Qu'est-ce que la Taqiyya ? "Les croyants ne doivent pas prendre pour awliyâ' des incroyants, délaissant les croyants. Car celui qui fait ainsi n'est en rien de Dieu. Sauf si vous Tattaqû de leur part une Taqiyya" (Coran 3/28)

"Les croyants ne doivent pas prendre pas pour awliyâ' des incroyants, délaissant les croyants. Car celui qui fait ainsi n'est en rien de Dieu. Sauf si vous Tattaqû de leur part Tuqâtan" / "Taqiyyatan" (Coran 3/28). Il y a en effet ici ces deux variantes de lecture : "Tuqâ" et "Taqiyya", la seconde étant lue par Ya'qûb (Al-Wajîz).

Le verset veut dire : "Il vous est interdit de prendre pour awliyâ' des incroyants au lieu des croyants, sauf si vous Tattaqû de leur part une Tuqâ / une Taqiyya".

Nous avons ici deux termes :
– un verbe : "Tattaqû",
– et un nom : "Tuqâ" / "Taqiyya".

"Tattaqû" peut signifier :
1) "vous craignez" ;
2) "vous vous préservez".

Quant à "Tuqâ" et "Taqiyya", Abû 'Ubayda dit qu'ils signifient la même chose (Fat'h ul-bârî 12/391). Al-Bukhârî a écrit la même chose (Sahîh ul-Bukhârî, kitâb ut-tafsîr, kitâb ul-ik'râh). "Taqiyya" était à l'origine "waq'ya", qui émane de "wiqâya", pour : "préserver" (Fat'h ul-bârî 12/392).
"Tuqâ" et "Taqiyya" peuvent signifier dans ce verset :
A) soit "mâ yuttaqâ min'h" : "ce par rapport à quoi il devient légal d'entreprendre quelque chose (qui est normalement interdit), pour se préserver" ;
B) soit "mâ yuttaqâ bihî" : "ce par le moyen de quoi il est légal de se préserver (et ce par rapport à une situation exceptionnelle)" ;
C) soit : "al-ittiqâ'" : "le fait de se préserver".

Si on retient le sens A de ce nom "Tuqâ" /"Taqiyya", alors : cela ne peut se marier qu'avec le sens 1 du verbe "Tattaqû" ; ce nom est alors maf'ûl bihî de ce verbe ; il y a eu inversion entre ce nom et la particule "minhum" ; et la phrase se comprend ainsi : "illâ an takhâfû shay'an minhum" (Ahkâm ul-qur'ân, 1/351) : "Sauf si vous craignez [= sens 1] de leur part quelque chose par rapport à quoi vous avez à vous préserver [= sens A]".

Et si on retient du nom "Tuqâ" / "Taqiyya" le sens B, alors : cela ne peut se marier qu'avec le sens 2 du verbe "Tattaqû" ; ce nom est alors manSûb bi naz' il-khâfidh ; et la phrase se comprend ainsi : "illâ an tajtanîbû min (sharri)him bi 'amalin (minkum)" : "Sauf si vous avez à vous préserver [= sens 2] de leur (tort), par le biais d'une action (de votre part) [= sens B]".

Si, enfin, on retient le sens C, alors ce terme est maf'ûl mutlaq du verbe ; la phrase se comprend alors ainsi : "illâ an tattaqû minhum ittiqâ'an" ; ce sens C peut se marier avec le sens 1 comme avec le sens 2 du verbe "Tattaqû" ; la phrase peut donc signifier :
- "sauf si vous craignez d'eux" (sens 1) ;
- "sauf si devez vous préserver d'eux" (sens 2).
Cela ne fait donc que renvoyer aux deux sens 1A et 2B.

Le passage coranique 3/28 veut dire qu'un musulman ne peut pas dire à des non-musulmans : "Je suis des vôtres, et je désavoue l'islam" (ce qui constitue le niveau 3 – interdit – de la muwâlât, comme exposé dans l'article précédent) ; un musulman ne peut pas dire cela, sauf s'il se trouve dans une situation de Taqiyya (au sens A : situation où il y a une crainte reconnue comme telle) : crainte pour sa vie ou son intégrité physique. S'il se trouve dans une situation de telle crainte, il peut alors dire cette parole, à condition que cela soit du bout des lèvres, et non pas du cœur même.

Et ce qui constitue un motif de crainte et quelque chose par rapport à quoi il est autorisé de se préserver (sens A), c'est avoir reçu la menace d'être tué, d'être amputé d'un membre du corps, ou de recevoir des coups terribles (Fat'h ul-bârî 12/390, 392).

La Taqiyya désigne donc :
soit la situation de contrainte (sens A) (ik'râh) ;
soit la parole / action par laquelle on se préserve concrètement de la mise à exécution de la menace par laquelle on a été contraint (sens B) ;
soit le fait de se préserver de la mise à exécution de la menace (sens C renvoyant au sens 2).

C'est cela, la Taqiyya : face à une menace dûment formulée par des non-musulmans, cela consiste en le fait que le musulman se préserve d'être tué par ces non-musulmans, et exprime qu'il est en fait leur walî, et ce par le moyen d'une parole (dire avec la bouche qu'on n'est plus musulman et qu'on fait désormais partie des non-musulmans et qu'on est donc leur walî), ou par le moyen d'un acte (faire, en acte seulement, toute autre action exprimant sans nul doute possible qu'on fait partie des non-musulmans) (exception faite de l'action de tuer des musulmans pour satisfaire l'ennemi non-musulman ; une telle muwâlât reste une muwâlât interdite, vu que la règle générale est qu'il n'est en aucun cas autorisé de tuer un innocent, qu'il soit musulman ou qu'il soit non-musulman, pour échapper à la menace qu'on subit).

En tous cas la Taqiyya ne consiste pas à mentir pour avancer à visage couvert, comme le croient certaines personnes.

As-Suddî dit, en commentaire du verset 3/28 : "Quant à awliyâ', (il s'agit du fait qu')il fasse leur muwâlâh dans leur dîn, et leur donne information du défaut des croyants. Celui qui fait ainsi est mushrik, Dieu l'ayant désavoué. Sauf s'il se préserve d'eux par Tuqâ : il montre alors la wilâya pour eux dans leur dîn, et le désaveu des Croyants" (Tafsîr ut-Tabarî, relation n° 6829).

Adh-Dhahhâk dit, en commentaire du même verset : "La Taqiyya [au sens C renvoyant au sens 2 = le fait de se préserver] se fait par la langue : celui qui est contraint (humila 'alâ) à prononcer quelque chose qui constitue un péché vis-à-vis de Dieu, et l'a prononcé par crainte des gens (pour sa personne), alors que son cœur est (demeuré) serein avec la foi, sur lui il n'y a pas de péché. La Taqiyya [= le fait de se préserver face à la menace, sens C] ne se fait que par la langue" (Tafsîr ut-Tabarî, relation n° 6835).
En effet, certains ulémas sont, à l'instar de ce que dit adh-Dhahhâk ici, d'avis que le seul moyen autorisé pour se préserver (Taqiyya) de la menace est la parole, et non pas d'autres actions (se prosterner devant une idole, etc.). Mais la majorité des ulémas sont pour leur part d'avis que la préservation (Taqiyya) se fait aussi par des actions autres que la seule parole, donc par autre chose que la seule langue (Fat'h ul-bârî, 12/393-394).

Ibn Abbas disait quant à lui : "La Taqiyya se fait par la langue, alors que le cœur est serein dans la foi. (Le musulman se trouvant en pareille situation) n'étendra [cependant] pas la main pour tuer" (Fat'h ul-bârî 12/392).

'Awf al-A'râbî relate que al-Hassan al-Basrî disait : "La Taqiyya est instituée pour le croyant jusqu'à la fin du monde", avant d'ajouter que al-Hassan "ne considérait pas de Taqiyya dans le fait de tuer" (Fat'h ul-bârî 12/392 ; Tafsîr ul-Qurtubî, 4/57 ; la première phrase de al-Hassan al-Basrî a également été citée par al-Bukhârî, in kitâb ul-ik'râh).
On voit de nouveau ici qu'il s'agit bien de la même chose que la contrainte, Ik'râh : on ne peut tuer un homme innocent au motif qu'on était soi-même menacé d'être tué si on ne tuait pas cet homme (Ibid.). Nous avons exposé cela de façon détaillée dans notre article consacré à la Contrainte (Ik'râh). Simplement, dans d'autres versets parlant de la contrainte, la question est générale : ils parlent de faire un acte interdit à cause de la contrainte qu'on subit ; tandis que le verset 3/28 parle, lui, de façon plus particulière, de faire un acte de muwâlât interdite à cause de la contrainte qu'on subit. Mais dans les deux cas il s'agit bien d'un cas de contrainte.

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La missive que Hâtib ibn Abî Balta'a (que Dieu l'agrée) avait envoyée à l'ennemi mecquois

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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