Un musulman peut-il inviter un non-musulman à entrer dans une mosquée ? et si celui-ci est en état d'impureté rituelle majeure (hadath akbar) ?

Nous ne parlerons pas ici du cas de la grande Mosquée de la Mecque (al-masjid ul-harâm), ni de celles de al-Haram autour de la ville sainte.

Nous parlerons seulement des autres mosquées (massâjid ul-Hill) : un non-musulman peut-il entrer dans une mosquée de Syrie, d'Egypte, ou de France, par exemple ?

D'après l'école malikite, la règle normale en la matière est que cela est interdit ; seul un cas de nécessité fait que les musulmans laisseront un non-musulman y entrer ; des juristes malikites citent comme exemple le fait qu'il y ait besoin des services d'un artisan pour un travail à effectuer à l'intérieur de la mosquée et que seul ce non-musulman soit capable de le faire, ou que le musulman qui est lui aussi capable de le faire vend ce service plus cher (Al-Fiqh ul-mâlikî wa adillatuh, 1/116).

D'après Ibn ul-Mundhir ('Umdat ul-qârî 4/351), l'école hanafite (Radd ul-muhtâr 9/555), l'avis "le plus correct" ("assah") de l'école shafi'ite (Al-Fiqh ul-islâmi wa adillatuh, p. 547) et l'avis "retenu" ("as-sahîh min al-madh'hab") au sein de l'école hanbalite (Al-Mughnî 12/821-822), la règle normale est que cela est autorisé (il faut impérativement que ce non-musulman ait obtenu l'autorisation préalable des musulmans [responsables de la mosquée]).

Comprendre le pourquoi de cette divergence d'avis demande qu'on aborde la question de savoir si le non-musulman a le devoir ou pas, et s'il est apte ou pas, à se purifier de l'état de grande impureté rituelle, ce que nous aborderons au point II.

(L'état d'impureté rituelle majeure – ou "état de grande impureté rituelle" – est provoqué par le fait d'avoir eu des relations intimes, le fait d'avoir émis du sperme – que ce soit en état de veille ou pendant le sommeil –, et le fait pour une femme d'avoir été en règles ou en lochies.)

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I) Deux types de hadîths au sujet de l'entrée dans la mosquée :

1) D'un côté il y a le hadîth où on lit que le Prophète (sur lui soit la paix) a dit : "Détournez la façade de ces maisons [= les murs où se trouve la porte d'entrée et de sortie de ces maisons] [du mur d'entrée] de la mosquée. Car je ne déclare pas licite la mosquée pour une femme en état de règles, ni pour une personne se trouvant en état d'impureté majeure" (Abû Dâoûd, 232).

2) D'un autre côté il y a le fait que c'est dans sa mosquée à Médine que le Prophète a fait garder Thumamâ ibn Uthâl – qui était prisonnier, après avoir été intercepté par un détachement – (al-Bukhârî 450, Muslim 1764) ; de même, il a reçu la délégation chrétienne de Najrân dans sa mosquée.

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II) Le non-musulman est, comme le musulman, sujet à l'état d'impureté rituelle majeure (hadath akbar). Mais le non-musulman est-il apte à s'en purifier tout en demeurant non-musulman ?

a) D'après l'un des deux avis hanafites, bien que le non-musulman soit sujet à cet état rituel, la règle de devoir se purifier rituellement (tarâha hukmiyya) ne lui est tout simplement pas applicable puisque non-musulman. Cependant, cet avis n'a pas été retenu ("marjûh") par les ulémas hanafites.

b) D'après l'autre avis hanafite (avis qui a été qualifié de "plus pertinent" au sein de cette école), si, après avoir été en état d'impureté rituelle majeure, le non-musulman prend un bain conforme aux règles islamiques, ce bain le purifie et, tout en étant non-musulman, il est maintenant en état de pureté rituelle ; s'il ne le fait pas, il reste en état d'impureté rituelle majeure – ce qui entraîne que lui non plus ne peut alors pas toucher une copie du Coran, comme nous allons le voir – (Al-Bahr ur-râ'ïq 1/120).

c) D'après l'école shafi'ite et l'école hanbalite, le non-musulman est sujet à cet état d'impureté rituelle majeure ; mais, n'étant pas apte à pratiquer les actes cultuels islamiques, même s'il prend un bain conforme aux règles islamiques pour se purifier de l'état d'impureté rituelle majeure, ce bain n'a aucune valeur. S'il se convertit à l'islam et avait connu l'état d'impureté majeure auparavant, une fois converti il devra de nouveau prendre un bain pour se purifier (cf. Al-Mughnî 1/281-283).

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III) Pour en revenir à la question d'entrer dans une mosquée :

– D'un côté on trouve l'école malikite, qui tient le raisonnement suivant : dès lors qu'il est interdit à un musulman d'entrer dans une mosquée lorsqu'il est en état d'impureté rituelle majeure, cela l'est aussi pour le non-musulman. Le hadîth avec Thumâma a été abrogé par l'interdiction, qui est venue ultérieurement.

– Du côté complètement opposé on trouve Ibn ul-Mundhir, qui raisonne ainsi : dès lors que, en vertu du hadîth avec Thumâma ibn Uthâl, il est autorisé à un non-musulman d'entrer dans une mosquée bien qu'il ne soit pas purifié de l'état d'impureté rituelle majeure, le musulman se trouvant en état d'impureté rituelle majeure peut lui aussi y entrer.
Quant au verset 9/28, cet avis fait valoir qu'il est spécifique à la mosquée de la Mecque (et à la ville et ses environs), et n'est pas applicable aux mosquées du monde entier (contrairement à ce que pense l'école malikite).
Quant au hadîth interdisant l'entrée de la mosquée (c'est-à-dire de toute mosquée) au musulman se trouvant en d'impureté rituelle majeure (référence 1), il n'est pas authentique selon cet avis.

– Entre ces deux positions se trouvent les écoles hanafite, shafi'ite et hanbalite, qui pensent d'une part qu'il est interdit au musulman d'entrer dans une mosquée quand il se trouve en état d'impureté rituelle majeure mais d'autre part que le musulman peut autoriser le non-musulman à y entrer même si ce dernier se trouve en pareil état… Ceci rejoint le principe général de "non-responsabilité des non-musulmans par rapport à certaines règles concernant les actions visibles, furû', eu égard à ce qui est applicable en ce monde" (cliquez ici, il s'agit du cas B.2.2).

--- Pour l'école hanafite, en vertu du premier des deux hadîths suscités (référence 1), il est interdit au musulman d'entrer dans la mosquée – pour y demeurer comme pour seulement y passer – s'il se trouve en état d'impureté rituelle majeure. Par contre, en vertu du second hadîth, celui avec Thumâma ibn Uthâl (référence 2), les musulmans peuvent autoriser un non-musulman à y entrer même si celui-ci est alors en état d'impureté rituelle majeure (Radd ul-muhtâr 9/555). Concernant le fait d'entrer dans la mosquée, il y a donc une exception pour le non-musulman par rapport à la règle qui s'applique au musulman.
Par ailleurs, il est interdit au musulman de toucher une copie du Coran s'il se trouve en état d'impureté rituelle mineure (et a fortiori majeure). Ici, d'après l'école hanafite, il n'y a pas d'exception pour le non-musulman : un musulman ne peut pas donner à un non-musulman à prendre ou à toucher une copie du Coran alors qu'il sait que celui-ci se trouve en état d'impureté majeure : d'après Abû Hanîfa et Abû Yûssuf, il ne doit jamais lui donner une copie à toucher ou à tenir ; d'après Muhammad ibn ul-Hassan parmi les mujtahidûn hanafites, ce non-musulman devra au préalable procéder aux ablutions rituelles (comme le fait le musulman), et alors il pourra tenir ou toucher une copie du Coran tant que son état d'ablutions demeurera (Al-Bahr ur-râ'ïq, 1/350).

--- Pour l'école shafi'ite, c'est la même chose d'après l'avis le plus pertinent (assahh) pour ce qui est de l'entrée dans la mosquée : en vertu du premier des deux hadîths suscités (référence 1), il est interdit au musulman qui se trouve en état d'impureté rituelle majeure de demeurer dans la mosquée – mais il lui est autorisé de seulement y passer, en vertu d'un commentaire particulier du verset 4/43. Par contre, en vertu du second hadîth, celui avec Thumâma ibn Uthâl (référence 2), les musulmans peuvent autoriser un non-musulman à y entrer même si celui-ci est alors en état d'impureté rituelle majeure. Il y a donc une exception pour le non-musulman par rapport à la règle qui s'applique au musulman.

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IV) Celui qui se convertit à l'islam doit-il prendre un bain complet (ghusl) avant de le faire / après l'avoir fait ?

– Pour l'école hanbalite, qui est de l'avis c plus haut cité, lorsqu'un non-musulman se convertit à l'islam, il a systématiquement l'obligation de prendre un bain après s'être converti. Et ce, qu'il avait déjà été dans le passé en état d'impureté rituelle ou qu'il ne l'avait jamais été (parce que n'ayant jamais vécu ce qui cause cet état). Cette école se fonde sur ce que Qays ibn 'Assim relate : "Je me suis rendu auprès du Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) alors que je voulais entrer en islam ; il m'ordonna de prendre un bain avec de l'eau et du sidr" (Abû Dâoûd, 355). Elle appréhende ce terme comme induisant une obligation.

– Pour l'école shafi'ite, qui est (elle aussi) de l'avis c, lorsqu'un non-musulman se convertit à l'islam, s'il n'avait jusqu'à présent jamais été en état d'impureté rituelle, il n'aura pas l'obligation de prendre un bain après s'être converti à l'islam, mais la simple recommandation de le faire. C'est en effet comme signifiant une simple recommandation que cette école comprend le hadîth relaté par Qays ibn 'Assim cité ci-dessus. Le fait est que par ailleurs il n'est pas relaté, par rapport à ces très nombreuses personnes ayant embrassé l'islam à l'époque du Prophète, qu'il leur ait dit qu'elles devaient prendre un bain. Dès lors, un ou deux hadîths montrant cela pour une cause aussi répandue ne peu(ven)t signifier une obligation.
Par contre, si cet homme avait été au moins une fois dans sa vie en état d'impureté rituelle majeure, il devra, après s'être converti à l'islam, prendre un bain, afin de se mettre en état de pureté rituelle pour pouvoir accomplir la prière rituelle (salât). Le fait est que, d'une part, l'état d'impureté majeure antérieur est pris en considération et demeure malgré la conversion à l'islam, et, d'autre part, tant qu'il était non-musulman, même s'il prenait un bain, celui-ci ne serait pas valide, car il s'agit d'une action purement cultuelle ('ibâda mah'dha), dont la validité (sihhat ul-adâ') demande que l'on soit musulman lorsqu'on l'accomplit. Il devra donc prendre un bain après s'être converti à l'islam.

– Selon un avis de l'école hanafite – avis qui correspond à l'avis a plus haut cité –, quand un non-musulman se convertit à l'islam, il n'a jamais l'obligation de prendre un bain pour se purifier, car lorsqu'il était devenu en état d'impureté rituelle majeure, il n'avait jamais été sujet à l'obligation de se purifier, vu qu'étant alors non-musulman (Al-Bahr ur-râ'ïq 1/120).
Le bain reste cependant systématiquement recommandé lorsqu'on se convertit à l'islam, mais cela est indépendant de l'état de pureté ou d'impureté rituelles. Cette recommandation est induite par le hadîth relaté par Qays ibn 'Assim, que cette école comprend elle aussi comme signifiant une simple recommandation, pour la même raison que celle évoquée par l'école shafi'ite.

– Mais en vertu de l'avis b de l'école hanafite – c'est l'avis qui a été retenu au sein de cette école – lorsqu'un non-musulman se convertit à l'islam, selon qu'il n'aura pas encore, ou aura déjà pris un bain depuis la plus récente occasion où il était entré en état d'impureté rituelle majeure, il aura, ou n'aura pas l'obligation de prendre un bain pour se mettre en état de pureté rituelle (Al-Bahr ur-râ'ïq 1/120, Ad-Durr ul-mukhtâr 1/307). Ainsi...
- S'il a été ne serait-ce qu'une fois en état d'impureté rituelle majeure et n'a depuis pas pris de bain complet, l'homme a l'obligation de prendre un bain soit avant de se convertir à l'islam, soit après.
- Par contre, s'il ne se trouve pas dans l'obligation de prendre le bain (soit qu'il n'était jamais devenu en état d'impureté rituelle, soit qu'il était devenu ainsi mais avait déjà pris un bain complet depuis le plus récent état d'impureté), prendre un bain à l'occasion de la conversion reste simplement recommandé, pour la raison sus-évoquée.
Cet avis se fonde sur le fait que c'est avant de prononcer les deux témoignages de foi que Thumâma prit son bain (lire attentivement le hadîth rapporté par al-Bukhârî, 450) ; et il n'est nulle part mentionné que le Prophète lui ait dit de prendre de nouveau un bain après sa conversion. De même, quand Omar ibn ul-Khattâb, alors encore non-musulman, voulut toucher les feuillets du Coran qu'il avait trouvés chez sa sœur et son beau-frère, sa sœur lui demanda de faire au préalable ses ablutions.
Si donc l'homme avait pris un bain complet depuis la plus récente occasion où il avait été en état d'impureté rituelle majeure, ce bain, même pris alors que non-musulman, est valide, et si cet homme se convertit à l'islam, il n'a plus l'obligation de prendre un nouveau bain avant d'accomplir la prière rituelle (salât). Par contre, si, avant de se convertir à l'islam, cet homme n'avait pas pris de bain complet après la dernière occasion où il avait été en état d'impureté rituelle majeure, alors, une fois converti à l'islam, il devra obligatoirement prendre un tel bain avant de pouvoir accomplir une prière rituelle.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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