Accomplir la prière des tarâwîh chaque nuit du ramadan est une action donnée. Réciter, pendant l'ensemble des tarâwîh du mois de ramadan, l'intégralité du texte coranique est une autre action, totalement distincte

Primo, accomplir les prières des tarâwîh pendant chaque nuit du ramadan est une action fortement conseillée (sunna mu'akkada).

Secundo, accomplir les prières des tarâwîh en groupe chaque nuit est soit recommandé, soit autorisé, et ce même si ce n'est pas chaque nuit que le Prophète (sur lui soit la paix) les a accomplies en groupe, et même s'il a dit aux Compagnons de ne pas les accomplir chaque nuit en groupe, car il a précisé que c'était pour une raison précise qu'il ne la faisait pas en groupe chaque nuit ; la raison ayant disparu, la règle change (cliquez ici pour découvrir comment cela).

Tertio, réciter l'intégralité du texte coranique pendant l'ensemble des prières des tarâwîh d'un mois de ramadan donné est souhaitable (et ce par maslaha shar'iyya). En effet, des fuqahâ' (juristes) ont écrit qu'il est recommandé de réciter, pendant l'ensemble des prières de nuit d'un mois de ramadan, une fois l'intégralité du texte coranique : al-Qâdhî [Abû Ya'lâ] parmi les hanbalites, a dit cela (Al-Mughnî 2/415-416). C'est aussi l'avis des ulémas de l'école hanafite (voir par exemple Ad-Durr ul-mukhtâr 2/497).

Or on peut remarquer que de nombreuses personnes ne parviennent plus aujourd'hui à faire la distinction entre l'accomplissement de la prière des tarâwîh pendant chaque nuit du ramadan (ce qui a été évoqué en Primo), et la récitation de l'intégralité du texte coranique durant l'ensemble de ces prières accomplies pendant un mois donné de ramadan (ce qui a été cité en Tertio).

Ces personnes se sont mises à considérer ces deux actions comme étant de même niveau.

Or, certaines de ces personnes, ne pouvant pas – pour cause de grande fatigue liée à un travail journalier éprouvant, pour cause de faible constitution physique – ou ne voulant pas – pour cause de manque de courage et de grande paresse – rester debout pendant ces prières chaque soir le temps de la récitation d'un trentième (ou un peu plus d'un trentième) du texte coranique, délaissent alors l'accomplissement des prières du tarâwîh même. Ne pouvant accomplir ce qu'elles croient être une condition pour la validité – ou au moins la perfection nécessaire – d'une action donnée, elles délaissent donc l'action elle-même.

Ceci est une erreur.

Si ces personnes ne peuvent pas – ou ne veulent pas – accomplir des prières des tarâwîh qui durent un temps conséquent, elles devraient quand même accomplir les prières des tarâwîh chaque nuit (vu que cela est sunna mu'akkada), et se contenter de la récitation de quelques versets du Coran dans chaque cylce (rak'a).

Car si dans Tanwîr ul-absâr il est écrit : "On ne délaissera pas (un khatm du Coran) à cause de la paresse des gens", al-Haskafî nuance ce propos par ces termes : "Mais dans Al-Ikhtiyâr il est dit : "Le mieux pour notre époque est ce qui n'est pas difficile pour les gens". L'auteur et autre que lui l'ont approuvé. (…) Dans Fadhâ'ïlu ramadhan de az-Zâhidî il est écrit : "Abu-l-Fadhl al-Kirmânî et al-Wab'rî ont donné comme fatwa qu'il n'est pas mak'rûh que dans (chaque rak'a) des tarâwîh on récite la Fâtiha et un ou deux versets (seulement). Celui qui n'est pas connaisseur des [mœurs des] gens de son époque, celui-là est un ignorant" (Ad-Durr ul-mukhtâr 2/497-498).
Ahmad ibn Hanbal a lui aussi dit : "Pendant le mois de ramadan, on récitera (dans les tarâwîh faites en groupe), ce qui est léger [= possible] pour les gens ; on ne mettra pas de difficulté sur eux, particulièrement lors des nuits courtes. Tout dépend de ce que les gens supportent" (Al-Mughnî 2/415).

Faire le khatm ul-qur'ân (c'est-à-dire réciter l'intégralité du texte coranique) durant les prières des tarâwîh n'est nullement une nécessité par rapport à la validité ou à la perfection nécessaire des prières des tarâwîh, ni par rapport au fait de "passer un bon mois de ramadan".

Parfois on constate quelque chose de plus grave encore : certaines personnes se font un devoir d'assister pendant tout le mois de ramadan aux prières des tarâwîh où on récite une fois l'intégralité du texte coranique, mais, au bout d'une semaine, quand la fatigue commence à se faire sentir, se mettent à critiquer âprement la vitesse de la récitation faite par le ou les imams, celle-ci n'étant pas assez rapide à leur goût. Parfois on entend même alors des mots de lassitude vis-à-vis du texte coranique ! Voilà bien un exemple flagrant d'application de la lettre d'une règle (qui en plus n'est pas instituée) sans appliquer aussi son esprit (cliquez ici)…

Par ailleurs, entre l'action d'accomplir les prières des tarâwîh chaque nuit du ramadan mais sans que l'intégralité du texte coranique soit alors récité au cours de tout le mois, et l'action de réciter l'intégralité du Coran mais de façon mâchée pour aller plus vite, la meilleure est sans nul doute la première.
Le mieux est encore une troisième action : assister à des salât ut-tarâwîh pendant lesquelles on récite – de façon non mâchée – pendant tout le mois l'intégralité du texte coranique. Mais si on n'en est pas capable, alors : plutôt que de ne pas accomplir du tout les prières des tarawîh parce qu'on est incapable de tenir le temps de la récitation d'un trentième (ou un peu plus) du texte coranique chaque soir ; plutôt que de râler et de se plaindre de sa fatigue et de la lenteur de la récitation du imam ; plutôt que de mettre la pression sur le imam ; plutôt que de prononcer des mots graves à propos du Coran : accomplissez chaque soir du ramadan des prières de tarâwîh où on récite seulement quelques passages du texte coranique.

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Par ailleurs, sauf erreur de ma part, ce n'est pas le Prophète (sur lui soit la paix) ni les quatre califes râshidûn ni même d'autres Compagnons qui ont institué le fait de faire le khatm ul-qur'ân durant les tarâwîh de tout le mois de ramadan, mais des juristes postérieurs.
C'est ce que Mâlik ibn Anas a ainsi formulé : "Layssa khatm ul-qur'âni fî ramadhâna sunnatan li-l-qiyâm" (Al-Fiqh ul-mâlikî fî thawbihi-l-jadîd, 1/481).
(Quant au fait que dans Ad-Durr ul-mukhtâr 2/497 il a été dit que cela est "sunna", ce terme ne signifie pas ici que c'est une tradition du Prophète ou de ses Compagnons, mais que cela est de niveau "recommandé" : cliquez ici pour en savoir plus ; dans le cas présent cela est recommandé par maslaha shar'iyya, et pas par précédent du Prophète.)

Certes, il est établi que pendant le mois de ramadan le Prophète faisait une révision du texte coranique jusqu'alors révélé avec l'Ange Gabriel (le hadîth est bien connu), mais il n'est pas dit que cela se déroulait pendant la salât ut-tarâwîh ; et pareille analogie (qiyâs ut-tamthîl) n'est pas possible dans le domaine des 'ibâdât.

C'est bien pourquoi Cheikh Ashraf 'Alî at-Thânwî, s'étant un jour rendu à Murâd'âbâd, une autre ville de l'Inde que la sienne, y fit un discours dans lequel il dit qu'il n'avait pas trouvé chez les Compagnons, ni leurs élèves, ni les élèves de leurs élèves, qu'ils faisaient le khatm ul-qur'ân durant les tarâwîh ; il dit ensuite que, volontairement, il s'était abstenu de faire réciter l'intégralité du texte coranique dans la khânqâh dont il était responsable, à Thâna Bhawan, pendant les tarâwîh du mois de ramadan venant alors de s'écouler (Bawâdir un-nawâdir, pp. 348-349). Son objectif était d'éviter, dans une action des 'ibâdât, le iltizâm de (c'est-à-dire le fait de faire de façon continuelle) ce qui n'est fait que par maslaha shar'iyya et n'a pas été institué par le Prophète ni accompli par les Compagnons, leurs élèves et les élèves de leurs élèves.

Suite à ce discours, il reçut une lettre de quelqu'un cherchant à en savoir plus, et l'informant du fait que, la nouvelle concernant le contenu de son discours s'étant répandue, certains musulmans avaient commencé à le critiquer.

Cheikh Thânwî répondit à cette lettre par écrit en disant à son auteur qu'il affirmait bien que faire le khatm du texte coranique pendant les tarâwîh est recommandé, mais qu'il hésitait quant à savoir si ce sont vraiment les fondateurs de l'école hanafite ou si ce sont seulement des ulémas hanafites postérieurs qui ont dit que cela est mu'akkad. Il dit aussi dans cette réponse que c'était volontairement que de temps en temps ("gâh gâh") il ne faisait pas réciter l'intégralité du texte coranique dans sa khânqâh, et ce par égard à l'avis selon lequel ce n'est pas mu'akkad : soit que ce n'est jamais mu'akkad, soit qu'il peut y avoir une raison valable ('udhr), et que les raisons de ce genre sont ensuite diverses selon les personnes. Par ailleurs il écrivit qu'il continuait à se renseigner auprès d'autres ulémas pour découvrir la preuve qu'il pourrait y avoir d'une éventuelle ta'akkud sur la question (Ibid., p. 349).

Quand on voit que Cheikh Thânwî n'a pas hésité à ne pas faire de temps en temps le khatm ul-qur'ân durant la salât ut-tarâwîh, pour les raisons susévoquées, on ne peut qu'être étonné certains coreligionnaires dire qu'"il est nécessaire que ce soit lors de la salât ut-tarâwîh de la nuit du 27ème ramadan que le khatm ul-qur'ân ait lieu." Alors que la vérité est qu'on peut faire ce khatm le 29ème, le 28ème, le 27ème, le 26ème, ou autre encore : il n'y a aucune nuit ayant été fixée pour cela de façon nécessaire dans les textes des sources, de sorte qu'on puisse évoquer le changement de date fait par certains comme si c'était un problème. Dès lors, celui qui le veut fera le khatm le 29ème, celui qui le veut le fera le 28ème, celui qui le veut le fera le 27ème, etc. Certes, il y a une préférence dans l'école hanafite quant à la nuit du khatm : mais même cette préférence fait l'objet de 2 avis différents dans différents écrits de cette école : le 27 / le 29.

Cheikh Thânwî a affirmé par ailleurs : "Je ne dis pas de ce qui est mustahabb qu'il est bid'a, je dis que le considérer nécessaire est bid'a. Si quelqu'un considère wâjib ce qui est mustahabb, n'est-ce pas une bid'a ? "Nécessaire" ("lâzim" / "dharûri") et "wâjib" veulent dire la même chose" (Fiqh-é hanafî ké ussûl-o-dhawâbit, p. 124).

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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