de prendre les devants : à la tête d'une armée, il se rend lui-même dans la région, aux confins de l'Arabie du Nord. C'est la campagne de Tabûk.

Il n'y aura pas de combat mais la conclusion d'une série de traités avec différentes tribus et cités (Zâd ul-ma'âd, 3/537). Le Prophète retourne à Médine où il parvient en ramadan de l'an 9 (Ibid., 3/498).

Le fait que, ce verset ayant été révélé, c'est à des gens qui projetaient de venir combattre les musulmans que le Prophète l'a appliqué a conduit des ulémas à dire que ce verset n'est pas à appréhender de façon inconditionnelle selon sa seule lettre (mutlaq, zâhir), mais est au contraire à comprendre à la lumière du principe général (yuhmal ul-mutlaqu 'ala-muqayyad) : il s'agit de ceux qui agressent de fait ou qui sont sur le point de le faire (voir Al-ussus ash-shar'iyya lil-'alâqât bayn al-muslimîn wa ghayr il-muslimîn, Faysal al-Mawlawî, pp. 50-51, voir aussi Athâr ul-harb fi-l-fiqh il-islâmî, Wahba az-Zuhaylî, p. 118).

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5) En dhu-l-hijja de l'an 9 : un délai de 4 mois est donné aux polythéistes pour qu'ils quittent l'Arabie (ou le Hedjaz) :

C'est au mois de shawwâl de l'an 9 (Fat'h ul-bârî, commentaire du Hadîth n° 4379) qu'a lieu la révélation des versets suscités :
"Désaveu de la part de Dieu et de Son Messager à l'égard des Polythéistes avec qui vous aviez conclu des traités [verset 1].
Circulez donc sur (cette) terre [d'Arabie] pendant quatre mois. Et sachez que vous ne pourrez empêcher Dieu, et que Dieu va couvrir d'ignominie les Incroyants [verset 2].
Et proclamation aux gens, de la part de Dieu et de Son Messager, le jour du grand pèlerinage, que Dieu et Son Messager désavouent les Polythéistes. (...)  [verset 3].
Sauf ceux des Polythéistes avec qui vous aviez conclu un traité et qui n'ont manqué en rien à (respecter ce traité vis-à-vis de) vous et n'ont soutenu personne à vous (combattre) : complétez (le respect de) leur traité jusqu'à leur terme. [Respecter le traité relève de votre part de la piété ; or] Dieu aime ceux qui sont pieux  [verset 4].
Puis, quand les mois du délai se seront écoulés, tuez les Polythéistes [du premier groupe] là où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade (...)  [verset 5]"
(Coran 9/1-5).

Les versets 1 à 3 de la sourate at-Tawba viennent mettre fin aux pactes existant entre le Prophète et les polythéistes, car la région est maintenant dans une phase où le Polythéisme n'y a plus sa place, et ceux qui veulent demeurer Polythéistes ont un délai de 4 mois pour quitter l'Arabie, se convertir à l'islam ou s'exposer au combat.
Cette règle concerne les cités se trouvant dans le cas A.2.1, A.2.2.1 ou A.2.3 (voir plus haut, au point n° 3) : les pactes passés avec elles sont désormais caduques, et les individus habitant ces cités ont un délai de 4 mois pour choisir entre les trois options susmentionnées. la même règle vaut pour les individus polythéistes vivant à l'intérieur d'une cité musulmane : ils ont le même délai pour faire le même choix.

L'exception faite par le verset 4 concerne les cités qui remplissent une double condition :
- avoir établi un pacte à durée déterminée,
-  et n'avoir pas rompu ce pacte.
Il s'agit du cas de figure mentionné plus haut comme constituant le A.2.2.2 (voir au point n° 3). Le pacte conclu avec les cités de ce genre ne prend alors pas fin, mais on le laisse parvenir à son terme, après lequel il ne sera pas renouvelé pour les Polythéistes d'Arabie (ou du Hedjaz).

Le verset 27 annonce d'ailleurs que dorénavant, passé cette année 9, aucun polythéiste ne pourra plus venir au pèlerinage de la Mecque et ne pourra plus "s'approcher de la Kaaba", c'est-à-dire entrer dans le sanctuaire sacré – al-Haram – qui se trouve autour de la Kaaba.

Le verset n° 6 fait une exception supplémentaire : si un des polythéistes concerné par la période des quatre mois demande une sorte de délai supplémentaire avant de quitter la région, et ce afin de pouvoir réaliser ce dont le verset fait mention, ce délai devra lui être accordé.

Au mois de dhu-l-hijja de cette année 9, le Prophète envoie Abû Bakr diriger le pèlerinage à la Mecque et y faire annoncer ces mesures dictées par la révélation :
– l'interdiction immédiate pour tout polythéiste de faire le pèlerinage nu – comme c'était la coutume dans la période pré-islamique – ;
– l'impossibilité, à compter du prochain pèlerinage, pour n'importe quel polythéiste, de venir dorénavant faire le pèlerinage, même s'il habite ailleurs qu'en Arabie et qu'il n'y séjourne que temporairement ;
– le délai des 4 mois donné aux polythéistes pour choisir entre quitter l'Arabie, se convertir à l'islam ou s'exposer au combat.
Cependant, se souvenant ensuite que la coutume chez les Arabes est que le désaveu d'un traité se fasse impérativement soit par la personne l'ayant conclu, soit par une personne de sa famille, le Prophète envoie Alî faire ces annonces. (Voir Sunan ut-Tirmidhî, n° 3090, avec commentaire de Tuhfat ul-ahwadhî, voir aussi Sunan un-Nassâ'ï, n° 2958, et Sahîh ul-Bukhârî, n° 4379 avec commentaire de Fat'h ul-bârî.)

Le délai des 4 mois commence, d'après Ibn Kathîr, à compter du moment de l'annonce, soit le 10 dhu-l-hijja de l'an 9, puisque Dieu Lui-même a dit : "Proclamation aux gens (...) le jour du grand pèlerinage..." (verset n° 3).
Le délai des 4 mois prend donc fin le 10 rabî ul-âkhir de l'an 10
(Tafsîr Ibn Kathîr).

Ibn Kathîr écrit aussi que, dans ce verset, "al-ash'hur ul-hurum" ne désigne aucunement "les mois sacrés" mais "les mois du délai" ("ash'hur ut-tasyîr al-arba'a" : Tafsîr Ibn Kathîr).

Le départ de ces polythéistes constitue une première étape à propos de la terre d'Arabie.

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6) Ici une question se pose : le verset, révélé en shawwâl de l'an 9 et applicable à partir de dhu-l-hijja du même an 9, dit de tuer les Polythéistes passé le délai de 4 mois. Pourtant, plus d'un an plus tard, en rabî' ul-awwal de l'an 11, le Prophète dira : "Faites quitter les polythéistes la Péninsule arabique". Ceci prouve que des polythéistes demeurent toujours en Arabie quelques 11 mois après l'expiration du délai ! Comment expliquer cela ?

La réponse est qu'en fait le verset a dit : "Lorsque les mois d'interdiction [liée à la présence du délai] seront écoulés, tuez les polythéistes où que vous les trouviez, (...)". Mais ce hadîth "Faites quitter les polythéistes la Péninsule arabique" (rapporté par al-Bukhârî, n° 2888, Muslim, n° 1637) est venu montrer que l'objectif n'est pas de tuer les Polythéistes mais de faire en sorte qu'il n'y ait plus de polythéiste dans la Péninsule ; les Polythéistes peuvent donc ne pas se convertir à l'islam mais quitter la Péninsule. C'est s'ils ne la quittent pas qu'ils seront combattus (Al-Ussus ush-shar'iyya, pp. 48-50). Et ils seront combattus pas forcément pour être exécutés, mais aussi pour être expulsés de la Péninsule.

Par ailleurs, souligne al-Mawlawî, une lecture attentive du verset montre que ce dernier non plus ne disait pas qu'il faut absolument tuer les Polythéistes, puisqu'il évoque la possibilité qu'ils soient faits prisonniers : "Après que les mois d'interdiction seront expirés, tuez les Polythéistes où que vous les trouviez, capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade" (9/5). Voyez, dit al-Mawlawî : il est bien dit qu'ils peuvent être faits prisonniers. Or, des prisonniers peuvent être relâchés [comme le dit le verset 47/4] (op. cit., p. 48-50). Mais ces prisonniers seront relâchés hors de la Péninsule.

Au début de l'an 11, lorsque le Prophète dit : "Faites sortir les Polythéistes de la Péninsule arabique", il voulait donc en fait dire : "Continuez à faire sortir les Polythéistes de la Péninsule arabique, comme cela a été commencé depuis rabî' ul-âkhir de l'an 10".

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7) Depuis la fin de l'an 9 jusqu'au début de l'an 11 : affluence des délégations à Médine ("'âm ul-wufûd") :

Après le retour du Prophète de Tabûk en ramadan de l'an 9, les délégations affluent davantage encore de toute l'Arabie auprès du Prophète (Zâd ul-ma'âd, tome 3 p. 602).

On compte comme délégations venues dans cette seconde période : celles de Thaqîf, ramadan 9 (Zâd ul-ma'âd, tome 3 p. 498), de Banû Fazâra, après le retour du Prophète de Tabûk (p. 653), de Abd ul-Qays, an 9 (pp. 605-607), de Ghâmid, an 10 (p. 671), de Muhârib, an 10 (p. 663), de Khawlân, cha'bân 10 (p. 662), de Banu-l-Hârith ibn Ka'b, rabî al-âkhir ou djumâda-l-ûlâ 10 (p. 621), celle de Ghassân, ramadan 10 (p. 669)…

Il y a aussi les délégations de ces autres tribus, dont je n'ai pas connaissance de la date de la venue à Médine : al-Ash'ariyyûn (p. 618), Kinda (p. 617), Tay' (p. 616), Muzayna (p. 622), Hamdân (p. 624), Banû Sa'd ibn Bakr (p. 647), Banû Tujîb (p. 650), Banû Sa'd Hudhaym (p. 652), Banû Assad (p. 654), Bahrâ' (p. 655), Murra (p. 661), Salâmân (p. 669-670), Banû 'Abs (p. 670), Al-Azd (p. 672), Banu-l-Muntafiq (p. 673)…

La dernière délégation à se rendre auprès du Prophète est celle de an-Nakh', du Yémen, qui arrive à Médine au mois de muharram de l'an 11 (Zâd ul-ma'âd, tome 3 pp. 686-687).

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Dans le même temps, d'autres sanctuaires d'idoles en Arabie sont détruits sur ordre du Prophète.
Ainsi le sanctuaire de al-Lât, appartenant aux gens de Tâ'ïf, est-il détruit par al-Mughîra ibn Shu'ba en l'an 9, après la venue de la délégation des gens de at-Tâ'if venue témoigner de son entrée en islam à Médine (Zâd ul-ma'âd, tome 3 pp. 499-500)…
Après le pèlerinage d'Adieu (dhu-l-hijja de l'an 10), le Prophète envoie Jarîr ibn Abdillâh à la tête de 150 hommes pour détruire le sanctuaire de Dhu-l-Khalassa, dans le sud de l'Arabie (al-Bukhârî, 2857 etc., Muslim, 2476, avec Fat'h ul-bârî, tome 8).

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8) En l'an 11, lors de la dernière maladie du Prophète :

Lors de sa dernière maladie, le Prophète demande qu'après lui, on fasse quitter les polythéistes "la Péninsule Arabique" (est-ce que ces deux mots désignent ici toute la Péninsule, nous allons le voir plus bas). Il dit : "Faites quitter les polythéistes la Péninsule arabique" (rapporté par al-Bukhârî, n° 2888, Muslim, n° 1637). Il s'agit donc, nous l'avons vu plus haut, de continuer à faire quitter les polythéistes la région.
Le Prophète dit alors aussi : "Je ferai quitter les juifs et les chrétiens la Péninsule arabique" (rapporté par Muslim, n° 1767, et d'autres). Dans une autre version : "Faites quitter les juifs du Hedjaz et les chrétiens de Nadjran la Péninsule arabique" : "عن أبي عبيدة، قال: آخر ما تكلم به النبي صلى الله عليه وسلم: "أخرجوا يهود أهل الحجاز وأهل نجران من جزيرة العرب، واعلموا أن شرار الناس الذين اتخذوا قبور أنبيائهم مساجد" (Ahmad, n° 1691).
Aïcha relate que lors de sa dernière maladie le Prophète dit : "Il ne sera pas laissé dans la Péninsule arabique deux religions" : "عن عائشة، قالت: كان آخر ما عهد رسول الله صلى الله عليه وسلم أن قال: "لا يترك بجزيرة العرب دينان" (Ahmad, n° 26352) (voir également Muwattâ Mâlik, hadîths n° 1706 et 1707, tous deux mursal).

C'est l'ultime étape voulue par le Prophète – et que Omar ibn ul-Khattâb réalisera lors de son califat (aujourd'hui, il faut que le contexte soit de nouveau le même que celui dans lequel se trouvait la terre musulmane à l'époque de Omar pour appliquer cette règle : cliquez ici et ici pour en savoir plus ; de plus, même alors, c'est, parallèlement à l'exemple de Omar, aux autorités publiques de prendre la décision, et non aux simples individus).

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9) Le délai donné aux Polycultistes ainsi que la volonté de les faire sortir de l'Arabie sont-ils applicables à tous les Polythéistes, qui devraient partout quitter la Dâr ul-islâm, fût-ce ailleurs qu'en Arabie ?

Non, ces règles ne sont pas applicables à tous les polythéistes. Nous l'avons déjà vu plus haut, les polythéistes peuvent être dhimmis, résidents permanents [aujourd'hui on dit : "citoyens"] d'un pays majoritairement musulman.

Voici deux propos sur le sujet...

Abû Hanîfa dit que si les polythéistes peuvent être dhimmis, le cas des polythéistes Arabes fait exception : eux ne peuvent pas l'être. Son avis est donc que les non-musulmans qui sont non-arabes peuvent vivre en terre musulmane, qu'ils soient juifs, chrétiens, sabéens ou polythéistes ; cependant, parmi les non-musulmans qui sont arabes, seuls peuvent vivre en terre d'Islam sont ceux qui sont juifs, chrétiens ou sabéens (Al-Hidâya 1/547, 575). Cet avis hanafite ne concerne que les Arabes qui vivent dans la Péninsule arabique, et pas les Arabes qui vivent dans une partie de la Dâr ul-islam hors la péninsule arabique (la preuve figure dans la question de la levée de l'impôt kharâj : cela est impossible dans la péninsule d'Arabie comme est impossible le fait de maintenir les habitants de cette péninsule sur leur Kufr : Al-Hidâya 1/570).

Mâlik dit que les polythéistes Arabes peuvent eux aussi vivre en terre d'Islam (Ahkâm ul-qur'ân, Ibn ul-Arabî, 1/156). Selon son avis, le délai ne concernait que la terre d'Arabie et il était demandé aux polythéistes Arabes de quitter celle-ci ; cependant, ces polythéistes pourraient s'installer dans une autre partie de la terre d'Islam que l'Arabie (Al-ussus ush-shar'iyya, Faysal al-Mawlawî, p. 51).

Ces deux propos reviennent à la même chose : Ailleurs que dans la région mentionnée dans ces Hadîths du Prophète, les polythéistes peuvent tout à fait être résidents de la Dâr ul-islâm, et ils y ont la liberté de conscience et de pratique, du moment bien sûr qu'ils y respectent l'ordre public islamique.

Cheikh Ayyûb Sûrtî m'a confirmé que c'est bien la règle au sein de l'école hanafite, et que cette règle a globalement été respectée dans l'Inde musulmane des empereurs Moghols ; parfois, m'a-t-il dit, on a même dépassé les règles et l'Etat musulman est alors allé jusqu'à financer la construction de temples hindous (alors que la règle est que l'Etat musulman doit leur donner la liberté sociale de vivre le culte qu'ils ont choisi de garder, mais sans financer ce culte : lâ yajûz at-ta'âwun 'ala-sh-shirk).

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10) De quelle région est-il question dans ces Hadîths du Prophète : de la péninsule arabique tout entière ? ou bien seulement du Hedjaz ?

Il y a divergence d'avis sur le sujet...

L'école hanafite pense qu'il s'agit de la péninsule arabique tout entière.

L'école shâfi'ite pense que la règle mentionnée dans ces Hadîths concerne la terre du Hedjaz uniquement (Fat'h ul-bârî, commentaire du Hadîth n° 2888, Shar'h Muslim, commentaire du Hadîth n° 1637). Selon cette école, le Prophète aurait eu recours dans ces Hadîths au procédé de métonymie, avec "la mention du tout pour désigner seulement une partie" (majâz mursal, ma'a iradatil-juz' bi lafz il-kull). An-Nawawî relate que selon ash-Shâfi'î, le Hedjaz comporte : la Mecque, Médine, le Yamâma et leurs alentours, mais pas le Yémen.
An-Nawawî relate que l'avis le plus correct rapporté de Mâlik à ce sujet est que les Hadîths sus-cités concernent la Mecque, Médine, le Yamâma et le Yémen (Shar'h Muslim, commentaire du Hadîth n° 1637).
Pour découvrir les arguments sur lesquels l'avis des shafi'ites se fonde, lire notre article qui y est consacré.

Pour l'école shafi'ite, deux portions de la terre d'Islam (Dâr ul-islâm) font donc l'objet de règles particulières par rapport aux non-musulmans :
– il y a le territoire du Haram, qui est inaccessible aux non-musulmans, lesquels ne peuvent ni s'y installer, ni y séjourner temporairement, ni même y passer (Fiqh us-sunna, tome 3 pp. 411-413 ; Shar'h Muslim, commentaire du Hadîth n° 1637) ; Ibn Hajar relate que la seule exception quant à l'entrée temporaire de non-musulmans sur le territoire du Haram se fait, d'après ash-Shâfi'î, dans le cas d'une autorisation exceptionnelle des autorités, en cas de réel besoin des musulmans (Fat'h ul-bârî, commentaire du Hadîth n° 2888) ;
– et puis il y a le Hedjaz, où les non-musulmans ne peuvent pas s'installer durablement, mais qu'ils peuvent parcourir et où ils peuvent séjourner temporairement.

Pourquoi ces mesures concernant le Hedjaz – d'après l'école shafi'ite –, la Péninsule arabique – d'après d'autres écoles ?

Shâh Waliyyullâh y voit plusieurs raisons ; en voici deux :
– une première raison est que les deux lieux de la Mecque et de Médine ainsi que leurs alentours immédiats ont un caractère particulier ; le Prophète a donc voulu que n'y aient lieu (même dans les foyers) que les rites musulmans uniquement ;
– une seconde raison est que cette région a toujours constitué, constitue encore et constituera toujours le cœur de la terre musulmane ; or le Prophète, ayant expérimenté la réalité de nombreux conflits, ayant été assiégé à Médine, a voulu éviter au maximum tout risque de prise en tenailles de ce cœur, de l'extérieur comme de l'intérieur (Hujjat ulllâh il-bâligha, 2/479-480).

Des personnes pourraient s'offusquer de cette mesure et y dénoncer selon elles : "un manque de libertés pour des non-musulmans pourtant résidents – aujourd'hui on dirait : "citoyens" – de l'Etat musulman".

Ce serait oublier que même en pays laïques tous les citoyens ne peuvent pas s'installer ni passer partout où ils le veulent. Ainsi un citoyen qui ne fait pas partie de certains cercles de l'armée ou de certaines institutions administratives ne peut ni se rendre dans certains lieux de son pays, ni les survoler, ni en prendre des photographies même de loin ; cette mesure est aussi voulue pour limiter les risques de trahison et d'espionnage, sans qu'il y ait un manque de confiance.
A coté des différences existant entre le détail de cette règle valable dans tous les pays occidentaux et le détail de la règle établie par le Prophète à propos de la Péninsule arabique (ou du Hedjaz), il y a donc, dans le principe, une similitude qu'on ne peut pas nier : les objectifs de cette règle des pays occidentaux ne sont pas totalement différents de la seconde raison évoquée par Shâh Waliyyullâh pour expliquer la règle édictée par le Prophète.

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11) C'est à la lumière de ce contexte que se comprend la célèbre parole du Prophète (sur lui soit la paix) : "Il m'a été ordonné de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils témoignent qu'il n'est de divinité que Dieu et (...)" :

Le Prophète a dit : "Il m'a été ordonné de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils témoignent qu'il n'est de divinité que Dieu et qu'ils croient en moi et en ce que j'ai apporté" (Muslim 21 ; d'autres versions de ce propos existent qui sont rapportées par al-Bukhârî et Muslim).
Cependant, dans ce hadîth, "les hommes" désigne seulement "les polythéistes", comme spécifié dans le hadîth rapporté par an-Nassâ'ï (3966), et comme le principe évoqué plus haut le prouve ; al-Khattâbî l'a d'ailleurs explicitement écrit (cf. Shar'h Muslim, 1/206).

De plus, ces polythéistes furent combattus jusqu'à ce qu'ils acceptent l'islam ou quittent la Péninsule et aillent s'installer ailleurs, comme le prouve le hadîth déjà cité : "Faites quitter les polythéistes la Péninsule arabique" (al-Bukhârî, 2888, Muslim, 1637).

Bien que de formulation apparemment générale, ce hadîth "Il m'a été ordonné de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils témoignent qu'il n'est de divinité que Dieu et qu'ils croient en moi et en ce que j'ai apporté" a donc une portée restreinte.

Nous avons détaillé cela dans un autre article.

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Conclusion :

Le Prophète avait accepté que des Polythéistes soient résidents (dhimmis) de l'Arabie. Cependant, par la suite il fut demandé à ceux-ci de quitter la Péninsule arabique – ou, d'après l'école shafi'ite, le Hedjaz seulement. Cette mesure est cependant propre à cette région et ne s'applique pas aux autres régions de la terre d'Islam, où les polythéistes peuvent tout à fait vivre (Al-ussus ash-shar'iyya li-l-'alâqât bayn al-muslimîna wa ghayr il-muslimîn, p. 50). C'est bien ce qui explique que dans l'Inde musulmane, durant des siècles des hindous ont vécu.

Le passage qui a été cité dans la question ("Lorsque les mois du délai seront terminés, tuez les polythéistes là où vous les trouvez") se rapporte donc au cas précis que nous venons de voir : d'une part il s'agissait d'une mesure spécifique à l'Arabie – ou au Hedjaz – ; d'autre part l'objectif n'était pas d'exterminer les polythéistes y vivant, mais de les en faire sortir s'ils voulaient ne pas se convertir à l'islam.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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