"Mansûkh", à propos de versets, ne veut pas toujours dire "abrogé" - Voici 5 acceptions du terme "Naskh" (et donc de : "Mansûkh") : خمسة معان للفظ النسخ (II - 2/2) - Les versets de la paix ne sont pas abrogés

Question d'un internaute :

Vous dites qu'il y a différents versets, les uns traitant de la paix et les autres du combat, et que la paix est la règle première. Mais ça ne tient pas : la question de la paix n'est plus d'actualité pour les musulmans, car les commentaires du Coran eux-mêmes stipulent que le verset concernant la paix : "Et s'ils penchent pour la paix, penche pour elle" (Coran 8/61) a été abrogé par le verset : "Où que vous trouviez les polythéistes, tuez-les" (Coran 9/5). Cela montre bien que, d'un point de vue idéologique même, les musulmans ne peuvent plus être des partisans de la paix.

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Réponse :

Que nenni, le verset de la paix (Coran 8/61) n'est nullement abrogé.

Je suppose que vous avez dû lire les termes : "Nassakhat-hâ âyat ul-barâ'ah" ou : "Hâdhihî mansûkha bi âyat il-qitâl", traduits littéralement par : "abrogés" dans certains Commentaires du Coran (tafâssîr).
Mais en fait ces termes ne signifient pas que le verset de la paix a été abrogé.

Aujourd'hui,
– le terme arabe "naskh" est compris uniquement comme signifiant : "abrogation" ;
– la formule "nassakha-ha-llâhu" est comprise comme voulant dire : "Dieu a abrogé" ;
– le verbe à la voie passive "nussikha" signifie : "ce verset fut abrogé" ;
– et le participe passif, "mansûkh", est perçu comme signifiant : "abrogé".

Mais, dans l'usage des musulmans des premiers temps, ce terme "naskh" et tous ces dérivés avaient un sens beaucoup plus large que celui de l'abrogation pure et simple.

D'où malentendu.

Shâh Waliyyullâh écrit :
"من المواضع الصعبة في علم التفسير التي تكثر مباحثها، ويكثر الاختلاف فيها، معرفة الناسح والمنسوخ. ومن أقوى وجوه هذه الصعوبة اختلاف الاصطلاح بين المتقدمين والمتأخرين في هذا الباب.
والذي يتضح لنا باستقراء كلام الصحابة والتابعين - رضي الله عنهم أجمعين - في هذا الموضوع أنهم كانوا يستعملون "النسخ" بمعناه اللغوي المعروف الذي هو إزالة شيء لا بمعنى مصطلح الأصوليين الخاص. فمعنى "النسخ" عندهم إزالة بعض الأوصاف في آية بآية أخرى، سواء كان ذلك بياناً لانتهاء مدة العمل بآية من الآيات الكريمة، أو صرف الكلام عن المعنى المتبادر إلى غير المتبادر، أو بيان أن القيد اتفاق وليس احترازياً، أو تخصيصاً للعموم، أو بيان الفارق بين المنصوص والمقيس عليه ظاهراً، أو إزالة عادة من العادات الجاهلية، أو رفع شريعة من الشرائع السابقة. وهكذا اتسع باب النسخ عندهم وتوسعوا في موضوعه، وكان للعقل فيه مجال فسيح، وللاختلاف فيه مكان واسع. ولذلك بلغت الآيات المنسوخة إلى خمسمائة آية، بل إذا حققت النظر تجدها غير محصورة بعدد.
أما المنسوخ حسب اصطلاح المتأحرين الأصولين فإنه لا يتجاوز العدد القليل، لا سيما حسب وجهة النظر التي اخترناها."

"Dans la science du commentaire du Coran, relève des chapitres difficiles, qui sont causes de nombreuses discussions et divergences, la connaissance des versets abrogeant et des versets abrogés. Et l'une des plus grandes causes de cette difficulté est l'existence d'une différence, existant entre les ulémas des premiers temps et les ulémas postérieurs, à propos du sens (donné au terme "naskh").
Après passage en revue des propos des Compagnons et de leurs élèves à ce sujet, il nous apparaît que ces personnages employaient le terme "naskh" dans son sens littéral – à savoir : "apporter une modification à quelque chose" – et non dans le sens où l'entendent les spécialistes des ussûl [à savoir "abroger", c'est-à-dire "mettre définitivement fin à l'applicabilité d'une règle édictée précédemment"].
Pour les (anciens ulémas), le "naksh" est le fait de modifier certaines particularités présentes dans la règle d'un verset par un autre verset, que cette modification consiste à indiquer la fin de la durée de l'application d'un verset [ce qui constitue l'abrogation proprement dite], ou qu'elle consiste seulement à mettre en lumière que le sens véritable du verset est différent du sens apparent, ou à expliciter que la condition (spécifiée dans le verset précédent) est purement fortuite et n'a pas d'incidence, ou à modifier la portée générale du verset précédent, ou à montrer qu'il n'y a pas d'analogie possible entre le cas mentionné dans le verset et le cas à propos duquel des gens ont fait une analogie, ou à mettre fin à une règle révélée à un prophète ayant précédé Muhammad (sur lui la paix). Et, de la sorte, l'emploi du terme "naskh" s'est élargi chez ces ulémas (…). C'est pourquoi on lit parfois que le nombre de versets du Coran qui sont "mansûkh" atteint 500 ; et si tu réfléchis, tu verras même que ce genre de versets est innombrable.
Par contre, si on emploie le terme "mansûkh" avec le sens que lui donnent les ulémas postérieurs et de la science des ussûl [à savoir l'abrogation], alors les versets véritablement abrogés sont en très petit nombre (…)"
(Al-Fawz ul-kabîr fî ussûl it-tafsîr, pp. 53-54).

Shâh Waliyyullâh expose, dans les pages suivantes, que, selon lui, les versets coraniques dont la règle a été réellement abrogée mais dont la récitation se fait toujours (mansûkh ul-hukm dûn at-tilâwa) sont au nombre de 5 seulement (Ibid., pp. 55-60). Selon mon humble compréhension, ils seraient plutôt au nombre d'une dizaine.

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Ibn ul-Qayyim
écrit lui aussi : "Le terme "naskh" est, chez les Compagnons et leurs élèves, d'un sens plus large que chez les ulémas postérieurs". Suit l'énumération de trois sens donnés au terme chez les premiers ulémas :
– l'abrogation proprement dite ;
– l'exception par rapport à la règle générale précédemment révélée ;
– l'explicitation de la règle précédemment révélée (cf. Zâd ul-ma'âd, tome 5 pp. 598-599).

Ash-Shâtibî écrit quant à lui :
"ووجه رابع يدل على قلة النسخ وندوره: أن تحريم ما هو مباح بحكم الأصل ليس بنسخ عند الأصوليين.
كالخمر والربا؛ فإن تحريمهما بعد ما كانا على حكم الأصل لا يعد نسخا لحكم الإباحة الأصلية. ولذلك قالوا في حد النسخ: إنه رفع الحكم الشرعي بدليل شرعي متأخر، ومثله رفع براءة الذمة بدليل.
وقد كانوا في الصلاة يكلم بعضهم بعضا إلى أن نزل: {وقوموا لله قانتين} .وروي أنهم كانوا يلتفتون في الصلاة إلى أن نزل "قوله": {الذين هم في صلاتهم خاشعون}، قالوا: وهذا إنما نسخ أمرا كانوا عليه. وأكثر القرآن على ذلك، معنى هذا أنهم كانوا يفعلون ذلك بحكم الأصل من الإباحة؛ فهو مما لا يعد نسخا، وهكذا كل ما أبطله الشرع من أحكام الجاهلية.
فإذا اجتمعت هذه الأمور، ونظرت إلى الأدلة من الكتاب والسنة، لم يتخلص في يدك من منسوخها إلا ما هو نادر.
على أن ههنا معنى يجب التنبه له ليفهم اصطلاح القوم في النسخ، وهي:المسألة الثالثة:

وذلك أن الذي يظهر من كلام المتقدمين أن النسخ عندهم في الإطلاق أعم منه في كلام الأصوليين؛
قد يطلقون على تقييد المطلق نسخا،
وعلى تخصيص العموم بدليل متصل أو منفصل نسخا،
وعلى بيان المبهم والمجمل نسخا،
كما يطلقون على رفع الحكم الشرعي بدليل شرعي متأخر نسخا
"
(Al-Muwâfaqât, 2/99).

On le voit, dans les ouvrages commentant le texte coranique, le terme "naskh" a été employé non pas toujours dans le sens d'"abrogation" mais parfois dans un sens beaucoup plus large.

Explications détaillées ci-après.

Dans ces explications, vous verrez que...

... Parmi les 5 acceptions avec lesquels le terme "naskh" est employé, :
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Seules les 1 et 2 correspondent à de l'abrogation complète.
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– L'acception 3 ne constitue pas de l'abrogation, mais de l'institution d'une nouvelle règle, tandis que la règle instituée jusqu'alors est renvoyée à une situation semblable à celle qui prévalait lors de son institution. Or le cas des versets de la paix relève de cette acception 3.
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 La 4ème ne constitue elle non plus pas de l'abrogation : il s'agit :
----- 4.1) soit de l'exposé, par un verset révélé ultérieurement, d'une nuance supplémentaire au propos présent dans le verset antérieur (taqyîd, nuancement) ;
----- 4.2) soit de l'exposé, par un verset révélé ultérieurement, que certains individus - dont le cas ne s'était pas posé lors de la révélation du verset antérieur - ne sont pas concernés par le propos du verset antérieur (takhsîs, particularisation) (ici s'inclut le "'âmmun khussa min-hu : al-ba'dh" : sans le verset ultérieur, on n'aurait jamais pu déterminer que ce khâss n'était pas murâd dans le verset antérieur).
--------- Par contre, certains des cas semblant relever d'une particularisation (takhsîs) constituent en fait une véritable abrogation partielle (naskh juz'î) : il y a à cela 2 conditions : que primo il soit établi que le texte particularisant soit venu ultérieurement au texte général, et que secundo ce texte particularisant ait fait l'exception du propos, hukm, par rapport à certains individus dont, auparavant, ce hukm s'appliquait de façon certaine à eux aussi. Ce fut le cas du passage du li'ân (Coran 24/6-10), venu faire l'exception du mari, alors que ce dernier était jusqu'alors inclus dans la règle énoncée en Coran 24/4-5).
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 L'acception 5 du terme ne constitue elle non plus pas de l'abrogation : le verset postérieur est simplement venu exposer le sens véritable que le verset antérieur a, et que certaines personnes contemporaines du Prophète (musulmanes ou non-musulmanes) avaient mal compris (par exemple le "'âmmun urîda bihî : al-ba'dh", tel : "الْقَاعِدُونَ مِنَ الْمُؤْمِنِينَ", qui, déjà, signifiait : "الْقَاعِدُونَ مِنَ الْمُؤْمِنِينَ غَيْرُ أُوْلِي الضَّرَرِ", mais que Ibn Ummi Maktûm comprit dans sa 'umûm absolue, selon le zâhir ul-lafz.)

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Voici 5 des sens avec lesquels le terme "naskh" a été employé dans les commentaires du Coran, surtout ceux des premiers temps :

Sens 1) "Naskh" = "Remplacement d'une règle antérieure par une nouvelle règle, avec Arrêt Définitif de l'applicabilité de la règle antérieure : le remplacement du caractère interdit d'une action par son autorisation, ou du caractère obligatoire d'une action par son caractère non-obligatoire ; ou encore le remplacement du moyen déterminé pour accomplir telle action par un autre moyen déterminé (النسخ بمعنى رفع الحكم المنزل قبلُ، أي: تبديل حكم بحكم يخالفه تمامًا، كتبديل وجوب عمل بعدم وجوبه، أو حرمة عمل بجوازه) :

Deux grands cas existent ici :
1.1) soit la règle révélée précédemment est abrogée, et la récitation du verset qui l'induisait est elle aussi abrogée (naskh ut-tilâwa ma'a-l-hukm) (les versets qui induisaient pareille règle ayant été abrogés et qui ont eux-mêmes été abrogés de récitation, sont les versets du Type 4 dans l'article L'abrogation dans le Coran) ;
1.2) soit la règle seulement est abrogée, mais le verset continue à être récité en tant que texte coranique (naskh ul-hukm dûn at-tilâwa) (les versets qui induisaient pareille règle ayant été abrogée mais qui continuent à être récités, sont les versets du Type 3 dans l'article L'abrogation dans le Coran).

C'est le cas de figure évoqué ici comme "1.2" dont Shâh Waliyyullâh a dit que, selon lui, seuls 5 versets coraniques y correspondent (Al-Fawz ul-kabîr) ; selon mon humble recensement, ce sont 7, 8 ou 9 versets coraniques qui y correspondent (lire mon article sur le sujet).

Voici un exemple de ce cas 1.2 :
--- Dans un premier temps, conformément à ce que dit le verset 2/180, il fallait que le musulman fasse un testament en faveur de ses parents : "كُتِبَ عَلَيْكُمْ إِذَا حَضَرَ أَحَدَكُمُ الْمَوْتُ إِن تَرَكَ خَيْرًا الْوَصِيَّةُ لِلْوَالِدَيْنِ وَالأقْرَبِينَ بِالْمَعْرُوفِ حَقًّا عَلَى الْمُتَّقِينَ" : "Il vous a été prescrit, lorsque la mort se présente à l'un de vous, s'il laisse un bien, de faire un testament en faveur des parents et des proches, selon la bienséance. Devoir pour les pieux" (Coran 2/180).
--- Ensuite, la révélation du verset 4/11 fixa la quote-part des deux parents aussi : "يُوصِيكُمُ اللّهُ فِي أَوْلاَدِكُمْ لِلذَّكَرِ مِثْلُ حَظِّ الأُنثَيَيْنِ فَإِن كُنَّ نِسَاء فَوْقَ اثْنَتَيْنِ فَلَهُنَّ ثُلُثَا مَا تَرَكَ وَإِن كَانَتْ وَاحِدَةً فَلَهَا النِّصْفُ وَلأَبَوَيْهِ لِكُلِّ وَاحِدٍ مِّنْهُمَا السُّدُسُ مِمَّا تَرَكَ إِن كَانَ لَهُ وَلَدٌ فَإِن لَّمْ يَكُن لَّهُ وَلَدٌ وَوَرِثَهُ أَبَوَاهُ فَلأُمِّهِ الثُّلُثُ فَإِن كَانَ لَهُ إِخْوَةٌ فَلأُمِّهِ السُّدُسُ مِن بَعْدِ وَصِيَّةٍ يُوصِي بِهَا أَوْ دَيْنٍ آبَآؤُكُمْ وَأَبناؤُكُمْ لاَ تَدْرُونَ أَيُّهُمْ أَقْرَبُ لَكُمْ نَفْعاً فَرِيضَةً مِّنَ اللّهِ إِنَّ اللّهَ كَانَ عَلِيما حَكِيمًا" (Coran 4/11). Cela abrogea l'obligation, et même la simple autorisation, de tester en faveur des parents. En effet, la Sunna vint mettre en exergue que, chaque quote-part ayant été fixée pour les ayants-droits dans ce verset coranique, aucun testament n'est plus possible pour un ayant-droit : "عن أبي أمامة الباهلي قال: سمعت رسول الله صلى الله عليه وسلم يقول في خطبته عام حجة الوداع: "إن الله تبارك وتعالى قد أعطى لكل ذي حق حقه، فلا وصية لوارث" (at-Tirmidhî, 2120 ; Abû Dâoûd, 3565 ; la narration comporte encore d'autres phrases, non relatées ici) ; "عن عمرو بن خارجة، أن النبي صلى الله عليه وسلم خطب على ناقته وأنا تحت جرانها وهي تقصع بجرتها وإن لعابها يسيل بين كتفي، فسمعته يقول: "إن الله أعطى كل ذي حق حقه، ولا وصية لوارث" (at-Tirmidhî, 2121 : il y a une suite non relatée ici).

Ibn Abbâs a donc dit : "عن ابن عباس رضي الله عنهما، قال: كان المال للولد، وكانت الوصية للوالدين، فنسخ الله من ذلك ما أحب، فجعل للذكر مثل حظ الأنثيين، وجعل للأبوين لكل واحد منهما السدس، وجعل للمرأة الثمن والربع، وللزوج الشطر والربع" : "Le legs revenait aux enfants, et (il fallait faire) un testament pour les parents. Dieu fit, de cela, naskh de ce qu'Il voulut..." (al-Bukhârî, 2596).

Il s'agit là d'une vraie abrogation, d'un naskh dans ce sens 1 : une première règle avait été révélée, mais ensuite elle a été remplacée définitivement par une seconde règle, lui étant complètement différente.

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Sens 2) "Naskh" = "Progressivité dans la Législation. Soit Interdiction sans possibilité de retour, de quelque chose qui, auparavant, avait été constatée par le Messager, voire évoquée dans le Coran, mais n'avait alors pas fait l'objet d'une telle interdiction (le Législateur ne l'ayant alors pas interdit). Soit Obligation, sans possibilité de retour, de quelque chose qui, auparavant, n'était pas obligatoire. Soit Détermination définitive d'un moyen pour réaliser quelque chose dont le moyen était, auparavant, laissé au libre choix du croyant (parce que le Législateur n'avait pas déterminé de moyen particulier)" (النسخ بمعنى رفع الجواز الأصليّ السائد قبلُ والذي كان سببه سكوت الشارع عليه، وذلك للتدريج في التشريع. أي: نزول حكم التحريم لعمل كان حكمه قبل ذلك: الجواز الأصليّ، أو حرمة بعض أفراده فقط. أو: نزول حكم الإيجاب لعمل لم يكن فرضًا قبل بل كان من البراءة الأصليّة. أو: نزول حكم التعيين في متعلق عمل كان الحكم فيه قبل ذلك: الخيرة الأصليّة) :

Au sujet du mariage temporaire (nikâh ul-mut'ah), c'est ce principe qui a été appliqué : ayant déjà cours dans l'Arabie anté-islamique, il fut seulement gardé sous silence au début de la mission du Prophète (sur lui soit la paix) ; et c'est pourquoi des Compagnons y eurent parfois recours. C'est ensuite, en l'an 8 de l'hégire, qu'il fut interdit.

Il est relaté ici de Aïcha, Ibn Mas'ûd, al-Qâssim ibn Muhammad et Sa'îd ibn ul-Mussayib le terme "Naskh" (Tafsîr ul-Qurtubî, 5/130).

Même si le Naskh de type 2 constitue lui aussi une véritable Abrogation de ce qui se faisait jusqu'alors, il demeure différent du Naskh de type 1.

--- En le Naskh 1, la règle elle-même a été complètement changée (dans un premier temps, la révélation a stipulé l'obligation de tester en faveur de ses ayant-droits ; ensuite, sur la base d'une révélation postérieure, cela a été interdit pour cause de fixation des parts de chacun d'eux).

--- Alors qu'ici, dans un premier temps, il n'y eut pas d'interdiction (complète, voire partielle) sur le sujet, et ce pour cause de pédagogie et de progressivité : cela demeura "sous silence" (maskût 'anh) ; ensuite, la révélation vint interdire (partiellement, ou complètement) cela. Ce fut là un cas de cette abrogation de type 2.

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Au sujet de prendre une Qibla pendant la prière rituelle
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--- Au début de l'islam, il n'y avait pas obligation de se tourner vers une Qibla : chacun prenait la direction qu'il voulait pour se prosterner devant Dieu (sauf qu'il ne fallait bien sûr pas se prosterner devant une statue ou chose semblable). Bien sûr, quand ils se trouvaient devant la Kaaba, les musulmans se tournaient naturellement vers elle, mais cela n'était pas obligatoire. D'ailleurs, se trouvant ailleurs que devant la Kaaba, le Prophète (sur lui soit la paix) se tournait parfois vers Bayt ul-Maqdis ; et d'autres fois il priait dans la direction qu'il voulait.
--- Puis, lorsque le Prophète (sur lui soit la paix) émigra à Yathrib (Médine), il fallut prendre Bayt ul-Maqdis comme Qibla. "وقال قتادة: كان الناس يتوجهون إلى أي جهة شاؤوا، بقوله: {ولله المشرق والمغرب}. ثم أمرهم باستقبال بيت المقدس" (Zâd ul-massîr). Ce fut là soit une sunna mûhâh : ordre fut donné ainsi au Prophète et à ses Compagnons, de la part de Dieu (wah'y ghayr matlû) ; soit une sunna ijtihâdiyya : le Prophète fit alors lui-même ijtihâd, et il pensa qu'il y avait maintenant plus de Maslaha à se tourner vers Bayt ul-Maqdis ; il ordonna donc à tous ses Compagnons de suivre ce qu'il avait pensé suite à son ijtihâd (Shâh Waliyyullâh est de cet avis : ce fut une sunna ijtihâdiyya : Hujjat ullâh il-bâligha, 1/356-357 ; 1/550-551).
--- Enfin, 17 mois plus tard, et alors que le Prophète lui-même le désirait, ordre lui fut donné par Dieu de prendre la Kaaba comme Qibla.

Il y a donc eu ici 2 fois changement. Et le terme "Naskh" a été employé ici par Ibn Abbâs (Tafsîr ut-Tabarî, n° 1824), par Qatâda (n° 1826-1827), Ik'rima (n° 2152), al-Hassan (n° 2152), as-Suddî (n° 2198)...

Cependant :
--- le fait de devoir, arrivés à Médine, prendre Bayt ul-Maqdis comme Qibla, cela constitua un Naskh au sens 2, puisque (selon l'avis auquel j'adhère), entre la révélation de cette règle et le début de l'islam, rien n'avait été spécifié, et, à cause de ce silence, chacun demeurait sur le choix de prendre la direction qu'il voulait (à cause de al-barâ'a al-asliyya) ;
--- par contre, 17 mois après l'arrivée à Médine, l'ordre de délaisser Bayt ul-Maqdis et de prendre désormais la Kaaba comme Qibla, cela constitua pour sa part un Naskh au sens 1 (Nassakha-l-Qur'ânu mâ thabata bi-s-Sunna : At-Tawdhîh, 2/84-85) : ce qui avait auparavant été fixé par la Sunna (Bayt ul-Maqdis) fut remplacé par quelque chose de différent (al-Ka'ba), fixé par le Coran.

Lire mon article traitant de la question de la Qibla.

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Au sujet de la consommation d'alcool
, quatre versets ont été révélés :

--- i) "وَمِن ثَمَرَاتِ النَّخِيلِ وَالأَعْنَابِ تَتَّخِذُونَ مِنْهُ سَكَرًا وَرِزْقًا حَسَنًا" (Coran 16/67) ;
--- ii) "يَسْأَلُونَكَ عَنِ الْخَمْرِ وَالْمَيْسِرِ قُلْ فِيهِمَا إِثْمٌ كَبِيرٌ وَمَنَافِعُ لِلنَّاسِ وَإِثْمُهُمَآ أَكْبَرُ مِن نَّفْعِهِمَا" (Coran 2/219) ;
------ i & ii) ces deux premiers se sont contentés de faire comprendre de façon allusive que l'alcool n'était pas une bonne chose :
--- iii) puis, un troisième verset est venu interdire l'ivresse à proximité des horaires des prières rituelles : "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُواْ لاَ تَقْرَبُواْ الصَّلاَةَ وَأَنتُمْ سُكَارَى حَتَّىَ تَعْلَمُواْ مَا تَقُولُونَ" (Coran 4/43) ;
--- iv) enfin, le quatrième verset a complètement interdit la consommation d'alcool, et ce à tout moment : "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُواْ إِنَّمَا الْخَمْرُ وَالْمَيْسِرُ وَالأَنصَابُ وَالأَزْلاَمُ رِجْسٌ مِّنْ عَمَلِ الشَّيْطَانِ فَاجْتَنِبُوهُ لَعَلَّكُمْ تُفْلِحُونَ إِنَّمَا يُرِيدُ الشَّيْطَانُ أَن يُوقِعَ بَيْنَكُمُ الْعَدَاوَةَ وَالْبَغْضَاء فِي الْخَمْرِ وَالْمَيْسِرِ وَيَصُدَّكُمْ عَن ذِكْرِ اللّهِ وَعَنِ الصَّلاَةِ فَهَلْ أَنتُم مُّنتَهُونَ" (Coran 5/90-91).

Ibn Abbâs a employé le terme Naskh ici aussi : "عن ابن عباس: قال: "{يا أيها الذين آمنوا لا تقربوا الصلاة وأنتم سكارى} و{يسألونك عن الخمر والميسر قل فيهما إثم كبير ومنافع للناس}: نسختهما التي في المائدة {إنما الخمر والميسر والأنصاب} الآية" : "Le verset qui se trouve dans (sourate) al-Mâ'ïda (...) [Coran 5/90] a fait Naskh des deux [versets coraniques 2/219 et 4/43]" (Abû Dâoûd, 3672).
D'autres commentateurs encore ont employé ce terme "Naskh" s'agissant cette fois de Coran 16/67 : "وقال هؤلاء المفسرون: وهذه الآية نزلت إذ كانت الخمرة مباحة، ثم نسخ ذلك بقوله: {فاجتنبوه}؛ وممن ذكر أنها منسوخة: سعيد بن جبير ومجاهد والشعبي والنخعي" (Zâd ul-massîr).

Ici encore, la consommation d'alcool n'avait pas été déclarée "licite" par le Coran (étapes i et ii) pour être ensuite déclarée "illicite" (étape iv). Aux étapes i et ii, sa consommation était alors seulement demeurée "sous silence" (maskût 'anh), ce qui lui faisait bénéficier (comme toute action relevant du domaine des affaires temporelles, al-'âdât), de la règle originelle de l'autorisation (al-jawâz ul-aslî). C'est seulement à l'étape iii que, pour la première fois, une interdiction a été formulée au sujet de l'alcool : elle n'a alors cependant touché que la consommation d'alcool "à proximité des horaires des prières rituelles", sans dire non plus que sa consommation lors d'autres horaires serait alors "autorisée" : cela est seulement resté "sous silence". Enfin, une nouvelle révélation est venue (à l'étape iv) en interdire toute consommation.

Peut-on dire que l'étape ii a été "abrogée" par l'étape iii ?

L'autorisation (due au silence de la révélation) d'être ivre à n'importe quel moment (autorisation encore présente à l'étape ii) a en effet été abrogée par l'étape iii : il s'agit d'un Naskh de type 2.

Et peut-on dire que l'étape iii a été "abrogée" par l'étape iv ?

Oui, car la restriction partielle de l'étape iii (interdiction de l'ivresse seulement, et uniquement à certains moments de la journée) impliquait elle aussi l'autorisation - à cause du silence de la révélation - de tout le reste (c'est-à-dire d'être ivre à d'autres moments de la journée, ainsi que de consommer une quantité d'alcool insuffisante pour enivrer) ; cette autorisation de ces actions fut donc elle aussi abrogée par l'étape iv : il s'agit donc bien, ici encore, d'un Naskh de type 2.

Plus de détails concernant ce point à la fin de mon article : Le concept de l'abrogation d'une norme (naskh ul-hukm).

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Sens 3) "Naskh" = "Nas'" : "Remplacement d'une règle en vigueur par une nouvelle règle, mais avec Renvoi de l'applicabilité de la règle précédente au contexte dans lequel elle avait été instituée" (النسخ بمعنى نسء الحكم، وهو تشريع حكم جديد لحال جديد، مع تأخير الحكم المنزل قبل بالحال السائد وقت مشروعيته ) :

Ce Nas' (3) a quelque chose en commun avec le Naskh du type 2 : c'est que lui aussi comporte la révélation d'une règle nouvelle, qui relève d'une progressivité dans la législation (comme c'était le cas pour le Naskh du type 2).
Seulement, à la différence de ce Naskh du type 2, chez ce type 3, l'application de la règle antérieure est "
avec possibilité de retour à la pratique de la règle antérieure".

--- Quand ils étaient à la Mecque, de même que lors de la première période ayant suivi l'émigration du Prophète à Médine, les musulmans n'avaient pas le droit de prendre les armes, même face à leurs oppresseurs : Dieu le rappellera plus tard en ces termes : "N'as-tu pas vu ceux à qui ils avaient été dit : "Retenez vos mains, accomplissez la prière et donnez l'aumône"" : "أَلَمْ تَرَ إِلَى الَّذِينَ قِيلَ لَهُمْ كُفُّواْ أَيْدِيَكُمْ وَأَقِيمُواْ الصَّلاَةَ وَآتُواْ الزَّكَاةَ" (Coran 4/77).
Quelque temps après leur émigration à Médine est révélée l'autorisation du recours aux armes : "A ceux qui sont combattus, permission a été accordée [de prendre les armes], eu égard au fait qu'ils ont été (trop) lésés ; et Dieu est Capable de les aider. Ceux qui ont été expulsés de chez eux sans raison, si ce n'est qu'ils ont dit : "Notre Pourvoyeur est Dieu"…" : "أُذِنَ لِلَّذِينَ يُقَاتَلُونَ بِأَنَّهُمْ ظُلِمُوا وَإِنَّ اللَّهَ عَلَى نَصْرِهِمْ لَقَدِيرٌ الَّذِينَ أُخْرِجُوا مِن دِيَارِهِمْ بِغَيْرِ حَقٍّ إِلَّا أَن يَقُولُوا رَبُّنَا اللَّهُ" (Coran 22/39-40).
Puis il est révélé l'obligation de combattre ceux qui combattent les musulmans (Coran 2/190).
Puis est révélée l'obligation de combattre ceux qui n'adhèrent pas à l'islam (Coran 9/29 : lire l'article relatif à ce point).
Puis est révélé le passage faisant obligation aux polythéistes de quitter l'Arabie sous peine d'être emprisonnés voir exécutés (Coran 9/1-6 : lire l'article traitant de ce verset) (d'après Zâd ul-ma'âd, Ibn ul-Qayyim, tome 3 pp. 70-71).

--- Ibn Abbâs, Abu-l-'Âliya, ar-Rabî' ibn Anas, Qatâda, as-Suddî, ont employé ici le terme "naskh", disant en substance : "Les versets prescrivant le combat ont fait le naskh des versets demandant de rester pacifiques" ("قال علي بن أبي طلحة، عن ابن عباس في قوله: {فاعفوا واصفحوا حتى يأتي الله بأمره}، نَسَخَ ذلك قولُه: {فاقتلوا المشركين حيث وجدتموهم}، وقوله: {قاتلوا الذين لا يؤمنون بالله ولا باليوم الآخ} إلى قوله {وهم صاغرون}، فنسخ هذا عفوه عن المشركين. وكذا قال أبو العالية والربيع بن أنس وقتادة والسدي: إنها منسوخة بآية السيف. ويرشد إلى ذلك أيضا قوله تعالى: حتى يأتي الله بأمره" : Tafsîr Ibn Kathîr, tome 1 p. 136).

--- Mais cela ne veut pas dire que les versets demandant aux musulmans de rester pacifiques ne soient plus du tout applicables par ces dernier. Ici encore, le terme "naskh" n'est pas à appréhender en son sens 1 (l'abrogation définitive) : la règle concernant le fait de ne pas prendre les armes n'est pas abrogée par la révélation de la règle autorisant de les prendre ; ce qu'il y a c'est que, auparavant absolue – puisque constituant alors la seule règle ayant été révélée sur le sujet –, cette règle demandant de ne pas prendre les armes devient désormais restreinte au contexte dans lequel elle avait été révélée :
– quand les musulmans vivent en minorité dans une Dâr ul-kufr – comme l'était la Mecque – ;
– ou quand les musulmans, même établis en Dâr ul-islâm, sont en état de faiblesse – comme au début de la vie à Médine (exception faite de la cause B.1).
Aujourd'hui comme hier, des musulmans se trouvant de nouveau dans la même situation que les musulmans l'étaient à la Mecque ou au début à Médine mettront en pratique la règle rappelée dans le verset 4/77.

Il s'agit bien là du remplacement d'une règle par une autre, cependant, ce remplacement ne vaut que par rapport à la situation nouvelle ; en cas de retour de la situation existant auparavant, c'est la règle première qui redevient applicable.

As-Suyûtî écrit : "الثالث: ما أمر به لسبب ثم يزول السبب كالأمر حين الضعف والقلة بالصبر والصفح ثم نسخ بإيجاب القتال. وهذا في الحقيقة ليس نسخا بل هو من قسم المنسإ كما قال تعالى: {أو ننسها} فالمنسأ هو الأمر بالقتال إلى أن يقوى المسلمون وفي حال الضعف يكون الحكم وجوب الصبر على الأذى. وبهذا يضعف ما لهج به كثيرون من أن الآية في ذلك منسوخة بآية السيف. وليس كذلك بل هي من المنسإ بمعنى أن كل أمر ورد يجب امتثاله في وقت ما لعلة يقتضي ذلك الحكم ثم ينتقل بانتقال تلك العلة إلى حكم آخر. وليس بنسخ. إنما النسخ الإزالة للحكم حتى لا يجوز امتثاله" : "Cela ne relève pas de ce qui est abrogé mais de ce qui est reporté ["mansû'"]. L'ordre de combattre a été reporté jusqu'au moment où les musulmans en auraient la capacité. En état de faiblesse, la règle est l'obligation de faire preuve d'abnégation face à la persécution. Ainsi comprenons-nous que ne tient pas ce que beaucoup ont dit, à savoir que ce verset aurait été abrogé par le verset du combat. Ceci ne relève pas du registre de l'"abrogé" mais de celui du "reporté", dans le sens où chacune des règles ainsi dictées doit être pratiquée dans un contexte donné, par le moyen d'une cause ('illa) qui entraîne cette règle ; le changement de la cause entraîne que c'est l'autre règle qui sera applicable. Ceci n'est pas de l'abrogation, car cette dernière consiste en le fait de mettre fin à une règle précédente de sorte qu'il ne soit plus du tout possible de la pratiquer" (Al-Itqân, pp. 703-704).

Ibn Taymiyya a écrit en substance la même chose (cf. As-Sârim, p. 359, p. 239).

La règle de ne répondre à l'oppression (cliquez ici) que par la patience est donc restreinte à un contexte donné, celui qui est semblable à celui dans lequel les musulmans se trouvaient quand ils étaient à la Mecque ou au début de leur installation à Médine. Par contre, si une des causes entraînant le devoir de lutte armée se trouve présente (B.2, B.3, B.4 dans notre article traitant de ce point) et que les musulmans se trouvent dans un contexte semblable à celui pendant lequel, à Médine, les versets légitimant la lutte armée pour ces causes ont été révélés (3.1.2 ; 3.2dans un autre de nos articles), alors c'est le recours à cette lutte. Même alors, la règle première reste la paix, conformément au verset : "Et s'ils penchent pour la paix, penche pour elle" (Coran 8/61) : il s'agit d'un verset révélé après Badr, quand la lutte armée était déjà instituée.

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Sens 4) "Naskh" = "Takhsîs / Taqyîd" : "Modification (par un verset) de la généralité / l'inconditionnalité d'un autre verset, et ce par le fait que l'un de ces deux versets fait l'exception d'un cas précis par rapport à la règle générale présente dans l'autre verset / induit une condition par rapport à la règle inconditionnelle présente dans l'autre verset" (النسخ بمعنى تخصيص / تقييد الآيةِ الحكمَ الموجودَ في آية أخرى، وذلك باستثناء صورة مُعيَّنة من شمول ذلك الحكم / بإيراد قيد لما أطلقته الآية الأخرى) :

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--- 4.1) Un exemple de Taqyîd, Nuancement :

Le passage Coran 4/23-24 énumère les femmes avec lesquelles le mariage n'est pas licite : "حُرِّمَتْ عَلَيْكُمْ أُمَّهَاتُكُمْ وَبَنَاتُكُمْ وَأَخَوَاتُكُمْ وَعَمَّاتُكُمْ وَخَالاَتُكُمْ وَبَنَاتُ الأَخِ وَبَنَاتُ الأُخْتِ وَأُمَّهَاتُكُمُ اللاَّتِي أَرْضَعْنَكُمْ وَأَخَوَاتُكُم مِّنَ الرَّضَاعَةِ وَأُمَّهَاتُ نِسَآئِكُمْ وَرَبَائِبُكُمُ اللاَّتِي فِي حُجُورِكُم مِّن نِّسَآئِكُمُ اللاَّتِي دَخَلْتُم بِهِنَّ فَإِن لَّمْ تَكُونُواْ دَخَلْتُم بِهِنَّ فَلاَ جُنَاحَ عَلَيْكُمْ وَحَلاَئِلُ أَبْنَائِكُمُ الَّذِينَ مِنْ أَصْلاَبِكُمْ وَأَن تَجْمَعُواْ بَيْنَ الأُخْتَيْنِ إَلاَّ مَا قَدْ سَلَفَ إِنَّ اللّهَ كَانَ غَفُورًا رَّحِيمًا وَالْمُحْصَنَاتُ مِنَ النِّسَاء إِلاَّ مَا مَلَكَتْ أَيْمَانُكُمْ كِتَابَ اللّهِ عَلَيْكُمْ".

Au verset 4/24, on lit ensuite : "وَأُحِلَّ لَكُم مَّا وَرَاء ذَلِكُمْ أَن تَبْتَغُواْ بِأَمْوَالِكُم مُّحْصِنِينَ غَيْرَ مُسَافِحِينَ" : "Et celles qui sont autres que cela sont licites pour vous (à marier)...". Voilà quelque chose d'inconditionnel (mutlaq) : cette phrase induit que, hors les femmes venant d'être citées, le mariage est en soi possible avec toute autre femme.

La limitation par le nombre est survenue après que, au début de l'islam, contracter des mariages était autorisé sans restriction de nombre : voilà un cas de Naskh (An-Nâssikh wa-l-Mansûkh, p. 83). Il s'agit cependant d'une Taq'yîd : pour pouvoir contracter un nouveau mariage, il faut qu'on n'ait pas déjà 4 épouses..

Par ailleurs, la règle (instituée après le Traité de al-Hudaybiya) qu'il faille que la demoiselle ou la dame avec laquelle on projette de se marier soit : musulmane, ou "personne des gens du livre", cela induisit une particularisation (Takhsîs) : "وَلاَ تَنكِحُواْ الْمُشْرِكَاتِ حَتَّى يُؤْمِنَّ" (Coran 2/221) ; "وَالْمُحْصَنَاتُ مِنَ الْمُؤْمِنَاتِ وَالْمُحْصَنَاتُ مِنَ الَّذِينَ أُوتُواْ الْكِتَابَ مِن قَبْلِكُمْ إِذَا آتَيْتُمُوهُنَّ أُجُورَهُنَّ مُحْصِنِينَ غَيْرَ مُسَافِحِينَ وَلاَ مُتَّخِذِي أَخْدَانٍ" (Coran 5/5).

Enfin, le verset 24/3 (selon l'un de ses commentaires) induit une nuance (Taqyîd) supplémentaire :
--- (d'après l'interprétation de l'école hanbalite), il faut que la demoiselle ou la dame avec laquelle on projette de se marier ne soit pas une femme ayant commis la fornication et ne s'en étant pas repentie : "الزَّانِي لَا يَنكِحُ إلَّا زَانِيَةً أَوْ مُشْرِكَةً وَالزَّانِيَةُ لَا يَنكِحُهَا إِلَّا زَانٍ أَوْ مُشْرِكٌ وَحُرِّمَ ذَلِكَ عَلَى الْمُؤْمِنِينَ" (Coran 24/3).

Sans ce verset 24/3, on n'aurait jamais su que ce cas de figure fait exception par rapport au caractère inconditionnel de la licéité induite par le verset 4/24 (et c'est ce qui fait la différence de tous les cas relevant du 4, par rapport au cas 5 : dans ce dernier cas, il s'est seulement agi de mettre en évidence ce qui pouvait être su)..

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--- 4.2) Un premier exemple de Takhsîs, Particularisation :

Un verset dit que les femmes venant de divorcer doivent observer un délai, 'idda, avant de pouvoir se remarier avec quelqu'un d'autre : 3 qar' (= 3 périodes menstruelles d'après l'une des deux interprétations) : "وَالْمُطَلَّقَاتُ يَتَرَبَّصْنَ بِأَنفُسِهِنَّ ثَلاَثَةَ قُرُوَءٍ وَلاَ يَحِلُّ لَهُنَّ أَن يَكْتُمْنَ مَا خَلَقَ اللّهُ فِي أَرْحَامِهِنَّ إِن كُنَّ يُؤْمِنَّ بِاللّهِ وَالْيَوْمِ الآخِرِ وَبُعُولَتُهُنَّ أَحَقُّ بِرَدِّهِنَّ فِي ذَلِكَ إِنْ أَرَادُواْ إِصْلاَحًا" (Coran 2/228).

Or d'autres versets du Coran ont exposé que, si ce verset 2/228 parle des femmes divorcées en général ('âmm), le hukm qu'il induit ("devoir attendre 3 périodes") ne s'applique en fait qu'à certains types de divorcées (akhass) : il s'agit de :
--- la divorcée que son désormais ex-mari avait rencontré (au sens intime du terme) ; car la divorcée que l'ex-mari n'avait pas rencontrée, elle n'a pas du tout de 'idda à observer : "يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا إِذَا نَكَحْتُمُ الْمُؤْمِنَاتِ ثُمَّ طَلَّقْتُمُوهُنَّ مِن قَبْلِ أَن تَمَسُّوهُنَّ فَمَا لَكُمْ عَلَيْهِنَّ مِنْ عِدَّةٍ تَعْتَدُّونَهَا فَمَتِّعُوهُنَّ وَسَرِّحُوهُنَّ سَرَاحًا جَمِيلًا" (Coran 33/49) ;
--- la divorcée qui n'est pas enceinte ; car la divorcée qui est enceinte, sa 'idda prend fin avec l'accouchement : "وَأُوْلَاتُ الْأَحْمَالِ أَجَلُهُنَّ أَن يَضَعْنَ حَمْلَهُنَّ" (Coran 65/4) ;
--- la divorcée qui a ses règles ; car la divorcée qui est ménopausée ou qui est atteinte d'aménorrhée primaire doit pour sa part attendre 3 mois : "وَاللَّائِي يَئِسْنَ مِنَ الْمَحِيضِ مِن نِّسَائِكُمْ إِنِ ارْتَبْتُمْ فَعِدَّتُهُنَّ ثَلَاثَةُ أَشْهُرٍ وَاللَّائِي لَمْ يَحِضْنَ" (Coran 65/4).

--- A propos du verset 33/49, Ibn ul-'Arabî relate de certains commentateurs qu'il a apporté du naskh, avant de rectifier : "Cela est de la particularisation, et pas de l'abrogation" : "هذا تخصيص، وليس بنسخ" (An-Nâssikh wa-l-mansûkh, p. 53) ; "فمثل هذا لا يقال فيه نسخ؛ ولكنه تخصيص عضده المعنى وشهدت له أصول الشريعة" (Ibid.).
--- A propos du verset 65/4 aussi, Qatâda a dit qu'il a apporté du naskh : "قال قتادة: ونسخ الله من ذلك أولات الأحمال فقال: {وأولات الأحمال أجلهن أن يضعن حملهن" (Ibid.). Or, de nouveau, on a là une particularisation, et pas une abrogation.

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--- 4.2') Un second exemple de Particularisation (Takhsîs), cette fois eu égard à l'absence de la Ratio Legis ('adamu wujûd il-'illa) : le verset postérieur est venu le dire explicitement :

----- Après le verset 24/30 s'adressant aux croyants, le verset 24/31 demande aux croyantes de couvrir de vêtements leurs attraits devant tout homme autre que leur mari et leurs proches parents : "وَقُل لِّلْمُؤْمِنَاتِ يَغْضُضْنَ مِنْ أَبْصَارِهِنَّ وَيَحْفَظْنَ فُرُوجَهُنَّ وَلَا يُبْدِينَ زِينَتَهُنَّ إِلَّا مَا ظَهَرَ مِنْهَا وَلْيَضْرِبْنَ بِخُمُرِهِنَّ عَلَى جُيُوبِهِنَّ وَلَا يُبْدِينَ زِينَتَهُنَّ إِلَّا لِبُعُولَتِهِنَّ أَوْ آبَائِهِنَّ أَوْ آبَاء بُعُولَتِهِنَّ أَوْ أَبْنَائِهِنَّ أَوْ أَبْنَاء بُعُولَتِهِنَّ أَوْ إِخْوَانِهِنَّ أَوْ بَنِي إِخْوَانِهِنَّ أَوْ بَنِي أَخَوَاتِهِنَّ أَوْ نِسَائِهِنَّ أَوْ مَا مَلَكَتْ أَيْمَانُهُنَّ أَوِ التَّابِعِينَ غَيْرِ أُوْلِي الْإِرْبَةِ مِنَ الرِّجَالِ أَوِ الطِّفْلِ الَّذِينَ لَمْ يَظْهَرُوا عَلَى عَوْرَاتِ النِّسَاء وَلَا يَضْرِبْنَ بِأَرْجُلِهِنَّ لِيُعْلَمَ مَا يُخْفِينَ مِن زِينَتِهِنَّ وَتُوبُوا إِلَى اللَّهِ جَمِيعًا أَيُّهَا الْمُؤْمِنُونَ لَعَلَّكُمْ تُفْلِحُونَ" : "Et dis aux croyantes qu'elles baissent de leur regard et qu'elles restent chastes. Et qu'elles ne montrent pas leurs attraits, sauf ce qui en paraît. Et qu'elles ramènent leur khimâr sur leur encolure et qu'elles ne montrent pas leurs attraits, sauf à leur mari, ou à leur père (...)" (Coran 24/31).

----- Mais le verset 24/60 dit ce qui suit : "وَالْقَوَاعِدُ مِنَ النِّسَاء اللَّاتِي لَا يَرْجُونَ نِكَاحًا فَلَيْسَ عَلَيْهِنَّ جُنَاحٌ أَن يَضَعْنَ ثِيَابَهُنَّ غَيْرَ مُتَبَرِّجَاتٍ بِزِينَةٍ وَأَن يَسْتَعْفِفْنَ خَيْرٌ لَّهُنَّ وَاللَّهُ سَمِيعٌ عَلِيمٌ" : il est ici question des femmes très âgées au point de ne plus être désirables, dont il est dit qu'elles ont l'autorisation de ne pas se couvrir la chevelure : "il n'y a pas de grief à ce qu'elles déposent leurs vêtements, sans faire étalage de leurs attraits ; (mais) qu'elles se préservent (de cela) est meilleur pour elles" (Coran 24/60).

----- Or Ibn Abbâs affirme ici : "la première règle [induite par Coran 24/31] a été mansûkh et en ont été exceptées : "les femmes âgées" [évoquées en Coran 24/60]" : "عن ابن عباس، {وقل للمؤمنات يغضضن من أبصارهن} الآية؛ فنُسِخَ واستُثْنِىَ من ذلك: {والقواعد من النساء اللاتي لا يرجون نكاحا} الآية" (Abû Dâoûd, n° 4111).

----- Voyez : en disant ici "nussikha", Ibn Abbâs n'a pas voulu dire que la règle du premier verset n'était plus du tout applicable – elle fait, tout au contraire, l'objet d'un consensus – ; il a seulement voulu dire que sa portée a été modifiée, parce que, auparavant générale ('umûm), Dieu en a excepté : les femmes âgées. Concernant ces dernières, il y a eu seulement Takhsîs à cause du constat de l'absence de la 'Illa (être désirable) : ce Takhsîs a pu consister, ici, en un Naskh Juz'î.

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Sens 5) "Naskh" = "Tawdhîh / Tab'yîn ul-murâd" : "Explicitation, par un nouveau verset, du sens véritable d'un verset précédemment révélé", vu que la lettre du premier verset laissait croire à un sens général, ou inconditionnel, et que certaines personnes ont exprimé une incompréhension par rapport à ce sens général ou inconditionnel (النسخ بمعنى تبيين أو توضيح مراد الآية المنزلة قبل، وذلك بصرف كلامها عن معناه الظاهر إلى معناه المراد حقيقة، وذلك بعد أن وُجِّه إشكال مِن قِبَل بعض الناس) :

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--- Un exemple :

"لِّلَّهِ ما فِي السَّمَاواتِ وَمَا فِي الأَرْضِ وَإِن تُبْدُواْ مَا فِي أَنفُسِكُمْ أَوْ تُخْفُوهُ يُحَاسِبْكُم بِهِ اللّهُ فَيَغْفِرُ لِمَن يَشَاء وَيُعَذِّبُ مَن يَشَاء وَاللّهُ عَلَى كُلِّ شَيْءٍ قَدِيرٌ" : "Que vous exprimiez ce qui se trouve dans vos fors ou que vous le cachiez, Dieu vous jugera pour cela ; puis Il pardonnera à qui Il voudra et punira qui Il voudra. Et Dieu a puissance sur toute chose" (Coran 2/284). Ce verset montre qu'il n'est pas demandé à l'homme de se parfaire au niveau des actes visibles seulement, oubliant l'intérieur du cœur, et rappelle que Dieu regarde aussi bien les actions que le contenu du cœur. Or dans le cœur il y a ce sur quoi la volonté humaine a une emprise – croyances, sincérité ou ostentation, humilité ou orgueil, amour de Dieu ou amour d'autre que Lui, etc. – mais il y a aussi ce qui échappe à la volonté – pensées fugitives, suggestions du diable, etc.
Les hommes seront jugés pour ce qui, dans leur cœur, relève de ce sur quoi leur volonté a une emprise. Par contre, les hommes ne seront pas jugés pour les pensées qui traversent leur esprit, les faibles intentions et les murmures que le diable leur glisse dans le cœur : le verset ne parlait que de ce qui relève de ce sur quoi la volonté a une emprise. Or le libellé (zâhir) du verset pouvait laisser croire le contraire : il semblait concerner tout ce qui relève du cœur.

Quand ce verset (Coran 2/284) fut révélé, des Compagnons le comprirent donc avec ce sens apparent (zâhir), et, craignant ne pas pouvoir être à la hauteur, ils se rendirent auprès du Prophète pour lui dire qu'ils étaient incapables de pratiquer le contenu de ce verset. Le Prophète (que Dieu le rapproche de Lui et le salue) leur demanda d'exprimer plutôt qu'ils acceptaient ce que Dieu a dit.

Alors Dieu révéla deux autres versets (Coran 2/285-286), dans lesquels Il explicita le sens véritable du verset précédemment révélé : Il y dit entre autres : "لاَ يُكَلِّفُ اللّهُ نَفْسًا إِلاَّ وُسْعَهَا" : "Dieu ne tient responsable une âme que ce dont elle est capable" (Coran 2/286). Les pensées fugitives (ahâdîth un-nafs) étant hors du contrôle de l'homme et celui-ci n'étant pas capable de les faire disparaître, Dieu n'en tient donc pas l'homme responsable : aussi, ce genre de pensée n'est pas inclus dans ce dont parle le premier verset.
On voit qu'il y a eu ici, par le moyen du second passage, explicitation de ce que le premier verset voulait vraiment désigner en disant : "ce qu'il y a dans vos fors".

Cependant, Abû Hurayra, relatant ce récit, a employé les termes suivants : "فلما اقترأها القوم، ذلت بها ألسنتهم، فأنزل الله في إثرها: {آمن الرسول بما أنزل إليه من ربه والمؤمنون كل آمن بالله وملائكته وكتبه ورسله لا نفرق بين أحد من رسله وقالوا سمعنا وأطعنا غفرانك ربنا وإليك المصير}. فلما فعلوا ذلك، نسخها الله تعالى فأنزل الله عز وجل: {لا يكلف الله نفسا إلا وسعها لها ما كسبت وعليها ما اكتسبت ربنا لا تؤاخذنا إن نسينا أو أخطأنا}" : "Lorsque les Compagnons eurent fait cela, Dieu fit le naskh du verset et révéla : "Dieu ne tient responsable une âme que ce dont elle est capable"" (Muslim, n° 125).
Ibn Omar a lui aussi employé le terme "naskh" : "عن مروان الأصفر، عن رجل من أصحاب رسول الله صلى الله عليه وسلم، قال: أحسبه ابن عمر: {إن تبدوا ما في أنفسكم أو تخفوه} قال: نسختها الآية التي بعدها" (al-Bukhârî, n° 4272).

Or ce terme "naskh" ne désigne pas, ici, une abrogation – puisqu'il n'y en a eu aucune, comme c'était le cas en 1 et en 2 –; il ne s'agit que d'une explicitation du sens véritable du premier verset, et ce à cause de l'inquiétude exprimée par ces Compagnons ayant appréhendé le premier verset dans son sens littéral.
Après avoir exposé qu'il n'y a pas eu d'abrogation, Cheikh Ashraf 'Alî Thânwî a conclu ainsi : "Dieu a, dans le second verset, explicité le sens du verset révélé précédemment ; c'est ce qui a été nommé dans certains récits un "naskh" : en fait, chez les Prédécesseurs ("Salaf") l'explicitation ("tawdhîh") aussi était appelée : "naskh"" (Bayân ul-qur'ân, tome 1 pp. 173-174).

(
Ibn Hajar parle quant à lui de "takhsîs" : "ويحتمل أن يكون المراد بالنسخ في الحديث: التخصيص؛ فإن المتقدمين يطلقون لفظ النسخ عليه كثيرا؛ والمراد بالمحاسبة بما يخفي الإنسان ما يصمم عليه ويشرع فيه دون ما يخطر له ولا يستمر عليه. والله أعلم" (FB 8/260). De même que Shâh Waliyyullâh : "وقوله تعالى  {وَإِنْ تُبْدُوا مَا فِي أَنْفُسِكُمْ أَوْ تُخْفُوهُ يُحَاسِبْكُمْ بِهِ اللَّهُ} منسوخة بقوله: {لَا يُكَلِّفُ اللَّهُ نَفْسًا إِلَّا وُسْعَهَا}. قلت: هو من باب تخصيص العام، بينت الآية المتأخرة أن المراد ما في أنفسكم من الإخلاص والنفاق، لا من أحاديث النفس التي لا اختيار فيها، فإن التكليف لا يكون إلا فيما هو في وسع الإنسان" (Al-Fawz ul-kabir, p. 56). Selon leur avis, ce cas serait alors à classer dans le sens 4 du terme "Naskh", plus haut.)

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--- Un second exemple :

Ce passage : "إِنَّكُمْ وَمَا تَعْبُدُونَ مِن دُونِ اللَّهِ حَصَبُ جَهَنَّمَ أَنتُمْ لَهَا وَارِدُونَ لَوْ كَانَ هَؤُلَاء آلِهَةً مَّا وَرَدُوهَا وَكُلٌّ فِيهَا خَالِدُونَ لَهُمْ فِيهَا زَفِيرٌ وَهُمْ فِيهَا لَا يَسْمَعُونَ" : "Vous et ce que vous adorez en dehors de Dieu serez le combustible de la Géhenne ; vous vous y rendrez. Si ceux-ci étaient des dieux, ils ne s'y seraient pas rendus ! Et tous y seront perpétuellement. Là, ils pousseront un cri, et là ils n'entendront pas" (Coran 21/98-100), ce passage évoque seulement les idoles que les Polythéistes de La Mecque adoraient : il s'adresse explicitement à eux par un "vous", et leur dit : "ce que vous adorez". Jésus n'était donc pas inclus dans le thème de ce verset qui s'adressait aux Mushrikûn mecquois, lesquels, n'étant pas chrétiens, ne rendaient pas de culte à Jésus.

Cependant, s'appuyant sur la lettre de ce verset 21/98, Ibn uz-Ziba'râ objecta le cas des Anges (auxquels lui-même rendait du culte), de Jésus (auquel des chrétiens rendent le culte) : "Maintenant, dit-il en substance, Muhammad se met à dire que nos dieux seront dans la Géhenne avec nous, parce que le culte leur a été rendu. Donc les Anges et Jésus aussi seront dans la Géhenne, eux dont Muhammad dit pourtant qu'ils sont honorés par Dieu" : "فقال عبد الله بن الزبعري: "أما والله لو وجدته لخصمته. فسلوا محمدا: "أكلّ من عبد من دون الله في جهنم مع من عبده؟ فنحن نعبد الملائكة، واليهود تعبد عُزَيرا، والنصارى تعبد المسيح عيسى ابن مريم"" (Tafsîr ut-Tabarî).

Alors Dieu révéla les 3 versets (21/101-103) : "إِنَّ الَّذِينَ سَبَقَتْ لَهُم مِّنَّا الْحُسْنَى أُوْلَئِكَ عَنْهَا مُبْعَدُونَ لَا يَسْمَعُونَ حَسِيسَهَا وَهُمْ فِي مَا اشْتَهَتْ أَنفُسُهُمْ خَالِدُونَ لَا يَحْزُنُهُمُ الْفَزَعُ الْأَكْبَرُ وَتَتَلَقَّاهُمُ الْمَلَائِكَةُ هَذَا يَوْمُكُمُ الَّذِي كُنتُمْ تُوعَدُونَ" : "Ceux en faveur de qui la meilleure chose a déjà été décidée de Notre part, eux en seront éloignés. Ils n'entendront même pas son bruit" (Coran 21/101-103).
Ce passage fait valoir que l'analogie peut - et doit - certes avoir lieu vis-à-vis d'autres divinités que celles auxquelles les Polythéistes Mecquois rendaient le culte, mais seulement vis-à-vis de divinités étant comparables aux leurs ; et pas vis-à-vis d'êtres tels que Jésus et les Anges : si ces derniers ont certes été divinisés et adorés par des humains, leur cas est différent : ce sont pour leur part des êtres "en faveur de qui la meilleure chose a déjà été décidée de" la part de Dieu ; eux n'ont jamais été d'accord pour que le culte leur soit rendu, contrairement aux êtres - les djinns - à qui vous Mecquois rendez le culte : "نعم، كل من أحب أن يعبد من دون الله، فهو مع من عبد: إنما يعبدون الشياطين ومن أمرهم بعبادته" (Tafsîr ut-Tabarî).

On voit qu'il y a eu ici, par le moyen du second passage, explicitation de ce que le premier verset voulait vraiment désigner en évoquant : "ce que vous adorez en dehors de Dieu".

Cependant, Ibn Abbâs a employé ici le terme "naskh" : "وأخرج البزار عن ابن عباس رضي الله عنهما قال: "نزلت هذه الآية {إنكم وما تعبدون من دون الله حصب جهنم أنتم لها واردون}، ثم نسختها {إن الذين سبقت لهم منا الحسنى أولئك عنها مبعدون يعني عيسى ومن كان معه" (Ad-Durr ul-manthûr). Or ce terme "naskh" ne désigne pas, ici, une abrogation – puisqu'il n'y en a eu aucune, d'autant plus qu'il n'y avait ici qu'un information (khabar), et pas injonction (talab). Il n'y a eu ici qu'explicitation du sens véritable du premier verset, et ce à cause de l'objection faite par Ibn uz-Ziba'râ. (Il est à noter que, plus tard, ce dernier embrassa l'islam et regretta ce qu'il avait dit et fait.)

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--- Un cas différent mais voisin : le terme "naskh" n'a été employé que pour exprimer le devoir de comprendre le verset inconditionnel à la lumière du verset comportant la condition, lequel verset a pourtant été révélé avant lui (ورد التقييد بخطاب جاء قبل الخطاب الذي يفيد ظاهره الإطلاق) :

----- Le passage 9/34-35 dit : "وَالَّذِينَ يَكْنِزُونَ الذَّهَبَ وَالْفِضَّةَ وَلاَ يُنفِقُونَهَا فِي سَبِيلِ اللّهِ فَبَشِّرْهُم بِعَذَابٍ أَلِيمٍ يَوْمَ يُحْمَى عَلَيْهَا فِي نَارِ جَهَنَّمَ فَتُكْوَى بِهَا جِبَاهُهُمْ وَجُنوبُهُمْ وَظُهُورُهُمْ هَذَا مَا كَنَزْتُمْ لأَنفُسِكُمْ فَذُوقُواْ مَا كُنتُمْ تَكْنِزُونَ" : "Et ceux qui amassent l'or et l'argent et ne le dépensent pas dans le chemin de Dieu, donne-leur la bonne nouvelle d'un châtiment douloureux. (...)" (Coran 9/34-35). Ce verset semble montrer qu'il est interdit d'amasser de l'or ou de l'argent, et que tout ce qui est en plus de ses besoins doit être dépensé dans le chemin de Dieu.
----- Or de nombreux versets rendent la zakât obligatoire : il s'agit d'une aumône nécessaire : certains de ces versets ont été révélés dans la période mecquoise.
----- Ibn Omar (que Dieu l'agrée) a dit ici que le passage 9/34-35 "était avant que la zakât soit révélée ; car lorsqu'elle fut révélée, Dieu la rendit purificatrice pour les biens" : "عن خالد بن أسلم، قال: خرجنا مع عبد الله بن عمر رضي الله عنهما، فقال أعرابي: أخبرني عن قول الله: {والذين يكنزون الذهب والفضة ولا ينفقونها في سبيل الله}. قال ابن عمر رضي الله عنهما: "من كنزها، فلم يؤد زكاتها، فويل له. إنما كان هذا قبل أن تنزل الزكاة؛ فلما أنزلت جعلها الله طهرا للأموال" (al-Bukhârî, 1339). Omar ibn 'Abd il-'Azîz et 'Irâk ibn Mâlik ont dit : "(Le verset induisant le paiement de la zakât) a fait le naskh (du passage 9/34-35)" : "عن عمر بن راشد، أو غيره، أن عمر بن عبد العزيز وعراك بن مالك قالا في هذه الآية: "{والذين يكنزون الذهب والفضة}: نسختها الآية الأخرى: {خذ من أموالهم صدقة" (Nawâssikh ul-qur'ân, Ibn ul-Jawzî).
----- Or, comme Shâh Waliyyullâh l'a exposé, les versets induisant l'obligation de s'acquitter de la zakât ont été révélés à La Mecque, donc avant ce verset 9/34-35, qui est médinois. Il est donc impossible que ces versets révélés antérieurement aient abrogé - fût-ce partiellement - le hukm induit par un verset leur étant postérieur ! Ce n'est, dit-il, qu'une façon d'exprimer le fait que l'inconditionnalité d'un hukm extrait d'un verset donné (ici : "être châtié pour avoir amassé de l'or et de l'argent sans le dépenser dans le chemin de Dieu") doit impérativement être comprise à la lumière de la condition qu'un autre verset induit ("c'est une partie seulement de ses biens qu'il est obligatoire de dépenser dans le chemin de Dieu"), ce verset eût-il été révélé avant : "وأحيانا يذكر الصحابة (رضي الله عنهم) التقديم والتأخير في بعض الآيات، ومرادهم بذلك هو التقدم والتأخير الرتبي. كما قال ابن عمر (رضي الله عنه) في قوله تعالى: {وَالَّذِينَ يَكْنِزُونَ الذَّهَبَ وَالْفِضَّةَ} إلخ الآية: "هذا قبل أن تنزل الزكاة، فلما أنزلت جعلها الله تعالى طهراً للأموال". فمن المعلوم أن سورة البراءة آخر سورة نزلت، وجاءت هذه الآية في تضاعيف القصص المتأخرة؛ وقد كانت فرضية الزكاة قبلها بأعوام. فمراد ابن عمر (رضي الله عنهما) هو تقدم الإجمال رتبة - لا نزولا - على التفصيل الذي هو متأخر رتبة - وإن كان متقدما نزولا" (Al-Fawz ul-kabîr, p. 64).
Le terme "naskh" a ici ce sens 5 ; il signifie qu'il y a dans l'autre verset l'exposé du sens véritable, lequel n'avait pas été complètement compris : "devoir dépenser ses biens dans le chemin de Dieu et ne pas les amasser" évoqué en 9/34 doit être compris comme signifiant : "devoir s'acquitter de la zakât".

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--- Quelques cas où il y a deux possibilités :

--- Un cas où il peut y avoir eu une Abrogation véritable ayant touché certains individus (Naskh Juz'î), car, auparavant, ceux-ci aussi étaient concernés par le hukm ; comme il peut y avoir eu un simple Exposé (Bayân) du fait que, dès le départ, dans le verset premier, certains individus n'étaient pas concernés par le hukm :

----- Le verset 2/221 interdit le mariage entre un musulman et une polythéiste : "وَلاَ تَنكِحُواْ الْمُشْرِكَاتِ حَتَّى يُؤْمِنَّ وَلأَمَةٌ مُّؤْمِنَةٌ خَيْرٌ مِّن مُّشْرِكَةٍ وَلَوْ أَعْجَبَتْكُمْ وَلاَ تُنكِحُواْ الْمُشِرِكِينَ حَتَّى يُؤْمِنُواْ وَلَعَبْدٌ مُّؤْمِنٌ خَيْرٌ مِّن مُّشْرِكٍ وَلَوْ أَعْجَبَكُمْ" (Coran 2/221).

----- Mais le verset 5/5 dit que le mariage d'un musulman avec une juive ou une chrétienne est possible : "الْيَوْمَ أُحِلَّ لَكُمُ الطَّيِّبَاتُ وَطَعَامُ الَّذِينَ أُوتُواْ الْكِتَابَ حِلٌّ لَّكُمْ وَطَعَامُكُمْ حِلُّ لَّهُمْ وَالْمُحْصَنَاتُ مِنَ الْمُؤْمِنَاتِ وَالْمُحْصَنَاتُ مِنَ الَّذِينَ أُوتُواْ الْكِتَابَ مِن قَبْلِكُمْ إِذَا آتَيْتُمُوهُنَّ أُجُورَهُنَّ مُحْصِنِينَ غَيْرَ مُسَافِحِينَ وَلاَ مُتَّخِذِي أَخْدَانٍ وَمَن يَكْفُرْ بِالإِيمَانِ فَقَدْ حَبِطَ عَمَلُهُ وَهُوَ فِي الآخِرَةِ مِنَ الْخَاسِرِينَ" : "(...) Et [il vous a été rendu licite de vous marier avec] les femmes chastes parmi ceux qui ont reçu l'Ecriture avant vous (...)" (Coran 5/5).

----- Des commentateurs ont déclaré : "ومنه قوله {ولا تنكحوا المشركات حتى يؤمن}: قيل: إنه نُسِخ بقوله: {والمحصنات من الذين أوتوا الكتاب" : "La règle de ce verset [2/221] a été mansûkh par le verset disant : "Et [il vous a été rendu licite de vous marier avec] les femmes chastes parmi ceux qui ont reçu l'Ecriture avant vous" [Coran 5/5]" (cité par as-Suyûtî dans Al-Itqân, p. 707).

----- Voyez ici encore : "nussikha" ne veut ici pas dire : "a été complètement abrogé" (car l'interdiction du mariage entre musulmans et polythéistes fait l'objet d'un consensus) ; le terme a été seulement employé conformément à l'usage qu'en faisaient les ulémas des premiers temps, et ne désigne qu'une simple modification dans la portée de la règle précédemment révélée, par l'introduction d'une exception par rapport à la règle générale (takhsîs 'umûm il-hukm bi-stithnâ'i swuratin min an-swuwar) ; as-Suyûtî écrit donc, juste après : "إنما هو مخصوص به" (Ibid.).

Cependant, ici il y a 3 possibilités :
--------- il est possible que ce soit le verset 2/221 qui a été révélé avant le verset 5/51, et il est alors possible que, par analogie, le 2/221 induisait qu'il était alors interdit au musulman de se marier avec n'importe quelle non-musulmane ; puis que, plus tard, le verset 5/5 est venu opérer un véritable naskh juz'î, par rapport à la dame juive et de la dame chrétienne : il est alors devenu licite pour un musulman de se marier avec elles ;
--------- il est également possible que ce soit le verset 2/221 qui a été révélé avant le verset 5/51, mais que ce verset 2/221 n'ait jamais voulu signifier que, par analogie, le mariage avec une chrétienne ou une juive aurait été interdit ; plus tard, le verset 5/5 est venu simplement exposer que la dame juive et de la dame chrétienne n'étaient pas concernées (même par analogie) par le verset 2/221 ;
--------- cependant, il est aussi possible que ce soit le verset 5/5 qui ait été révélé avant le verset 2/221 : dans ce cas, le propos sus-cité ("ومنه قوله {ولا تنكحوا المشركات حتى يؤمن}: قيل: إنه نُسِخ بقوله: {والمحصنات من الذين أوتوا الكتاب" : "La règle de ce verset [2/221] a été mansûkh par le verset [5/5]") signifie seulement que, par rapport à la généralité induite par analogie à partir du verset 2/221, l'exception de la dame juive et de la dame chrétienne (induite par le verset 5/5 et consistant en l'autorisation) demeure, et elles n'ont jamais été concernées par l'interdiction.

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--- Un cas à étudier encore :

Suite à la prière funéraire accomplie par Son Messager sur le chef des Hypocrites Abdullâh ibn Ubayy Ibn Salûl, Dieu est intervenu (par Coran 9/84 : "وَلاَ تُصَلِّ عَلَى أَحَدٍ مِّنْهُم مَّاتَ أَبَدًا وَلاَ تَقُمْ عَلَىَ قَبْرِهِ إِنَّهُمْ كَفَرُواْ بِاللّهِ وَرَسُولِهِ وَمَاتُواْ وَهُمْ فَاسِقُونَ") pour interdire l'accomplissement de la prière funéraire du Prophète sur pareille personne...

Soit ce verset 9/84 est venu instituer une règle nouvelle par rapport à l'autorisation, jusqu'à présent en vigueur à cause du silence de la révélation sur le sujet (Naskh de sens 2).

Soit le verset 9/84 est venu rendre explicite (Tab'yîn ul-murâd, sens 5) que le verset 9/80 ("اسْتَغْفِرْ لَهُمْ أَوْ لاَ تَسْتَغْفِرْ لَهُمْ إِن تَسْتَغْفِرْ لَهُمْ سَبْعِينَ مَرَّةً فَلَن يَغْفِرَ اللّهُ لَهُمْ ذَلِكَ بِأَنَّهُمْ كَفَرُواْ بِاللّهِ وَرَسُولِهِ وَاللّهُ لاَ يَهْدِي الْقَوْمَ الْفَاسِقِينَ") n'induisait en fait pas un choix mais constituait, comme Omar ibn ul-Khattâb l'avait compris, une subtile allusion au fait que le Messager ne devait pas demander à Dieu pardon pour un Munâfiq bi nifâq akbar. Cependant, vu que ce verset 9/80 ne le disait pas explicitement et se prêtait à interprétation, le Messager (que Dieu l'élève et le salue) fit son ijtihâd de ce verset 9/80 : selon lui, ce verset induisait un choix. Ce fut là une khata' ijtihâdî, et le verset 9/84 vint rendre explicite (tab'yîn) le sens véritable du verset 9/80, lequel était allusif. Ici s'applique alors ce que al-Baydhâwî a écrit en commentaire de Coran 8/67 : "والآية دليل على أن الأنبياء عليهم الصلاة والسلام يجتهدون، وأنه قد يكون خطأ ولكن لا يقرون عليه. (...) {لَوْلا كِتابٌ مِنَ اللَّهِ سَبَقَ} لولا حكم من الله سبق إثباته في اللوح المحفوظ، وهو أن لا يعاقب المخطئ في اجتهاده أو أن لا يعذب أهل بدر أو قوماً بما لم يصرح لهم بالنهي عنه، أو أن الفدية التي أخذوها ستحل لهم، {لَمَسَّكُمْ} لنالكم {فِيما أَخَذْتُمْ} من الفداء {عَذابٌ عَظِيمٌ" (Tafsîr ul-Baydhâwî).

Par ailleurs, si on retient l'avis disant que l'interdiction d'accomplir la prière funéraire sur un Hypocrite s'applique à tout musulman (et n'est pas spécifique à la personne du Prophète), alors ce verset du Coran est également venu faire l'abrogation véritable (Naskh de type 1) de l'action du Messager, car, s'il n'était pas descendu, cette action (fi'l) du Messager aurait constitué une preuve établissant l'autorisation de l'accomplissement de la prière funéraire sur ce genre de personnes.

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Conclusion :

On voit que le terme "naskh" employé dans les commentaires du Coran ne signifie pas toujours "abrogation".

Le terme "naskh" ayant été employé par certains ulémas au sujet des versets de la paix signifie seulement que la portée de ces versets a été modifiée par les versets du combat : alors qu'auparavant l'abnégation était la seule possibilité face aux abus et aux injustices, il y a eu ensuite la possibilité, puis l'obligation de résister face aux agresseurs (avec les types B.2, B.3, B.4 et B.5 cités dans l'article "La paix est ce que nous souhaitons"). Quant aux versets 9/4,5,6, ils concernent un cas spécifique, le B.6 : il s'agit de l'Arabie, comme nous l'avons vu dans l'article "Les versets demandant de tuer les polythéistes : couper un texte de son contexte ?".

Dans tous les cas, contraindre les non-musulmans à se convertir à l'islam est proscrit : "Pas de contrainte dans la religion" (Coran 2/256).

Et contrairement à ce que prétendent certains, ce verset n'est pas abrogé.
-- La sourate 2, où il figure, est la plus connue des sourates de la période de Médine, et le Prophète avait alors déjà le pouvoir ; et puis, dans cette sourate même, aux versets 190-195, puis aux versets 216-217, il est explicitement fait mention de combat.
-- Par ailleurs, at-Tabarî a rapporté de Ibn Abbâs un propos qui montre que ce verset 2/256 a été révélé en l'an 8 ou 9 de l'hégire, soit après la révélation de la plupart ou de la totalité des versets mentionnant le combat (Tafsîr ut-Tabarî, commentaire de ce verset, relation n° 5810). Ibn Âshûr a écrit la même chose (At-Tahrîr wa-t-tanwîr, commentaire de ce verset).

Wallâhu A'lam
(Dieu sait mieux).

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